41.

Je laisse tomber mon sac sur le carrelage des toilettes à l’hygiène douteuse et m'asperge le visage d'un peu d'eau. Il faut que je me calme. Son message ne veut rien dire. Mon père n'a aucune réelle envie de me voir. Il ne culpabilise pas. Il ne peut pas. Ce n'est pas le genre d'homme à le faire. Il veut juste s'assurer que je suis encore son fils. Et j'ai maintenant de sérieux doutes.
J'ai envie de l'insulter. Il me rend si vulnérable.

Je dois me reprendre. Louise et Marc sont certainement de meilleurs parents que ma mère et mon père ne l'ont été. Ils veillent sur moi et sur Noé. Ça ne peut que bien aller maintenant.
Je sursaute quand quelqu'un frappe de l’intérieur la porte d'une des cabines. Puis j'entends un sanglot. Je n'aime pas trop me mêler des affaires des gens que je ne connais pas, mais je suis curieux. Peut-être même un peu trop.

- R-Romain... a-arrête...

Cette voix. C'est pas possible que ce soit Brevan. Il reste constamment avec Arllem pour être sûr de ne pas se faire physiquement attaquer. Mais plus je me rapproche de la cabine d'où s’échappe des bruits, plus j'ai l'impression qu'il s'agit bien de lui.

- Tu chiales pour ça, sérieux ?

Et c'est bien Romain qui est avec Brevan. Je reconnais facilement leur voix. Mais pourquoi ?

- L-laisse moi...

- T'es abîmé de partout. Je vois pas ce qu'il te trouve... Peut-être que je devrais vérifier moi-même ?

- Non...

Sa voix suppliante me déchire. Puis je me reprends.
Romain ne va quand même pas...

Je pousse la dernière porte de la rangée, la claquant contre le mur. Ils m’observent avec surprise.
Davantage Romain, puisque Brevan est appuyé par son poids contre le mur, les yeux larmoyants.

- Tristan... m'appelle doucement Brevan.

J'écarte Romain de lui, devant les lavabos, protégeant mon ami. Je me tourne légèrement vers lui, demande doucement si ça va et il secoue la tête en remontant son jean.
J'ai l'irrépressible envie de frapper Romain jusqu'à ce qu'il crache du sang.

- Qu'est-ce que tu fais là ? s'énerve-t-il en se rhabillant aussi.

- Je t’empêche de faire une chose dégueulasse.

- En quoi ça te regarde ?

- Mais t'es taré mon pauvre ! Tu te rends même pas compte de ce que tu as essayé de faire !

- Me dis pas que tu le trouves pas chelou ?

- Et c'est le seul prétexte que t'as trouvé pour avoir la gaule sur lui ? Ah bah putain...

- C'est pas de ma faute si cette pute s'est laissé faire !

Le coup part de lui-même. Il tombe lourdement sur le dos et j'en profite pour lui redonner un coup.

- Tristan !

Je le frappe encore. Avec des coups de plus en plus fort. Il ne peut pas se protéger.

- Tristan !

Mes mains me font mal. Romain se met à pleurer. Je jubile.

- Tristan, arrête !

Je me relève enfin, les mains en sang. Brevan met ses mains en avant, comme pour me défendre d'approcher plus de lui. Romain a le nez cassé. C'est peu cher payé.

- Si tu racontes quoi que ce soit ou si tu oses le toucher encore une fois, j'hésiterais plus une seconde.

Je me rince simplement les mains sous l'eau, récupère mon sac et laisse sortir Brevan dans le couloir, laissant Romain geindre sur le carrelage des toilettes.

- Tu devrais aller rejoindre Arly...

- Je préfère qu'on parle un peu avant...

- Alors ça te gêne pas si on va dehors ? J'ai besoin de m'en griller une.

Il acquiesce et garde ses bras contre lui tout le temps du chemin jusqu'au coin des fumeurs.
Je m'assois sur un rebord en béton et Brevan s'assoit à côté, avec un air un peu lointain. Il a manqué de peu de se faire agresser dans les toilettes du lycée. À sa place, j'aurai été dévasté, mais il ne semble pas l’être tant que ça. Comme si... Il l'avait déjà vécu. Mais je ne m'y attarde pas. Ce doit être seulement une impression.

- Merci T-Tristan... soupire-t-il.

- Cet enfoiré n'a eu que ce qu'il mérite.

- C'est m-ma faute... J'aurai d-dû faire a-attention.

Je crache ma fumée avec rage. Brevan n'a pas à penser que c'est lui le coupable.

- C'est en rien ta faute ! C'est lui qui a essayé de t'agresser !

Il ne dit rien de plus et baisse la tête. J'y suis peut-être allé un peu trop fort.

- Désolé. Mais ça m’énerve que tu puisses imaginer ça. Il n'y a que lui qui est en tort. Aucune victime ne demande qu'on lui fasse subir des horreurs. Peu importe la situation.

Il relève la tête vers moi et m'offre un faible sourire, les larmes sur les joues.

- Pardon Brevan je... Je voulais pas te faire pleurer.

- Je p-peux te prendre d-dans mes bras ?

- Tu... Tu es sûr ? Tu ne veux pas plutôt un câlin d'Arllem ?

Il secoue la tête et serre mon torse. Je passe simplement un bras autour de lui, l'autre éloigne ma cigarette de son visage. Il ne manquerait plus que je le brûle avec des cendres.
Il se détache de moi et s'essuie les joues. Il pourra peut-être répondre à ma question.

- Je peux te poser une question ? Ça n'a rien à voir avec... Tout ça, le rassuré-je en le voyant blêmir.

- Oui, si tu veux.

- Si ton petit-copain avait la possibilité d'avoir un job dont il rêve depuis qu'il est gamin et que pour ça, il doit partir à l'autre bout du pays, tu partirais avec lui ? Quitte à abandonner tout le monde que tu connais ?

- Je crois q-que je ne p-partirai pas... C'est t-triste à dire m-mais je n'ai q-qu'une mère. Si je l-la laisse, elle v-va se retrouver t-toute seule... Et p-puis l'amour se r-retrouver. Pas l-la famille. On en a q-qu'une.

Je jette mon mégot et revient vers lui, me rendant compte qu'il veut continuer à me répondre.

- Mais c-comme c'est Arllem d-dont il s'agit, j-je partirai avec l-lui. C'est p-peut-être idiot v-vu notre âge, m-mais je crois q-que c'est lui...

- Lui... qui ?

- Te m-moque pas...

- Juré, je me moque pas ! promets-je en levant les mains.

- Arllem c'est p-peut-être l'homme d-de ma vie... J'en s-sais rien. Mais j-j'aimerais que ce s-soit le cas. Il est t-tellement...

- Arllem. Il n'y a pas d'autre mot pour le décrire.

- Oui... Et j-je l'aime.

- Je suis sûr que c'est le cas aussi pour lui. Il t'aime sincèrement.

Il me sourit. Brevan a vraiment un petit charme unique. C'est normal que mon meilleur ami ait craqué sur lui.

La sonnerie retentit et nous retournons en cours. Brevan sait maintenant qu'il peut compter sur moi. Et je sais que moi aussi.

Je dois continuer de me poser la question pour savoir si je dois partir ou non avec Loïk. Est-ce que c'est lui, le grand amour de ma vie ?

*
*    *

Je pousse un soupir en grinçant des dents. Je me suis explosé les phalanges sur le visage de Romain. Je ne regrette qu'un peu mon geste. Juste un peu.
Je pousse la porte d'entrée de la maison des Bellegarde. Je m'y sens de mieux en mieux ici, jour après jour, depuis plusieurs semaines maintenant. Je suis même serein à l'idée de rentrer le soir et de me dire en partant le matin, que je les revois le soir.

Je dois penser à les informer du souhait de mon père. Ils doivent savoir quoi faire pour gérer ce problème. Marc me salue depuis le salon, alors que Noé et Valentine font leurs devoirs sur la table de salle à manger en s'envoyant des vannes. Louise s'active déjà en cuisine. J'aime vivre ici. Avec eux.
Je propose à la mère de famille de l'aider et elle accepte avant de sursauter en voyant l'état de mes mains.

- Tristan, tu t'es fait mal ? demande Louise.

- Non, c'est rien, je...

Je n'arrive pas à lui mentir. Je ne peux pas.

- Je me suis battu... Pour défendre un ami...

Marc arrive dans la cuisine, un air grave. Il regarde mes mains.

- Tu t'es battu ?

Il se rapproche davantage de moi, l'air furieux. Je ne doute pas de la force qu'il a avec ses poings.
Je recule contre le mur et me recroqueville, mes bras sur ma tête. Marc va me frapper.

- Pardon... Pardon... Pardon...

Il va me frapper et m'insulter. Mais ce ne sera que de ma faute. Je suis trop stupide. Je me bats, c'est normal qu'il soit en colère.

- Tu penses que je suis ce genre d'homme Tristan ?

Je ne bouge pas. Il va attendre que je ne me méfie plus pour me frapper.

- Tristan, regarde moi... demande-t-il doucement

J'ose faire ce qu'il me demande. Je regarde également Louise, qui met sa main devant la bouche pour se retenir de pleurer. Ma réaction la blesse.
Marc s'accroupit à ma hauteur. Je me tends à la seconde où ses bras se referment sur moi. Il ne bouge pas, ne dit rien, attend que ce soit moi qui fasse ou dise quelque chose. Je me laisse aller et il me tient un peu plus fort.

- Je ne lèverai jamais la main sur toi.

- Marc...

- Je ne laisserai personne te faire du mal. Je te le promets.

C'est difficile, mais je le laisse me serrer plus fort. J'en ai besoin. Louise s'accroupit à son tour et me caresse la tête.

- Tristan, peu importe si tu ne nous appelles pas Papa ou Maman. Pour nous, tu es notre fils. Et nous t'aimons.

Mon nez me pique et mes yeux me brûlent. Ils m'aiment...
Je sens deux autres bras m'entourer, ils sont plus petits. Noé. Mon petit frère. Valentine nous rejoint avec un petit sourire. On se serre tous les cinq dans nos bras, sans rien dire.
Ce sont eux ma famille. Et personne n'a le droit d'en redire quelque chose.

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