17.

Je vérifie pour la troisième fois le contenue de mon sac, sous l’œil avisé de mon père. Il a du mal à croire que je passe le week-end chez Arllem, en sachant qu'il est à peine neuf heures du matin. Et à sa place, j'aurai probablement pensé la même chose. Mais je ne peux pas me permettre de laisser Loïk partir seul affronter sa famille et leurs convictions incompréhensibles.

- Donc tu reviens quand ?

- Demain soir, vers vingt heures.

- Ça fait beaucoup pour un week-end entre amis...

- On avait besoin de se voir juste tous les deux. Et je te promets, je vais pas faire de bêtise, complété-je en fermant mon sac.

Il descend les marches avec moi. J'enfile mes chaussures et de quoi survivre face au froid de ce début Novembre. L'année avance si vite. Mon père croise les bras et se mordille les lèvres en croisant les bras. Je perçois facilement qu'il se retient de rajouter quelque chose.

- Si tu as quelque chose à dire, dis-le. Tu me permets de partir, je peux donc t'écouter.

- Est-ce que tu as une relation avec lui ?

- Avec qui ?

- Arllem ! Vous faites l'amour quand tu vas chez lui ?

- Oh mon... Non ! Non ! Bien sûr que non ! On est ami, c'est tout.

Mon écharpe finie autour de mon cou pour cacher mes joues rouges. Arllem et moi, ça n'ira jamais. Il aime les garçons. Et techniquement, ce n'est pas mon cas. Je ne me vois pas du tout sortir avec lui et encore moins... Coucher, avec lui.
Je suis heureux de pouvoir disparaître et échapper au reste de l'interrogatoire de mon père quand j'entends klaxonner. Loïk m'avait prévenu qu'il demanderait à Melkior de lui prêter sa voiture pour nous éviter de faire la route à moto et dans le froid. J'embrasse mon père et file jusque dans la dite voiture, garé à la va-vite devant celle de mon père. Loïk me salue avec un baiser auquel je ne réponds pas et lui demande simplement de démarrer en m'attachant. Les dix premières minutes de route se font dans un silence de mort, jusqu'au soupir lourd de mon beau blond.

- Tu vas me dire ce qu'il se passe ?

- Mon père croit que je couche avec mon meilleur ami, lâché-je de but en blanc.

Il ricane et s'engage sur la voie rapide, sans me jeter un regard.

- Tu disparais presque tous les week-end au même endroit, c'est normal qu'il commence à se poser des questions.

- Tu crois que je dois lui dire pour nous deux ?

- Si tu ne lui as pas encore dit, c'est que tu as peur de sa réaction. Et dans ce cas-là, je préfère ne pas donner de conseils.

Il allume la radio sur une fréquence de rock. Je n'ai pas la possibilité de rajouter quelque chose.
Après presque deux heures de route égayées exclusivement par des morceaux de guitare, nous arrivons enfin dans la ville où il a passé une partie de son enfance. La ville qui a refusé de le voir autrement que comme quelqu'un d'étrange et de différent. Il se gare dans une rue bondée et coupe le moteur, sans sortir pour autant. Son regard reste fixé sur un point.

- Loïk ?

Ma main glisse doucement le long de son bras pour tenter de le ramener vers moi. Des milliers de souvenirs doivent lui revenir. Il se redresse subitement et m'adresse un sourire triste, dénué de sens.

- Promets-moi que tu ne partiras pas...

- Je...

- Promets-le. S'il te plaît.

- Oui. Je te le promets.

Il se penche pour m’embrasser et j'y réponds instantanément, passant mes mains dans sa nuque. Un dernier sourire de sa part et il sort de la voiture en emportant son sac. J'ai besoin d'un seconde pour bien assimiler le fait que dans moins de cinq minutes, je vais rencontrer sa famille et qu'il me présentera officiellement comme son petit-ami.

Il toque à la vitre et je le rejoins dehors, prenant sa main dans la mienne. Il nous emmène devant un demeure, digne d'un magazine de décoration et ne prend pas la peine de sonner au portail et entre dans la propriété. Pas un centimètre d'herbe du jardin ne dépasse et chaque buisson est taillé dans une forme parfaite. Il grimpe les marches de la terrasse pour venir sonner directement à la porte. On entend un petit chien aboyer et la porte s'ouvre sur une jeune femme avec le petit chien dans les bras. Qu'elle repose aussitôt en voyant Loïk.

- Tu es là ! Ta mère a dit à tout le monde que tu ne viendrais pas.

- Alors c'est une surprise.

Elle le prend amicalement dans ses bras et lui fait la bise avant de me faire également la même chose. Son sourire est resplendissant et paraît sincère.

- Nolwenn, la femme d'Emanuel, enchanté. Et tu es...

- Tristan.

Emanuel, son frère. Je retiens.
Elle referme la porte derrière nous et nous prends nos affaires pour les monter à l'étage, le chien sur ses talons. Loïk fait craquer ses doigts et pénètre dans ce qui semble être le salon. Il doit bien y avoir une dizaine de personne dans cette pièce à l’ameublement aussi parfait que la façade. Rien ne dépasse et tout est impeccable. Y compris dans la tenue de chacun. Je fais vraiment tache avec mes cheveux bleus et mon jean déchiré. J'aurais dû faire aussi un effort pour aujourd'hui.

- L'enfant prodige !

Nous nous retournons vers un homme qui s'avance vers nous, verre de champagne à la main. Il prend la main de Loïk dans l'autre et prend la mienne. Il a une sacrée poigne.

- Bonjour Laurent.

- Et qui est ce garçon avec toi ?

- Tristan.

- Tu les choisis de plus en plus jeune ma parole !

Il rejoint l'attroupement sans un regard pour moi. La poignée de main n'était que de la pure politesse. Une petite fille habillée d'une jolie robe rose et de collants blancs, tire le bout de la manche de Loïk et il la prend dans ses bras. Elle ne doit pas être âgée de plus de sept ans.

- Ça va ma puce ?

Elle hoche la tête avec un grand sourire, ce qui permet de voir l’absence d'une petite dent. Il lui fait un gros bisou bruyant sous les rires de la petite, qui me rend un sourire.

- Comment tu t’appelles ?

- Tristan, réponds-je gentiment. Et toi ?

- Léane. T'es l'amoureux de tonton ? T'as quel âge ?

- Pourquoi tu n'irais pas chercher Mamie, pendant que je présente Tristan aux autres ?

Elle hoche vivement la tête et descend de ses bras en courant dans la cuisine. Loïk me prend la main et joue un instant avec mes doigts. Je ressens son stress à travers sa peau.
Il me présente à tout le monde. Ses autres frères, son oncle, sa marraine, et même sa mère qui nous est introduite par sa nièce. Sa mère ne laisse en rien imaginer le fait qu'elle a pu mettre son fils de dix-huit ans à la porte. Toute sa famille semble si parfaite et en aucun cas au courant de ce qu'à subit Loïk dans la rue et de ce qui s'en est découlé.

Le repas se passe plutôt sans problème et malgré ce que je sais, je ne peux pas retirer le fait que sa génitrice cuisine bien. Son frère Laurent, m'adresse un regard qui en dit long sur ses intentions. Il veut pourrir Loïk.

- Dis-moi, petit-frère... Comment tu as rencontré Tristan ?

- Je l'ai rencontré au café.

C'est bien mieux que de sortir le fait sur l'accident et de ce qui s'en est suivi.

- Le fameux café tenu par ton ami suédois homo !

- Melkior est finlandais.

- Pardon, autant pour moi. Ça gagne bien sa vie un serveur ?

- De quoi me nourrir et payer les factures.

- Tu n'as pas d'autre ambition dans la vie ?

La main tremblante de Loïk glisse sur ma cuisse et je l'attrape. Il a besoin de savoir que je suis présent pour lui et que je le soutiens.

- Si, mais aucune ne peut t’intéresser de toute manière.

Son frère aîné sourit et boit une gorgée de son verre de vin. Loïk triture son assiette avec sa fourchette. Un grand coup est donné sur la table, faisant sursauter tout le monde et trembler quelques verres.

- Pierre-Loïk, tu viens bien cesser de tripoter ce garçon sous la table !

Loïk me relâche aussitôt et pose ses deux mains autour de son assiette, baissant les yeux vers son verre vide.
Nolwenn invite les enfants à sortir de table et ils montent à l'étage, ce que je comprends. Ils n'ont pas à entendre des choses pareilles.

- Je ne vais pas te laisser te pavaner d'avoir des penchants honteux dans ma maison !

Loïk relève la tête et affronte son regard, sous celui satisfait de son frère.

- Sache que j'ai aucune honte à ressentir ce que je ressens et que je ne cherchais en rien à m'afficher avec lui. Je lui tenais simplement la main !

- Pourquoi tu lui tenais la main ? Tu as six ans ?

Il ne trouve rien à redire et son père se penche vers moi. Physiquement, je sais que je risque rien. Moralement, c'est une autre histoire.

- Et toi mon garçon... Quelle idée tu as eu d'accepter les provocations de mon fils ? Il n'a pas idée de l'enfer dans lequel il vient de t'embarquer ! Tu as dix-sept ans. Tu as encore le temps de faire marche arrière et de partir. Et je comprendrais tout à fait que tu veuilles porter plainte.

Il dit cela comme si Loïk n'était pas juste assis à côté de moi et que tout le monde suivait notre conversation.

- J'ai conscience que je ne pourrais jamais te rendre tout ce qu'il t'a pris et réclamer. Mais sache que je peux compenser financièrement l'atteinte morale que tu as subi.

La chaise de Loïk grince sur le parquet à côté de moi et je relève les yeux vers lui. Il se tient debout, les deux mains sur la table et les larmes sur les joues. Il pleure abondamment et le voir dans cet état comprime mon cœur.

- T'as pas le droit de parler de ce que je vis avec lui comme ça...

- Cesse de pleurer, tu n'es plus un enfant !

- J'ai le droit de pleurer avec toutes les atrocités que tu dis sur nous !

- Tu ne fais rien pour m'en empêcher ! Tu le regardes comme si c'était un morceau de gigot et que tu allais le sauter sur la table devant nous !

Les poings de Loïk enserrent la nappe et mon cœur n'a jamais battu aussi rapidement. Son père lâche un soupir et tout le monde reste sous pression. Il a quelque chose à rajouter.

- Ça aurait été bien mieux que tu disparaisses définitivement quand tu étais à la rue...

Je n'entends qu'un sifflement et une porte qui se claque.
Je me lève et grimpe à l'étage. Nolwenn me voit, probablement dans le même état que son beau-frère et me rend nos affaires. Elle m'étreint rapidement avec un pardon et je cours jusqu'à dehors en espérant rattraper Loïk. La voiture est encore dans la rue, mais il n'y a aucune trace de lui. Je tâte les poches et trouve les clefs. J'enferme nos affaires dans le coffre et pars à sa recherche. Il n'a même pas son portable. Je l'appelle, je hurle son nom. Je n'ai aucune réponse. Je demande à qui veut bien me parler, s'il n'a pas vu un grand blond aux yeux vairons.

Loïk est introuvable.

Plus le temps passe et plus mon cœur bat vite. Puis une idée me vient. Je récupère mon portable et tape dans la barre de recherche une adresse et j'utilise mon GPS pour trouver mon chemin. Je ne mets que cinq minutes pour repérer les lieux et y entre. Une odeur de moisi me prend au nez et j'entends un bruit de fracas. Je l'appelle et les bruits s'accentuent. Je passe la première porte que je croise et le retrouve finalement assis au milieu de débris de siège de cinéma, complètement prostré. Je me rapproche doucement et dépose son manteau sur ses épaules avant de le prendre dans mes bras, mon torse contre son dos. Il s'accroche davantage à mes bras et sanglote plus fort.

- J'aurai dû crever... Ça aurait été mieux pour tout le monde.

- J'aurai fait comment sans toi ?

- Ta vie n'a pas besoin de problème en plus...

Je caresse ses cheveux et embrasse son crâne. Il est tremblant et complètement frigorifié. Je l'invite à se mettre debout et l'aide à enfiler sa grosse veste. Ses dents claquent. Je prends son visage entre mes mains et l'embrasse.

- Que tu le veuilles ou non, tu fais maintenant parti de ma vie.

Il cale son front dans ma nuque et je le tiens plus fort. Maintenant, j'ai peur de le lâcher. Après quelques secondes, Loïk se redresse et me prend la main pour sortir du cinéma abandonné. Je lui demande alors où l'on va.

- On récupère la voiture et on ira à l’hôtel. Je veux un endroit correcte pour t'aimer.

Mon ventre s’inonde d'une douce chaleur et nos doigts s'entrelacent. J'irai au bout du monde avec lui s'il le faut. 

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