14.

Je ne sais même plus depuis combien de temps, j'attends devant le bar. Mais depuis que je me suis levé ce matin, l'attente m'a semblé interminable. Car quand je suis revenu chez moi, le lendemain du ''sauvetage'' d'Arllem, mon père m'a gentiment privé de sortie pendant une semaine. Comme j'avais promis à Noé que je rentrerais, il n'a pas hésité à lui dire. Ce que j'ai pu concevoir. Mais ça n'a pas réduit mon envie de mettre les choses au clair avec Loïk. Je sais qu'il lit mes messages, alors je veux savoir pourquoi il ne répond pas. Et surtout, enfin comprendre pourquoi il ne veut pas d'une relation avec moi.

Je quitte des yeux le bitume quand j'entends un rire dans la rue. Melkior et Uriel se tiennent la main, comme n'importe quel couple est en droit de le faire dans la rue. Uriel rit et Melkior lui sourit. Ils semblent tellement complices tous les deux malgré leur différence flagrante. Je ne sais pas ce qu'ils se disent, mais cela semble quelque peu privé, car ils se taisent en me voyant.

- Qu'est-ce que tu fais là ? me demande brusquement Uriel.

- Arrête, tu vois bien que tu le stresses.

- Je viens voir Loïk, mais le bar est fermé, réponds-je un peu timidement.

Melkior sort un trousseau de clefs de sa poche et ouvre la porte du bar, tandis qu'Uriel me sourit.

- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais ce fut moche.

- Pourquoi ?

- Loïk a pas arrêté de faire la gueule et broyer du noir, reprend Melkior. Il n'a pas voulu nous dire, mais ça l'a empêcher de bien jouer.

- Espérons que monsieur se soit au moins donné la peine de s'entraîner chez lui.

Melkior se retourne vers lui et lui envoie un drôle de regard.

- Quoi ?

Il ne répond pas, mais son expression se fait plus sérieuse.

- Non mais t'es chiant quand tu fais ça ! s'exclame Uriel. Arrête... Mel... Bon. Ok. Notre concert est pour ce soir. Mel... On t'invite à venir.

Melkior est fier de lui et nous invite à rentrer. Il fait tellement plus chaud à l'intérieur. Uriel bougonne et part dans la partie réservée au personnel.

- J'adore ce petit pouvoir que j'ai sur lui, s'extasie le barman en plaçant le panneau des boissons derrière la porte. Si tu ne veux pas payer, il va falloir nous aider à installer.

- Pas de problèmes. Mais... Loïk n'est pas là ?

- Il a sa journée de libre puisqu'il chante ce soir. Tu devrais déposer tes affaires dans le bureau.

Il m'indique vaguement la porte et je me presse de ranger mon manteau. En plus de jouer, Loïk chante. Je crois que ça ne me rend que plus impatient. J'ai envie de l'entendre chanter.

Pendant plusieurs heures, Melkior m'indique comment installer la salle et il m'aide à disposer les tables pour laisser une place devant la scène pour ceux qui souhaiteraient danser. Esteban et Pravin ne tardent pas à arriver, eux s'occupent des instruments avec Uriel.

- Vous vous êtes rencontré comment toi et Uriel ?

Melkior relève les yeux de la table qu'il nettoyait pour les poser sur son petit-ami. Quelque chose danse dans son regard. L'amour qu'il lui porte est plus qu'évident.

- On s'est rencontré ici. J'étais que serveur au départ et lui... C'était pas un client comme les autres. Avec ce genre de regard qui te fait comprendre que t'es foutu. Et clairement, je l'étais. J'ai manqué de me faire virer en discutant avec lui à chaque fois qu'il venait.

- Et tu ne regrettes pas ?

- Jamais. Pas avec ce que je vis avec lui.

Nous nous sourions et je me retrouve vite un peu gêné avec son regard insistant.

- Quoi ?

- Loïk... Il n'a pas toujours vécu des choses simples. Mais jamais il n'a abandonné. Alors je sais qu'il reviendra.

Je m'apprête à lui demander ce qu'il entend par là, mais la porte d'entrée s'ouvre en un tintement et m'en empêche. Je tourne la tête et mes yeux croisent les siens.
Loïk se débarrasse de sa veste dans le bureau et revient sur scène. Jamais il ne me lâche du regard et jamais il ne dit un mot. Il communique avec les autres seulement avec des gestes. À de nombreuses reprises, ses yeux croisent les miens et à chaque fois, je sens mon cœur battre plus vite.
Il m'a manqué.

Nous n'attendons pas longtemps avant que les premiers clients ne débarquent. Ils commandent des boissons, parlent et rient ensemble. Je prends une place autour du bar, de sorte que je puisse voir la scène. Melkior sert une dernière bière avant de réduire la lumière dans la salle et d'allumer la scène. C'est un véritable petit concert privé et plusieurs clients ici semblant familiers au groupe amateur. Ils se font applaudir quand ils entrent sur scène. Moi, je ne vois que Loïk se placer devant un micro, une guitare sèche dans les mains.

- Bonsoir, ça fait plaisir de voir autant de monde ce soir, salue-t-il la foule avec un grand sourire.

- On t'aime Loïk ! s'extasie une voix anonyme.

- Moi aussi, je vous aime ! Mais oublier pas d'aimer les autres. Ils vont être jaloux.

Uriel lève un majeur et ça fait rire quelques personnes.
Tout le groupe se met en position et les premières notes de Demons d'Imagine Dragons sont jouées.

- When the days are cold, And the cards all fold, And the saints we see, Are all made of gold. (Lorsque les jours sont froids, Et toutes les cartes jetées, Et les saints que l'on voit, Sont tous faits d'or )

Sa voix me transperce. Mon ventre se tord.

- When your dreams all fail, And the ones we hail, Are the worst of all, And the blood's run stale. (Quand tous tes rêves échouent, Et que les seuls qui nous tombent dessus, Sont les pires de tous, Et que le sang s'est figé)

Il ne peut pas avoir choisi cette chanson pour rien. Pas avec les regards constants qu'il me lance.

- I want to hide the truth, I want to shelter you, But with the beast inside, There's nowhere we can hide (Je veux cacher la vérité, Je veux te protéger, Mais avec ce monstre à l'intérieur, Il n'y a nulle part où se cacher )

Sa voix monte en intensité, les autres derrière lui jouent un peu plus fort.

- No matter what we breed, We still are made of greed, This is my kingdom come, This is my kingdom come (Peu importe ce que l'on engendre, On reste fait d'avidité, C'est la fin pour moi, C'est la fin pour moi )

Les plus connaisseurs chantent les paroles, mais je n'entends, je ne vois et je ne vis que lui.

- When you feel my heat, Look into my eyes, It's where my demons hide, It's where my demons hide (Lorsque que tu sens ma chaleur, Regarde dans moi dans les yeux, C'est là que se cachent mes démons, C'est là que se cachent mes démons)

Lui et les putains de sentiments qui me submergent.

- Don't get too close, It's dark inside, It's where my demons hide, It's where my demons hide
(Ne t'approche pas trop, C'est sombre à l'intérieur, C'est là que se cachent mes démons, C'est là que se cachent mes démons)

Il l'a choisi pour ce qu'elle raconte et pour ce qu'il veut exprimer. Ses démons et la peur qu'il ressent face à eux.
La chanson continue et il l'achève sous une pluie d'applaudissements. Pendant une seconde, j'ai l'impression d'être seul avec lui. Il ne regarde que moi. Il dépose la guitare à côté de lui et quitte la scène pour fuir vers le couloir qui amène au bureau. Je me lève et pousse la porte pour le retrouver dans le couloir, à me tourner le dos. Le bruit de la prochaine musique est réduit et il fait presque nuit noire. Mais je n'ai pas peur. Il est avec moi.

- Loïk...

- Pourquoi tu compliques tout ?

Il se retourne vers moi et la faible lumière se reflète dans ses yeux.

- Avant toi, c'était tellement plus simple, gémit-il les larmes aux yeux. J'avais pas à me soucier de faire du mal à quelqu'un. Mais depuis que je te connais, j'ai pas arrête de te faire souffrir.

- T'as tout faux. Je me suis jamais senti aussi bien avec quelqu'un. Tu m'as aidé comme personne ne l'avait fait.

Il se mord la lèvre et s'essuie la joue.

- T'as dix-sept ans, j'en ai vingt-deux. T'es hétéro, pas moi. Et à cause de moi, t'as changé ! s'énerve-t-il. On aurait jamais dû s'embrasser ! Tu ne dois pas être comme ça à cause de moi !

Ce n'est pas de la colère qu'il ressent. Mais une immense douleur qui le ronge depuis des années. Depuis qu'il a compris ce qu'il était vraiment et que sa propre famille avait décidé de faire de lui quelqu'un d'autre. Sans lui laisser le temps de parler, je le prends dans mes bras et m'adosse contre le mur en briques.

- Tu ne m'as pas changé. Je suis toujours celui que tu as rencontré.

Ses mains s'accrochent fort à mon sweat. Je ferme les yeux et le serre plus fort. Son cœur bat tout aussi vite que le mien.

- Moi aussi je suis parfois tellement en colère que je voudrais tout détruire. Voir faire du mal aux autres juste pour qu'ils comprennent ma douleur.

Je l'entends pleurer. Mon cœur souffre avec lui.

- Mais je sais qu'il y a des personnes qui tiennent à moi. Qui ne supporteraient pas que je parte. Alors je m'accroche à eux et j'essaie de faire face, même si c'est difficile.

Je prends son visage entre mes mains, plongeant mon regard dans le sien. Ses mains s'accrochent fort à mes poignets et ses larmes se tarissent un peu.

- Ne rejettes jamais celui que tu es, juste pour faire plaisir à des gens qui ne t'aiment pas assez pour ne pas t'accepter comme tu es...

Il est obligé de se pencher vers moi quand il se redresse. Mais je garde mes mains sur ses joues, refusant de le relâcher. Son front se pose contre le mien et ses mains attrapent ma taille.

- Tu m'as tellement manqué...

- Et toi, t'as pas idée...

On se sourit et l'on s'embrasse. Calmement pour faire taire nos idées noires puis profondément pour nous retrouver.
J'ai besoin de lui dans ma vie.

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