Chapitre 7
Lorsque Thomas se sentit mieux, il put retourner à l'école. L'angoisse au ventre, il se promit qu'il ne se ferait plus avoir par des cadeaux d'inconnu. Le premier cours qu'il eut n'était pas en commun avec ses harceleurs. Il put donc souffler et constater le retard qu'il avait avec effroi. Le deuxième cours de la journée fut malheureusement en commun avec le châtain clair. Il dû boire un litre d'eau et s'asperger le visage pour refroidir sa terreur. Mika était venu chez lui. Il n'était plus en sécurité nulle part, même dans une salle de classe.
Il arriva dans la salle et remarqua les visages qui se tournaient vers lui à son passage. L'anxiété prit le dessus. Il baissa la tête au sol et perdit le fil de sa respiration. Il arriva néanmoins à trouver son pupitre et à s'y installer. Lorsqu'il releva la tête, ce fut pour laisser la peur le gagner.
Sur le tableau à craie, il y avait le même dessin que la dernière fois. Une langue léchant un phallus. La seule chose qui changeait était la phrase à côté : Mika aime sucer Thomas. Était-ce lui, son bourreau, qui se moquait encore de lui ? Où l'attaque visait-elle Mika ? Dans ce cas, qui aurait pu être au courant ? Cela voulait dire que lors de son agression dans les vestiaires, ils n'étaient pas seuls. Et que cet inconnu ne l'avait absolument pas aidé. Thomas balaya la pièce du regard et s'arrêta sur Laurent qui, une craie à la main, riait avec son ami, Max.
Que devait-il faire ? Devait-il effacer le dessin avant que le reste de la classe ne le voit ? Avant que son bourreau n'arrive ? Qu'arriverait-il une fois que le châtain tomberait sur ce graffitis ? En rirait-il ? Se vengerait-il sur lui ? Cependant, il ne pourrait supporter les regards curieux et malsain de ses camarades s'il osait se lever pour supprimer la trace des âneries des deux garçons. Il vint se tordre les doigts sous le bureau, tentant de ne penser à rien, de faire abstraction du décors. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Ne pas réagir. Mais voilà que les larmes arrivaient déjà à ses yeux. Quand aurait-il le droit à une journée de repos sans qu'on le pointe du doigt ? Quand est-ce qu'il cesserait d'être le souffre-douleur des gens ? Il aurait souhaité être invisible aux yeux de tous.
Le brouhaha ambiant prit fin ce qui attira l'attention de Thomas qui releva la tête pour fixer ce que tous les élèves regardaient. Mika venait d'entrer dans la classe et, inconscient d'être le centre de l'attention, il se dirigea à son bureau tranquillement. Soudain, Thomas se rendit compte qu'il cherchait le regard de son violeur. Il avait besoin d'être rassuré. Il avait besoin que Mika réagisse, qu'il lui promette de crier vengeance, qu'il fasse taire les gens. Il avait trop souffert, il ne voulait pas être réduit à un mot, à un acte. Il était plus que cela. Après tout, l'adolescent lui avait promis de faire taire l'intimidation, il se devait d'endosser le rôle qu'il s'était lui-même octroyé. Cependant, Mika ne lui adressa aucun regard.
Le garçon s'assit à son bureau et observa finalement le tableau. Un sourire narquois apparut sur son visage. Laurent s'approcha de lui par derrière et lui lança le regard le plus méprisant de la terre.
''J'ai enfin compris pourquoi tu défendais la pédale. En fait, tu te la tape ! Je suis pas con, tu sais. Tu ne te cache même pas pour admirer ses photos de ta galerie.'' dit-il d'un ton méprisant.
Thomas tenta de disparaître derrière ses mains. Laurent était-il obligé de parler aussi fort ? La voix morne de Mika répondit :
''Sais-tu seulement dessiner des queues Laurent ? Si c'est le cas, tes talents en art laisse vraiment à désirer.''
''Je n'ai pas besoin d'avoir du talent en art pour faire passer mon message. Les gens doivent savoir la vérité.'' répliqua son ami avec dédain.
''Quelle vérité Laurent ? Ce que tu as écris est un mensonge. Il a refusé toutes les fois où je le lui ait proposé.''
Thomas glissa sur sa chaise, espérant presque que le sol s'ouvre sous ses pieds afin de disparaître pour toujours. Comment pouvait-il dire cela sans éprouver la moindre gêne ? Comment pouvait-il simplement normaliser son geste ?
''Alors tu ne nie pas ? Enculé, je le savais !'' cracha le jeune homme.
Si Laurent tentait d'être blessant, Mika ne semblait pas du tout atteint par ses propos. Son sourire mauvais flottait toujours sur son visage.
''Dis-moi Laurent, que crois-tu que mon père va penser de ce dessin ?'' demanda-t-il avec arrogance.
Laurent voulut répliquer qu'il s'en contre-fichait, mais la professeure entra dans la classe et il s'enfonça dans son siège. La dame observa un moment le dessin au tableau avant de se retourner, furieuse, vers le groupe.
''Qui as fait ça ?'' demanda-t-elle en sondant la classe.
Personne ne répondit. Tous firent mine d'observer les alentours afin de ne pas rencontrer le regard incandescent de l'adulte.
''Qui as fait ça ? Montrer moi vos mains ! L'intimidation ne sera pas permis dans ma classe.'' gronda-t-elle, fusillant du regard tous ceux présents dans la salle.
Elle commença à se promener dans les rangs à la recherche de résidus de craie sur les paumes de ses élèves, l'oeil aiguisé. Arrivée devant Laurent, il s'essuya sur ses pantalons, coupable, mais les traces blanchâtres parurent sur son jean foncé. La professeure le fusilla du regard et ordonna :
''Dans le bureau du directeur, maintenant !''
Laurent tenta de se justifier vainement :
''C'était pour rire madame. Mika est mon pote.''
Elle lui rit au nez.
''Trouvez-vous qu'il semble en plaisanter ? Thomas est-il en train de rigoler ? Peu m'importe ce qu'ils font en privé, il n'y a pas matière à se moquer. Chez le directeur, maintenant !''
Thomas aurait voulu s'offusquer, crier qu'il n'y avait rien entre eux deux, qu'il n'était qu'une victime dans toute cette affaire, mais il subissait déjà le poids de leurs regards. Alors il se tut et baissa la tête, se mordant la lèvre inférieure pour réfréner sa détresse. Laurent se leva avec colère, passa devant le bureau de son "ami" et sortit en claquant la porte tandis que Mika lui adressa un dernier sourire fier avant de commenter :
''Amuses-toi bien avec mon père, pauvre con !''
Quand Laurent eut quitté la classe, la professeure se mit à enseigner comme si l'incident était dorénavant clos. Elle leur donna un futur travail de groupe et s'empressa de les répartir en différentes équipes à la fin de l'heure. Visiblement, la vie s'acharnait sur Thomas puisque son nom fut assorti à celui qu'il haïssait le plus au monde.
''Thomas, tu seras avec Mikaël.''
Son monde s'effondra, si encore il en restait quelque chose... Il ne pouvait pas être avec ce garçon. Il ne voulait plus rien avoir à faire avec Mika. L'angoisse le tenaillait. Il allait faire une crise de panique. Il vit Mika se lever et prendre ses affaires pour venir s'installer au pupitre libre à ses côtés. Thomas sentit l'acide remonter son oesophage et se leva d'un bond pour courir au toilette, vomir et pleurer. Il ne pourrait pas. Il devait changer d'école. Il devait ne plus jamais voir ce visage de toute sa vie. Il était terrifié.
Il se cloîtra dans les sanitaires afin de pleurer, loin du monde cruel qui l'entourait. Il y resta jusqu'à ce que la cloche du midi sonne et il attendit en silence que le brouhaha des élèves sortant de cours se calme avant de sortir. Il se dirigea vers la salle des professeurs, résolu. Après s'être présenté devant la porte, il quémanda la présence de sa professeure qui vint à son encontre, surprise.
''Thomas, tu vas bien ? Tu es tout pâle. Si tu es malade, il vaut mieux que tu rentres chez toi.''
''Est-ce que vous pouvez me changer d'équipe s'il vous plaît ?'' demanda-t-il d'une voix tremblante.
''Pardon ?''
''Je ne... je peux avoir un autre... partenaire ?'' supplia-t-il.
L'enseignante semblait surprise de sa demande.
''Thomas, si ça concerne ces rumeurs entre vous deux...''
''Non. Ça ne concerne pas ça. Il... On...'' coupa-t-il avec virulence avant de chercher ses mots.
Il ne savait même pas comment finir sa phrase et les larmes venaient inonder ses yeux.
''Je veux juste être en équipe avec quelqu'un d'autre. S'il vous plaît.''
''Mikaël m'a proposé lui-même d'être en équipe avec vous. Il avait de bons arguments. Il a des notes parfaites et vous avez des notes passables. Travailler avec lui remontera votre moyenne et...''
''S'il vous plaît. Je ne l'aime pas. Il... il me fait peur et...'' insista-t-il avec détresse.
L'enseignante l'observa un moment en analysant la situation. Elle déposa sa main sur l'épaule de Thomas pour parler d'une voix douce :
''Si Mika t'intimide, il faut que tu nous le dise.''
''Je veux juste changer d'équipe.'' se buta-t-il à répondre.
Il voulait également tout oublier. Ne plus se souvenir. Effacer ce dernier mois. Supprimer les images des vestiaires, de sa maison. Terrasser son angoisse.
''Les équipes sont déjà formées, mais si tu es prêt à faire le travail seul, je peux informer Mika qu'il le fera seul aussi.''
''Merci madame.'' souffla-t-il, soulagé.
Il avait maintenant un poids de moins sur ses frêles épaules. Cependant, les larmes coulaient sur ses joues alors qu'il se dirigeait vers le self où James l'attendait, anxieux.
''Tom ! s'exclama ce dernier à son approche. C'est quoi cette histoire ? Tu sors avec Mika ?! Le freak* ?''
Thomas secoua fermement la tête afin de signifier un "non" plus que catégorique, mais son meilleur ami insista :
''Alors, c'est quoi cette histoire de lui qui te suce ? Oh ! Il paraît que Laurent s'est fait suspendre pour une semaine. Tu m'expliques ? Tu es avec eux en classe, non ?''
Thomas baissa la tête vers son repas. Il avait l'impression d'être acculé face à ce flot de questions incessantes. Quelles explications souhaitaient-ils entendre ? Voulait-il l'entendre dire à quel point sa vie était un enfer depuis qu'il avait osé avouer aimer son meilleur ami ? Qu'elle était devenue une épreuve à chaque fois qu'il mettait les pieds à l'école ? Qu'il était la risée de sa classe simplement parce qu'il aimait les garçons ? Non, merci, songea-t-il avec aigreur. Il était faible, mais il ne voulait pas que tout le monde sache à quel point. Et de toute façon, James ne pourrait jamais le protéger. Peut-être qu'il pourrait être un rempart aux agressions physiques, mais celles-ci n'avaient plus lieu. Ce qui le faisait le plus souffrir était son esprit. Et malheureusement, son meilleur ami ne pouvait rien y faire. L'angoisse constante qu'il ressentait amputait ses nuits, nourrissait sa paranoïa, le faisait trembler comme un petit garçon terrifié, l'asphyxiait. Il ne serait jamais tranquille tant que Mika traînerait dans les parages, tant que son ombre le suivrait à la trace sans lui laisser de répit. Il ne pourrait pas avancer tant que celui-ci serait proche de lui, tant que son regard vide de toute vie continuerait de se poser sur lui.
*Freak : expression qui signifie "monstre", une façon de dire qu'un individu est "dérangé"
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