En se dirigeant vers l'arrêt de bus, Thomas fut rattrapé par Mika qui lui offrit un sourire sans vie. Il se figea encore une fois, angoissé par la présence du plus grand.

''On va chez moi ?'' demanda Mika avec un naturel qui frisait la stupidité.

Chez lui ? Hors de question ! Il y avait déjà mis les pieds et ne voulait plus jamais y retourner. À moins, bien sûr, que son père soit là. Mika ne s'en prendrait jamais à lui devant son père. Non ? Et puis, son paternel avait été gentil de le reconduire sans poser de questions la dernière fois. Le bras de Mika vint rouler sur ses hanches pendant qu'il baissait la tête dans sa direction pour lui murmurer des mots doux à l'oreille.

''Mon père ne sera pas là. On pourra être tranquille.''

La question était réglée. Hors de question qu'il aille chez le sociopathe. Il tenta d'enlever la main de Mika de sa taille. Comme il détestait ce toucher. Le toucher de celui qui lui avait enlevé tout bonheur. Son geste sembla déplaire au châtain et il se rendit compte qu'il était en situation de faiblesse. Les sociopathes n'était-il pas impulsif ? Il devrait tenter de le provoquer le moins possible.

''Je vais rentrer chez moi Mika. On... on se voit demain.''

''D'accord. Allons chez toi. Ta mère semble gentille. Elle me fait penser à la mienne. Je vais rencontrer ton père aussi ?''

Thomas déglutit. Comment dire à son bourreau qu'il ne voulait pas être suivi jusqu'à chez lui, sans pour autant réveiller sa colère ?

''Non. Tu... J'aimerais...''

''Non ? Ton père ne sera pas là ?''

Thomas baissa le regard au sol. Pourquoi devait-il parler de son père ? Il ne pensait jamais à son géniteur. Il n'avait aucune envie de penser à lui maintenant.

''J'ai pas de père. Il... il nous a abandonné pour une autre femme quand j'avais 8 ans.''

Mika fit la dernière chose à lequel Thomas s'attendait. Il le serra dans ses bras dans une tentative de réconfort. Ce fut l'effet inverse qui se produisit. La respiration de Thomas s'emballa et ses sanglots furent étouffés par de faibles soubresauts. Dans sa tête, une seule phrase se répétait en boucle : Ne me touche pas. Ne me touche pas. On aurait pu croire que Mika avait compris le souhait muet de Thomas, mais le niveau sociale du jeune athlète était trop bas pour qu'il saisisse les émotions des autres. Néanmoins, il le relâcha.

''Ne pleure pas, Tommy. Les hommes c'est tous des enfoirés. Mon père trompait ma mère. Elle l'a su sur son lit de mort. Ne jamais s'attendre à rien de personne.''

Thomas observa Mika, incertain. Se moquait-il subtilement de lui ? Il ouvrit la bouche pour parler et la seule chose qu'il trouva à dire fut:

''Ta mère est morte ?''

Mika haussa les épaules et tourna son regard vers la rue.

''Le cancer, quand j'avais 12 ans.''

La réponse ne semblait pas remuer une quelconque émotion chez le sportif. Comme si ce dernier se moquait royalement de ce qui avait pu arriver à sa mère. Comme si ce n'était qu'un aléas de la vie, sans plus d'intérêt.

Même si Mika avait cessé de le toucher, Thomas se sentait comme un petit garçon terrifié. Les endroits où le châtain l'avait touché, picotaient. Il n'était pas du tout à l'aise en sa présence, encore moins à l'idée de partager quoi que ce soit avec lui. La vie de son bourreau ne l'intéressait pas, il ne voulait rien avoir à faire avec lui. Pourquoi avait-il posé la question ? Pour chercher un brin d'humanité chez ce monstre ?

''Je rentre chez moi. Seul.'' dit-il d'une voix ferme.

Mika reporta son regard sur Thomas.

''Je viens. Sinon, c'est impossible que je gagne mon pari.''

C'était inimaginable qu'il le gagne, mais Thomas n'avait pas d'énergie à dépenser sur un garçon aussi buté que Mika. Les deux hommes marchèrent donc en silence vers la maison du brun. Il prit soin d'imposer une distance physique entre eux-deux et se meurtrit les lèvres tout le long du trajet, anxieux. Une fois arrivés, sa mère se précipita sur son fils et Mika.

''Mika, quel plaisir de te voir ! Tu restes pour dîner ?''

''Seulement si c'est moi qui cuisine.'' répondit-il avec un petit sourire.

La femme fut surprise de cette proposition, mais le garçon se dirigeait déjà vers les fourneaux. Elle se retourna vers son fils pour lui offrir un câlin.

''Vous vous êtes parlés ? Vous vous êtes réconciliés ?''

Thomas baissa la tête. Non. Non, ils ne s'étaient en rien réconciliés, mais comment l'expliquer à sa mère sans passer par le noeud du problème ? Le châtain était ici contre son gré, et s'il essayait de le faire sortir de sa maison, il risquerait de mettre des mots sur son incident et il était hors de question que sa mère ne l'entende.

''Ce n'est pas mon ami.'' se contenta-t-il de répondre.

''Et ton petit ami, alors ?'' demanda-t-elle avec un sourire malicieux.

Les yeux de Thomas s'écarquillèrent sous le choc. Sa mère était folle de croire que ce monstre était quelqu'un de cher à son coeur ! Mais comment lui faire prendre conscience de sa capacité à se voiler la face devant son fils, désespéré par la situation ?

''Non ! s'énerva-t-il. Maman, arrête ! Je ne sors pas avec et je ne suis pas son ami. Il est ici, car... on a un travail d'équipe à faire.''

Il évita son regard une fois son mensonge énoncé. Sa mère lui embrassa le front et dit d'une voix calme :

''Désolé, trésors. Il est mignon, j'ai cru qu'il pourrait être ton genre. Et puis, si toi tu n'es pas intéressé, lui il l'est clairement.''

Elle finit sa phrase en tapant dans ses mains. Il n'en avait rien à faire des sentiments de son camarade, tout ce qu'il cherchait était la paix intérieure et elle ne lui serait jamais octroyée si Mika persistait à parasiter sa vie.

''Au fait, je suis aller chercher tes médicaments à la pharmacie.'' informa sa mère.

Thomas hocha la tête et Mika réapparu à côté d'eux, intéressé.

" Des médicaments ? Tu prend des médicaments, Tommy ?'' demanda-t-il.

Il voulut évincer le sujet, lui répliquer que ce genre de chose ne le concernait pas, mais sa génitrice était une fois de plus trop rapide. De toute façon, il n'aurait pas eu le courage de finir sa phrase.

''Thomas est souvent stressé, il est sujet à des crises d'angoisses. Alors il prend des médicaments pour se calmer. Son anxiété est pire depuis le mois dernier. Ça lui a causé des ulcères d'estomac, il doit donc aussi prendre des...''

''Maman ! l'interrompit-il en la foudroyant du regard. Arrête. Ça... Il n'a pas besoin de savoir que...''

''Mon poussin, il n'y a aucune honte à avoir ! D'ailleurs, il prend aussi des anti-dépresseurs. Il a subit beaucoup d'intimidation ces derniers t...''

''Maman !'' hurla-t-il pratiquement.

Les larmes lui montèrent aux yeux. Sa mère était aussi butée que Mika. Elle ne dérogeait pas de sa façon de penser, elle ne comprenait pas les sentiments de son propre fils. Il se sentait abandonné, seul. Comble du malheur, le regard de Mika ne présageait rien de bon. Il allait sûrement utiliser cette information à des fins personnels, pour se moquer de lui. Les larmes glissèrent sur ses joues et il partit s'enfermer dans sa chambre, claquant la porte pour marquer son ire. Il se jeta sur son lit et pleura sous sa couverture, un sentiment de mal-être lui prenant la gorge. Au bout d'un moment, sa mère vint le rejoindre. Elle s'assit sur le bord du matelas et posa une main sur la couette qui recouvrait le garçon.

''Mon coeur ? J'ai reconduit Mika à la porte. Il est partit. Veux-tu bien me dire ce qu'il t'arrive ? Je ne te reconnais plus ! Où est passé mon petit garçon souriant qui voulait toujours aider tout le monde ? Lui qui souriait à la vie et qui était gentil même avec les inconnus croisés dans la rue ?''

La nouvelle concernant la disparition de son tortionnaire aurait dû alléger sa peine, mais ce n'était pas le cas. Parce qu'il y avait une certitude qui obscurcissait le reste : Mika serait présent à l'école, le lendemain. Et de nouveau, son angoisse lui serrerais la poitrine, la gorge, lui donnerait la nausée, lui promettrait une journée de calvaire. Il ne répondit jamais à sa mère qui vint finalement se coucher à ses côtés et le prendre dans ses bras, par-dessus la couette. Doucement, elle lui chuchota, perdue face à la détresse de son enfant :

''Je suis là mon ange. Tout va bien. Je suis là.''