Soir 12

"- A-Alors je... Je suis... M-mort ?"

Je n'arrivais toujours pas à comprendre. J'étais encore assis en face de la pierre tombale où il était marqué "Nico di Angelo 1931 - 1944". Mon esprit refusait d'assimiler l'information. Ça voulait dire que ça faisait une semaine que..? Impossible, il semblait bien vivant pourtant. J'essayais encore de croire que c'était un autre Nico di Angelo mais l'expression de celui-ci me confirmait que c'était bien lui. Il était à genoux et semblait complètement perdu. Sa bouche s'ouvrait puis se refermait comme s'il essayait de dire quelque chose mais qu'aucun son ne voulait sortir. Je me relevai d'un coup. Ma tête me tournait. Je baissai mon regard vers lui et ne pu empêcher le flot de parole qui s'écoula de mes lèvres.

- Ça veut dire quoi tout ça ? Depuis le début tu es... Tu es...

Je n'arrivais pas à dire le mot. Mon ton était sec et agressif. Je ne voulais pas être si dur avec lui mais je ne pouvais plus me contrôler.

- Ça fait presque deux semaines que je vis avec un fantôme ? Je comprends maintenant pourquoi Aileas ne voulait pas me parler de toi et semblait avoir peur, je comprends pourquoi les autres du village t'évitent, tout devient plus clair d'un coup ! Ça explique les fois où je pensais te voir dans mes angles morts pour ensuite disparaître, comment tu as fait pour te déplacer si vite la première fois qu'on s'est rencontré ! Ça te faisait marrer d'essayer de me faire peur ? J'ai l'impression d'être dans un conte de fantômes pour enfants. Et tu comptais me le dire un jour ? Et dire que tu me laissais chercher des solutions pour toi alors qu'il n'y en a pas, visiblement. Dire que depuis le début... Tu sais quoi ? Je ne veux rien avoir à faire avec toutes ces histoires de mort, de fantômes,... Je veux pas être mêlé à ça !

Je partis dans la direction qui semblait être celle de chez moi en marchant le plus rapidement possible. Je ne saurais pas décrire comment je me sentais. Mes idées étaient complètement embrouillées et je n'arrivais pas à penser clairement. Je revoyais cette pierre dans mon esprit et des milliers de questions m'assaillaient. Plus rien n'allait, j'avais l'impression que mon crâne allait exploser.

Je regardai finalement autour de moi et me rendis compte que je ne reconnaissais pas l'endroit. Je lâchai un cri énervé en serrant des poings avant de me laisser glisser par terre contre un arbre. Je laissai ma tête retomber en arrière tout en essayant de calmer mes pensées. Au plus je repensais à ce que je lui avais dit, au plus je m'en voulais. Je revoyais son regard tremblant avant de baisser la tête. À vrai dire je n'étais pas vraiment énervé, j'avais plutôt laissé ma peur parler à ma place. Je m'en voulais car je n'aurais pas du lui dire ça. Je repensais à tous les moments qu'on avait passé ensemble, j'avais apprécié chacun d'eux. Il n'avait pas du tout le profil du méchant zombi ou de l'esprit frappeur. C'est pas parce qu'on meurt qu'on devient une mauvaise personne, si ? J'essayais de me rassurer en repensant à tout ça. Je comprenais maintenant ses petites mimiques que je trouvais vieux jeux, ces mots et expressions qu'il ne comprenait pas. Je me rendis compte qu'il y avait en fait beaucoup d'indices. Mais ce ne sont pas les genres de choses que l'on peut prévoir. J'avais encore du mal à accepter la réalité mais pour lui ça devait être encore plus dur. J'avais bien vu dans son regard qu'il ne savait pas, il était complètement désorienté. Il tremblait de tous ses membres. C'est l'un des moments où il a le plus besoin de moi, et moi je suis parti en lui criant des choses horribles. Je m'en voulais tellement. Mais je devais avouer que tout ça me faisait peur. Je n'étais pas sûr d'oser retourner le voir, avoir de nouveau cette pierre sous les yeux. Je fermai les yeux en lâchant un juron. Je respirai profondément dans l'espoir que ça me calme. Il est simplement mort, ce n'est pas si grave. Il agit et ressemble parfaitement à une personne vivante, donc au final, ça ne change pas grand chose. Ces phrases n'arrivaient pas vraiment à me convaincre ou à me rassurer mais c'était tout ce que j'avais. Pense à tous les moments qu'on a passé ensemble, il n'y a jamais eu de problème. Fais comme si de rien n'était, comme s'il était vivant et ça devrait aller ! Mais je savais qu'on fond cette idée me hanterait contre mon gré. Au pire je vais le voir, j'essaye de ne pas faire attention au fait que je parle à un mort et je devrais m'habituer avec le temps ! Je n'étais pas convaincu mais me levai quand même. Je commençai à marcher dans sa direction puis fis demi-tour. Je n'y arriverai pas. Je soufflai un bon coup, allez, Will, un ami a besoin de toi. Je pris mon courage à deux mains et marchai déterminé vers Nico.

Lorsque j'arrivai, il était toujours assis en tailleur devant la pierre. Son regard était vide. Il ne bougeait pas d'un pouce, même en entendant mes pas. Ses yeux étaient rouges.

- Tu es encore là ?

Aucune réaction. Je soufflai devant ma propre incompétence. Je m'assis à coté de lui.

- Nico, je suis désolé pour tout ce que je t'ai dit.

Il ne bougeait toujours pas.

- Je suis vraiment désolé, j'ai eu peur et j'ai agi comme un crétin. Je t'ai dit que je serai toujours là pour toi et quand tu as eu le plus besoin de quelqu'un, je suis parti. 

- Je ne comprends pas.

Sa voix me fit sursauter. Elle était sans émotion et lointaine. Il n'avait toujours pas bougé et regardait fixement devant lui, comme s'il ne me voyait pas ni m'entendait.

- Comment ça ?

- Je n'arrive pas à réaliser. Comment pendant septante ans je n'ai pas remarqué ? Pourtant je ne sens rien de spécial, je me sens vivant.

Il avait hésité sur le mot vivant. Il refusait obstinément de croiser mon regard. Je n'arrivais pas à lire ses émotions ni savoir ce qu'il ressentait.

- C'est peut-être pour ça que je n'arrive pas à partir d'ici, je suis peut-être lié à cet endroit. Peut-être que je suis condamné à errer ici. Je n'imaginais pas la mort comme ça.

- Je ne sais pas. C'est donc ici que tu es mort ?

- Non.

Je lui lançai un regard hésitant. Son calme me mettait mal à l'aise, ce n'était pas un calme agréable mais plutôt celui sous tension qui éclate au moindre faux mouvement. 

- T-Tu te souviens de quelque chose ?

- Rien, seulement que je ne suis jamais venu ici de mon vivant. Je ne sais pas comment je le sais, je le ressens. Mon corps n'est pas non plus enterré ici, c'est juste une pierre.

Il tourna enfin la tête vers moi. Son regard était froid et ne laissait rien paraître. Je triturai mes mains, je commençais vraiment à me sentir mal. Je devais luter contre la nausée qui me venait.

- Alors pourquoi avoir mis cette pierre ici ?

- Qu'est-ce que j'en sais ?

Il haussa des épaules et regarda de nouveau devant lui.

- Tu as peur ?

Il regarda de nouveau dans ma direction et je déglutis. Il était vraiment différent, je ne le reconnaissais à peine. Je décidai d'être honnête.

- U-Un peu, je ne comprends pas toute la situation, j'arrive pas à -

- Je comprends.

Il regarda vers le ciel, le soleil commençait à se coucher.

- Désolé, je veux pas t'effrayer. À vrai dire, moi-même je suis terrifié.

Quand il dit ça, je remarquai enfin ses tremblements. Toute cette ambiance me mettait vraiment mal. Je n'avais qu'une envie, partir loin d'ici et oublier cette pierre. C'est pourquoi je me levai et lui tendis la main.

- Viens, et si on rentrait ? La nuit va tomber et je refuse d'être dans cette forêt et surtout devant cette tombe en pleine nuit !

Il leva son regard vers moi et hésita une seconde avant de prendre ma main. 

- T'es d'accord que je vienne avec toi ? Je veux dire...

Son ton n'était pas interrogatif mais c'était plutôt de la surprise. Alors tout ce que je lui avais dit me revint en tête et je m'insultai une nouvelle fois avant de répondre.

- Ecoute, tout ce que je t'ai dit tout à l'heure... C'était des conneries, je sais pas pourquoi j'ai dit ça, j'avais peur et j'ai été con mais tu ne dois pas croire ce que j'ai dit. Je préfère mille fois que tu viennes avec moi plutôt que de rentrer seul et de te laisser ici, d'accord ?

Il hocha la tête puis ajouta avec un sourire en coin.

- C'est parce que tu as peur de te perdre sans moi ?

Je rigolai et répondis sur le ton de la plaisanterie.

- Il y a un peu de ça, je l'avoue.

Il rigola légèrement, ce qui me rassura un peu puis nous nous sommes mis en marche vers la maison.

- Je propose qu'on mette de côté notre découverte et qu'on fasse comme avant, comme si -

- On peut pas.

Il s'arrêta soudainement de marcher. Je ralentis et me tournai vers lui en fronçant les sourcils. Il continua.

- On ne peut pas faire comme si de rien n'était, je veux dire, c'est quand même important.

- Tu as raison, désolé. Simplement, il faudra le temps que je m'habitue... Je pense qu'on sera plus à l'aise d'en parler à l'intérieur et pas au milieu de cette forêt flippante.

Il approuva d'un signe de tête et nous repartîmes. On en profita pour récupérer nos vestes abandonnées dans les arbres et bientôt la maison apparût devant nous.

J'ouvris la porte avant de le laisser entrer, les bonnes manières avant tout. J'allumai les lampes et partis nous faire un chocolat chaud. Pendant que le lait chauffait, Nico vint s'assoir sur la table à côté de moi en laissant ses jambes balancer dans le vide, comme les gamins. Il regardait ses pieds sans oser lever le regard. Aucun de nous deux ne parla.

Après un temps que je trouvai interminable, les chocolats chauds étaient enfin prêts et je les apportai dans le salon. Je déposai les tasses sur la table basse et nous nous assîmes par terre, toujours en silence. Je pris la mienne en main comme pour les réchauffer malgré la chaleur du mois d'aout puis commencer à parler après une grande inspiration.

- Donc... Je pense que ce qu'on vient de voir dans la forêt, c'est peut-être assez délicat mais ce serait bien d'en parler, non ? Je veux dire...

- Ouais, tu dois sans doute avoir raison, mais tu veux dire quoi ? 

Il y eu un petit silence. Il avait raison, dire quoi ? J'avais tellement de questions dans ma tête mais toutes étaient sans réponse. Plus rien n'était cohérent dans mon esprit.

- Déjà, pourquoi tu es ici ? En seize ans, je n'avais jamais vu de fantômes ni rien, on m'a toujours appris que quand on meurt après on va au paradis -

- On ne sait pas ce qu'il y a après la mort. Tout le monde a une vision différente. On invente des histoires pour se rassurer mais comme personne n'en est revenu, on ne sait pas.

- C'est vrai, mais si on devenait des fantômes, ça se saurait, non ? Vu le nombre de morts qu'il y a, j'aurais sûrement déjà croisé un fantôme et les autres aussi. Il n'y aurait pas tout un mystère autour.

- Sauf si comme dans les histoires, on ne peut pas les voir.

- Ouais mais les histoires elles sont pas claires ! D'abord on peut pas les voir mais quand c'est pour nous faire peur, on peut !

- Peut-être qu'ils se cachent ou peuvent apparaître ou non.

- Sauf que pour ça, faut qu'ils sachent, or toi tu ne savais pas. Et tu peux, genre disparaître là maintenant ?

Il fronça les sourcils en fixant le sol avant de finalement me regarder dans les yeux en haussant des épaules.

- Non, je ne peux pas et je n'ai jamais croisé d'autres fantômes.

- Donc cette théorie tombe à l'eau.

- Sauf que je ne suis jamais parti d'ici. Si chacun est bloqué à un endroit, c'est possible qu'on ne se croise jamais.

- Sauf que tu as vu le nombre d'endroits par rapport au nombre de morts ? Il y aurait forcément un endroit avec plus d'un fantôme. Et comme dit avant, on en aurait croisé au moins une fois dans notre vie si on peut les voir aussi facilement que je peux te voir ! Et ne me sors pas l'excuse qu'on pensait que tu étais vivant, parce qu'en général, quand quelqu'un meurt, si on le revoit dans la rue, les gens savent qu'il est censé être mort.

- J'allais plutôt dire qu'en fait, je pense que tu es le seul à pouvoir me voir...

- Pourquoi les autres t'ignoraient, ça devient logique. Mais comment Aileas sait ?

- Qui ça ?

- Rien, une connaissance. Mais pourquoi je serais le seul à pouvoir te voir ?

- J'en sais rien, peut-être que tu possèdes un don ou je ne sais quoi.

Il haussa des épaules avant de prendre une gorgé de son chocolat chaud. 

- Désolé mais je ne crois pas trop en ce genre de choses...

- Dit-il alors qu'il parle littéralement à un fantôme ?

- Ouais, j'avoue...

- Ça fait bizarre de me dire que je suis mort. Je veux dire, tout est comme quand j'étais vivant. J'ai encore ma consistance, je ressens les sensations, j'ai faim, je marche normalement, je me prends des murs -

Je pouffai de rire à son dernier exemple avant de m'excuser devant son regard blasé.

- C'est sérieux, Solace et ça fait mal !

- Je te crois, je te crois.

Je mis ma main devant la bouche, vaine tentative de camoufler mon rire. Il soupira puis je repris après m'être un peu calmé.

- Mais si j'avais un "don" ou quelque chose, pourquoi tu es le seul fantôme que j'ai déjà vu ?

- Qu'est-ce que j'en sais ?

- Je pense que tu n'es pas censé être ici. Peut-être que tu es dans une genre de phase intermédiaire ?

- Pendant septante ans ?

- Je sais pas, je pense qu'il y a autre chose après la mort que de simplement errer, sinon j'aurais déjà vu d'autres fantômes. Tu dis que tu es bloqué ici, peut-être que quelque chose te rattache et t'empêche de partir.

- Tu as peut-être raison, mais pourquoi je serais bloqué ici alors que je ne connais même pas cet endroit ? Je ne suis jamais venu ici avant, je n'ai aucun lien !

- Visiblement si, vu que ta tombe est ici. Tu es peut-être bloqué ici justement parce que ta tombe est ici !

- Mais pourquoi elle est dans un trou paumé d'Ecosse alors que je suis Italien ?

- Très bonne question, peut-être que tu es bloqué parce que comme ta tombe est ici et pas ton corps, tes rites funéraires ne ce sont pas déroulés correctement empêchant ton passage à l'haut-delà, comme dans les vieilles légendes grecques.

- Tu voudrais essayer de retrouver mon corps décomposé depuis septante ans ?

- Mouais tu as raison, ça doit être autre chose. Mais d'abord commençons par chercher comment tu es mort, ça devrait nous aider.

- Sauf que j'en ai aucune idée.

- Pas la moindre ?

- Rien du tout.

Je réfléchis quelques instants quand un élément me revint en mémoire.

- Pendant l'explosion, tu étais là, n'est-ce pas ?

- Oui, tu crois... Que je serais mort à ce moment-là ?

- Peut-être. Se trouver à côté d'un bâtiment qui s'effondre pendant des bombardements, les chances de survit sont faibles.

Il sembla pensif un moment. Finalement il releva la tête en répondant.

- Je ne crois pas, je n'ai aucun souvenir mais je pense que j'ai survécu. À ce moment-là... Les souvenirs sont flous. J'ai cru mourir, j'étais mal en point, je me rappelle d'une forte douleur mais je me souviens d'un regard. Je crois que j'ai survécu.

- Un regard ? Qui ça ?

- Aucune idée, je ne saurais même pas dire la couleur des yeux.

- Tu es sûr donc d'avoir survécu ?

Il souffla.

- Je ne suis sûr de rien, mais je pense.

- Ça ne nous avance pas beaucoup mais c'est déjà ça.

Il y eu un moment de silence pendant lequel il regardait ses pieds. Je n'imaginais pas ce qu'il devait ressentir en ce moment. Voyant que je n'en saurai pas plus aujourd'hui et pour lui épargner de nouvelles questions, je décidai de changer de sujet. Je remarquais bien qu'il était mal à l'aise, il avait besoin de temps pour digérer l'information.

- Je me demandais, comme tu es né dans les années 30, tu connais Michel Drucker ?

Il leva les yeux vers moi, les sourcils froncés.

- Le présentateur ?

- Ouais, lui, la légende raconte qu'il est immortel, déjà là avant la reine d'Angleterre.

Il me fit un sourire en coin avant de répondre.

- Bah ouais, il était déjà vieux quand ma mère était jeune.

Je ne savais pas s'il plaisantait ou non mais je rigolai à cette nouvelle. Je notai dans un coin de ma tête qu'il ne parlait jamais de son père, je devrai lui demander un de ces jours mais décidai que pour l'instant, ce n'était pas le moment.

Nous discutâmes alors encore longtemps, rigolant de temps en temps sans plus aborder le sujet de la mort et des fantômes. Je sentis la tension accumulée par les derniers évènements s'évaporer doucement et je me sentais bien.

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