27 septembre

27 septembre 1944, Bianca

Je me réveillai de bon matin. J'étais arrivée au parc à la tombée de la nuit et m'étais endormie sur un banc sans m'en rendre compte. Je fis un rapide tour mais le lieu était vide, aucune trace de vie humaine. Je tournai en rond sur moi-même, je commençais à désespérer. Non, je ne dois pas, je dois trouver mon frère. Cette seule idée me permettait d'encore me relever et d'avancer. J'étais si fatiguée, pas seulement physiquement, mais surtout émotionnellement. Si je ne le trouve pas... Alors je ne sais pas, aurais-je encore une raison de me lever le matin ? Hazel. Son visage me revint brusquement en tête. Je n'ai pas le droit de l'abandonner. Continue, Bianca, continue tout droit, tu dois avancer. Ne regarde pas en bas. Je fermai les yeux de toutes mes forces et tentai de respirer calmement. Après un long soupir, je les rouvris doucement, la tête maintenant vide et regardai autour de moi. Mes yeux s'arrêtèrent alors sur une petite cabane en bois où nous aimions nous réfugier. Mes pas m'y emmenèrent machinalement. J'avais un soupçons d'espoir d'y retrouver Nico mais je ne devais pas me faire d'illusion.

En entrant, évidemment, la cabane était vide. Je voulus ressortir quand quelque chose attira mon attention. Je me dirigeai vers un recoin de la cabane, là se trouvait un espace entre deux lattes en bois. Je m'approchai et aperçus un petit morceau de papier blanc glissé dans l'ouverture. Je m'empressai de le prendre et de l'ouvrir. À ce moment, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je reconnaissais cette écriture mal assurée mais soignée, c'était celle de Nico. Un élan d'espoir me prit alors qu'une larme coulait sur ma joue pendant que je lisais.

"Bianca,

J'ai trouvé refuge après la mort de Mama, si tu trouves ce mot, rejoins-moi à cette adresse, je t'y attendrai.  

Promet-moi d'être en vie,

Nico"

Une adresse était écrite au dos du mot. Il y avait quelques fautes à cause de sa dyslexie, signe qu'il devait l'avoir écrit dans l'urgence ou sous le stresse. J'espérais seulement qu'il aille bien, qu'il soit toujours à cette adresse. Je n'avais jamais été à cet endroit mais je savais où il se situait, n'étant pas tellement loin du parc. Je connaissais les rues de Venise presque par cœur et j'impressionnais toujours pour mon sens de l'orientation sans faille. Je marchais d'un pas rapide vers cet endroit. Quand j'y serai, tout sera peut-être fini, je saurai si le voyage fut vain ou pas. J'étais plus légère, je m'imaginais en face de mon frère, pouvoir le prendre dans mes bras, le rassurer, dire que tout va bien, qu'on rentre à la maison. Pleurer aussi toutes les larmes de mon corps. Lui dirai-je tout le chemin que j'ai du faire pour venir à lui, lui parlerai-je de Zoë ou resterai-je silencieuse ? Une angoisse me montait aussi à la gorge. Et s'il n'était pas là ? Je ne devais pas y penser, il m'avait laissé un mot, il devait y être, il n'y a pas de raison qu'il soit parti. 

Les derniers mètres me parurent interminable. J'atteignis enfin la porte quand je fus prise de panique. Tout mon stresse remonta d'un coup et j'hésitai quelques minutes avant de finalement toquer à la porte. Je trépignais d'un pied sur l'autre en attendant que l'on m'ouvre. J'entendis la porte grincer et me préparai mentalement à peut-être apercevoir la petite tête de Nico derrière l'embrasure. Je chipotais à tout ce qui me passait sous la main, vaine tentative d'évacuer mon stresse. La déception me frappa de plein fouet quand j'aperçus une jeune fille en face de moi. Elle avait ses cheveux noirs tressés et des yeux de la même couleur. Je reconnaissais à sa pose celle d'une guerrière. Je vis d'abord de l'incompréhension dans son regard puis une révélation. Elle me fit signe d'entrer. 

- Tu dois être Bianca ? Me demanda-t-elle alors qu'elle me proposa de m'assoir.

Ce n'était pas très grand chez elle mais confortable. Tout était parfaitement rangé à sa place, comme une maison témoin. Je laissai mes yeux se balader dans la pièce avant de finalement me tourner vers elle.

- Comment le savez-vous ?

- Tutoie-moi, s'il te plait, je n'ai que dix-huit ans. Je ne suis pas si vieille. Je m'appelle Reyna. Et tu as le même regard que ton frère, difficile de ne pas faire le lien. Il m'a beaucoup parlé de toi.

- Est-il ici ?

Elle se mordit la lèvre avant de répondre, hésitante, ce qui augmenta mon anxiété.

- Il était ici... 

Alors tout s'effondra en moi. 

- Comment ça ? Et la lettre ? Il m'a dit qu'il m'attendrais ici !

- Je suis désolée, c'est moi qui ait déposé la lettre. Je voulais te voir pour t'aider si tu cherchais à retrouver Nico.

- Mais c'était son écriture, je sais la reconnaitre !

- C'est lui qui l'a écrite, mais il ne l'a finalement jamais déposée. Il m'a parlé de cet endroit de votre enfance, je me suis dit que c'était le meilleur emplacement pour que tu la trouves.

- Où est-il maintenant ?

- Je l'ignore, je suis désolée, Bianca.

- Que s'est-il passé ? Pourquoi s'est-il retrouvé ici ?

- Calme-toi, s'il te plaît, je vais tout te raconter. J'ai eu la chance d'avoir été épargnée du bombardement d'il y a deux semaines. J'y suis allée après pour voir les dégâts et chercher des survivants. C'est là que j'ai trouvé ton frère. Il n'était pas dans un bel état mais était vivant. Je l'ai recueilli chez moi et soigné. Finalement ses blessures n'étaient que superficielles mais je ne voulais pas risquer d'infection. Il m'a expliqué sa situation et m'a beaucoup parlé de toi. Je lui ai proposé de rester chez moi, en sécurité, en t'attendant. Ton frère est vraiment quelqu'un de bien, je suis contente de l'avoir rencontré. Très vite, on s'est bien entendu même s'il restait distant au début.

- Je le sais, il a tendance à se refermer sur lui. Il faut juste apprendre à le connaitre. Je soupirai, Il me manque.

Reyna me sourit tristement et reprit son histoire.

- Je l'ai vu t'écrire cette lettre, je lui ai donc demandé ce qu'il faisait. Il m'a expliqué qu'il voulait la déposer dans la cabane du parc, il savait que tu viendrais le chercher et que tu la trouverais s'il la mettait là. Il voulait la mettre lui-même pour être sûr qu'elle soit au bon endroit, je lui ai donc promis de l'accompagner quand il serait capable de marcher de nouveau correctement.

- Qu'avait-il ?

- Une simple foulure à la cheville, rien de grave. Mais il ne savait pas marcher ni courir pendant bien une semaine. Je lui avais dit de se reposer, surtout après ce qu'il venait de vivre. Quand il était enfin en état, je lui ai dit que je l'emmènerais au parc le lendemain car il était tard. Il avait simplement hoché la tête et était directement parti se coucher. Pendant la nuit, il y eu du bruit dehors. Au début je ne m'étais pas inquiétée, ça arrive souvent ici. J'ai entendu des coups de feu mais c'est seulement le lendemain que j'ai compris. Il y avait une lettre de sa part sur la table, me remerciant de l'avoir accueilli et qui expliquait qu'il partait à ta recherche. Je lui avais formellement interdit de sortir la nuit mais il l'a fait. Il n'en pouvait plus de t'attendre, il craignait que tu ne viennes jamais, il doutait que tu sois en vie. Alors il est parti, voulant savoir à tout prix où tu étais. Il tenait énormément à toi, pas une journée ne passait sans qu'il n'ait ton nom sur les lèvres.

Je souris légèrement, étouffant un sanglot.

- J'ai retrouvé ensuite le mot qu'il t'avait écrit et je l'ai mis dans la cabane dans l'espoir de te voir et de t'expliquer la vérité.

J'hochai lentement la tête et parlai d'une voix brisée, camouflant mal mes sanglots.

 - Il est donc... Mort ? Ils l'ont tué, n'est-ce pas ?

- Je l'ignore, à vrai dire, le lendemain, quand je suis allée voir, je n'ai rien retrouvé. Ils ne prennent jamais le temps de dégager les corps d'habitude, ils les laissent comme exemple mais ici, rien. Même pas une tâche de sang. Je ne pense pas qu'ils l'aient tué mais dans tous les cas, je doute qu'on puisse faire encore quelque chose pour lui.

- Quand ?

- C'était il y a deux jours.

Je l'ai raté de si peu. En ce moment je maudissais mon père. S'il ne m'avait pas forcée à venir en Angleterre, Nico serait peut-être encore avec moi en ce moment. Je serais arrivée à temps. Je savais qu'il était vivant, qu'on ne devait pas l'abandonner. Je fondis alors en larme et Reyna me prit dans ses bras.

- On ne peut vraiment rien faire ? Je ne veux pas l'abandonner, je veux le revoir !

Elle me caressa doucement le dos.

- Je suis désolée, Bianca, il est trop tard. Il est sûrement mort à l'heure qu'il est.

Alors mes sanglots redoublèrent. Comment est-il mort ? Je me doute que ce ne soit pas dans des conditions agréables. Il a sûrement du beaucoup souffrir. Je m'en voulais tellement pour lui.

- Je sais que c'est dur-

- Je ne l'abandonnerai pas, s'il n'est pas mort, je le retrouverai.

- Comment ? Où vas-tu aller ?

- Vers l'Est, je sais que c'est là qu'ils les emmènent.

- Bianca, non. C'est trop dangereux.

- Je veux y aller, de toute façon, je préfère mourir que des rester les bras croisés quand mon frère a besoin de moi !

Reyna relâcha son étreinte et me regarda dans les yeux.

- Je t'interdis d'y aller. Cela ne sert à rien, tu mets ta vie en danger inutilement !

- Je le fais pour Nico, s'il te plait, laisse-moi y aller !

Reyna soupira et s'avoua vaincu.

- Très bien, de toute façon, je n'ai pas à te dire quoi faire. Fais attention à toi, Nico ne voudrait pas que tu meurs pour lui.

J'hochai la tête et me levai.

- Attends, reste au moins la nuit, tu as besoin de repos. Je t'aiderai à faire un plan demain matin.

J'hésitai avant de me rassoir, elle avait raison. Mais en même temps, chaque minute comptait. Je devais partir maintenant. Alors Reyna me répondit, comme si elle lisait mes pensées.

- Ça ne sert à rien de partir maintenant et de te tuer de fatigue. Tu auras plus de chance demain matin, quand tu seras en pleine forme.

J'hochai la tête.

- Je vais te montrer où tu pourras dormir.

Elle se leva et je la suivis vers une petite pièce.

- C'est tout ce que j'ai à te proposer. Ce n'est pas un grand luxe mais tu as tout ce qu'il te faut. C'est ici que Nico dormait avant de partir.

Elle avait hésité avant de rajouter la dernière phrase. J'hochai lentement la tête et elle comprit que j'avais besoin d'un moment seule. Elle quitta alors la pièce et je m'assis sur le sol. Ce n'était pas très grand. Il y avait un matelas posé directement sur le sol et un petit meuble à côté. Je m'approchai des couvertures et les sentis. Elles avaient encore son odeur. Il avait toujours senti bon. Je m'enroulai dedans et laissai mes larmes couler une nouvelle fois. Il me manquait tellement. J'avais tellement perdu pendant cette guerre. J'étais fatiguée. Fatiguée d'essayer d'encore me relever, de tenir debout. Je regardai autour de moi, il n'avait évidemment rien laissé dans la pièce. Je m'approchai du meuble et l'ouvris. À ma grande surprise, j'y trouvai des mots. Ils étaient tous de son écriture. Certains s'adressaient à Mama, d'autres étaient pour moi. 

Je retournai m'assoir sur le matelas et me remis dans les couvertures. À ce moment là, j'entendis un coup sur la porte et elle s'ouvrit doucement. Reyna entra avec des draps propres dans les bras. Quand elle me vit, elle s'excusa de me déranger.

- Tu préfères que je change les draps ?

Je secouai négativement la tête.

- Très bien, il est déjà midi passé, tu peux venir quand tu as faim.

J'hochai la tête mais j'avais l'appétit coupé. Elle me fit un dernier sourire et s'en alla. Je retournai à la contemplation des mots et passai toute l'après-midi à lire ceux pour moi en boucle, encore et encore jusqu'à ce que la nuit tombe et que je m'effondre de fatigue.

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