Chapitre 11

Mika était assis sur une chaise et observait la pièce dans lequel il se trouvait en se mordillant la peau morte du bout de ses doigts. C'était signe d'anxiété chez lui, sa psychiatre ne le savait que trop bien. Elle suivait son développement psychologique depuis qu'il avait 8 ans. Elle griffonna quelque chose sur sa feuille et le regard morne de Mika vint se fixer sur elle.

''Votre bureau est plus jolie.'' commenta-t-il.

La femme avait dans la quarantaine. Des cheveux, des yeux et une couleur de peau tous de la même couleur : brun chocolat. Elle avait de jolie lèvres selon le garçon, mais sans plus. Elle lui lança un sourire.

''C'est gentil Mikaël. Quand tu auras le droit de sortir de l'hôpital, nous continuerons nos scéance là-bas.''

Chaque semaine, l'adolescent avait rendez-vous avec elle, parfois même jusqu'à deux fois dans la même semaine et ce, depuis presque dix ans maintenant. Elle l'avait vu grandir, évoluer, progresser et rechuter de nombreuses fois. Lorsque sa mère était morte, elle avait cru complètement le perdre, mais il avait fini par accepter de poursuivre leur séance. Surtout parce que sa génitrice le voulait. Il respectait ainsi son voeu à défaut de se réfugier dans des bras dorénavant inexsitant.

''Dis-moi Mikaël, pourquoi avoir pris ces médicaments ?''

''Question stupide. Pourquoi vide-t-on deux pots entier de médoc, d'habitude ?'' rétorqua-t-il en haussant les épaules.

''J'aimerais te l'entendre dire.'' répondit-elle avec calme et patience.

''Je voulais mourir.''

Il avait dit cela avec naturel, sans une once d'émotions dans la voix. Comme s'il s'agissait d'un geste aussi simple que d'aller manger ou bien dormir. Il n'y avait également aucun remords. Si c'était à refaire, ce serait sans doute sans hésitation. Un frisson d'effroi parcourut le dos de la jeune femme. Elle ne voulait pas que son patient se donne la mort. Il était encore si jeune...

''Et pourquoi voulais-tu mourir Mikaël ?''

Mika s'arracha un gros morceau de peau de son pouce. Le sang se mit à perler à la lisière de son ongle, mais la douleur était si minime qu'il continua sur un autre doigt tout en fixant sa psychiatre.

''Vous ne posez pas les bonnes questions.''répondit-il.

Elle se redressa sur sa chaise avant de griffonner sur son morceau de papier.

" Tu te mutiles encore ?''

''Vous ne posez pas les bonnes questions.'' répéta le châtain.

Elle le fixa un moment avant de lui lancer un sourire encourageant.

''Quel sont les bonnes questions, Mikaël ?''

''Je ne sais pas.''

''De quoi veux-tu parler, alors ?''

Mika cessa de s'arracher la peau, observa son doigt meurtri, puis reporta son attention sur les murs blanc de la pièce. De quoi voulait-il parler ?

''J'ai violé un gars.''

Voilà. C'était dit. Il l'avait fait. Il l'acceptait.

Combien de fois sa mère lui avait dit de ne jamais forcer les autres à exécuter des choses qu'ils n'auraient pas envie de faire ? Que n'avait-il pas compris là-dedans ? Sur le moment, il avait cru que Thomas souhaitait ce qu'il s'était passé. Il en avait été persuadé. Après tout, le garçon aimait les hommes, pourquoi n'aurait-il pas souhaité coucher avec lui ? Certes, il avait protesté, mais Mika l'avait mis sur le compte de la peur. Perdre sa virginité était toujours une étape terrifiante et importante dans la vie. Sauf qu'il l'avait bel et bien violé. Thomas avait été plus que clair sur ce sujet.

Il reporta son attention sur la jeune femme qui, jambes croisées, l'observait avec un visage impassible. Elle était douée pour cela. Aucune émotions ne filtraient jamais. Elle avait sûrement rapidement compris que dans son métier, il n'était pas acceptable de juger. Ou de laisser ses émotions dictées sa conduite.

''Comment te sens-tu par rapport à cela ?''

''Je ne ressens rien. J'ai aimé ça.'' répondit Mika qui se savait être coupable d'un acte effroyable.

Sa psychiatre l'observa un moment avant de noter quelque chose sur une de ses feuilles. Mika s'insurgea :

''Je ne suis pas complétement stupide ! Je sais que ce n'est pas la bonne chose à dire. Je sais que vous êtes tenu au secret professionnel, sauf si vous croyez que ma vie ou celle d'un autre est en danger. Mais je ne ressens rien. Rien du tout. Je sais que forcer quelqu'un n'est pas la chose à faire, mais je ne ressens rien. Je m'en fou.''

''Je sais. Il t'es impossible d'éprouver du remord Mikaël. Si tu m'en parles, c'est qu'il y a forcément quelque chose qui te dérange dans cette histoire, non ? Qu'en est-il ?"

Mika laissa sa tête tomber sur son épaule un moment. Il analysa ce que sa psy venait de lui dire en silence. Lentement, il finit par répondre :

''J'ai tout gâché, comme toujours. Je suis un monstre.''

"Comprends-tu que le viol est une action punis par la loi ? C'est un délit. C'est mal. Le comprends-tu ?''

Il lâcha un profond soupir et roula des yeux avant de répondre :

''Non. Je sais que je ne dois pas faire ça, mais je ne comprends pas pourquoi. Ça me fait du bien, pourquoi les autres n'aimerait pas ?''

"Parce que ce qui te fais du bien, ne fait pas forcément du bien aux autres. Tu ne dois pas transposer ton plaisir sur ton interlocuteur. Si frapper quelqu'un te fait du bien, crois-tu que la victime, elle, apprécie ? Non. Elle a mal. Autant physiquement que mentalement."

Et comment pouvait-il savoir ce que les autres appréciaient ou non ? D'après ce que leurs camarades avaient écrit sur le tableau, Thomas aimait sucer. Comment était-il censé savoir s'il s'agissait d'une vérité ou d'un mensonge ? En déchiffrant son visage ? Il était tellement mauvais pour comprendre cela. Les émotions étaient quelque chose de tellement abstrait pour lui. Pourquoi les humains n'étaient pas fourni avec un mode d'emploie ? Ce serait tellement plus simple.

Un jour, il avait essayé de ressentir quoi que ce soit. On lui avait dit les larmes pouvaient couler pour plusieurs raison : de joie, de tristesse, de douleur... Sauf qu'il était incapable de les différencier. Lui ne pleurait que lorsqu'il avait physiquement mal. Comment déterminer les émotions chez les autres ?

''Il me déteste. Il me l'a dit.''

''En es-tu surpris ?'' demanda la psychiatre.

''C'était il y a un mois. Il m'en veut encore.''

''Mikaël, qu'avons-nous dit à propos des blessures psychologiques ?''

Mika réfléchit un moment, puis sortit la phrase qu'il s'était répété de nombreuses fois en tête :

''Qu'il prennent plus de temps à guérir que les blessures physiques.''

''C'est très bien. Vois-tu, même si les marques sur son corps ont disparu, il continue de souffrir en lui.''

''Mais c'était il y a un mois.'' insista le châtain.

La psychiatre lui sourit avant d'enchaîner :

''Je vais essayer de t'expliquer avec des mots différents. Imagine que tu fais du vélo. Tu adore faire du vélo. C'est la chose que tu aimes le plus au monde. Un homme arrive et te pousse brutalement de ta bicyclette. Tu tombes et tu te fais mal. Comment réagisse-tu ?''

''Je le frappe.'' répondit aussitôt Mika.

Elle lui lança un regard compatissant. Il était souvent là le problème avec les sociopathes. Ils étaient impulsif et agissaient sans prendre le temps de mesurer les conséquences de leurs actes. Le fait de n'éprouver aucun remord après leurs actions les rendaient très dangereux.

''Qu'avons-nous dit à propos de la violence ?''

''Quelle n'est jamais la solution, mais il m'a poussé en premier !''

''Nous ne sommes pas là pour juger les actes des autres Mikaël, mais pour t'aider à t'intégrer dans la société. Que fais-tu après être tombé au sol ?''

''Je me relève.''

''Est-ce que tu te remets sur ton vélo ?''

Mika rit jaune et lui lança un regard de mépris.

''Non. Je ne suis pas con. Il va me repousser.''

''Bien, très bien. Donc quand il est là, tu ne fais pas de vélo, mais quand il s'en va, tu en fais ?''

Où donc voulait-elle en venir ? Quel rapport y avait-il avec son Tommy ?

''Imagine Mikaël, qu'en tombant, tu te brises les jambes. On te la guérit, mais on t'apprends que tu ne pourras plus jamais faire de vélo de ta vie. Comment réagis-tu ?"

L'adolescent contracta sa mâchoire et serra les dents. Il jeta un regard noir en direction de la porte, puis vers la femme à la peau noire devant lui.

''Je suis en colère.''

''Contre qui ?''

''Contre cet idiot qui m'a poussé.''

''Cette colère va-t-elle s'estomper ?''

''Pas tant qu'il sera en vie.''

Sa psychiatre griffonna quelque chose sur sa feuille. Il détestait quand elle faisait cela.

''Ce garçon que tu as violé, sa confiance en lui, en la vie, c'était son vélo. En le violant, tu l'as poussé en bas. Il s'est fait horriblement mal. Tout comme toi, il s'est brisé une jambe et ne pourra plus jamais faire de vélo de sa vie. Lorsque tu es dans les parages, il a peur. Peur que tu lui fasse encore mal. Peur que de nouveau, tu le pousse au sol.''

Mika se remit soudainement à grignoter la peau de ses doigts, comprenant peu à peu les sentiments de son camarade Thomas, même si le but n'avait jamais été de lui faire du mal.

''Mikaël, as-tu l'intention de violé une personne, à nouveau ?"

Le garçon ne la voyait plus. Le regard rivé sur le sol, il tenta de déchiffrer toutes les actions qu'il avait faites dans le passé. Il répondit dans un murmure, plus pour lui-même que pour un autre :

''Il ne pourra plus faire de vélo.''

''Pardon ?''

''Non, car il ne pourra plus faire de vélo.''

La psychiatre lui sourit et gribouilla d'autres mots sur son cahier.

''Même si l'envie te prends, vas-tu être capable de t'arrêter tout seul ? Vas-tu être capable d'analyser tes actes ?"

''Mes actes ?'' releva le jeune homme en fronçant les sourcils.

''Oui, si tu es en train de faire des choses sexuelles avec une autre personne et que la personne demande à ce que tu arrêtes. Serais-tu capable d'accéder à sa demande ?"

''On finit ce qu'on commence.'' répondit-il avec automatisme.

"Si tu fais ça, Mikaël, ça s'appelle un viol. Même s'il y a pénétration de ta part, si la personne réclame un arrêt de l'acte, tu dois te retirer."

''Mais si j'ai pas jouis ?'' demanda-t-il tel un enfant capricieux.

De nouveau, son crayon dansa sur la feuille.

''Mikaël, il est important que tu saches que ton bonheur ne priorise pas sur celui des autres. Même si tu n'as pas jouis, tu dois te retirer.''

Mika commençait à avoir des difficultés pour assimiler tout ce que lui disait la jeune femme. Comment était-il censé savoir s'il s'agissait d'un viol ou non ? Pourquoi tout devait être aussi compliqué ? Sa mère n'avait jamais semblé faire des efforts pour être gentille. Pourquoi n'y arrivait-il pas ? Pourquoi n'était-ce pas simple ?

''Je vais te donner des conseils que tu devras suivre pour savoir quand t'arrêter et juger de la situation.''

Le grand châtain se redressa sur sa chaise, signe qu'il écoutait attentivement.

''Si la personne dit "non", "stop", "arrête", "je ne veux pas", "ne me touche pas", arrête tout de suite ce que tu fais. Tu dois l'écouter. Ne présume jamais quelque chose, Mikaël. Ecoute. Tends l'oreille, soit attentif. Vérifie à la source. S'il te dit ça, c'est qu'il y a une raison derrière son refus. Et un refus doit toujours être respecter. Ne force pas. Même si tu en as envie.Tu dois obtenir le consentement de l'autre personne et s'il ne veut pas te le donner, tu dois respecter son choix."

''Et pour Tommy ?'' demanda-t-il, curieux.

''Qui est Tommy ?''

''Le garçon que j'ai violé.''

Sa psychiatre le fixa un moment, puis inscrivit le nom sur son document.

"Je te conseille de le laisser tranquille. N'essaye pas de recoller les morceaux que tu as brisé. Il n'arrivera jamais à passer au-dessus de cette épreuve s'il sent la pression de ton ombre dans son dos. Tu dois le laisser vivre sa vie. S'il ne veut plus te voir, tu dois respecter ce choix. Laisse-le se reconstruire tout seul."

Mika baissa la tête en serrant les poings. Il avait tout gâché, comme toujours. Il n'en avait fait qu'à sa tête, une fois de plus, et il avait perdu le garçon qu'il tentait d'aimer de tout son coeur. Sa mère avait eu tort. Il n'était pas récupérable. Il était un monstre, et cette réalité lui crevait le coeur. Il aurait aimé qu'elle soit là, qu'elle le prenne dans ses bras, qu'elle le rassure, qu'elle lui assure que ses efforts seraient un jour récompensés. Il avait besoin d'elle. Il était perdu.

Un monstre incapable de savoir pourquoi il était comme ça. 

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