40.
Pour une fois, je ne me sens pas stressé de laisser Noé tout seul. Il est resté dans notre famille d’accueil. Des gens qui nous ont montré qu'ils ne nous feraient aucun mal. Mais malgré tout, une part de moi doute. Je sais qu'au-delà de nos différents, Noé m'appellera si quelque chose ne va pas. Je tente de m'en convaincre.
Quand j'entre dans le café, Melkior me salue avec un sourire depuis le comptoir et m'indique Loïk d'un signe de main. Mon beau blond est avachi sur une table, un café sans aucun doute froid devant lui.
Je m'assois sur la chaise d'en face et il me salue avec un faible sourire.
- Ça va ? Tu fais une tête bizarre...
- Je préfère qu'on en parle dehors si tu veux bien.
Je lui fais signe que je suis d'accord et le suis dehors, sur le parking. Il sort une cigarette de son paquet et commence à fumer.
Il ne fume que très rarement et quand il le fait, c'est souvent pour tenter de se détendre. L’annonce qu'il a à faire ne semble pas être si simple à dire. Il me fuit du regard et se mord la lèvre. J'ai peur d'avoir compris.
- Vick... Vick est chez toi...
Il fait les yeux ronds et tousse, manquant de s'étouffer avec sa fumée. Il doit sérieusement penser à arrêter.
- Quoi ? Mais non, pas du tout ! Vick est parti, je te le jure.
- Alors qu'est-ce que tu as d'important à me dire ?
- Avant tout, je veux que tu saches que je n'ai pas encore accepté.
- Loïk, dis-moi, sinon je sens que je vais me mettre à flipper.
Il observe sa cigarette se consumer et la jette sans plus s'y intéresser.
- On m'a proposé un contrat.
- C'est-à-dire ?
- Tristan, je peux pas être plus explicite.
- Visiblement si, parce que je ne comprends pas.
Il prend une dernière inspiration et se lance.
- Un producteur de musique veut me faire monter sur Paris pour que je chante et fasse un album.
J'explose de rire. Pas que je l'en crois incapable mais parce que ce n'est pas possible. Ce genre de chose n'arrive que dans les films ou aux autres.
- Franchement, t'es hilarant ! ris-je encore en tentant de me calmer.
- Je ne plaisante pas. Tous les autres étaient là et peuvent le confirmer.
- Pourquoi il n'y a que toi à qui on a proposé un contrat ? demandé-je en reprenant un peu de serieux. Pourquoi pas Uriel, Esteban ou Pravin ?
- Je ne sais pas, mais regarde. J'ai une copie du contrat.
Il sort de sa poche une feuille et je la récupère. En vérité, il s'agit d'une première feuille de contrat de production, indiquant son nom et le nom d'une société de musique, pas réellement célèbre, mais pas inconnue non plus. Je lui redonne sèchement le document, mon organe vital s'affolant.
- Alors ça y est ? Maintenant que je vais mieux, tu t'en vas ? Tu me quittes ?
- Dis pas n'importe quoi. Je te quitte pas. Je n'ai pas encore accepté !
- Mais tu comptes bien le faire, sinon tu aurais refusé !
- Je ne l'ai pas fait parce que je voulais en discuter avec toi.
Par un bras autour de ma taille, il me rapproche de lui, mais je pose mon bras sur son torse pour le garder loin de moi. Sinon, je craquerai. Je le supplierai de ne pas partir.
- Je veux que tu viennes avec moi là-bas.
- Je peux pas...
- Viens avec moi Tristan, on pourrait se trouver un endroit rien qu'à nous. Commencer une nouvelle vie. Juste toi et moi.
- Et Noé ? Je peux pas le laisser ! Il a besoin de moi !
- Crois-le ou non, ton frère n'a plus quatre ans. Il n'a plus autant besoin de toi qu'avant. En plus de ça, je suis sûr que la famille d’accueil prendrait soin de lui.
Je le laisse venir plus près et je passe à mon tour mes bras autour de lui.
- Loïk, je...
Il pose sa main sur ma joue et m'embrasse doucement.
- Promets-moi au moins que tu y réfléchiras.
- D'accord...
Je repose ma tête contre sa poitrine. Son cœur bat fort. Il a peur de ma réponse et je pense que moi aussi.
Peu importe le choix que je fais, je perdrais quelqu'un.
Nous restons peut-être un quart d’heure sans bouger, simplement dans les bras l'un de l'autre. Melkior est donc obligé de lui dire que sa pause est finie depuis cinq bonnes minutes pour que Loïk me relâche. On promet de s'appeler dans la soirée et je le quitte pour rentrer chez les Bellegarde.
Quand je rentre dans la maison, la première chose qui me percute en premier est le rire de Noé. Il n'avait jamais ri comme ça. Même avant que mon père ne sombre.
Je vais dans le salon et découvre mon frère, les bras emmêlés avec les jambes de Valentine sur un tapis de Twister. Ils rient comme des idiots en essayant d'atteindre la roue pour continuer de jouer. Je leur apporte mon aide en tournant la roue pour eux.
- Main bleu Valentine, annoncé-je.
Elle tente de l'atteindre, mais son pied glisse et elle s'effondre sur mon frère qui pousse un geignement et éclate de rire sous son ventre.
- Décidément, t'es trop fort.
- Du coup prems' à la douche ! déclare Noé en se redressant.
- Ok, mais grouille, je dois me laver les cheveux.
Noé déguerpit à l'étage et Valentine se redresse pour ranger le jeu.
- Où sont Marc et Louise ? m'interrogé-je en attrapant deux coins du tapis pour l'aider.
- Mon père est chez le voisin pour un problème de clôture et ma mère écrit dans son bureau.
- Elle écrit ?
- Ouais ! Bon, elle n'est pas encore publiée, mais je suis sûre que ça ne serait tardé. Ses histoires ont beaucoup de succès auprès de sa communauté.
- Et elles parlent de quoi ?
- De vikings gays. En gros.
Je manque de m'étouffer avec ma salive. Louise écrit des romans avec des personnages homosexuels visiblement. Je ne sais pas pour autant si je peux annoncer haut et fort dans cette maison que je sors actuellement avec un garçon.
Après avoir rangé le jeu dans le placard du salon, Valentine me propose de regarder une série Netflix avec elle. Je ne refuse pas et m'écroule dans le canapé avec elle. On se triture les méninges pour essayer de comprendre quelque chose à la série Dark et chacun y va de ses théories à chaque moment intriguant.
Noé nous rejoint et Valentine ne part pas prendre sa douche, préférant rester avec nous.
Louise descend finalement les marches et marmonne en partant dans la cuisine, attachant ses cheveux en un chignon rapide.
- J'étais tellement plongé dans ce que je faisais que je n'ai pas vu l'heure, s’excuse Louise. Où est ton père ? demande-t-elle à Valentine.
Comme si il avait entendu sa femme l'appeler, Marc passe la porte d'entrée de la maison.
- Je suis rentré ! Je mets la table ?
- Mon cœur, va vite chercher quelque chose à manger, réclame la femme.
- Maintenant ? Il n'y a rien dans le frigo ?
- À moins que tu ne veuilles nourrir ces enfants avec des cornichons, il va falloir commander.
Il a déjà son portable sur l'oreille, près à passer une commande. Je commence vraiment à les apprécier de plus en plus.
Un demi-épisode plus tard, on se regroupe autour de la table basse, des plats chinois disposés un peu partout. On lance le premier Hunger Games, mais personne n'attends la fin pour aller au lit. Noé nous souhaite bonne nuit et Valentine monte presque à sa suite en baillant.
Marc et Louise se chamaillent un peu pour celui qui mangera la dernière boule coco et c'est finalement la mère de famille qui l'emporte. Elle me donne le dessert avec le sourire.
- Je crois que tu aimes ça, suppose-t-elle.
Je la remercie et Marc se plaint que ce n'est pas loyal et se lève pour débarrasser. Je lui précise que je vais ranger avec Louise et il me remercie. Il embrasse une dernière fois sa femme et me souhaite bonne nuit.
Dans la cuisine, nous jetons les plats à la poubelle et mettons quelques restes au frigo. Elle me pose des questions sur mon après-midi et je préfère répondre vaguement. Puis je repense à ce que Valentine m'a dit.
- Louise ? Je... Je suis bisexuel, annoncé-je avec hésitation.
Elle jette le dernier plat en aluminium sans rien dire. Mon cœur s’emballe. Elle me déteste, c'est sûr. Elle va me demander de partir et de retourner au foyer.
- D'accord. Tu as un petit-ami ou une petite-amie ? C'est juste pour savoir si on doit s'attendre à recevoir du monde un jour.
Je hoche la tête et lui montre une photo de Loïk pour le lui présenter.
- Mais quel beau garçon ! Tu as vraiment de très bons goûts.
Je la remercie, les joues certainement rouges et pose mon portable sur un meuble de cuisine. Elle chantonne en rangeant les derniers tupperwares dans le frigo.
Je la regarde. Elle ne ressemble pas à ma mère. Physiquement, elles n'ont rien en commun. Ni même psychologiquement. Louise est stable. Elle n'a rien de la malade mentale comme était ma mère. Et puis Marc. Mon père et lui sont deux hommes en totale opposition.
- Tristan ? Tout va bien ?
- Oui, je... Je suis juste fatigué.
- Alors va prendre une douche et file au lit. En plus, tu as école demain.
Pendant une seconde, j’hésite à lui faire la bise. Mais je me ravise et lui souhaite simplement bonne nuit. C'est trop tôt.
Beaucoup trop tôt.
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