36.

Assis autour du comptoir de la cuisine de Loïk, voilà plus d'une demi-heure que je m'embrouille l'esprit avec des algorithmes de maths. Je ne comprends rien. J'ai juste envie de jeter mon cours par la fenêtre. Loïk rit quand je peste contre mon exercice.

- Tu veux que je t'aide ? propose-t-il en retournant les pancakes dans la poêle.

- Surtout pas, tu vas plus me déconcentrer qu'autre chose.

- Comme tu veux...

J'aperçois son sourire quand il se retourne vers la plaque de cuisson.
Je ne m'étais jamais rendu compte de la réelle chance que j'avais de l'avoir dans ma vie. Enfin si, mais aujourd'hui, c'est encore plus flagrant. Mon homme au corps d'ange qui me fait diablement bien l'amour. J'ai encore des crampes aux cuisses, dues à notre soirée de la veille. Et cette fois, en étant seuls dans l’appartement, nous ne nous sommes pas retenus de crier notre plaisir.
Il se retourne pour déposer une assiette de crêpes devant moi alors que je le dévorais des yeux.

- Pourquoi tu n'as jamais essayé de devenir avocat ? l'interrogé-je en évitant de trop le regarder.

Son regard se perd par la fenêtre, il semble chercher lui aussi une réponse à cette question. Puis il hausse les épaules et mange un morceau.

- J'aurais pu entrer dans un cabinet avec ma licence, mais ça me ressemble pas. Je suis plus dans l'idée de faire ma vie avec quelque chose que je veux vraiment faire.

- Des cafés ? supposé-je en buvant le mien.

- Non. Ça, c'est pour payer les factures. Ce que je voudrais vraiment, c'est avoir un contrat avec une maison de disques. Mais c'est un rêve de gamin...

- Tu sais qu'avec ta voix, tu pourrais sérieusement faire carrière. En plus de ça, tu sais jouer de plusieurs instruments.

- Elle te vient d'où l'idée que je devienne riche et célèbre ?

- On pourrait partir à l'autre bout du monde. Juste tous les deux.

Il fait le tour de son bar pour venir passer ses bras autour de moi et m'embrasser.

- Alors avant ça, il faut que tu aies un diplôme. On ne va pas tout miser sur ma supposée carrière. Si ça se trouve, tu vas inventer une nouvelle technologie qui révolutionnera le monde.

- J'aime la confiance que tu as en moi et en un diplôme que je n'aurai pas.

- Oh que si tu vas l'avoir ton bac. Et je vais t'y aider.

Il lui prend l'idée de me faire travailler les maths, mais Loïk se retrouve lui aussi rapidement à bout de la solution. Ça fait plusieurs années qu'il n'a plus eu de cours.

- Ouais, bon, c'est nul. Aussi quelle idée ils ont eu de mélanger les chiffres et les lettres !

- Tu comprends maintenant ?

- Ça te dit, on va au café ? J'ai envie de jouer.

J'acquiesce et on débarrasse rapidement le petit-déjeuner pour pouvoir partir pour le café. Sur le chemin, on discute de mes autres projets d'avenir qui ne volent pas très haut.

- Imaginons que tu n'aies pas à payer l’école, elle est gratuite, ni à passer d'exman. Tu ferais quoi ?

- Sérieusement ?

- La première chose qui te passe par la tête !

- Tatoueur.

Il me sourit. Je lui ai dit un peu pour qu'il me lâche puis ça. Puis je commence à réfléchir. Je me suis moi-même dessiné le tatouage que j'ai sur le bras et on m'a souvent complimenté pour ça.

- C'est une idée comme ça, complété-je.

- Avoue que tu y réfléchis malgré tout.

- Oui...

- Attends-toi à ce que je te demande de m'en faire un dès que tu as le matos !

Il pousse la porte du café, mais celle-ci ne s'ouvre pas. Alors il tire, mais la porte ne bouge pas.

- C'est bizarre... À cette heure-là, Mel est toujours au taquet.

Je me rapproche de la vitre pour voir à l’intérieur, mais aucune lumière n'est allumée.

- Tu crois qu'il a oublié ?

- Ça m'étonnerait. Mel adore son boulot. Et il y a toujours du monde le samedi matin.

Il attrape son téléphone et appelle le barman, qui semble ne pas répondre.

- Bon... Je vais essayer Uriel.

Là aussi, ça sonne dans le vide.

- Ils ont dû oublier de se réveiller. Ou alors ils profitent de leur matinée ?

- Le rideau en fer n'est pas tiré. Mel n'a pas complètement fermé hier. C'est plus ça qui m'inquiète.

Il tente de le rappeler et je le vois commencer à paniquer.

- Mais c'est pas possible !

Son portable sonne dans sa main et il répond aussitôt. Quelqu'un parle. Longtemps. Et Loïk se tait. L'angoisse se fait davantage flagrante sur son visage.

- Il avait interdiction de l'approcher... On arrive. Oui. Ok, on fait vite.

Il range son portable et sa détresse finit par m'atteindre. Il s'est passé quelque chose.

- C'était qui ?

- Pravin. Il est chez les flics avec Uriel.

- Pourquoi ?

- Je te raconterais en route. Viens.

Je le suis jusqu'au commissariat, sa main dans la mienne. Il serre fort mes doigts en me racontant toute l'histoire.

Hier soir, alors que Mel faisait la fermeture, l'ex d'Uriel a débarqué. Il avait suivi Uriel toute la journée et l'avait vu entrer dans le bar. Melkior a voulu le mettre dehors, car il savait très bien qui il était. Mais quand Uriel est sorti des toilettes et qu'ils se sont croisés, ça a dégénéré. Pravin ne lui a rien dit de plus.

Loïk entre dans le bâtiment et trouve tout de suite ses deux amis assis dans la salle d’accueil. Je les rejoins, mais m'arrête à quelques pas d'eux. La joue d'Uriel porte une large marque violacée. Son ex l'a de nouveau frappé.

- Ils refusent de faire sortir Melkior...

- Mais c'est l'autre enflure qui t'a frappé !

- Mel a répondu à ma place. C'est ça qui n'a pas plus...

Uriel me regarde. Nous savons tous les deux à quel point c'est difficile de répondre à ce genre de coup. Je me rapproche de lui, m'assois à côté de lui et le prend dans mes bras. Il se laisse aller contre moi.

- Je pensais être débarrassé de lui...

- Il a rompu son engagement en s'approchant de toi. Il va être puni pour ce qu'il a fait, le rassure Loïk.

- Je veux plus le voir. Jamais.

Nous attendons Melkior. Pendant longtemps. Plusieurs heures même. Pravin a dû partir en urgence pour son travail entre-temps et nous avons rempli la poubelle de gobelets de café vides à nous trois. À plusieurs reprises, des policiers nous ont demandés si on préférait attendre chez nous, mais la réponse d'Uriel a toujours été la même. Il restera jusqu'à ce qu'il voit Melkior de ses propres yeux.

Finalement, peu après midi, un policier arrive enfin vers nous, le barman à ses côtés. Il a lui aussi quelques coups sur le visage, mais semble bien mieux les encaisser. Le policier lui rend ses affaires avec un sourire mauvais et Melkior les lui arrache quasiment des mains.

- Paskiainen... grogne-t-il.

Melkior avance et Uriel n'hésite pas à se lever de son siège pour se jeter dans ses bras. Qu'importent les gens autour d'eux et les regards mauvais.
Uriel nous remercie silencieusement et Loïk noue ses doigts aux miens. Mon cœur se contracte.
C'est décidé. Je vais appeler les services sociaux. Pour moi.
Mais surtout pour protéger Noé.

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