Chapitre 18

PDV Zoé

Je souffle un bon coup et me lance. Pour lui montrer que je suis sûre de moi, je garde la tête haute et les yeux fixés dans les siens. Je veux voir toutes ses émotions. Essayer de comprendre ce qu'il pense, ce qu'il ressent en m'écoutant. Essayer de savoir si il m'aidera, ou non.

Alors je lui déballe tout. L'abandon de mon père. L'accident d'Inna, la descente aux enfers des parents. De ma mère. Son état maintenant, l'absence de Marcus. Tout ce que je gère, tout ce que je n'arrive plus à gérer. Je lui parle des derniers événements, les crises d'Innaya, son hospitalisation et bien d'autres choses.

Et pendant qu'il m'écoute, je ressens de la compassion. De l'attention. De la bienveillance.

Il attend jusqu'au point final de mon histoire. Il reste quelques instants silencieux. Je ne sais pas bien si c'est pour réfléchir ou bien pour me laisser un instant de répit. Je dirai que de toute façon, les deux me vont bien.

Par contre, ce que je sais, c'est que je stresse. Je sens l'angoisse monter en moi durant chaque seconde où il ne dit rien. J'ai peur d'avoir eu un faux espoir.

Il croise les mains sur son bureau, me fixe profondément et finit par parler.

- Je vois. Tout d'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir fait confiance. Sachez que je comprends à quel point votre situation est compliquée.

J'ai l'impression qu'il me sort une phrase bateau pour au final me dire qu'il ne peut rien faire pour moi.

Et puis c'est quoi ce « Je comprends ». Non, non tu ne comprends pas. Je ne vois pas comment tu pourrais comprendre, tu n'es pas moi, tu vis tranquillement, tu travailles dans un joli bureau, et en plus tu es payé. Donc non, tu ne comprends pas. Je déteste ce genre de phrase.

- Mais tu n'es plus seule maintenant.

Je tourne la tête vers lui, ce qui me fait remarquer que je l'avais déviée au fur et à mesure que ma colère montait. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus entre le fait qu'il se mette soudainement à me tutoyer ou bien sa phrase en elle-même. Cependant je ne dis rien et me contente d'écouter.

- Ton cas n'est pas unique, rassure-toi, même si je doute que ce soit réellement rassurant. Tout ça pour dire que la plupart des jeunes qui viennent nous voir sont à peu près dans la même situation que toi. Des mineurs, dont les parents sont incapables de s'occuper, qui doivent souvent assumer une fratrie. Ils ont besoin de notre aide pour ne pas être séparés. Alors c'est ce que nous faisons. Nous les aidons.

- Comment ?

- Notre établissement réunit des tuteurs. Ce sont des hommes et des femmes, qui sont agréés par l'Etat pour s'occuper d'enfants le temps que leurs parents puissent le faire de nouveau, ou bien qu'ils soient suffisamment âgés pour pouvoir se gérer seuls.

- Mais mon cas n'est pas comme celui des autres. Ma sœur n'est pas juste une enfant qu'il suffit de nourrir et de surveiller.

On pourrait croire que je cherche à tout prix à le faire fuir, à le faire me dire qu'il ne peut rien pour moi. Mais non. Je veux seulement être certaine qu'il peut le faire. Qu'en ayant toutes les cartes en main, il me dise que tout va bien, il peut s'en occuper, et que ce soit vrai.

- Ta sœur n'est pas la première enfant avec un handicap que nous ayons à notre charge. Nos tuteurs sont tous aptes à s'en occuper parfaitement. Ils ont tous un diplôme d'aide soignant en poche. Et certains sont spécialisés dans les troubles comme ceux de ta sœur.

- Concrètement, que fait un tuteur ?

- Son rôle est très différent en fonction des cas. Dans le tien, un ou une tutrice vous serait affilié, et s'installerait chez vous afin de pouvoir s'occuper à plein temps de ta jeune sœur, qui nécessite une attention perpétuelle. Le tuteur gère tout. Il vous emmène à l'école, vous fait à manger, subvient à vos besoins. C'est une personne qui est là pour palier au manque d'autorité parentale pendant un moment, afin que chacun reprenne la place qui lui revient.

Dans tout ce qu'il me dit, une phrase me marque.

- Subvient à nos besoins ?

Il hoche la tête.

- Nous sommes un organisme lié à l'Etat. Celui-ci nous donne l'argent qu'il nous faut afin de subvenir aux besoins des enfants dont nous nous occupons. Nourriture, fournitures, vêtements, tout le nécessaire est à nos frais. L'argent que tu me dis recevoir de ton beau-père, nous n'y toucherons pas. Vous pourrez vous en servir pour vos plaisirs personnels.

- Et... pour ma mère et mon beau-père ?

- Et bien, dans le cas de votre mère, nous l'enverrons dans un centre de désintoxication affilié à nos services. Tu ne débourseras rien pas d'inquiétudes. Bien sûr, ce centre te sera présenté avant si tu le souhaite, afin que tu vois si cela te convient. Elle sera soignée, et quand les médecins jugeront son état suffisamment amélioré, elle pourra sûrement vous écrire voir recevoir des visites. Elle sortira quand il la jugeront apte, et elle sera suivie pendant encore un moment, pour être sûre qu'elle ne replonge pas.

Je hoche la tête et il enchaîne.

- Pour ton beau-père, nous pouvons lui fournir une aide médicale si il obtient la garde de ta sœur. En revanche, pour ta garde, rien n'est sûr. Mais d'ici que ta mère soit en état et que le divorce soit prononcé, tu seras sûrement majeure, tu pourras donc faire ce qu'il te plaît.

J'assimile doucement toutes les informations qu'il vient de me donner.

- Si je résume, un adulte va s'installer chez nous pour prendre soin de ma sœur, et de moi, vous payerez tout, vous envoyez ma mère se faire soigner et proposez d'aider Marcus alors même que nous ne seront plus sous votre garde.

Il hoche la tête.

- Notre mission est de faire en sorte que vous ne soyez pas seul face à la vie. Et quand vous n'avez plus besoin de nous, nous nous assurons que le chemin qui vous attends soit en bon état.

Il me sourit et j'ai l'impression que tout ça est vraiment trop beau pour être vrai. Cela semble la solution parfaite.

Devant mon hésitation, il reprend.

- Tu sais, rien ne t'oblige à prendre ta décision maintenant. Tu peux rentrer chez toi, y réfléchir, et revenir quand tu le souhaite. Ou ne pas revenir. C'est à toi de voir. Moi, je veux juste que tu saches qu'ici, nous avons les moyens de vous aider, et que nos portes seront toujours ouvertes.

Je m'apprêtes à lui dire que je vais faire ça, à savoir rentrer pour réfléchir, quand il rajoute :

- Aurais-tu encore quelques minutes ? Florence doit être encore dans les locaux. C'est une des tutrices, spécialisée dans le cas des maladies psychologiques. Elle n'a plus d'enfants à charge depuis quelques semaines. Je pense que ce serait la personne la plus adaptée, si tu décidais de nous faire confiance. Peut-être pourrais-tu la rencontrer, pour peaufiner ta réflexion ?

En effet, l'idée est bonne. Je me vois mal confier ma sœur à une personne que je ne connais pas. Je doute d'avoir le temps de la connaître vraiment si je décidais d'accepter tout ce qu'ils me proposent ici, mais au moins, je vais pouvoir me faire un premier avis sur cette dame.

J'accepte donc et le suis à travers un dédale de couloir. Nous arrivons dans une grande salle, où se trouve une femme d'une quarantaine d'années à vue d'œil. Quelques rides strient son visage, où des petites lunettes rondes et colorées se trouvent. Ses cheveux bruns coupés en carré virevoltes autour d'elle tandis qu'elle tourne avec une enfant dans les bras. Celle-ci doit avoir environ 5 ans et rit aux éclats.

Edward l'appelle et son attention se porte sur nous. Elle dit aux enfants qui l'entourent de jouer un peu en l'attendant tandis qu'elle s'approche de nous, un sourire aux lèvres. Un sourire chaleureux, celui qu'on trouve accroché aux visages des personnes qui sont à leur place. A l'endroit qui les rends heureux. Un endroit que j'aimerais avoir, moi aussi.

- Edward. Elle lui fait un signe de tête et se tourne vers moi. Bonjour Mademoiselle.

- Bonjour.

J'essaye de la sonder mais je ne vois que de la bienveillance en elle. J'ai l'impression de ne voir que ça depuis que je suis entrée dans ce centre de toute façon. J'espère que je ne suis pas entrain de me rendre aveugle en espérant trop.

Elle nous interroge du regard et le directeur lui explique rapidement qu'elle pourrait peut-être avoir à s'occuper de ma sœur et moi si je le décidais. Il décide de s'occuper des enfants tandis que la dénommée Florence me fait signe d'aller nous asseoir un peu plus loin.

Voyant que je ne dis rien, elle entame la conversation.

- Je me permet de te tutoyer, et je te demande de faire de même. Si nous devions vivre ensemble à l'avenir, cette formalité serait de trop. Je ne vais pas te demander de me raconter ton histoire, je suppose que tu viens de le faire et n'a pas forcément envie de recommencer. Alors je te propose de poser toutes les questions que tu souhaites, afin de voir si oui ou non, tu décides d'accepter notre aide par la suite.

J'aime sa façon de m'approcher. Il est vrai que je n'ai absolument pas envie de re-déballer mon histoire une nouvelle fois.

- Que faites-vous... Son regard m'interrompt. Pardon, que fais-tu avec tous ces enfants ?

Mon regard parcourt la dizaine d'enfants plus ou moins jeunes dans la salle, afin qu'elle comprenne de quoi je parle.

- Les enfants que tu vois ici sont tous handicapés mentaux, plus ou moins grave selon les cas. Ils sont ou étaient sous la responsabilité du centre. Une fois par semaine, ils viennent ici, afin que l'on fasse des exercices, mais aussi que l'on s'amuse tous ensemble. Ils aiment beaucoup se retrouver ici.

- Mais lorsque tu as des enfants à charge comment peux-tu animer ces groupes ?

- Et bien, j'emmène les enfants les plus jeunes avec moi. Je suis souvent placée tutrice d'enfants comme eux, donc, ils s'intègrent parfaitement au groupe, et se font souvent des amis. Tu vois la jeune fille là-bas ?

Elle me montre du doigt une petite blondinette d'une dizaine d'années.

- J'étais sa tutrice il y a encore quelques semaines. Maintenant, son père peut s'en occuper. Mais avant, quand j'ai commencé à m'en occuper, je l'ai emmenée ici avec moi. Elle a tellement aimé qu'elle vient encore. C'est très bien, cela nous permet de continuer à la suivre.

J'essaye d'imaginer Innaya ici. Elle serait comme un poisson dans l'eau. La salle est remplie de jeux, de tapis en mousse où sauter, et elle est chargée en bonne humeur. Tous les enfants ont un sourire jusqu'aux oreilles.

- Pourquoi avoir choisir ce métier ?

- Par amour des enfants tout simplement.

- Tu en as ?

- Non.

Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils.

- Pourquoi s'occuper de ceux des autres ?

- En fait, je ne peux biologiquement pas avoir d'enfants. Elle me sourit. Alors je me suis dis, que tout cet amour que je ne peux donner aux miens, je peux le partager avec ceux qui en ont besoin. Il n'y a rien de plus grisant pour moi que le sourire d'un enfant.

Je ne peux que lui rendre son sourire. Cette femme a l'air d'être une bonne personne. Typiquement le genre de femme que j'aimerai voir entourer Innaya.

Mais autour de moi ? Je décide de continuer à poser des questions afin de voir si elle est telle  que je l'imagine actuellement ou bien si ce n'est qu'une image.

- Vous savez vous occuper des enfants, mais de moi sauriez-vous ? Je ne suis pas une enfant, j'ai bientôt 18 ans.

- Tu n'es pas une enfant, mais je pense que tu as tout de même besoin d'aide. Tu devrais te soucier uniquement de tes cours, tes amis, ta vie de jeune. Mon rôle pour toi, c'est de t'enlever le poids qui pèse sur tes épaules et d'être là quand tu en auras besoin.

- Et si je vous dit que je suis amie avec les Black Roses, voudriez-vous toujours être ma tutrice ?

C'est ma dernière question. Elle est un peu fourbe, c'est vrai. Mais je veux voir ce qu'elle a à dire là-dessus. Sera-t-elle capable de l'accepter, voudra-t-elle me faire changer mes fréquentations ?

Contre toutes attentes, elle me sourit.

- Je ne suis pas là pour te dire qui tu dois fréquenter. Tu m'as l'air d'être une fille tout à fait intelligente. Je suppose que si ce sont tes amis, c'est qu'ils l'ont mérité. Je ne les connais que par les histoires qu'on raconte sur eux. Mais j'ai appris il y a bien longtemps à ne pas croire tous les « on dit ». Je ne cherche jamais à interférer dans les relations sociales de mes pupilles, sauf si leur vie en est mise en danger.

La réponse me satisfait grandement et je n'ai plus rien à dire. Nous nous levons et Edward nous rejoint. Il me rappelle que je peux prendre le temps que je souhaite pour réfléchir à tout ça, et rajoute qu'il serait ravi de me voir revenir.

Je hoche simplement la tête et après de brèves salutations, je quitte les lieux. Quand je sors, la nuit est déjà presque tombée, et je remercie intérieurement Scott d'être têtu et toujours sur le parking. Je me voyais mal rentrer à pieds, le dernier bus étant déjà passé.

Je monte dans la voiture et il démarre sans poser aucune question.

Nous arrivons rapidement devant chez moi en silence, pourtant, je ne quitte pas l'habitacle. Il ne dit rien et se contente de me regarder, attendant que je dise quelque chose.

Je finis par le faire et lui raconte l'entièreté de l'entretien. Quand je termine, je m'entends lui demander d'une voix faible, presque apeurée :

- Tu penses que je devrais le faire ?

Et si il me disait que non ? Que je ne devrais pas, que je me fais avoir ? Je me rends compte que je me raccroche à l'espoir qu'a fait naître ce centre en moi depuis que j'en ai entendu parler. Je n'ai pas envie d'abandonner cet espoir. Mais si je me voilais la face ?

- C'est la meilleure des solutions. Pour toi, pour Innaya, et pour ta mère.

J'ai la sensation qu'on me retire un poids. Je respire, car il faut croire que ma respiration s'était coupée le temps d'attendre sa réponse.

Je me contente d'hocher la tête et de le remercier. Son regard me transcende et je bégaye un « A plus tard » en sortant de la voiture, les joues rouges.

Après être passée par le salon sans un regard pour ma mère, je m'enferme dans ma chambre et fais les 400 pas. Je sors mon téléphone et regarde le numéro. Bon, de toute façon il va bien falloir que je le fasse.

Je sens mon cœur battre à toute vitesse, au moment où mon doigt appuie sur « Appeler ».

Et j'ai l'impression qu'il s'arrête, quand il décroche.  

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Et voilà ! A l'heure, cette fois x)

A dimanche prochain :)

Kiss :*

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