17 Septembre
17 septembre 1944, Bianca
Traverser les Royaume-Unis n'a pas été tellement compliqué. J'ai pris à la première heure un train direct vers Londres et de là, j'ai pu facilement rejoindre les villages bordant la côte. Rejoindre la France, fut par contre un autre défi. Il n'y a presque plus de transports touristiques qui traversent la Manche. Le débarquement de Normandie ayant eu lieu il y a un mois seulement, des navires anglais partent encore vers leur pays allié. J'ai donc soudoyé un soldat de me prendre illégalement, mon histoire l'avait particulièrement touché. Il était d'origine espagnole et comprenait ce que c'était que de laisser ses proches dans un autre pays sans aucune nouvelle, chaque jour il rêvait de pouvoir rentrer chez lui. Le trajet ne fut heureusement pas trop long. Je m'étais cachée dans les cales avec l'aide de ce soldat que je ne remercierai jamais assez.
Me voilà donc marchant sur les plages Normandes ou Bretonnes, je ne sais pas trop mais on m'a appris qu'il ne fallait surtout pas se tromper si l'on voulait ne pas se faire détester des Bretons et des Normands. Je rejoignis la route où je pourrais faire du stoppe. Pour l'instant, rejoindre la Suisse ne devrait pas être dur. Tant que je restais en France, j'étais dans la partie libre d'Europe. Les choses se corseront quand je mettrai les pieds en Italie, ma destination finale. Après l'arrestation de Mussolini, l'année dernière, l'Allemagne avait compris que l'Italie quitterait l'axe pour rejoindre les Alliés, même si au début ça devait rester confidentiel. Elle a donc prévu le coup et occupe maintenant tout le Nord, pile là où je devais aller.
Après un long moment à attendre le pouce levé, une voiture s'arrêta enfin. C'était un homme, la trentaine environ, les cheveux bruns bouclés coupés courts. Il avait un sourire chaleureux et me demanda quelque chose en français que je ne compris évidemment pas.
- Sorry, I speak English.
Son sourire s'agrandit.
- Where do you come from ? (D'où viens-tu ?)
Son accent français était à couper au couteau mais au moins, il comprenait l'anglais, c'était un bon point. Je me doutais qu'il devait apprécier les anglais, vu son sourire après ma phrase dans leur langue et que ceux-ci les avaient aidés à se libérer de l'occupation Allemande. Je décidai donc de dire que je venais de là-bas, les Italiens n'ayant pas très bonne réputation, techniquement, je ne mentirais pas vraiment.
- I'm from U.K. (Je suis des Royaume-Unis)
Il fronça les sourcils, mon accent italien devait être évidemment presque aussi fort que le sien français mais il sembla ne pas en tenir compte. Il me fit signe de monter.
- Where do you want to go ? (Où veux-tu aller ?)
- Switzerland. (Suisse.)
- I don't drive that far. Paris, that's okay ? (Je ne vais pas aussi loin. Est-ce que Paris c'est bon ?)
Son anglais n'était pas parfait, il glissait quelques erreurs par-ci par-là mais de toute façon le mien ne l'était pas non plus. Au moins il n'entendrait peut-être pas que je ne suis pas anglophone.
- Perfect, you help me a lot ! (Parfait, vous m'aidez beaucoup !)
- Your accent is curious. I've never heard it before. (Ton accent est curieux. Je ne l'avais jamais entendu avant.)
- My mother was Italian and my father is from London. I always spoke with her in Italian. (Ma mère était Italienne et mon père est de Londres. J'ai toujours parlé avec elle en Italien.)
- I think Italian is a beautiful language. I would like to go in Italy but... Il se tourna vers moi. You know... (Je pense que l'Italien est une belle langue. J'aimerais aller en Italie mais... Tu sais...)
- I know... (Je sais...)
Un silence s'installa dans la voiture. Je regardais les paysages défiler. C'était la première fois que je venais en France et malgré tous les restes de la guerre, je pouvais dire que c'était un beau pays.
- Why do you want to go to Switzerland ? (Pourquoi veux-tu aller en Suisse ?)
Je me tournai brusquement vers lui et il se rattrapa.
- Sorry, it's maybe... Indiscret ?
Ça me fit rire de l'entendre utiliser un mot français avec l'accent anglais. Je ne savais pas ce que ça voulait dire mais je compris l'idée.
- To be honest, I wanna go to Italy. (Pour être honnête, je veux aller en Italie.)
- Italy ?! It's too dangerous ! (Italie ?! C'est trop dangereux !)
- I know but I have a good reason. (Je sais mais j'ai une bonne raison.)
- Okay... Hum, good luck, I guess. (Ok... Bonne chance, je suppose.)
Il se reconcentra sur sa route et il y eu de nouveau un silence. Je pouvais voir dehors les civils envahir les rues et crier de joie, enfin libre. Ils chantaient des chants en français dont j'aurais bien voulu comprendre les paroles. Je souris à ce spectacle, contente que la fin de ces temps rudes soit enfin proche. Il restait encore beaucoup de chemin mais la libération se faisait sentir, la tournure de la guerre avait redonné un sentiment d'espoir à tout le monde. Le printemps reviendra, c'est ce que me promettait Mama. Elle avait raison, on pouvait déjà voir des fleurs percer la neige. Un immense sourire s'étalait sur mon visage. C'était bon de se sentir enfin libre après toutes ces années, de voir le ciel bleu. Bientôt pourrions-nous simplement profiter de la vie, insouciants ? Mais la réalité me revint brusquement, tout ceci n'était que le début du voyage. Je ne suivrai pas le même chemin que les anglais, je devrai rejoindre le côté Allemand, là où la guerre sévit encore, plus violente que jamais. La peur m'envahit alors, j'aurais bien aimé ne pas faire ce voyage seule. Et si j'échouais ? Je m'inquiétais terriblement pour mon frère.
- Are you okay ? Demanda l'homme, voyant ma petite mine.
- Yes, I'm fine, Mentis-je.
Il fronça les sourcils, ne me croyant clairement pas mais décida de changer de sujet, ce pour quoi je lui en étais reconnaissante.
- I didn't ask, what's your name ? (Je n'ai pas demandé, quel est votre nom ?)
- Bianca, and can I ask yours ? (Bianca, et puis-je demander le vôtre ?)
- Of course, I'm Hermès. I'm a factor. Since English soldiers are here, I have a lot of letters to...Il réfléchit un moment, cherchant ses mots. Anyway it's why I was in Normandie and now I 'm going back home. (Bien sûr, je suis Hermès. Je suis facteur. Depuis que les soldats anglais sont ici, j'ai beaucoup de lettres à... Peu importe, c'est pourquoi j'étais en Normandie et maintenant je retourne chez moi.)
J'hochai la tête. La route dura longtemps sans qu'aucun de nous deux ne parlent. Nous étions parfois bloqués en ville par toutes les voitures et les personnes trainant dans les rues. Me rendant compte que le trajet allait encore être long, j'eus soudain une idée. Je me tournai vers Hermès et lui demandai de m'apprendre des bases de français car je risquais de rester en France quelques temps encore. Parler la langue serait très utile pour par exemple demander mon chemin ou dire où je vais quand je fais du stoppe. Il accepta avec plaisir et tenta de m'apprendre un peu la langue de l'amour. Et c'est là que je me rendis compte que cette langue est complètement folle. Dire bonjour, ça va, dire au revoir aussi mais dès que viennent les constructions de phrases, les règles de grammaire, j'avais envie d'abandonner.
Après plusieurs heures et un bon mal de tête, je vis enfin le panneau "Bienvenue à Paris". Je le traduisis à Hermès, fière de l'avoir compris. Il me regarda en souriant. Je pu voir de loin la tour Eiffel pour la première fois ce qui me fit de nouveau sourire. Je regardais autour de moi comme une enfant, ne voulant rien manquer. Hermès se gara finalement en me fit signe de descendre. Il vint vers moi et demanda :
- So, it's almost night, where are you going to sleep ? (C'est bientôt la nuit, où vas-tu dormir ?)
- I don't know yet, maybe... (Je ne sais pas encore, peut-être...)
- Come home, I won't leave a young girl alone on the street. (Viens à la maison, je ne vais pas laisser une jeune fille seule à la rue.)
- You're sure ? (Vous êtes sûr ?)
- Yeah !
Je le suivis alors. Nous entrâmes dans un bâtiment et il m'expliqua sa famille pendant que nous montions les escaliers.
- I have a son, he doesn't speak English but he's nice. His name is Luke. Il ouvrit la porte d'un appartement et termina en me laissant entrer. And here's my wife, May. Il se tourna vers elle pour l'embrasser. Salut ! (J'ai un fils, il ne parle pas anglais mais il est sympa. Il s'appelle Luke. Et voici ma femme, May.)
- Bonjour, Tentais-je avec mon fort accent Italien dont Hermès avait beaucoup ri dans la voiture.
Elle se tourna vers moi en souriant pour me répondre puis parla avec son mari de choses dont je ne pigeais pas un mot.
Après m'avoir montré où je pourrai m'installer pour la nuit, May appela pour le repas. Je pus enfin voir qui était Luke. Il était assis en face de moi et me regardait avec ses yeux bleus, l'un d'eux traversé d'une cicatrice. J'étais légèrement mal à l'aise et Hermès tenta de me faire la conversation. May essayait de participer et je voyais le regard de Luke jongler sur nos visages, ne comprenant un traitre mot. Alors je me tournai vers lui et essayai de lui parler en français. Evidemment, je ne savais pas dire grand chose et ne comprenais pas ses réponses. Alors il me montra un objet et articula lentement quelque chose. Je compris qu'il voulait m'apprendre un peu de vocabulaire.
- Fourchette. In Italian ?
- Forchetta.
Nous passâmes donc tout le repas à s'échanger des mots dans nos langues. Lui m'apprenait le français, moi l'italien. Quand nous n'arrivions pas à nous comprendre, alors Hermès jouait le traducteur. Le repas continua comme ça dans la bonne humeur.
Puis vint le moment de débarrasser, je me levai pour aider mais May me fit signe que je n'en avait pas besoin. À la place elle tenta de me faire comprendre que je pouvais aller me reposer. C'est vrai que j'étais épuisée, je n'avais presque pas dormi la nuit dernière. Mes cernes devaient sûrement être énormes. Ce soir là, à peine avais-je posé la tête sur l'oreiller, que je m'endormis aussitôt.
Le lendemain matin, j'étais debout de bonne heure. Lorsque je me levai, seul Hermès était déjà réveillé. Il me proposa de quoi manger puis prit une carte avec lui. Il la déplia sur la table et m'expliqua l'itinéraire que je pouvais suivre pour me rendre en Suisse. Il me montra où se situait la gare de Paris, quel train je devrai prendre et me fit mémoriser tous les noms de villes importantes. Il me donna un petit papier avec toutes les bases de français qu'il serait utile que je retienne. Je sortis mon bloque note et écrivis le trajet à suivre. Demain, je pourrais déjà être en Suisse. Et normalement, dans deux ou trois jours, si j'ai de la chance, je passerai la frontière Italienne et là tout deviendra plus compliqué. Je devrai faire profil bas, éviter les soldats allemands sans paraître suspecte car je ne veux pas qu'ils me demandent mes papiers. S'ils voient que je suis loin de chez moi, ils demanderont ce que je fais ici et s'ils apprennent que je me suis échappée de Venise ce fameux jour, je n'ai aucune idée de ce qu'il se passera, s'ils vont s'en foutre ou pas, mais je préfère ne pas tenter. Je ne pourrai marcher que la journée et devrai trouver un logement pour la nuit à cause de ce fichu couvre feu, tout en faisant attention à qui je ferai confiance. Je redoutais ce moment mais était impatiente d'être à Venise. Je me disais que rejoindre la Suisse serait un pique-nique par rapport au reste du voyage.
Il était encore tôt mais je devais déjà partir si je voulais être en Suisse avant la tombée de la nuit. Je rangeai mes affaires et remerciai longuement Hermès avant de partir. J'étais extrêmement reconnaissante de toute l'aide qu'il m'avait donnée et regrettais de partir avant que May et Luke ne soit réveillés. Je lui demandai alors de leur dire au revoir pour moi et partis, une boule de stresse au ventre, vers la gare de Paris.
Une fois dans le train, je posai la tête contre la vitre tout en observant le paysage défilé. Je ne pouvais chasser l'image d'Hazel de ma tête, attendant mon retour. J'ignore dans combien de temps nous nous reverrons mais je lui avais fait une promesse, je serai de retour le plus vite possible. Je ne sais pas ce qu'elle a bien pu raconter à papa et à Marie et j'espère qu'elle n'aura pas de problème à cause de moi. Pendant un instant, j'imaginai la possibilité qu'Hadès vienne à ma recherche mais chassai cette pensée de mon esprit. Je ne devais pas regarder en arrière, je devais avancer pour Nico, le retrouver et le ramener en sécurité. Après seulement je pourrai me soucier des choses futiles, penser à mon père, quelles activités je pourrai faire le lendemain avec Hazel. J'enviais cette future quiétude. J'avais encore un très long chemin avant d'y être et ce n'était que le début.
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