31.
J'ai mal au visage. À la joue, surtout. Mais comme le bleu a vraiment dégonflé par rapport à hier, je peux retourner en cours. En sortant de la maison, mon père ne m'adresse même pas un regard. Il a honte de son geste. Et moi, j'ai honte de ne pas avoir répondu au dernier message de Loïk depuis la sortie cinéma. Je le relis encore une fois et la culpabilité me reprend.
''Comment ça laisse tomber ? T'es sûr que ça va ?'' ''Tristan ?'' ''Réponds, s'il te plaît.'' ''Ne m'ignore pas.'' ''Tristan...''
Je me mords la lèvre puis grogne quand la douleur me rappelle que mon père me l'a éclaté. J'ai besoin de m'en griller une et de me bousiller les poumons encore un peu. J'allume une cigarette et la laisse se consumer un instant avant d'enfin la porter à ma bouche. Même comme ça, j'ai mal. Je regarde un peu pourtant, laissant mes pensées m'envahir. Je suis horrible avec Loïk. Mais je ne peux pas me résoudre à lui répondre. Il me demanderait tout de suite de me voir et verrait donc le coup. Je ne peux pas me permettre de lui donner une raison supplémentaire de s'inquiéter.
Mon regard croise celui de Brevan dans un coin de la cour et il me sourit. Ce gars est gentil. Un peu discret, mais il est le meilleur que j'ai rencontré pour convenir à Arllem. Je crois que je comprends mieux les ressentiments d'Uriel à mon égard. On protégeait tous les deux quelqu'un qui compte pour nous.
Arllem arrive enfin sur le parking et salue sa mère. Je jette le mégot de ma cigarette et le rejoins en remettant mon sac. Sa mère l'a amenée et elle ne le fait que pour les jours spéciaux. C'est son anniversaire. J'avais complètement oublié. C'est bien la première année que ça m'arrive.
- Salut Arly ! Alors, ça fait quoi d’être majeur ?
- Bah rien, en fait. Je me sens juste moi, avec un an dans les dents.
- Douze mois, ça fait pas grand chose à notre âge, ajouté-je avec un sourire.
Je grimace. C'est fou d'oublier que je porte un bleu sur la joue causé par mon géniteur.
- Il t'est arrivé quoi au visage ? s'inquiète-t-il.
Je me touche la joue, comme si je pouvais le faire disparaître. Je dois lui mentir. Je suis doué pour ça.
- Rien, je me suis pris le coin d'un placard.
- Sur la joue ?
Depuis quand est-il aussi difficile à berné ? Je dois trouver autre chose.
- Placard en hauteur. C'est pas tout ça, mais il y en a un qui voudrait te souhaiter un bon anniversaire.
Je pointe Brevan et il l'observe. Arllem est amoureux de lui. Il l'est sincèrement. J'en profite pour disparaître dans l’établissement et me passer un coup d'eau sur le visage. Mon portable vibre dans ma poche et je regrette immédiatement mon geste. Loïk.
''Il faut vraiment qu'on parle.''
Je le coupe et décide de me rendre directement en cours. Je sens que je vais finir par lui céder.
*
* *
Les cours m'ont épuisé. Bien plus que d’ordinaire. Je suis de moins en moins et j'ai des notes de plus en plus pourries. Rajoutons à ça que je n'ai fait aucun vœu ParcoursSup pour le moment. Je pense que je me condamne moi-même à redoubler et à rester ici quand tous partiront faire leurs études supérieures. Je mets de la musique dans mes écouteurs pour penser à autre chose. Puis c'est mon père qui me vient en premier. Comment a-t-il pu passer de chanteur assez connu des années 90 à ce qu'il est aujourd'hui ?
Pour je ne sais quelle raison, je tourne la tête. Je suis devant le café où travaille Loïk et il vient de me voir. Je jure et marche d'un pas pressé alors qu'il quitte le comptoir d'un air furieux. Il va m'allumer.
- Tristan !
Je voudrais être invisible.
- Arrête toi !
Invisible et sourd.
Il me rattrape sans problème et m’arrête en me retenant le bras.
- À quoi tu joues ?
Je fais mine de ne pas l'entendre et il retire mes écouteurs de mes oreilles.
- Tu me fais la gueule ?
Puis son expression change. Il a vu mon bleu.
- Tu as quoi au visage ?
Je lui enlève mes affaires des mains et reprends ma route, mais il me retient encore une fois. Il est obstiné.
- Tristan...
- Arrête s'il te plaît, lui demandé-je.
Loïk lâche mon poignet pour me tenir la main. Sa peau est toute chaude.
- Tu sais que tu peux tout me dire.
- Justement, je ne peux pas...
Son autre main remonte sur mon visage pour venir caresser ma joue et je retiens son geste encore un moment. Puis il me sourit et m'embrasse doucement.
- Tu veux que je t'offre un truc à boire ?
- On peut aller chez toi à la place ? J'ai pas envie de me retrouver avec plein de monde.
Il acquiesce et va prévenir Melkior de son départ. Ce dernier me voit à travers la vitre et l'autorise à finir. Loïk sourit et revient vers moi, sa veste sur le dos.
- On peut y aller.
Il attrape ma main et la serre fort entre ses doigts avant de venir l'embrasser.
- Pas de moto ?
- Ah ! La machine est au garage. Contrôle de routine.
- Je suis un peu déçu.
- Demain si tu veux, on fera un tour.
- Oh que oui !
Sur le chemin jusqu'à chez lui, on parle de sujet moins sérieux que ce que je veux vraiment lui dire. Je préfère être dans un endroit plus calme pour lui avouer. Et je sais qu'il voudra vérifier si je n'ai pas d'autres blessures et il verra donc ce que je m'inflige. Je retarde le plus tard possible ce moment.
Il ouvre la porte et me pousse à l’intérieur. Puis claque la porte et fond sur moi. C'est à mon tour de fondre sous son baiser. Puis ses mains encadrent mon visage et je geins.
- Pardon, s'excuse-t-il avec un sourire en me relâchant. J'étais trop pressé de t'embrasser.
- Je vois ça.
Il me donne un autre baiser plus rapide et part dans sa cuisine. Je prends place dans son canapé et l'observe s'activer à préparer, je ne sais quoi. Loïk finit par me rejoindre avec deux tasses de chocolat chaud dans les mains. Je me réchauffe le bout des doigts sur la porcelaine et bois une gorgée.
- Ton chocolat est bien meilleur que ton café !
- Ferme la ! rit-il en buvant à son tour.
D'une seule main, il attrape le plaid au bout de son canapé et couvre nos jambes avec. Je me cale contre lui et il vient embrasser mon front.
- Je pourrais m'endormir... ronronné-je.
- Il faut qu'on parle avant ça.
Je me redresse sur le canapé et il se tourne pour mieux me voir. Moi, je baisse les yeux vers ma boisson. Je ne peux pas affronter son regard.
- Tristan, elle vient d'où la marque sur ta joue.
- Placard en hauteur.
- Dis-le en me regardant.
J'ose enfin plonger au fond de ses yeux. Mais je suis presque certain qu'il sait que je lui mens. Il me connaît trop bien.
- Je me suis pris un placard en hauteur, mens-je. Je suis pas doué, qu'est-ce que tu veux !
- Remonte tes manches et montre moi tes bras.
- Loïk, je vais bien.
- S'il te plaît, Tristan.
Je lui obéis et repose la tasse pour remonter le tissu, laissant apparaître ma peau que je trouve un peu trop pâle pour le coup. Il dépose à son tour la tasse sur la table basse et retourne mes bras dans tous les sens pour les vérifier.
- Je t'ai dit que je vais bien.
- Alors enlève ton sweat et ton t-shirt.
- Tu sais qu'il existe d'autres manières pour me dire que tu veux me voir à poil.
Il ne sourit plus. Alors je retire mon sweat, laissant la moitié de mes biceps à découvert. Puis il se penche vers moi et remonte les manches de mon haut. Mes morsures. Il voit toutes mes morsures. Je me rhabille sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit. Puis il revient soudainement à lui.
- Elles viennent d'où ses morsures ? Tu fais des cauchemars ? Tu te mords en dormant ?
- J'ai toujours fait des cauchemars.
Il presse soudainement mes épaules entre ses mains pour m'obliger à le regarder. Ses yeux s'emplissent de tristesse.
- Depuis quand est-ce que tu te fais ça ? Depuis quand ça ne va plus entre nous pour que tu ne veuilles plus me parler ?
- Loïk...
- Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Dis-moi.
- Rien, tu n'as rien fait.
- C'est pas possible. Tu refuses de me parler, tu me fuis et tu te fais du mal. Je te fais te sentir comme un moins-que-rien, c'est ça ? Je suis nocif pour toi ? Trop envahissant ? Me dis pas ça... Je pourrais pas être la cause de ton mal-être. Je ne me le pardonnerais pas. Jamais...
- Mais jamais de la vie !
- Alors si tu es malheureux, quitte moi.
Je l'oblige à me regarder en posant mes mains sur ses joues.
- Je suis heureux avec toi plus que je ne l'ai été avec n'importe qui d'autre. Je ne te quitterais pour rien au monde.
- Alors je veux plus que tu te fasses ça ! Arrête de te faire du mal. Je... Je supporterais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit...
Il vient poser sa joue sur mon épaule et je le serre dans mes bras.
Finalement, c'est moi qui l'ai rassuré. C'est moi qui suis nocif pour lui.
Je regarde mon biceps. J'ai envie de me mordre.
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