23.

J'observe mon reflet dans le miroir. J'ai pleuré en éteignant mon portable après l'annonce du décès de ma mère. Loïk a recueilli ma tristesse entre ses bras. Et depuis, je n'ai plus versé une seule larme. Je ne me trouve pas légitime de le faire. Je n'étais pas là quand les flics sont arrivés à notre porte pour nous annoncer la nouvelle. Mon père et Noé ont dû supporter seuls l'information.

Mon portable vibre à côté de moi. Arllem. En revenant en cours ce matin, je n'ai pas pu me retenir de leur dire. Pas quand ils ont vu l'expression que j'affichais.

"Je vais essayer de passer chez toi dès que possible."

Je le remercie et prends une grande inspiration avant d'enfiler ma veste de costume. Je me sens ridicule dedans. Loïk m'observe depuis l'encadrement de la porte, en appuis contre le bois. Il me sourit tristement, mais ne dit rien. De toute manière, ça ne servirait pas à grand chose.

- Merci de m'avoir permis de rester ce week-end.

Il ne répond rien et se détache simplement de la porte pour me prendre dans ses bras. Je me laisse faire. Je n'ai plus la force de faire quoi que ce soit. Je me sens juste... Vide.

- Ton père t'attend.

- Et Noé ?

Il hausse des épaules et dépose un baiser sur le coin de mes lèvres, sa main sur ma hanche. Sans lui à mes côtés, je me serais déjà probablement effondré.
Je quitte sa chambre et fais face à mon père dans le salon. Il regarde un peu partout avec un certain intérêt.

- J'aime bien la décoration.

Il comble un vide en parlant. Loïk le remercie, me rend le reste de mes affaires et nous accompagne jusqu'à la porte d'entrée. Ses bras m'entourent une dernière fois.

- Appelle-moi dès que tu as besoin.

Pas de baiser devant mon père. Pas tant que la nature de leur affinité restera flou. Et ce n'est pas le bon jour.
Dans la voiture, Noé ne me regarde pas une seul fois. Je ne sais pas si c'est parce qu'il veut cacher sa peine ou si c'est parce qu'il me déteste du fait d'avoir été absent encore une fois. Je pencherais plus pour la deuxième option.

Quand mon père coupe le moteur après seulement un quart d'heure de route, une sensation étrange me prend au ventre. Je vais dire adieu à ma mère.

Noé est le premier à sortir. Mon père sort à sa suite et moi en dernier. Le bâtiment ressemble à une vieille boutique de fleurs. Nous passons la porte et un couple âgé nous accueille. Mon père se présente et nous sommes amenés dans une salle au carrelage blanc et aux murs bleus. Ça sent les produits désinfectants et une ambiance étrange règne. Des gens pleurent ici tous les jours.
Un homme avec un costard, bien plus jeune que l'homme de l’accueil nous rapproche d'un cercueil en bois blanc. Ma mère est dedans. Noé attrape subitement ma main et je noue ses doigts avec les miens. Il ne l'avait pas revu depuis le procès et je ne sais même pas si ça le rend triste.

- Vous voulez la voir une dernière fois ?

Mon père soupire un non et nous regarde. Noé ne dit rien et baisse la tête. Je secoue la mienne. Peut-être que sans eux, j'aurais aimé la voir une dernière fois. Mais je ne peux pas leur imposer cette vision. À Noé encore moins.

- Peut-être que vous voulez dire un mot ?

- Nous n'étions pas vraiment proche à vrai dire.

Leur mariage était pour mon bien. Ça n'a jamais été pour le leur ou parce qu'ils en avaient envie. Noé s’apprête à dire quelque chose, mais se ravise. Et moi, je continue de me sentir vide à l’intérieur. Avec pour seule envie de dire à quel point je l'aimais quand j'étais gamin. L'homme consent à notre décision, pousse le cercueil dans le conteneur et actionne le mécanisme. Ma mère disparaît en cendre devant nous et personne ne pleure.

Nous restons jusqu'à ce que l'odeur vienne à nous. Rien de plus que nécessaire.

La route jusqu'à la maison se fait dans le même silence. Mais cette fois, Noé à sa tête sur mon épaule et je caresse l’intérieur de son poignet. Il n'est pas seul. Je ne veux plus qu'il le soit.

La soirée ne s'est jamais passé aussi silencieusement. Noé n’exprime pas ce qu'il ressent. Du coup, nous l'imitons. J'aimerais pourtant hurler à mon père que rien ne va. Que ma mère vient de mourir. Que la femme qu'il a épousée a fait un AVC et qu'elle est morte toute seule à la clinique. Mais je ne peux pas. Alors je prends un bout de pain, une bouteille d'eau et m'enferme dans ma chambre. Je retire mes vêtements qui portent encore l'odeur étrange du crématorium. Je pose mon nez dans mon poignet. Même ma peau s'en est imprégnée. Alors je m'enferme dans la salle de bain et me glisse sous l'eau chaude. Je ferme les yeux et je la vois. Son doux sourire et ses beaux yeux gris. Je me détache de ce stupide souvenir et attrape le savon pour faire disparaître cette odeur de mort. Je frotte ma peau. Encore et encore. Jusqu'à ce qu'elle rougisse jusqu'au sang sous mes ongles.

- Tristan, tu... Ça fait longtemps que tu es à la douche.

Sa voix tremble tout comme mes mains. J'ouvre la porte prestement, une serviette autour de mes hanches.

- Je sais que ce qu'on a vécu-

- Noé a besoin de toi, le coupé-je sèchement. Je suis assez grand pour gérer tout seul.

Je ne lui laisse pas le temps de me rattraper et m'enferme à nouveau. Cette pression qui enserre mon cœur, refuse de partir.
Je me change pour la nuit, mange le morceau de pain de mie et me couche. Sans lumière. Je préfère ça que de pouvoir réussir à dormir. Et ça risque d’être compliqué avec les pleurs que j'entends. Ce n'est pas Noé. Noé ne pleure pas de cette manière.
Je me tourne dans mon lit, me retourne et regarde le plafond. Je me demande si elle est plus heureuse là où elle est ? Est-ce qu'elle a retrouvé Roxanne ?

Mon nez me pique et j'attrape mon portable. Au final, Arllem n'a pas réussi à passer et c'est mieux comme ça. Il n'aurait pas eu à supporter mon état. Le seul que je pense légitime de le faire, c'est Loïk. Je compose son numéro et attends qu'il décroche, de nouveau dans le noir.

- Tristan ?

Je regarde l'heure. Il est plus de minuit.

- Pardon, je te réveille. Je voulais juste... Non en fait, je vais te laisser dormir. Bonne nuit...

- Non, non, attends. Je t'avais dit de m'appeler quand tu voulais.

Je l'entends s’asseoir dans son lit et allumer sa lampe de chevet. Il est prêt à m'entendre pour un moment.

- Je... Je voulais juste t'entendre. Savoir que tu es là.

- Je serais toujours là pour toi.

Il sourit. Mais je sais aussi à quel point il est triste. Et c'est à cause de moi. Je n'arrive plus à retenir mes larmes de venir tremper mon oreiller.

- J’arrête pas de penser à elle, Loïk. Il n'y avait pas que des moments horribles. Je me souviens de ce qu'on faisait quand j'étais petit. Les berceuses qu'elle me chantait. Les histoires qu'elle me racontait pour m'endormir le soir. Les sorties qu'on faisait le week-end. La façon qu'elle avait de me tenir dans ses bras et de me caresser les cheveux... Elle me manque. Ma mère me manque... J'aurais aimé lui dire à quel point elle comptait pour moi.

- Je suis sûr qu'elle le savait. Ta mère savait à quel point tu l'aimais.

Je pleure plus fort, sans parvenir à me retenir davantage. J'ai mal au cœur. La seule idée à laquelle je me raccroche, c'est qu'il est là, à l'autre bout de la ligne.

- J'aimerais que tu sois là. J'ai besoin que tu me prennes dans tes bras.

J'ai besoin qu'il me serre contre lui, qu'il m'embrasse et me réconforte. J'ai besoin de lui.

- Je suis là, mon amour. Je suis avec toi.

- Je voudrais que tu sois vraiment là.

- Donne-moi quelques minutes et j'arrive. Je t'aime.

- Moi aussi Loïk.

Il raccroche et je me sens encore plus seul. Mais une heure du matin passe et j'entends sa moto dans la rue. Il est vraiment venu. Je le vois depuis la fenêtre de ma chambre entrer dans le jardin et escalader sans aucun problème le mur. J'ouvre la vitre et le laisse entrer avant de me jeter contre son torse. Il sent la clémentine, l'effort et un peu le goudron chaud. Il retire sa veste, ses chaussures et son jean puis se glisse avec moi dans les draps. Ses doigts me caressent doucement et sa voix me berce. Il a toute sa place à mes côtés dans mon lit. Et même dans ma vie.

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