5.

Quand Loïk me relâche après que je me sois enfin calmé, ça sonne comme une évidence. J'ai besoin de vider mon sac. Il ne change pas de causeuse et ramène simplement sa tasse devant lui, pour rester à côté de moi. Silencieusement, il s'accoude au dossier et je le remercie intérieurement de ne pas me fixer comme n'importe qui serait en droit de le faire après mes pleurs incontrôlés. Je replace sa veste sur moi et bois une autre gorgée de café. Entre le petit goût du caramel et l'odeur de la clémentine, je me sens juste un peu mieux.

- Tu sais... commence-t-il. Je ne veux pas te forcer à parler, si tu n'en as pas envie. On ne se connaît pas.

- Je sais déjà que tu écoutes Niives. Pour moi, c'est un bon début.

Il se contente de rire.

- Alors j'ai peut-être le droit de demander pourquoi tu t'es mis subitement à pleurer ?

Mes doigts resserrent la porcelaine grise de la tasse. Je ne sais même pas si je fais bien d’être là, avec lui.

- Ma vie... C'est un bordel sans nom.

Son coude repose sur la table et il se met cette fois à me fixer, le poing sur la tempe.

- Mais encore ? Je peux dire aussi que ma vie est en bordel. Pour un tas de raison. C'est quoi les tiennes ?

Je bois une autre gorgée pour me donner du courage. Je ne sais pas par quoi commencer.

- Je...

- On va faire un truc si tu veux. Tu me racontes quelque chose sur toi, et moi, je te raconte quelque chose sur moi.

Je hausse les épaules.

- Si c'est ta manière de draguer, sache qu'elle est plutôt nulle, me moqué-je.

- Je sais... C'est pour ça qu'il faut que je m’entraîne.

- C'est pas glorieux de le faire sur un gamin de dix-sept ans.

Il rit une nouvelle fois et continue de boire son café.

- On va faire simple. Comment tu connais Niives ?

S'il pense que c'est une question facile, il se trompe complètement. Je me vois mal lui dire la vérité, là, autour d'un café. Et franchement, j'en ai marre de mentir.

- Je passe.

- Pas cool. À moins que ce soit gênant pour toi. Ok, t'es en quelle classe ? reprend-t-il.

- Terminal ES. Et toi ?

- J'ai eu ma licence en droit. Il y a plus d'un an. Mais je ne suis pas fait pour être avocat.

Et effectivement, il n'a pas du tout l'allure d'un avocat.

- Donc... Tu fais quoi comme boulot ?

- Je vis de mon œuvre et de café.

- Quoi ?

Il se tourne vers le fond de la salle et pointe la scène improvisée.

- Je joue et je sers ici.

- Serveur et musicien, la classe.

- Te moque pas ! J’adore ce que je fais !

- Ça doit surtout aider pour ramener des filles, ajouté-je.

Loïk ne répond rien et finit d'une traite son café qui doit être presque froid. Son silence confirme que je suis un parfait idiot. Je suis subitement intéressé par mon reste de boisson.

- Ça te gêne que je sois-

- Que tu sois gay ? le coupé-je. Ah non pas du tout ! Mon meilleur ami est gay ! Je n'ai aucun problème avec la sexualité des gens ! Pour moi, chacun fait ce qu'il veut, tant que c'est légal.

Après un petit sourire en coin, il repousse sa tasse plus loin.

- Ça peut te paraître bizarre, mais je ne suis pas gay.

- Alors tu... Bi ? je me reprends.

- Loupé... Ça te dit rien si je te dis que je suis pan ?

- Pan ! Paon ?

- Non, sourit-il. Pan. Pansexuel.

Je secoue la tête. Ça ne me dit rien, mais j'ai très envie de savoir et je ne sais pas du tout pourquoi.

- Pour faire simple... Je suis attiré physiquement, sexuellement, affectivement ou romantiquement par des personnes de n'importe quel genre.

Je secoue une nouvelle fois la tête. Je ne suis toujours pas vraiment avancé avec tout ça.

- Je vais pas partir là-dessus, sinon on en a pour des heures. Mais ce que tu dois savoir, en gros, c'est que je peux tomber amoureux de n'importe qui.

Il dit tout cela en fixant un point dans le vide, l'air songeur.

- Merci, finis-je par lâcher.

- De rien. Mais de quoi en fait ?

- De parler avec moi. Juste comme ça.

- Je dois bien me faire pardonner pour t'avoir blessé.

Mon téléphone vibre fort sur la table, m’empêchant de lui répondre. Je le récupère et ma mâchoire se contracte en voyant que mon père essaie de m'appeler. Je l'éteins sans remords.

- Ça va ? s’enquiert Loïk.

- Oui, c'est juste mon meilleur ami, mens-je.

- C'est à cause de lui que tu as craqué tout à l'heure ?

- Oui... Il se fait emmerder par des gens au lycée et je sais pas quoi faire pour l'aider.

Je vais dire que c'est une demie-vérité. Ça fait bien moins mal que de continuer à mentir ouvertement.

- Il faut qu'il en parle à ses parents, suggère-t-il. Et de ton côté, continue à le soutenir et répond à ses appels. C'est sûrement la meilleure chose à faire pour le moment.

- Loïk ! braille une voix nous interrompant.

Nous nous retournons en même temps. Un garçon se poste subitement devant nous, les deux mains sur la table. Un garçon qui doit bien avoir l'âge de Loïk. Il a des piercings aux oreilles et un anneau sur le nez. Des bagues aux doigts, de nombreux bracelets aux poignets et il porte un gros pull aux manches retroussées. Le plus surprenant pour moi, reste sa peau à deux teintes distincts, visibles sur ses bras et son visage.

- Lo, la prochaine fois que tu me laisses en plan, je te jure que tes partitions, je te les foutrais dans le cul.

- Des promesses, toujours des promesses.

L’inconnu, qui n'en est pas un pour Loïk, se redresse et serre les poings en grognant.

- Tu devrais te calmer avant de faire fuir les clients, intervient le barman sans même le regarder.

- Babe, te mêle pas de ça. Pourquoi t'es pas venu me chercher ? s'adresse-t-il de nouveau à Loïk. Et c'est qui lui ? demande-t-il tout en me fixant.

- Lui, c'est Tristan et il explique la raison de mon oublie, me présente-il. Tristan, voici Uriel. Mon meilleur ami depuis... Toujours.

- Et ce ''toujours'' va pas durer si tu m’expliques pas pourquoi tu choisis ton plan cul plutôt que notre concert.

Loïk fait les yeux ronds et je baisse la tête. C'est très gênant comme situation. Je préférerais presque être chez moi à ce moment-là.

- Écoute... T'as pas besoin d’être désobligeant. J'ai percuté Tristan à moto et je me suis senti redevable envers lui. Je devais au moins lui offrir un truc pour m'excuser.

Uriel prend son visage entre ses mains et lâche un geignement. Il semble complètement excédé par Loïk. C'est une véritable scène de ménage qui se joue entre eux.

- Lo, ça fait deux mois qu'on prépare le concert. Tu peux pas me lâcher maintenant.

- Je vais pas te lâcher. Je vais juste raccompagner Tristan et je te retrouve ici. OK ?

- J'ai l'impression que t'en as plus rien à foutre ! s’énerve t-il en partant vers la porte du personnel.

Son ami le barman baisse les bras. Lui aussi paraît excédé de la situation. Il gâte Loïk d'un regard accusateur et rejoint Uriel en l'appelant.

- Tu viens de rencontrer les deux personnes qui comptent le plus pour moi. Uriel et Melkior.

- Ils ont l'air... Atypiques.

- Ils sont pas banals, ça, c'est sûr.

Melkior ressort de ce qui semble être la salle du personnel, un tablier à la main. Tablier qu'il jette à la figure de Loïk.

- Avec tes conneries, je dois m'occuper de lui. Tu vas donc prendre mon heure de boulot.

- Mais...

- Chut. Je veux pas t'entendre.

Il disparaît de nouveau et Loïk est contraint de se lever pour travailler. Je n'ose pas bouger d'un centimètre.

- C'était mon après-m' de repos, geint-il. Bon bah... Je crois que nos chemins se séparent ici.

Je retire sa veste de mon dos et me lève enfin, peut-être un peu trop vite, car je me cogne le pied contre la table. Mais ne laisse rien voir. J'aimerais rester encore un peu digne.

- J'ai... D'autres choses à te dire, déclaré-je sans le regarder.

- De ce que j'avais compris, tu ne voulais pas trop au début.

- Parce que je ne te faisais pas vraiment confiance...

- Et maintenant oui ? s’interroge-t-il en croisant les bras sur son torse.

Je le regarde et croise son regard vairon. Ses yeux bleu et brun fascinant. Quelque chose que je n'avais jamais vu. Il me sourit et décroise les bras, écrit quelque chose sur un petit carnet et me tend une feuille. Feuille où se trouve un numéro de portable.

- C'est...

- Mon numéro. Au cas où des choses que tu voulais me dire te reviennent.

J’inspecte les chiffres et j'ai le droit à un nouveau sourire. J'ai l'impression pendant quelques secondes, de voir quelque chose briller au fond de ses pupilles. Mon portable, qui sonne dans ma poche, ne me permet pas de savoir de quoi il s'agit.
Encore mon père qui se demande ce que je fabrique.

Je m'excuse auprès de Loïk, lui rend sa veste et sort rapidement du café avant que mon géniteur ne se décide à envoyer toute la police à mes trousses.
Il ne manquerait plus que ça pour bien finir ma soirée des plus étranges.

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