39.
Notre assistante sociale nous sourit et se décide à sonner une deuxième fois.
Nous avons la ''chance'' de pouvoir aller en famille d’accueil pour une durée indéterminée à partir d'aujourd'hui.
- Vous verrez, ce sont des gens vraiment gentils, précise-t-elle.
Je hausse des épaules. Que je sois ici, chez les Bellegarde ou au foyer revient au même. La seule chose à laquelle je me raccroche, c'est d'avoir Noé près de moi. Bien que mon petit frère semble obstiné au fait de ne plus jamais m'adresser la parole.
La femme essaie de toquer et la porte s'ouvre enfin sur une autre femme. Elle est grande, mate de peau et son sourire semble tellement sincère.
- Entrez, entrez. Faites comme chez vous les garçons.
Je me retiens de lui dire que chez nous, on passait plus de temps dehors que dedans.
La première chose qui me frappe en entrant est la propreté des lieux. C'est impeccable. Le parquet brille et les meubles ne sont pas recouverts de dizaine de cadavres de bouteilles.
Noé semble aussi surpris que moi. Dernièrement, notre ancien salon ressemblait plus à un dépotoir qu'à un véritable lieu de vie.
- Pendant que je règle les derniers détails avec Anne, vous pouvez aller déposer vos affaires là-haut. Vos portes de chambre sont ouvertes. Vous n'avez plus qu'à choisir laquelle vous plaît le plus à chacun.
Je la remercie par politesse, salue l'assistante sociale et monte avec Noé à l'étage. Une musique rock provient de l'une des chambres à la porte fermée. Il y a quelqu'un d'autre à l'étage, mais je ne m'y intéresse pas pour le moment et pousse un peu plus la porte de la première pièce ouverte.
Un lit est placé contre le mur à la peinture d'un vert pastel. Il y a une armoire et un bureau. Noé entre dans la chambre et dépose sa valise au pied du lit avant de s’accroupir pour l'ouvrir.
Mon cœur se serre. Il ne me parle plus et son silence commence à me peser. J'ai plus que jamais besoin de mon frère. J'ai besoin qu'il me pardonne.
- Noé, il faudrait vraiment qu'on parle.
Il se met debout et alors que je m'attends à ce qu’il me réponde, il ferme la porte, me laissant seul dans le couloir. Je ne m'acharne pas et pars jusqu'à la deuxième chambre. Il me parlera quand il sera prêt.
L'agencement de la chambre est quasiment le même. Ce qui est différent en plus de l’autre, est la peinture bleu roi de l'un des murs. Je pose mon sac au pied du lit et récupère mon portable. Je souris en voyant un message de Loïk.
''Salut ! Je t'envoie un petit message pour tenter de te remonter un peu le moral. Je t'aime et pense fort à toi mon amour. J'espère que ça ira dans la famille d’accueil. ''
On toque à la porte et je lève la tête, découvrant une jeune fille à la peau claire et aux cheveux aussi bouclés que la femme qui nous accueille. Elle porte de grosses lunettes rondes et une salopette par-dessus un sweat rose.
- Salut, je m'appelle Valentine, se présente-t-elle.
- Tristan, réponds-je poliment.
- Je peux entrer ?
Je lui fais signe que oui et elle s'assoit sur le lit tout en remontant la paire sur son nez.
- Tu... Tu viens d'un foyer ? osé-je demander un peu maladroitement.
- Non. Enfin si. Mais j'étais trop petite pour m'en souvenir.
Elle dit cela avec un grand sourire, comme si tout avait toujours été évident.
- Louise et Marc m'ont adoptée quand j'étais bébé, ajoute-t-elle.
- Il y a déjà eu des enfants de foyer ici ?
- Oui. Mes parents ont toujours voulu aider des enfants à avoir une meilleure vie. C'est aussi pour ça que je les adore.
On toque une nouvelle fois à ma porte et Louise, la mère, nous sourit.
- Valentine, tu veux bien aller aider ton père avec les courses ?
- Mais...
- Il faut que je parle seule à seul avec Tristan. Aller, on se dépêche, jeune fille !
Elle bougonne sous l'ordre de sa mère et s'en va en me donnant un signe de main. Louise pousse la porte et se dirige vers moi. Je me décale loin d'elle sur le lit par réflexe. Ma réaction semble la peiner. Mais elle ne me force pas à venir de son côté et frotte le tissu de son jean.
- Anne m'a expliqué ce qui vous avait conduit en foyer, commence-t-elle en croisant ses mains sur ses cuisses.
- Mon... père ?
- Oui. Je suis désolée pour toi et ton frère.
- Vous n'avez pas à être désolée.
- Je le suis quand même. Sache que je ferais tout pour que vous sentiez à l'aise ici. Est-ce que ça te dirait de préparer le dîner avec nous ?
- Proposez plutôt à Noé. Il serait content de participer.
- D'accord, comme tu préfères.
Louise se remet debout et ouvre la porte. Elle ne me force à rien, ne m'insulte pas de con et garde le même sourire qui me met facilement en confiance. Peut-être même un peu trop. J'ai l'impression que c'est trop beau.
- Au fait, tu peux me tutoyer, ça ne me gêne pas du tout. Tu veux que je referme la porte ?
Je hoche la tête et elle m'annonce qu'elle me préviendra quand le dîner sera prêt. Une fois seul, je m'empresse de récupérer mon téléphone et appelle Loïk. Je n'ai pas besoin d'attendre longtemps pour qu'il réponde.
- Salut Tristan, tu vas bien ? s'enquiert-il, une pointe d'inquiétude dans la voix.
- Oui, j'avais juste envie de t'appeler.
- Et ça va ?
- Oui, je te jure. La famille a l'air vraiment sympa. Je n'ai pas encore rencontré le père, mais la fille et la mère sont gentilles.
- C'est génial ! Mais il y a une fille ?
Je ris. C'est le seul mot qu'il a vraiment retenu.
- Elle doit avoir un an de plus que Noé. Deux, grand max. Tu ne risques rien, le rassuré-je.
- Ah ouf ! Tu m'as fait peur ! J'ai cru que je devrai venir te voir pour bien marquer mon territoire.
- T'es bête...
On parle encore un moment d'un peu tout et rien. Et ça me suffit pour me remonter le moral. Puis Louise m'appelle pour que je vienne manger. Je suis un peu déçu de devoir laisser Loïk, mais je ne suis pas triste pour autant. Ça fait des mois que je n'ai pas fait un vrai repas ''en famille''.
- Désolé, je dois te laisser, on m'appelle pour venir manger.
- Attends ! Je... Viens au café demain. J'ai un truc important à te dire.
- C'est grave ? paniqué-je un peu.
- Je préfère qu'on en parle en face-à-face.
On m'appelle encore une fois et je dois me presser.
- Je dois vraiment y aller.
- Tu passeras demain ?
- Oui, affirmé-je.
- Merci. Je t'aime.
- Moi aussi.
Je raccroche rapidement et descends dans la salle à manger, priant pour ne pas me faire engueuler. Ou pire. Tout le monde est déjà autour de la table, où se trouve un plat de légumes et de viandes. Louise sert déjà les portions.
- On a cuisiné quelque chose de rapide. Viens t'asseoir.
Je prends la chaise vide à côté de Noé et me retrouve en face du père de famille, la mère en bout de table. Ça sent tellement bon.
Avec mon père, j'avais oublié à quoi ressemblait un vrai repas du soir. Je cuisinais rarement et quand je le faisais, je n'avais le temps de faire qu'une plâtrée de pâte ou de réchauffer des plats surgelés.
- Bon ! Et bien si tout le monde est servi, on va pouvoir faire connaissance, s'extasie l'homme.
- Marc, ne les embête pas.
Il s'excuse envers nous et sourit. L'homme doit bien avoir une quarantaine d'années et il n'a pas la peau abîmée par l'accumulation d'alcool dans son sang, ni cet air un peu perdu de retomber de cuite. Ses yeux verts sont clairs et n'ont rien de brumeux.
Il ne ressemble en rien à mon père.
Valentine se met à raconter sa journée avec ses amis à ses parents, qui racontent également les leurs. Je me contente de les écouter avec attention. Ils ont une vie commune, mais bien meilleure que celle que nous avions. Et rien que penser ça me rend un peu plus heureux.
Noé pousse un soupir étranglé.
Nous échangeons un regard.
Ses yeux deviennent brillants, puis il éclate en sanglots au-dessus de ses courgettes.
- Noé ? Qu'est-ce qu'il y a ? demande doucement Louise.
Il secoue la tête et continue à pleurer plus fort.
La femme se lève et invite mon frère à faire de même. Je repousse ma chaise de la table, prêt à me lever au moindre geste violent qu'elle aurait envers lui. Elle lui chuchote quelque chose à l'oreille et il hoche la tête en lui prenant la main. Ils s’assoient ensemble sur le canapé et elle le ramène vers lui pour le prendre dans ses bras. Il remonte ses jambes contre son torse et elle le serre plus fort, murmurant quelque chose que lui seul peut entendre. Noé s'accroche à son pull et repose sa tête contre sa poitrine. Elle passe sa main dans ses cheveux et le berce, réussissant à le calmer peu à peu.
Un geste et une présence maternelle que ni moi, ni mon père, n'avons jamais pu offrir à Noé.
Je me retourne vers mon assiette pour ne plus avoir cette vision. Je sens les larmes me monter aussi aux yeux. Mon cœur se contracte. Puis une main se pose sur mon poing, me faisant sursauter. Marc retire aussitôt sa main et affiche un faible sourire. Il paraît triste.
- On fera tout notre possible pour vous aider les garçons. On vous le promet.
Noé s'est arrêté de pleurer dans les bras de Louise et c'est à mon tour de fondre en larmes.
Je ne veux plus rentrer chez moi.
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