11.

Après leur répétition, Loïk m'a proposé de faire un tour. Je n'ai pas pu refuser. De toute manière, il était hors de question que je rentre chez moi. Cette fois, il m'a emmené sur le toit d'une usine, fermée depuis plus de dix ans. De là où nous sommes, nous apercevons le quartier industriel et toute son activité.

- Je viens ici quand j'ai besoin de prendre l'air, me confie-t-il en écartant les bras.

Il s'assoit sur le rebord, les pieds dans le vide et je le rejoins, posant mon sac à côté de moi. Il sort du sien deux canettes de bière et m'en tend une.

- Tu sais que tu fais boire un mineur ?

- Je sais.

On trinque, bois et mon regard se perd sur les ouvriers. Je dois me focaliser sur autre chose que les garçons qui l'accompagnaient sur scène. Mais lui poser la question est trop tentant. J'ai besoin de savoir.

- C'était qui le garçon qu’Esteban à appelé ''mon cœur'' ?

- Pravin, son copain. On se connaît tous les quatre depuis un moment.

- Pourquoi tu m'as jamais parlé d'eux ?

- Tu ne m'as jamais demandé si j'avais d'autres amis qu'Uriel et Mel.

- Un point pour toi. Du coup, tu es le seul de tes amis à être célibataire ?

- Ne me parle pas de malheurs !

Son rire m'aide à me sentir plus léger, mais je ne parviens pas à oublier la dernière conversation qui s'est déroulée chez moi.

- Tu t'es disputé avec ton père ?

Il me regarde, inquiet.

- C'est si évident que ça ?

- Un peu. T'as presque pas dit un mot dans l'usine.

- Mon père veut m’emmener chez le psy.

Loïk se mord la joue et tourne le visage vers la rue en bas.

- Faut pas avoir honte de demander de l'aide. Moi-même, j'ai été chez un psy.

- Toi ? Mais... Pourquoi ? Enfin, t'es pas obligé de me le dire si tu n'as pas envie.

Il secoue sa tête avec un petit sourire et reprend une gorgée. Sûrement pour s'aider à parler.

- Quand j'étais ado, j'ai rapidement compris que j'étais pas comme les autres garçons. Je courais pas après les filles. Quand j'ai compris que j'étais pansexuel, mes... Mes parents ont voulu me ''soigner'', mime-t-il avec des guillemets. Parce que j'ai eu l'audace de leur dire. Mais, dans une famille ultra tradi', ça ne se fait pas. Ils m'ont envoyé voir des médecins, des psychiatres et des prêtres. Comme si j'étais habité par un démon. Au bout d'un moment, ils ne savaient plus quoi faire de moi. Alors quand j'ai eu dix-huit ans, ils m'ont foutu dehors. Personne pouvait m'héberger. Pas de famille, j'étais déjà mort pour eux. Et de mes amis, Uriel était le seul qui pouvait. Mais pas à ce moment-là. Il avait trop de problèmes à gérer lui aussi.

Je me rapproche de lui et prends sa main dans la mienne. Je veux qu'il comprenne que je ne le juge pas et que je ne le ferais jamais.

- C'est horrible de vivre dehors. J'y ai passé que sept mois et j'ai bien failli y rester. Plus d'une fois... Quand Uriel a pu me laisser venir chez lui, j'ai... J'ai fait une dépression. Parce que j'arrivais pas à croire que j'avais enfin un toit sur la tête. Et c'est à ce moment-là, que je suis allé consulter. Une bonne psy. La même que lui. Elle m'a beaucoup m'aider et grâce à elle, j'ai pu affronter mes parents et revoir mes frères. Pour leur montrer celui que j'étais devenu.

Il s'allonge, toujours les jambes dans le vide. Je dépose ma canette à peine entamée sur le bitume et m'allonge avec lui. Nos regards se perdent dans le ciel puis se croisent quand nous tournons nos têtes.

- Ça faisait bien longtemps que j'avais pas dit tout ça à quelqu'un.

- Et c'est bien ?

- Je me sens soulager que tu saches tout ça. Surtout maintenant.

Il me sourit. Je lui réponds par le même sourire. Son sourire se fait encore plus grand, lui creusant une petite fossette sur la joue. Je détourne les yeux au moment où je sens mes joues chauffées. Probablement des effets de l'alcool. Je sens sa main recouvrir la mienne et il la caresse avec son pouce. Je commence à avoir de plus en plus chaud. Je n'aurais jamais dû boire cette bière. Heureusement, mon portable se met à vibrer dans ma poche. Je m'assois pour voir de quoi il s'agit, obligeant ainsi Loïk à me relâcher.

- Merde...

Pendant un moment, j'avais oublié.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu peux me déposer à l’arrêt du bus de l’hôpital ?

Sans me poser plus de question, nous redescendons sur le parking et il démarre, une fois assurer que je sois bien installer. Le trajet dure moins longtemps que ce que je ne l'avais espéré. Je lui rends son casque et il ne coupe pas le moteur quand je redescends.

- Ça va aller ?

- Oui, oui. T'inquiète.

- Appelle-moi s'il y a quoi que ce soit.

Je le remercie une dernière fois et je le regarde s'éloigner avant de repartir en direction de la clinique privée.
J'ai du mal à comprendre pourquoi je suis ici. Pourquoi je prends même la peine de venir. À chaque fois, c'est la même chose.
Je grimpe les marches, franchis la grande porte vitré et j'affiche mon plus beau sourire à l’infirmière. Hilona. Je ne l'ai jamais vu à l’accueil auparavant.

- Bonjour, je peux vous aider ?

- Oui, je viens rendre visite à Olivia Asselin.

J'ai beau venir depuis des mois, prononcer son nom me fait toujours aussi mal.

- Et vous êtes ?

- Son fils. J'ai un droit de visite.

La jeune femme me demande de patienter et vérifie que ma génitrice ait bien le droit à des visites. Puis viens la question qui fâche.

- Je peux voir votre carte d'identité ?

Je la lui donne et comme je m'y attendais, elle fronce des sourcils.

- Je suis désolé, mais je ne peux pas vous accepter seul, vous avez moins de dix-huit ans, s'excuse-t-elle en me rendant ma carte.

Loïk aurait pu venir. Mais avec ce qu'il vient de se passer et ce qu'il m'a dit, je me voyais mal lui dire tout ça aussi.
Je m’apprête à expliquer la situation quand un visage qui m'est familier apparaît dans le hall. Georges manque de peu de faire tomber un dossier et je lui redonne avec un large sourire.

- Tu arrives plus tard que d'habitude !

- J'ai eu un problème de bus, mens-je.

Je vais éviter la vérité sur l'ami à moto fan d'urbex. Surtout au père d'Arllem.

- Tu le connais ? l’interpelle l’infirmière alors qu'il dépose les dossiers sur le bureau.

- Oui, c'est le meilleur ami de mon fils. C'est un bon gamin.

- Et c'est normal qu'il soit seul pour rendre visite ?

- Oui. Son père travaille énormément et il n'a malheureusement pas le temps de passer. Son frère est beaucoup trop jeune pour venir.

- Bon. Je veux bien le laisser passer. Mais s'il fait le moindre écart, je saurai qui accuser. Je peux prendre tes effets personnels ?

Je lui donne mon sac et mes papiers. Georges me fait signe de le suivre dans le dédale de couloirs.. Avec lui, j'ai droit aux accès du personnel. Leur ascenseur est bien plus rapide que celui pour le public.

- Est-ce qu'elle va bien ? demandé-je, plus pour combler le silence qu'autre chose.

- Elle est sur la bonne voie en ce moment.

Les portes de l’ascenseur s'ouvrent sur le couloir et il regarde le bipeur dans sa poche avant de sortir prestement.

- Elle est dans la salle commune.

- Tu ne viens pas ? commencé-je à paniquer.

- J'ai du travail à faire, mais s'il se passe quoi que ce soit, il y a des infirmières.

Il s'excuse et m'abandonne devant la porte ouverte. De là où je suis, je la vois de dos, penchée au-dessus d'une table. Ses cheveux blonds sont attachés en une natte bien faite, sûrement réalisée par une aide-soignante. Je ferme les yeux, soupire et m'engage dans la pièce. Mes baskets chouinent sur le lino et je me force pour ne pas regarder les autres patients. Seule elle, m’intéresse. Je soulève doucement une chaise et m'assois dessus.

- Coucou Maman...

Elle lève subitement la tête de son puzzle d'un paon blanc dans une jungle et m'observe, les yeux brillants. Les même yeux gris anthracite dont j'ai hérités.

- Oh mon bébé... Tu vas bien ? s’enquière-t-elle.

Sa voix est toute douce, apaisée. J'ai l'impression d'avoir retrouvé celle qu'elle était quand j'étais encore tout petit. J'aimerais tellement arrêter de lui en vouloir.

- Oui. Oui ça va très bien.

- Qu'est-ce qu'elles ont tes mains ?

Elle les retourne dans tous les sens puis j'attrape à mon tour ses poignets pour les reposés sur la table. J'ai encore du mal avec le fait qu'elle me touche.

- Rien, je suis tombé. Ça fait un petit moment d’ailleurs.

- Ah... D'accord... Et ton père ? Comment va Sam ? Il a quelqu'un ? Il continue la musique ? Il aime tellement ça, la musique.

- Je sais Maman, il aime beaucoup la musique. Mais il a trouvé du travail. Deux, en fait. Mais il a perdu ses heures de nuit. Donc il en recherche un autre. Ça ne lui laisse pas beaucoup de temps pour jouer et s'occuper de Noé. Mais je suis là pour l'aider.

- Ça doit être dur pour ton père... Il doit avoir du mal avec tout ça, Sam... Il aime tellement la musique...

Elle baisse la tête et replonge dans son puzzle.

- Mon beau Sam...

Elle vient de repartir. C'est donc l'heure pour moi de quitter cet endroit. Je m’apprête à me lever, mais elle me retient par le bras.

- Tu t'en vas ?

- J'ai des devoirs à faire, j'ai le bac à passer, brodé-je.

- Tu peux les faire ici, j'aime tellement quand tu es là, mon petit hérisson.

- Non vraiment, il faut que j'y aille. Je dois m'occuper de Noé.

Sa prise se fait plus forte sur mon bras puis elle me relâche. Elle n'avait donc pas entendu son prénom la première fois.

- Quoi ? Noé ? Toi aussi, il te parle ? Toi aussi, tu le vois ?

- Noé est vivant Maman. Il a treize ans depuis quelques semaines.

Sa respiration n'a plus aucun sens. Elle est en train de sombrer une nouvelle fois. Ses poings se serrent et se desserrent, plantant ses ongles dans ses paumes.

- Non... Non... Il est mort à huit ans. Je le sais, je l'ai vu. Il était dans mes bras... Je le serrais fort et puis...

Je me lève brusquement, écartant la chaise derrière moi. J'essaie d'effacer les souvenirs. J'essaie d'oublier ce qu'elle à tenter de faire. Mais à chaque fois que je la vois, je finis par revivre cette scène. Encore et encore.

- Tristan ? Qu'est-ce que tu as ?

- Je peux pas rester plus de cinq minutes avec toi sans repenser à tout ce que tu as fait. Voilà ce que j'ai.

- Mais je ne te ferais jamais de mal, mon petit hérisson ! Ni à Sam !

- Tu oublies encore Noé. Encore et toujours Noé.

- Ce n'est pas un garçon normal... Ce n'est pas un garçon comme lui que je voulais...

Je range la chaise à sa place et quitte la pièce au pas de course, sans me retourner vers elle. Je sais qu'elle est la seule personne que j'aime aussi fort autant que je la hais.
Dans le hall, j'ai le droit au regard désolé de Georges et de l’infirmière de l’accueil. Je récupère mes affaires silencieusement et je me mords fort les lèvres pour ne pas hurler une fois sur le parking. J'aurais tout de suite le droit à une chambre ici. Mon sac finit au sol et je sors une cigarette de mon paquet. Ça fait longtemps que je n'ai pas fumé, Loïk m'aidait à ne plus y penser. Mais je ne parviens pas à l'allumer avec mes mains frissonnantes. Je tremble. J'ai besoin de partir, de parler à quelqu'un de censé. Je prends mon portable et compose son numéro. Loïk est la seule personne dont je sois certain de sa capacité d'écoute.

- Tristan ? Ça va ?

- Je suis à la clinique des Quitaines, à côté de l’hôpital. Tu peux venir me chercher ? Je crois que... Je vais craquer.

- Je suis là dans cinq minutes.

Et je le vois débarquer à peine cinq minutes plus tard, sur sa moto. Il coupe le moteur, descend en abaissant sa béquille, enlève son casque qu'il pose sur l'assis et me sourit timidement. Je me dirige vers lui, laisse mon sac glisser le long de mon bras pour atterrir sur le bitume et je viens contre son torse. Ses bras m'entourent aussitôt et je plonge mon nez dans sa nuque pour profiter de sa chaleur et de son odeur acidulée. Mes doigts s’accrochent à son sweat sous sa veste molletonnée. Sa main part à l'arrière de mon crâne et il me câline tendrement. Sa voix commence à vibrer et il fredonne l'air de Will ends.
Je ne sais pas ce qu'il représente pour moi, mais je ne veux pas que ça s’arrête.

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