35.

Je pourrai facilement comparer le fait de fumer à ma relation avec Loïk. Ça m'est vital, nécessaire. Sans ça, je me sentirai vide. Mais ça me fait souffrir et parfois, ça me pèse. Chaque geste qu'il a pour moi me comble, mais aussi me rendent si vulnérable. Quand il dit m'aimer, quand il m’embrasse ou me fait l'amour. J'aimerais tellement être capable de lui dire à quel point tout ça me blesse. Ou au moins annoncer pour ma relation avec lui à mes amis, juste pour retirer le poids qui pèse chaque jour dans mon estomac. Mais je ne peux pas. J'ai peur de ce que ça provoquerait. J'ai peur de tout perdre.

- C'est nul qu'on puisse pas partir en voyage... se plaint Adam.

Arllem acquiesce et m'observe un peu trop longtemps pour que je ne comprenne pas qu'il a vu le coup que j'ai sur l’œil. Tout le monde a vu ce coquard, mais personne n'a rien dit. Même pas les profs. Je pince fort ma cigarette entre mes lèvres. Encore un beau mensonge...

- Si on vendait des trucs ? proposé-je en expirant de la fumée.

- T'as quoi à vendre ? me demande Adam.

- Perso, j'ai rien. Mais il doit bien y avoir des trucs qui traînent chez vous.

Ils secouent tous la tête.

- On avait une chance de partir avec le bac, mais là, c'est foutu, me plains-je. Je veux vraiment partir avec vous tous les gars. Surtout qu'on risque de ne plus trop se voir l'année prochaine.

- Ça te fait peur les études supérieures ? m'interroge Arllem.

- Parcoursup me fout les jetons. Je ne sais même pas ce que je veux faire.

Je ne vois même pas comment je pourrais imaginer ma semaine prochaine. Alors penser à un projet d'avenir, c'est au-dessus de mes moyens.

- Ton père ne te laisserait pas un an pour réfléchir ?

Je souris. Il pourrait bien avoir l'envie de me laisser une année sabbatique, mais soit je passerais mes journées avec lui, ce qui est hors de question, soit je verrais très peu Noé, ce qui n'est pas envisageable non plus. Ce qui reviendrait au même pour les études supérieures. Noé se retrouverait forcément seul avec lui plusieurs heures. Et c'est quelque chose que je ne peux pas me permettre de faire.

- Se dire que l'on est tous ensemble depuis le primaire et que du jour au lendemain, on part chacun dans notre coin, ça aussi, ça fait peur, reprend Adam

Ils partiront. Pas moi. Alors je ne veux pas avoir de regrets avec eux.

- L'année est pas finie ! On peut continuer à s'éclater ! m'extasie-je en jetant mon mégot. Et c'est pour ça qu'il nous faut une destination pour les vacances à la place de la Croatie !

- J'aurai vraiment aimé aller en Croatie, se plaint Adam en resserrant sa petite-amie.

- Moi aussi... ajoute Lou. Je m'étais même acheter un maillot de bain.

- Alors il faut un endroit pas cher où on pourrait aller nager.

Je pense qu'Adam a surtout envie de voir Lou en maillot. Émilie, qui depuis tout à l'heure avait le nez plongé sur son portable, nous observe tous avec le sourire.

- Mon oncle et ma tante ont une maison en Bretagne. Ils n'y vont que pour les vacances et je suis sûr qu'ils nous la prêteraient pour une semaine.

- Sérieusement ?

- Oui. Mais il faut que je leur demande pour en être sûre. Et il n'y a que quatre chambres donc il va falloir partager.

- Que quatre ! C'est déjà plus grand que chez moi.

- T'en penses quoi Arly ? Tu dis rien depuis tout à l'heure.

Et pour cause, il discute avec Brevan par message. Il relève la tête vers nous avec un grand sourire.

- Qui refuserait des vacances gratuites ?

- Ils ont une piscine, ajoute Émilie.

Je suis vraiment heureux de pouvoir profiter d'un moment juste avec eux. Sans prise de tête. Il faudrait juste que je trouve quelqu'un pour Noé.

Quand j'entends un moteur de moto que je reconnais facilement sur le parking du lycée, mon cœur s’accélère. Il n'a rien à faire là. J'observe la source du bruit, croisant les doigts pour que ce ne soit qu'une simple idée que je me fais, mais non, Loïk vient bien de se garer sur le parking. Il retire son casque et me fixe en se pinçant les lèvres.

- C'est qui ce beau gosse qui vient d'arriver ?

Lou joue sacrément bien le jeu. Elle sait très bien qui il est, sachant en plus, qu'elle a vu une photo de lui.

- Je sais pas, je ne l'ai jamais vu avant. Mais c'est vrai qu'il est plutôt mignon, complète Emy.

- Arly, c'était pas le mec qui était avec Tristan le soir de ton anniv' ?

- Si... Tristan, tu le connais ?

Je me dirige vers lui sans prendre la peine de répondre à Arllem.
Ça ne me plaît pas. Mais alors, pas du tout. Loïk vient de foutre un coup de pied dans les limites que j'avais imposé. Il ne devait jamais les rencontrer.
Je me plante devant lui quand il descend en mettant sa béquille.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- J'avais envie de te voir.

- Te fout pas de moi...

- Bon, ok, je-

Loïk s’arrête soudainement.
Il a vu mon bleu.

- T'as quoi à l’œil ? se reprend-t-il.

J’éloigne sa main alors qu'il allait toucher mon visage.

- Rien qui te concerne, réponds-je sèchement.

- Putain... T'es rentré chez toi ? Tu ne devais pas y retourner ! s'agace-t-il.

- Et laisser Noé sans son père ? Hors de question ! m'énervé-je à mon tour.

- Noé l'aurait compris !

- Arrête de faire comme si tu connaissais tout de ma vie ! Tu ne sais rien de moi, ni de Noé !

- J'en sais assez pour savoir que tu ne devais pas rentrer ! Il te frappe merde ! C'est pas normal !

- Normal ? T'as envie de parler de normalité ? Alors pourquoi ton ex est encore chez toi ? Ça non plus, c'est pas normal !

- Je suis venu te voir pour te dire que j'ai mis Vick à la porte ce matin ! Juste pour toi ! Et tu sais pourquoi ? Parce que je t'aime, merde !

À ce moment précis, je veux juste que tout sorte. Et tant pis si mes actes me revient à la figure après. J'ai juste envie d'exploser.
Alors, d'un coup, je lève le poing et je le frappe en pleine mâchoire. Sans gants de boxe, c'est tout de suite plus douloureux. Mais je m'en fous, je frappe.
Il recule d'un pas sous le choc et j'en profite pour le faire tomber et lui redonner un autre coup.

- J'en ai marre que tu te foutes de moi !

Il pourrait facilement prendre le dessus sur moi, mais il ne fait rien.

- Je veux plus que tu t'approches de moi !

Alors que je lève le poing pour le frapper une nouvelle fois, Arllem retient mon bras et me tire loin de Loïk, qui reste au sol.
Je ne veux pas revenir avec Arllem, car je sais ce que mon geste va engendrer. Si je m'éloigne, je vais le perdre. Loïk va me quitter.
Adam l'aide à se mettre debout et Loïk essuie le sang de sa lèvre éclatée.

- Je te dis la vérité, Tristan.

- Non ! Ferme la ! T'as pas le droit de me dire ça !

Je me débats entre les bras d'Arllem, qui me tient de plus en plus fort.

- Lâche-moi, putain !

Loïk ne peut pas continuer à m'aimer. Il doit m'en vouloir. Je suis nocif pour lui.

- Pourquoi t'es aussi buté ? Pourquoi tu ne veux pas me croire, alors que ce que je te dis est vrai ?

J’arrête de me débattre. Il persiste à vouloir m'aider. Je ne le mérite pas.
Arllem m'accompagne pour m’asseoir sur le bitume. Loïk s'accroupit pour se rapprocher et mon ami me relâche.

- Tristan...

Sa voix est douce et apaisante. Il ne veut que me rassurer. Ses mains attrapent mon visage et je me jette dans ses bras. Il me tient plus fort. Je l'entends remercier mes amis et ils s’éloignent pour nous laisser seuls. J'ose enfin regarder Loïk. Il me sourit.

- Allez viens, on va faire un tour.

Il me passe un casque -devenu le mien depuis quelque temps- et je m'installe sur sa moto, nouant mes bras autour de sa taille. Je le tiens plus fort quand il quitte l'établissement.
Quand il s’arrêtera, j'ai bien peur de le voir disparaître encore une fois. Et il aura toutes les raisons du monde de le faire. Je l'ai frappé. Plusieurs fois. Je n'ai jamais été violent avec lui et je ne le serai plus jamais. J'espère qu'il aura assez confiance en moi pour le croire.

Il s’arrête sur un parking que je reconnais facilement. Le premier cinéma que j'ai visité avec lui. Celui où il m'a fait découvrir un peu plus son univers et où j'ai cédé toutes mes barrières entre ses bras. Juste nous deux et un arrêt dans le temps.
Je descends de la moto et retire le casque que je lui tends. Il ne le récupère pas et retire le sien.

- Ne me déteste pas... réclamé-je.

- Je ne te détesterai jamais.

Il descend du véhicule à son tour et abandonne ses affaires pour s’asseoir sur le rebord du trottoir. Je le rejoins et repose le casque à côté de moi. Il sort un paquet de cigarettes de sa poche de veste et m'en tend une. Je la prends sans me faire prier. Avec son briquet, il les allume et fume sans plus s'intéresser à ma présence. Moi, je ne peux m’empêcher de le regarder. Ses yeux bleu et brun, ses cheveux blonds que le soleil gorge de lumière et sa mâchoire qui commence déjà à gonfler un peu.
Uriel va me haïr en sachant ce que j'ai fait.

- Loïk... commencé-je.

- Je te comprends un peu mieux. Pas non plus au point de savoir ce qu'il se passe dans ta tête pour connaître les raisons qui t'ont poussées à aller chez ton père, mais je sais maintenant que c'est en partie de ma faute.

Il écrase son mégot sur le goudron et alors que je m'attendais à ce qu'il parte, il reste assis près de moi.

- Je t'ai poussé dans tes retranchements, alors que je te savais sensible. J'ai pris les mauvaises décisions et au pire moment. Ma famille, l’hôtel, Vick...

- Je ne suis pas mieux que toi...

- Sauf que vu ton âge, tu ne devrais pas avoir à vivre ce genre de chose. J'ai fait de ta vie un enfer.

- Toutes les choses qui me sont arrivées, ce n'est pas toi qui a décidé que ça devait justement m’arriver, le rassuré-je.

- Tu aurais dû refuser que je t'offre un café ce jour-là...

- Et refuser de vivre une histoire avec toi ? Jamais de la vie.

- Tu ne savais pas encore qu'on en aurait une...

- Tu m'as percuté avec ta moto sans me blesser sérieusement. Pour moi, il n'y a pas de doute. On devait avoir une histoire.

Je baisse les yeux vers mes mains et jette la cigarette. Aujourd'hui, je n'ai plus aucune trace de l'accident. Il n'y a que sa présence qui me le rappelle.

- Tu crois qu'elle va avoir une belle fin, notre histoire ? lui demandé-je en le regardant de nouveau.

- Je veux surtout qu'il n'y en ait pas, de fin...

Son sourire me rassure, me percute comme à chaque fois. Mais là, il y a quelque chose en plus. Une promesse qu'il me fait. Il se penche vers moi, glisse sa main dans ma nuque et m’embrasse. Je grimpe sur ses cuisses, répond à son baiser et ferme les yeux. Ses mains glissent sur moi, je le tiens plus fort et nos langues se rencontrent. Nous gémissons. Il défait nos pantalons, juste de quoi avoir l'espace de prendre nos sexes dans sa main et je me presse contre son torse. Un goût d'interdit de se retrouver sur ce parking et de confiance en me remettant corps et âme à lui. Il mordille ma lèvre et je gémis un peu plus quand il commence à bouger ses doigts. Je prends son visage entre mes mains, ancrant mon regard dans le sien. Je l'embrasse encore une fois.

- Jure moi que tu me quitteras jamais... imploré-je en m'aggripant à ses cheveux.

- Jamais mon amour...

On se laisse aller parce que l'on souhaite, là, sur ce parking. À l'endroit où je savais que ma vie allait changer. Avec lui.

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