quatre
Les feuilles gribouillées, colorées, maculées, gisaient sur la table en face de lui alors qu'il laissait enfin un peu de répit à son crayon de papier qui venait de vivre des heures et des heures de dessins. Lorsqu'il était rentré de chez ses parents, la première chose qu'il avait eu envie de faire fut de dessiner. Encore et encore. Et depuis, il ne s'arrêtait pas. Même au boulot. D'habitude, Alexandre arrivait à ne pas penser à cela lorsqu'il était assis sur sa chaise et planté devant ses nombreux dossiers... mais depuis quelques jours maintenant, ses post-it n'étaient réduits qu'à une seule utilité ; servir de support artistique pour les crayons et les stylos. Mais l'envie d'arrêter n'était pas là. Inexistante même. Alors que l'envie de dessiner, jusqu'à user la pointe de ses crayons et pinceaux, elle, était bien là. Encrée.
Les paysages verts et arborés naissaient à perte de vue sur sa table. Cela devait bien faire des années qu'Alexandre n'avait pas peint de paysage aussi... qui... qui lui...
Ouais...
De paysage qui lui rappelait autant le début de sa vie. Qui lui rappelait où il avait grandi. Qui lui rappelait tout ce qu'il aimait.
Ces paysages qui lui étaient intimes, familiers.
Dessiner ce qu'il aimait lui personnellement... ça ne lui arrivait pas souvent. Mais lorsque c'était le cas, ça faisait du bien. C'était libérateur. Quelque part, cela lui permettait aussi de ne jamais oublier. Représenter ce qu'il aimait au plus profond de lui, lui servait juste à se rappeler ô combien ils avaient été importants, ô combien ils étaient encore précieux et ô combien il aurait toujours besoin d'eux. Il y avait des choses comme ça ; des endroits, des personnes, des paroles, des souvenirs, dont on ne pouvait pas se passer. Alexandre avait mis quelques années à le comprendre tout ça. Mais il s'en était finalement rendu compte et il ne voulait définitivement plus gâcher le temps qui lui était accordé.
Il souffla alors qu'il se laissait aller contre le bas de son canapé, ses fesses sur le sol. Son coccyx commençait sérieusement à le lancer. Forcément... il n'y avait pas moins confortable que le sol de son salon.
Sept ans.
L'aiguille des secondes tiqua.
Deux mille cinq-cents cinquante-cinq jours.
L'aiguille des secondes tiqua une nouvelle fois.
Soixante-et-un mille trois cent vingt heures.
La grande aiguille s'arrêta sur le sept.
Alexandre soupira.
Sans qu'il ne le contrôle vraiment, son corps se redressa. Ses mains sortirent une énième feuille blanche de sa pochette. Ses doigts attrapèrent son crayon de papier usé et sans attendre plus longtemps, la mine de celui-ci se fit emporter par ses souvenirs. Il se mit à dessiner. Tout ce dont il arrivait à se rappeler ; les traits, les expressions et les nuances. Le blanc originel de la feuille se transforma en une mer de gris, de clair, de sombre et de noir.
Une mâchoire durcie, un nez aquilin, des rides auprès des yeux sous l'effet d'un sourire enfantin, quelques cheveux blancs qui résistaient malgré toutes les années passées. Un grain de beauté sous son iris droit. Des yeux bruns chocolat, les mêmes que les siens à ce qu'on disait. Sûrement des taches de vieillesse sur ses mains. Et...
C'était tout ce dont Alexandre se rappelait.
Seulement ça.
Son crayon de papier se mit à hésiter au-dessus des autres traits terriblement flous. Ses doigts tournaient le bâton de bois entre eux ; peut-être que cela lui amènerait d'anciens souvenirs. Pourtant, rien d'autre ne lui revint. Aucune autre particularité de son visage. Aucun autre détail. Même sa voix lui semblait lointaine maintenant. Son grand-père avait-il toujours été aussi flou dans son esprit ?
Une goutte d'eau salée tomba de sa joue pour s'étaler sur son dessin. Sur le visage approximatif qu'il venait de représenter. Sauf que ce fut loin d'être la seule. Après celle-ci, tant d'autres larmes coulèrent qu'Alexandre ne put les compter. Elles trempaient son visage à une vitesse carrément surprenante et il eut du mal à s'arrêter. Comprenant que le prochain à se noyer était son tout nouveau dessin, Alexandre se laissa une nouvelle fois tomber contre son canapé alors qu'il relevait la tête. Ce fut comme un réflexe.
Peut-être espérait-il que ses larmes s'arrêteraient de couler grâce à sa chère amie ; la gravité.
Mais ce ne fut pas le cas. Alexandre pleura encore pendant de longues minutes. Pendant longtemps.
Il n'arrêtait pas de penser à son grand-père. Et à ces sept années qu'il avait vécu à l'écart de ses origines. À l'écart d'une part de lui-même et de ce qu'il aimait. Depuis qu'il était redevenu, Alexandre ne cessait de penser au fait que le temps était destructeur. Il ne voulait même pas énumérer toutes les choses qu'il avait loupées.
Peut-être que s'il était resté, il aurait pu vivre toutes ces choses qu'il avait manquées. Peut-être que s'il était resté, il se serait souvenu de bien plus de détails. Il aurait même pu lui dire au revoir au moment où il aurait fallu. Et non ne pas pouvoir le faire parce qu'il avait décidé de s'éloigner de toute cette merde qu'était la fin de son adolescence.
Ce n'était pas possible d'avoir été si distant et invisible durant tant d'années. Ce n'était pas possible d'avoir attendu si longtemps. D'avoir été si lâche. D'avoir eu si peur.
Alexandre ne voulait plus. Il ne voulait plus qu'une nouvelle année s'écoule, qu'il pense à eux de temps en temps tout en se demandant s'ils parlaient de lui aux repas de famille ou aux personnes du village. Il ne voulait plus de tout cela. Certes, le temps était destructeur mais les regrets l'étaient encore plus. Et vivre une vie avec autant de regrets n'était pas envisageable. Alexandre ne se le pardonnerait jamais. Ce dont il avait envie, c'était retrouver sa terre d'enfance, sa famille et il avait envie de pouvoir exercer sa passion là-bas. Elle avait peut-être été la naissance de nombreux de conflits, mais, elle avait aussi été celle qu'il l'avait fait espérer. Qu'il l'avait porté et qui le portait encore. Qui le faisait rêver et qui lui donnait envie qu'ils soient réalisés.
Bien trop de choses étaient importantes pour être négligées.
Alexandre papillonna des yeux alors que plus aucune larme ne coulait de ses yeux. Son cou et ses joues étaient encore franchement humides, mais les chaînes qui nouaient sa poitrine depuis qu'il était rentré de Pâques semblaient enfin être tombées et enfin ; Alexandre avait l'impression de respirer à nouveau.
Sept ans s'étaient déjà bien trop. Il était temps de revenir, de ne plus se faire oublier.
Surtout qu'un certain regard aux éclats de miel le laissait curieux.
✧༄✧
1110 mots.
chapitre court :)
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