32.

C'est aujourd'hui la fête d'anniversaire d'Arllem. Ses parents ont pensé que comme il était désormais majeur, il pouvait organiser une fête dans une maison louée pour l'occasion. Il n'a pas idée de la chance qu'il a de les avoir. J'aimerais vivre dans une famille comme la sienne. Une famille un peu plus... Normale que celle que j'ai.
Loïk me ramène vers lui en me tendant un verre, que je refuse poliment.

- C'est nouveau que tu refuses de boire un coup avec moi.

- Je veux pas finir comme mon père...

Il s'assoit avec moi dans l'herbe du jardin, laissant son regard se perdre dans le ciel étoilé. J'attrape rapidement mon portable quand je le sens vibrer.

'' Toujours rien à signaler à la maison. ''

Loïk me donne un petit coup d'épaule pour me ramener une nouvelle fois à lui.

- Noé va bien ?

- Oui, mais je regrette de le laisser tout seul avec notre père. S'il lui arrivait quelque chose ?

- C'est lui qui t'a dit que tu pouvais sortir ce soir, précise-t-il.

- Je sais, mais... Il a treize ans. Je ne me le pardonnerais jamais si... Je sais encaisser. Pas lui.

- Ne pense pas à ce genre de chose. Noé va bien et si ce n'était plus cas, on irait directement le voir.

Qu'il reste seul avec notre père pendant plus d'une nuit, ne me rassure en rien. Je me relève en soupirant et je l’empêche de se lever à son tour.

- J'ai besoin de penser à autre chose.

- Tristan...

- Insiste pas s'il te plaît.

Je l'abandonne dans le jardin et rejoins l’intérieur de la maison, où j'esquive tout le monde pour rejoindre directement Arllem sur le perron. Il attend son beau Brevan depuis plusieurs heures et le pauvre désespère de le voir arriver. Je m'accroupis à coté de lui.

- Si tu fais une remarque, je te demanderai de rentrer à l’intérieur, cingle-t-il en rangeant son portable.

Je ris et sort une cigarette de mon paquet pour fumer. Je me détruis avec autre chose que l'alcool. Mais au moins, j'ai moins de risque de péter un câble à cause de ça.

- Brevan a dit à Émilie et Adam qu'il venait, le rassuré-je. Je ne vois pas pourquoi il ferait demi-tour.

- Il sait qu'il y a beaucoup de monde. Peut-être trop pour lui.

- Il ne te ferait pas ça...

Je baisse le regard vers mon portable dans ma main libre. Noé ne m'a toujours pas envoyé de nouveau message et je ne sais pas si je dois m'en inquiéter. Je sens tout le regard d'Arllem peser sur moi. Il est bien trop curieux.

- Je sais ce que tu regardes et non, je ne te dirais pas avec qui je discute.

- Ton futur plan à trois, plaisante-t-il.

- Gagné. Non, en fait, c'est Noé.

- Il va bien ?

Il ne saura pas la vérité ce soir. Je ne suis même pas certain de vouloir la lui dire un jour.

- Oui, il dormait chez un copain ce soir, mens-je. Et oui, il a une vie sociale malgré son handicap.

- C'est cool s'il a des amis.

Le seul ami que mon frère avait, l'a abandonné pour suivre un groupe bien plus grand et fort que lui. Histoire de bien rentrer dans le moule et enlever le risque de se faire emmerder en étant ami avec le petit gars chelou de service. Noé est plus seul que jamais.

- Ludiwine aussi l'aime bien, ajoute-t-il.

- Plus que bien ?

- Arrête avec ça.

C'est vrai que depuis le CP, nos frères et sœurs respectifs ont souvent été dans la même classe. Mais jamais ils n'ont eu de réelle relation amicale. Ils se disaient juste bonjour en se croisant dans les couloirs du collège.

- Mon frangin est plus apprécié que moi, c'est fou ça !

- C'est facile pour être plus apprécié que toi.

Je ris. Il plaisante, mais je sais qu'il n'en pense pas moins. Je ne suis pas le genre de garçon qu'on apprécie vraiment.
Ma cigarette finit de se consumer entre mes doigts et je me lève. Je jette le mégot dans un petit pot de sable sur une marche. Puis j’aperçois Brevan au bout de l'allée. Je dois m’éclipser.

- C'est pas tout ça, mais il faut que je trouve une jolie demoiselle qui voudra de moi.

- Pourquoi tu crois que je t'ai laissé inviter les trois classes de terminal ?

Seulement pour que je reste dans mon rôle de charmeur invétéré et non pas un garçon transi d'amour pour un autre bien plus mature.

Je récupère son verre et disparais à l’intérieur. Je regarde le liquide translucide. Je me perds un instant dedans, sur le point de le finir d'une traite. Puis je repose le gobelet durement sur une table. Je ne suis pas comme mon père et je ne deviendrais jamais comme lui.

Arllem revient dans le salon, les joues rouges et les mains tremblantes. Adam lui tend deux verres de jus et l'encourage à foncer. C'est son grand soir.

Après quelques minutes à me ronger le sang pour mon frère et sans avoir aperçu une seule seconde Loïk, je vois Arllem et Brevan s'embrasser dans les escaliers du perron. Plusieurs fois, même. Ils sont faits pour être ensemble. Je me détache de la fenêtre et retourne dans le jardin, espérant retrouver mon grand blond.

Puis mon portable sonne. Noé m'appelle. Je ne cherche pas Loïk plus longtemps.

- Noé, ça va ?

Il ne parle pas, mais j'entends sa respiration incertaine.

- Noé répond s'il te plaît...

Il renifle un peu fort et lâche un soupire hasardeux. Je n'aurai jamais dû le laisser ce soir. Le comportement de notre père est de plus en plus incontrôlable.

- Noé, est-ce que ça va ?

- Je suis enfermé dans la salle de bain. C'est la seule pièce qui ferme à clef.

- Pourquoi tu t'es enfermé ?

Je m'éloigne un peu plus loin pour couvrir le bruit d'une chanson romantique dans le salon. À l'autre bout de la ligne, j'entends Noé sangloter.

- Papa t'a fait du mal ?

- Viens me chercher...

Il raccroche à ses mots et je le rappelle aussitôt. Mais il ne répond pas. Et mon cœur s'emballe. La main de Loïk sur mon épaule me fait sursauter.

- Tristan ?

- Je dois y aller. Noé est tout seul avec mon père et il faut que j'aille le chercher.

Il me dépasse en entrant dans le salon et va directement dans l'entrée. Je n'ai aucune idée de ce qu'il fabrique. Je prends la peine de prévenir Arllem de mon départ.

- Arly, je suis désolé, mais il va falloir que je parte. Je crois que mon frère à des problèmes.

- Je viens avec toi, me prévient Loïk.

Arllem le remarque et Loïk lui sourit. Il sait tout de lui alors qu'Arllem ne sait rien. J'enfile ma veste et grogne en voyant Loïk faire la même chose.

- Loïk, tu devrais rester là.

Il est censé être une connaissance pas mon petit-ami.

- Et rater une occasion de te faire monter sur ma moto ? Jamais.

Lui-même joue bien le jeu. Loïk disparaît dehors avec son sac et je vois qu'Arllem se pose des questions. Mais elles devront attendre leurs réponses. Je claque la porte et court rejoindre Loïk qui est déjà à la voiture de Mel. À croire que le barman l'a acheté exprès pour nous.

Je ne sais pas combien de temps, on roule, mais la durée me semble interminable. Puis il se gare enfin dans notre rue et je n'attends pas qu'il coupe le moteur pour sortir. Mes idées sont axées sur le fait de retrouver Noé. Je rentre dans la maison. Il fait nuit noire et mon père ne semble pas être là. Je ne m’arrête pas quand Loïk m'appelle depuis le portillon et grimpe directement à l'étage. Il n'est pas là non plus. Je tente d'ouvrir la salle de bain, mais celle-ci est toujours fermée. Il a des traces de coups de pieds sur le bas de la porte.

- Noé, ouvre, c'est Tristan, le rassuré-je.

La porte se déverrouille et Noé se jette dans mes bras. Je le serre aussitôt contre moi. Mon cœur se calme juste un peu.

- Pardon... Je suis désolé. Je pensais pas qu'il se mettrait en colère !

- Calme toi...

- J'ai voulu jeter les bouteilles qu'il cachait et il a su que c'était moi !

Je prends son visage entre mes mains pour vérifier qu'il ne porte aucune trace de blessure ou de coup. Mais à mon grand soulagement, il n'a rien. Je le tiens plus fort.

- Mon petit renard...

Loïk soupire lourdement en haut des escaliers. Je ne peux pas me résoudre à passer la nuit ici.

- Noé, prends des affaires, on s'en va.

- On va aller où ?

- Je... Je vais trouver.

Il accepte et retourne dans sa chambre. J'en profite pour prendre Loïk à part.

- Loïk...

- Il n'y a pas de place chez moi. Vick y est encore. Je suis désolé.

- C'est pas grave. Tout ça ne devait pas arriver. Je pense... On va passer la nuit à l’hôtel.

- Hors de question que je vous laisse passer la nuit dans un endroit inconnu.

- Alors quoi ? On dort dehors ?

Noé revient vers nous, son sac sur le dos et sa peluche renard dans les bras.

- J'ai une idée. Allez dans la voiture, je vous rejoins.

Je consens à sa demande et retourne rapidement dans le véhicule avec Noé. Loïk finit par nous rejoindre, le téléphone à l'oreille.

- Merci. On arrive dans dix minutes.

On s'attache quand il démarre et s'engage vers une destination qui m'est inconnu.
Après dix minutes d'angoisse intense, Loïk coupe enfin le moteur en bas d'un immeuble. Personne n'aurait l'idée de nous chercher ici. Lieu dont je ne sais encore rien.

On quitte la voiture et grimpe les étages jusqu'à s’arrêter devant la porte d'un appartement. Loïk toque et toute la pression que je ressentais retombe en voyant Melkior nous ouvrir.

Il nous invite à entrer et referme derrière nous. Uriel se lève du canapé et resserre son sweat sur lui. Ils n'ont rien à voir avec ce que j'ai vu d'eux jusqu'à maintenant. Leur appartement. Leur petit cocon. Une part de leur intimité. Personne n'ose dire un mot et c'est quand un chat gris vient se frotter à la jambe de Noé, qui se met à rire, que tout le monde reprends conscience de ce qu'il se passe.

- On va dans la cuisine. Ça sera mieux pour parler, déclare Uriel en nous montrant le chemin.

Je vais vers Noé pour lui demander de rester un instant seul dans le salon. Il a des choses qu'il n'a pas besoin d'entendre.

- Mais... Je suis grand.

- Je sais Noé, mais il faut que je discute avec eux un petit moment. Promis je vais revenir.

Il hoche la tête, s'installe sur le canapé et le petit chat gris vient s'allonger sur ses cuisses en ronronnant. Mon cœur se compresse. Il ne mérite pas la vie qu'il a. Je prends une inspiration avant d'entrer dans la cuisine. Loïk me sourit doucement et je viens m'asseoir sur la chaise à côté de la sienne autour de la table.
Melkior et Uriel, assis en face de nous, ne disent rien. C'est moi qui suis contraint d'expliquer notre présence au jeune couple.

- Notre père est alcoolique et ce soir, on ne pouvait pas passer la nuit chez nous.

Uriel baisse la tête, d'une manière qui me fait penser qu'il a, lui aussi, subit des choses terribles. Melkior lui caresse doucement l'avant-bras et Loïk pose sa main sur son autre poignet.

- Uriel, j'ai conscience que ça fait beaucoup d'infos, mais...

- Mais ce sont eux ou Vick, complète Melkior avec un petit sourire en coin.

- On a qu'un canapé, précise le métis en relevant la tête.

- Ça ira très bien. Je suis désolé que l'on s'impose comme ça, m'excusé-je.

- On va pas vous laisser dans la merde.

- Merci Uriel. Vraiment, je te revaudrais ça, le remercie Loïk.

- Pas la peine. Je le fais parce qu'il le faut.

Nous quittons tous la cuisine. Uriel part dans ce qui semble être une chambre. Il revient avec une couette qu'il dépose sur le canapé et le chat saute aussitôt dessus.

- Comment il s'appelle ? demande Noé et s'allongeant sur le ventre pour atteindre le félin.

- Elle s'appelle Gattaca, répond Melkior en déposant deux oreillers sur le sofa.

- J'adore !

Loïk se dirige vers l'entrée et je décide de le suivre, accompagné d'Uriel.

- On fait comment pour demain soir ? s'interroge Loïk.

- On verra ça plus tard. Pour le moment, il faut que tu rentres.

- Je te dépose chez toi, ajoute Melkior.

Il enfile sa veste et ses chaussures avant d'embrasser rapidement Uriel. Loïk s’apprête à sortir, mais il revient vers moi pour m'embrasser aussi. Puis il se tourne vers son ami.

- Prends soin d'eux.

- Je te le promets, jure Uriel.

La porte se referme et je me retrouve avec Uriel qui resserre ses bras contre lui.

- Tu devrais aller dormir. Demain risque d’être une journée difficile.

Pas plus que ma nuit le sera.

Je n'arrive pas à dormir. Pas quand j'imagine mon père rentrer à la maison et la trouver vide. Je me redresse et aperçois Noé, emmitouflé dans sa partie de la couette, la joue écrasée contre sa peluche renard et Gattaca sous le bras. Je passe une main dans ses cheveux. Il est épuisé par toute cette histoire.

Je remarque de la lumière dans la cuisine. J'ai l'impression de m'imposer auprès des amis de Loïk et ça. Autant que j'aille m'excuser maintenant. Dans la pièce éclairée par la lumière de la hotte, je ne trouve qu'Uriel, emmitouflé dans un pull trop grand pour lui -appartenant sûrement à Melkior-, une tisane devant lui et les yeux rougis et tout gonflés. Il a pleuré. Longtemps.

- Pardon Uriel.

Il me remarque et s'essuie les joues pour ensuite me donner un sourire. Quelque chose l'affecte sérieusement.

- Tu ne dors pas ? s'inquiète-il.

- Non. Je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à mon père...

- Tu veux boire quelque chose ? J'ai encore de l'eau chaude si tu veux.

- Je veux bien.

Il me sert un thé et s'assoit en face de moi, le regard encore un peu perdu. Je m'en voudrais sincèrement si j'étais la cause de son mal-être.

- Je suis sincèrement désolé si j'ai fait quelque chose de mal.

- Comment ça ?

- Tu... Tu as pleuré.

Il secoue la tête en séchant une nouvelle fois ses joues.

- C'est pas à cause de toi. C'est juste que... Toute cette histoire a fait remonter des choses que j'ai tenté d'oublier.

- Alors pour ça aussi, je m'excuse.

- Loïk a vraiment de la chance d’être tombé sur toi.

C'est moi qui ai cette chance de pouvoir vivre une histoire avec lui. Même si je n'oublie jamais qu'un seul faux pas briserait tout.

- Je sais ce que c'est que de souffrir par quelqu'un, déclare doucement le métis.

Je me redresse soudainement.

- Comment ça ?

- Tes coups sur le visage... Tu dis à tout le monde que sont des accidents alors que ce n'est pas le cas.

- Comment tu sais ? Loïk ?

- Il ne m'a rien dit. C'est facile à deviner. Parce que... J'avais les mêmes discours au boulot.

Et là, j'ai peur d'avoir compris.

- Tes parents...

- Mon ex.

Mon cœur fait un bon.

- Ton... Ex ?

- On s'est connu au lycée. En première. On est rapidement devenu amis puis un peu plus. On était bien ensemble. Puis après le bac, on s'est installé ensemble. Le temps passait et on se parlait de moins en moins. Sauf pour se disputer. Un peu plus fort. Et plus longtemps. Et... Il a commencé à devenir violent. Il cassait des trucs. Sans jamais me toucher ! Mais ça n'allait plus entre nous. Plus du tout. J'aurais du m'en rendre compte... Pourtant, je suis resté. Parce que j'avais connu que lui. Parce que je l'aimais. Ou j'en vais l'impression. Et un jour... Il m'a frappé. Je bougeais plus. J'étais trop choqué pour faire quoi que ce soit. Il m'a laissé dans un coin et j'ai pleuré. Toute la nuit, je crois bien. Et après cette fois-là, il n'avait plus aucune gêne à me donner des coups. Si Melkior n'était pas arrivé dans ma vie, je... Je crois bien que je ne serais déjà plus là...

Uriel ne peut pas avoir été à ce point bousillé. Ce n'est pas possible.

- Pourquoi tu me dis tout ça ? On se connaît à peine.

- Parce que ce genre de chose, tu ne dois pas les laisser passer. Je sais ce que c'est. Il s'excuse, jure qu'il ne recommencera pas et tu te berces d'illusion jusqu'à ce que tout se termine sous un coup de trop. Même si c'est ton père, ne le laisse pas faire. Pense à Noé.

- Je ne pense qu'à lui...

- Alors fais un signalement.

- Je... Je peux pas...

- Protège-le. Il a besoin de toi.

Je pose mes deux coudes sur la table pour pleurer entre mes mains. Uriel se lève et vient me prendre dans ses bras. Je pleure un peu plus.
Noé... Je dois protéger Noé.

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