Dernier Jour

J'étais étonné de voir Nico en descendant en bas ce matin. Il était assis dans le canapé et semblait m'attendre. Un léger sourire tremblant apparut sur son visage lorsqu'il m'aperçut. Je me dirigeai vers lui, les mots qu'il murmurait en dormant encore en tête, ne sachant pas si je devais le questionner dessus ou pas.

- Salut, Will, Commença-t-il. Tu as bien dormi ?

J'hochai simplement la tête tout en m'asseyant en face de lui.

- Et toi ? Demandai-je.

Il haussa des épaules.

- Pas trop mal. J'ai revu ma sœur, dans un rêve.

Je tournai la tête vers lui sans rien dire. Il semblait apaisé mais j'avais peur qu'il se referme au moindre geste brusque.

- Je pense que je te dois des explications pour ces derniers jours. Tout d'abord je voulais m'excuser, de t'avoir ignoré et tout. J'ai pas été sympa avec toi, c'est un sorte de mécanisme de défense chez moi, quand ça va pas.

J'hochai la tête pour lui signifier que je ne lui en voulais pas.

- Qu'est-ce qui n'allait pas ? Tu peux toujours me parler, tu sais, Lui dis-je d'une voix douce.

Il me sourit légèrement avant de recommencer à parler. Alors il m'expliqua tout, les rêves, son passé,... Parfois sa voix se brisait quand il parlait et il laissa échapper quelques larmes. Je devais tirer une drôle de tête car il s'empressa de me rassurer sur tout ça. Je m'en voulais de l'avoir laissé vivre ça tout seul.

- Et comment tu te sens ? 

- Je ne sais pas trop, Répondit-il. Je ne sais pas comment me mettre par rapport à cette histoire. Bianca m'a dit de passer à autre chose, voire à le pardonner mais je ne sais pas si j'en serais capable. En même temps, j'ai l'impression que ce n'est pas mon passé, c'est tellement flou. Je ne pourrais pas te dire tout ce qu'il y a eu en détail. Je me souviens surtout des sentiments.

- Des sentiments ?

- De ce que je ressentais à ce moment. À vrai dire je pense que même à ce moment-là, je ne comprenais pas vraiment ce qu'il m'arrivait. De ce que j'ai compris, j'avais des trous de mémoire ou quelque chose comme ça.

- Ça peut arriver quand on vit un moment traumatisant.

Il hocha la tête.

- Et toi, tu en penses quoi ?

Je fus pris de court par sa question. Qu'est-ce que j'en pensais ? Je n'en savais trop rien, je n'avais pas vécu toutes ces choses, je ne sais pas comment j'aurais réagi. Voyant mon trouble, il précisa sa question.

- Tu crois que je devrais pardonner ?

- Je ne sais pas trop, je ne sais pas si j'en aurais été capable. Le pardon n'est pas une chose que tu décides mais qui vient tout seul, un jour tu finis par être en paix avec l'histoire et à la pardonner.

- Tu as raison. Mais j'ai toujours eu tendance à être rancunier.

- Mais si tu arrives à tourner la page, ça veut dire que...

- Ça veut dire que je partirai pour toujours, j'irai rejoindre ma famille.

Je baissai la tête. Comment n'y avais-je pas pensé ? Je voulais qu'il reste avec moi mais évidemment qu'il voulait revoir sa famille. Je me sentais égoïste et m'insultai intérieurement. Pourquoi voudrait-il risquer d'errer sur Terre alors qu'il pourrait retrouver sa sœur et sa maman ?

- Ça ne va pas ? Me questionna-t-il.

Je relevai vivement la tête.

- Si, simplement, je n'aime pas l'idée de te voir partir.

Il me sourit gentiment, vaine tentative de me rassurer.

- Je ne pars pas encore. Je dois encore passer l'étape la plus difficile, l'acceptation.

- On dirait presque les cinq étapes du deuil.

- C'est un peu ça. Je dois faire le deuil de mon passé, en quelque sorte.

Et moi je devrai faire son deuil juste après. Je préférai garder cette pensée pour moi. Mon regard dériva vers dehors. Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et inondait la pièce de sa lumière. J'avais toujours aimé les journées d'été mais celle-ci me semblait triste, presque nostalgique. J'allais lui répondre quelque chose quand mon ventre gargouilla, j'en avais presque oublié que je n'avais pas encore déjeuné.

- Petit déj' ? Proposai-je.

Il hocha la tête et nous nous dépêchâmes de nous mettre à table. C'était un petit déjeuner très simple mais il restera dans ma mémoire comme l'un des meilleurs. Une bonne ambiance régnait entre nous mais pourtant je sentais quelque chose, comme si c'était le dernier que nous prendrions ensemble. Nico recommençait à sourire, il lâcha même un rire à un moment ce qui me réchauffa le cœur. J'adorais le voir comme ça, je n'arrivais pas à me faire à l'idée que tout ça, nous deux, touchera bientôt à sa fin. J'avais beau être heureux, je sentais quand même une boule se former dans ma gorge. Nico s'arrêta dans sa phrase et fronça les sourcils, me lançant un regard inquiet.

- Tout va bien ?

J'hochai la tête.

- Oui, je suis content d'être avec toi, Souriai-je difficilement.

Il me rendit mon sourire et me regarda dans les yeux, d'un regard rassurant. À ce moment, j'ignorai ce qu'il se passa. Aucun de nous deux ne parla, j'en aurais été incapable. Je me sentais me noyer dans son regard, ô combien magnifique. Alors, comme si de rien n'était, Nico reprit son histoire mais j'étais incapable d'écouter. Je l'observais parler, la façon dont il bougeait ses mains quand il était pris dans ce qu'il disait et je réalisai la chance que j'avais d'être avec lui. Nous n'aurions jamais du nous croiser, nous vivions dans deux vies différentes. Et pourtant, le destin en a décidé autrement, il a un peu triché pour que nous fassions connaissance. J'ai passé toute une partie de ma vie sans le connaître et maintenant ça me semblerait impensable de continuer sans lui. Pourtant, ça arrivera bien à un moment, et ce sera très bientôt. Je ne devais pas y penser, profiter des derniers moments avec lui. Il avait l'air pourtant si vivant, si animé quand il parlait. Je continuai à l'observer, j'essayais d'imprimer son image dans ma rétine. Il dû le remarquer car il s'arrêta en pleine phrase avec un air gêné.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ?

Je revins instantanément à la réalité et commençai à bégayer. Alors un doux rire sortit de sa gorge et mon cerveau disjoncta. Il avait les joues légèrement rouges et un rire magnifique. J'ignorais ce que j'allais faire sans lui. 

Une fois la vaisselle finie, nous sommes sortis dehors comme nous en avions l'habitude. Nous marchions en silence entre les arbres. Toutes ces choses habituelles prenaient un autre sens pour moi. Je sentais que c'était la dernière fois que nous les ferions ensemble.

Nous avons passé toute la matinée à jouer comme des enfants, à courir jusqu'à s'effondrer au sol de fatigue.

- Comment tu te sens ? Demandai-je à bout de souffle.

- En paix, Me sourit-il.

J'aurais du être heureux de cette réponse mais toute la signification derrière me fit mal. Mon cœur se serra en réalisant ce qu'impliquait ces deux petits mots. Je détournai le regard pour cacher ma tristesse mais il le remarqua.

- Tu m'as promis de pas être triste, Dit-il d'un ton détaché mais que je sentais douloureux.

- Je n'ai pas réussi à le promettre. Et si je le faisais, je ne tiendrais pas ma parole.

Je sentis qu'il tourna la tête vers moi mais je gardais mon regard obstinément tourné vers le ciel.

- Tu sais, je pense avoir fait la paix avec mon passé, en tout cas, je me sens en paix. Mais il y a une chose qui me retient encore.

Je me tournai alors vers lui et nos regards se rencontrèrent.

- Quoi donc ?

- Toi.

Je fronçai les sourcils, je ne comprenais pas.

- Je n'arriverai pas à partir tant que tu me retiendras.

- Nico, je serais incapable de te laisser partir.

Ma voix se brisa mais j'essayai tout de même de cacher ma tristesse.

- Tu le dois, je ne suis pas censé être ici. Nous ne devrions même pas nous connaître. Vis ta vie, sois heureux, mais sans moi.

- Je ne peux pas l'être si tu n'es pas là.

- S'il te plait, ne rend pas les choses plus difficiles, oublie-moi. 

Sa voix était pleine de tristesse et j'essuyai une larme sur sa joue de mon pouce.

- Will, je tiens énormément à toi et moi aussi, ça me coûte-

- Il doit y avoir une autre solution.

- Non, il n'y en a pas. S'il te plait.

Les larmes se faisaient plus abondantes sur son visage et je m'empressai de le prendre dans mes bras. Je ne voulais pas le perdre, c'était impensable pour moi. 

- Reste encore un peu, s'il te plait, Murmurai-je en laissant couler quelques larmes.

Nous restâmes un instant comme ça avant de nous séparer. Nous avions passé le reste de la journée ensemble, essayant de profiter de la présence de l'autre le plus possible mais il y avait cette tristesse d'un départ qui restait malgré tout. J'essayais de repousser la pensée de le voir partir le plus loin possible mais du me faire à l'idée en voyant le soleil se coucher. 

Une journée, c'est ce que nous nous étions dit, juste une journée. J'aurais voulu demander plus, qu'il reste pour toujours mais nous avions décidé qu'une journée était tout le luxe que nous pouvions nous offrir. Nico avait déjà depuis trop longtemps triché avec la mort, il était temps de mettre un terme à l'histoire. Je cherchais en vain des façons de repousser ce moment mais il était temps à présent.

Nous étions assis au bord de la rivière, en silence, contemplant l'eau glisser sur les pierres. Je me tournai finalement vers lui et prenant tout le courage qu'il me fallait, je prononçai les mots les plus difficile que j'ai eu à prononcer.

- Nico.

Il se tourna vers moi et ma voix se brisa dans ma gorge. Tout mon courage s'évanouissant d'un coup. Mes yeux étaient emplis de larmes et je pris une grande inspiration pour ne pas craquer. Son regard était lui aussi humide et toutes mes forces menacèrent de me quitter.

- Je pense que c'est le moment.

Il se contenta d'hocher la tête, ne pouvant certainement plus parler.

- Je t'autorise à t'en aller, tu peux partir là où tu dois être.

- Merci, Will.

Il avait murmuré ces mots et je dus tendre l'oreille pour les entendre. Nous restâmes un instant à juste se regarder dans les yeux et alors il me sourit.

- Tu peux garder ça pour moi ?

Il me tendit alors un morceau de papier. Je le regardai et fis mine de le déplier mais il déposa doucement sa main sur la mienne, me signifiant de le faire plus tard. Il la laissa un instant, je profitai de ce contact une toute dernière fois.

- Merci, Sole Mio, merci pour tout ce que tu as fait pour moi. 

Il essaya de me sourire mais son visage exprimait une infinie tristesse.

- Sans toi, je serais resté coincé ici.

Il se pencha alors vers moi et m'embrassa sur la joue, une toute dernière fois. 

- Au revoir, Will, nous nous reverrons peut-être de l'autre côté.

Alors qu'il commençait à disparaître, il m'adressa un dernier sourire, le plus beau que je n'ai jamais vu mais également le plus triste. Tellement d'émotions se peignait dans ce sourire. Je voulais lui répondre quelque chose mais ma gorge était nouée. Je voulais rester fort pour lui, je ne voulais pas pleurer, je ne voulais pas que ça lui rende les choses plus difficiles. Alors je lui adressai un dernier sourire, accompagné de quelques larmes.

- Attend-moi là haut, Furent les seuls mots que je réussis à articuler mais il était déjà parti. Il n'était plus là. Je me retrouvais seul au bord de cette rivière. Il était parti pour toujours et plus jamais nous nous reverrons dans cette vie. Alors je ne pus retenir mes larmes et j'éclatai en sanglot. Je voulais le revoir, je voulais le prendre dans mes bras, je voulais sentir son odeur encore au moins une fois. Juste une fois.

Je suis resté longtemps au bord de la rivière et cette nuit-là, c'est seul que je suis rentré.

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