30.

C'est difficile de faire croire que tout va bien quand tout, absolument tout, va mal. L'état de mon père est ingérable et j'ai l'impression que Noé se fait harceler au collège. Mais il refuse de me l'avouer. Entre ça, je vois de moins Loïk avec ces horaires du soir et Vick qui refuse de le lâcher d'une semelle. Ce qui devait être l'affaire d'un ou deux jours s'avère être maintenant une colocation. Alors parfois, je craque et personne ne voit rien. C'est tant mieux. Un sourire ou une remarque et tout passe. Je deviens un expert du mensonge. Je reste celui qui sourit tout le temps et qui propose des plans fous. Comme aujourd'hui. Un ciné avec la bande pour tenter de nous rabibocher après le fiasco de la soirée où j'aurais soit disant embrassé Lou. Chose qui n'est jamais arrivée.

Je les regarde discuter de la prochaine sortie tous ensemble et Arllem ne quitte pas des yeux le petit Brevan. Il craque pour lui depuis le premier jour. Encore faut-il qu'il se laisse apprivoiser.
Mon portable vibre quand je m'apprête à le mettre en silencieux. Un message de Loïk.

"Couscous ! Ça va toi ?❤ " "Coucou. Désolé. Correcteur de chiotte !🤦‍♂️ " "Ça te dit qu'on se voit ce soir ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas fait une virée à moto.🏍"

Je n'arrive pas à sourire. J'ai l'impression de ne plus pouvoir tout lui expliquer. Avant, c'était plus simple de lui dire quand ça n'allait pas, mais maintenant, ça me paraît impossible.

"Désolé... Je dois faire mes devoirs et après, je reste avec Noé."

Je passe sous silence la soirée cinéma. Je ne sais même pas pourquoi.

''Oh... Ok. Bosse comme un pro pour avoir ton bac à la fin de l'année !🥳''

''Je l'aurais pas mon bac...''

''Mais si. Un peu de révision et tout va bien se passer.''

''Je vais le rater et je vais redoubler.''

''Sois pas pessimiste.''

''Laisse tomber...''

Je coupe mon portable et me laisse transporter par le film. J'ai besoin de penser à autre chose.
À la sortie du cinéma, tout le monde est ramené par ses parents. Sabine, la mère d'Arllem, me propose de me ramener, car mon père est absent. Je ne lui avoue pas qu'il doit être tellement ivre qu'il ne doit pas tenir debout et décline sa proposition.

- Tu es sûr de ne pas vouloir que je te ramène ? Il est tard quand même, insiste-t-elle gentiment.

- Non, vraiment, c'est gentil. Il ne va pas tarder de toute façon.

Elle me salue tout comme Arllem et ils quittent le parking avec un dernier signe de la main. Je laisse passer quelques minutes pour être certain de ne pas les croiser et marche en direction de chez moi. Il fait complètement nuit et je commence à avoir froid.

Puis en arrivant dans le coin de ma rue, j'aperçois quelqu'un en dessous de notre porche. Pendant une seconde, j'ai l'impression qu'il s'agit de Loïk, avant de me rendre compte que c'est Noé qui m'attend, emmitouflé dans sa doudoune grise.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Il s'essuie le bout de nez et resserre ses bras contre lui.

- La maison est fermée...

- Comment ça ? Attends... Tu es dehors depuis combien de temps ?

Noé regarde son portable puis semble compter.

- Au moins quatre heures.

- Putain...

Il se triture les doigts et se lève quand je sors mes clefs de ma poche. Noé est enfermé dehors depuis que je suis sorti à mon tour. Je me demande sérieusement ce qu'il fait là.

- T'as quoi dans ton sac ?

Il l'ouvre et me laisse voir une bonne dizaine de cadavres de bouteilles.

- Papa m'a demandé de les jeter, mais la poubelle à verre est trop loin. Et il y a une dame qui est là.

- Une dame ? Tu la connais ?

Il secoue la tête.

- Je l'ai jamais vue...

Je passe la porte et je sens un parfum que je n'ai jamais senti avant. L'odeur embaume toute la maison et c'est très certainement incrustée dans le ciment des murs. Mon père est assis autour de la table de la salle à manger, les yeux explosés. Une femme est assise en face de lui, habillée d'un pantalon chic et d'une veste de costard. Il a fait l'effort de lui servir une tisane.
Elle se lève subitement en nous voyant et s'approche de nous avec un air étrange. Je ne sais pas ce qu'elle veut et ça me dérange. Une inconnue que mon géniteur a fait l'effort d'accueillir.

- Bonsoir, je suis Alice. Pardon d'être resté aussi tard, mais j'avais besoin de vous voir. Tous les deux.

Noé attrape mon poignet et je lance un regard interrogateur à mon père, qui baisse simplement la tête. Alice n'est pas ici pour prendre juste un thé.

- Pourquoi vous êtes là ?

- Je suis ici, car le collège de ton frère a fait un signalement. Il semblerait qu'il subisse de mauvais traitements.

- Vous êtes des services sociaux ?

- Oui, avoue-t-elle.

Je déteste cette situation.

- Écoutez, je ne sais pas ce qu'on vous a dit, mais mon frère se fait emmerder au collège, pas à la maison.

Elle observe tout autour de nous et semble peu enclin à me croire. Mais elle ramasse son sac dans l'entrée et me tend une carte avec un numéro.

- Je comprends que toute cette situation doit être compliquée pour vous deux, mais si jamais vous aviez besoin de parler à quelqu'un, je serais là.

Elle nous salue et quitte la maison. J'entends mon père se lever et demander à Noé de monter dans sa chambre. Je vois toute la peur qu'il a de me laisser.

- Tristan...

- Va dans ta chambre, Noé, ordonne-t-il. Je dois parler avec ton frère.

Il laisse ses affaires dans l'entrée et se réfugie dans sa chambre. Sa porte claque.

- C'est toi qui a prévenu son collège ?

- Non, c'est pas moi je-

Mon père me pousse et je tombe par terre, envoyant un choc dans toute ma colonne. Il m'observe avec tellement de dégoût que je finis par avoir envie de vomir.

- Tu me mens en plus ? En même temps, je ne suis pas étonné. Tu m'as toujours menti.

- Je te jure, c'est pas moi !

- Et tu continues en plus ! Sale petit con !

Il serre le col de mon sweat, me soulève pour frapper mon crâne contre le sol et il m'envoie son poing en plein visage. Mon sang afflue sous l'impact. Ce n'est pas comme un combat de boxe, là, je ne peux pas me défendre.

- T'es qu'une merde !

Il frappe une seconde fois au même endroit.

- C'est lui qui aurait dû crever ! hurle-t-il.

Son doigt pointe l'étage. Puis il me frappe encore. Jusqu'à suspendre en l'air son dernier coup.
Il me lâche enfin, mais je n'ose plus bouger. Puis il me donne un léger coup dans le pied et je me mets subitement debout quand il s'assoit sur le canapé.

- Vous auriez dû crever tous les deux, bandes de petits merdeux...

Je monte à l'étage, le cœur au bord des lèvres. Noé ouvre sa porte quand je passe devant, mais je ne m'arrête pas et m'enferme dans la salle de bain. Je vois mon reflet dans le miroir. J'ai une grosse trace rouge sur la joue qui vira sans aucun doute au bleu. Je retire mon haut et disparais sous la douche pour tenter d'oublier ce qu'il vient de se passer. Mais rien à faire. Je ressens encore son poing sur moi et la sensation de n'être rien de plus qu'une merde. Je laisse l'eau chaude couler sur ma peau et me mords le bras jusqu'au sang.
Je ne suis rien.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top