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Hope

Avant Taylor, j'étais persuadée que je finirai ma vie seule, comme une pauvre imbécile jugée de ces actes par les autres.

 Avant Taylor, aimer me semblait être devenu inutile, douloureux, impossible. Etre aimée me semblait dérisoire, que cela ne m'arriverait plus jamais tant j'étais une pauvre fille pathétique, détruite par la vie.

Quand j'ai tué Jonathan, j'ai perdu mon cocon familial, aussi nul était-il. J'ai perdu l'amour d'une mère, d'un frère, d'un petit-ami et de mes amies. Je me suis retrouvée seule, contre le monde entier. 

Quand je suis sortie de prison, j'ai d'abord vécu en ermite dans ce nouvel appartement. Je n'avais rien de mes affaires, les murs blancs m'angoissaient, tandis que mon corps entier me faisait souffrir. 

Le plus douloureux était mes maux de têtes. Je ne savais pas si c'était les coups ou à force de trop penser. 

Je restais allongée sur le lit, dans un état de semi-conscience. Je préférais ne pas bouger, rester les yeux grands ouverts à ressasser ma vie, à réfléchir ce que j'avais loupé, ce qui m'avait échappé. Parce que tout paraissait illogique. 

Je ne comprenais plus rien, ma vie était en train de s'écrouler.

Elle était en quelque sorte finie... Parce que j'avais tué. 

J'attendais un mot de ma mère, au moins. J'attendais un appel de Julian, de Caro, de Sophia ou des nouvelles de Baptiste. 

J'ai attendu. Longtemps, très longtemps. J'ai attendu en vain. 

Et je n'ai jamais rien reçu. 
Et quand j'osais poser des questions, seuls les soupirs exaspérés de ma mère me répondaient.

Être livré à soi-même est une chose difficile. Beaucoup plus qu'on ne le pense.

Parce qu'on revit les évènements, parce qu'à chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais le sang pourpre s'étendre jusqu'à mes pieds, je pouvais encore voir sa grimace de douleur, entendre ses suppliques et ses mains levées vers moi. 

Les cris de Nora, ceux de mon frère, les miens chargés de haine, de vengeance non dissimulée. 

C'est comme ça que les insomnies ont débutés. La peur de dormir, qu'on vienne me tuer pendant mon sommeil, qu'on vienne me violer à mon tour et que tout ce à quoi je m'accrochais disparaisse.

Et la seule présente pour me rassurer a été Nora. Depuis le début.

Quand ma mère me niait, Nora me consolait.
Quand l'orage grondait, Nora chantait.
Quand mes larmes coulaient, Nora les séchait.


Oui, elle n'a plus osé agir pour Baptiste. Oui, elle a eu peur des menaces du violeur de mon frère.  Oui, elle a signé ce fichu accord mais elle a été la seule encore présente pour moi et ça je ne pourrai jamais l'oublier, même si certains la trouve égoïste.

C'est elle qui a repeint notre chambre en turquoise, pour apporter un peu  "fantaisie" dans ma vie, qui m'a prêté pendant de nombreux jours son lecteur cd pour que je comble le vide par la musique. J'entendais ses larmes couler, ses sanglots étouffés certaines nuits. Je savais que c'était de ma faute si elle aussi avait tout perdu, pourtant, elle ne me l'a jamais reproché et quand je lui en parlais, un sourire naissait sur ses lèvres ourlées avant qu'elle ne me prenne dans ses bras. 

*****

Je m'active dans la maison, range les chaussures dans la petite armoire de la chambre. Tant pis si ce n'est pas leur place, je m'en fous. Il faut que ce soit en ordre, ça m'enlèvera une dose de stress. Je range par la même occasion les vêtements de Tay qu'il a bien repliés et les planque dans ma garde-robe.

J'essuie mes paumes sur mon jeans, nerveuse. Je n'arrive pas à tenir en place, il n'y a rien à faire.

Je file dans la cuisine, fais du café avant de nettoyer ma tasse.
L'heure sur le cadran affiche onze heures. Ils vont arriver d'une minute à l'autre et l'angoisse en moi est à son comble. 

Je décide de finalement m'assoir dans le fauteuil, me ronge les ongles en croisant les jambes. Je les décroise pour finalement m'assoir sur mes pieds. 

Putain... Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à être zen ?

Une voiture se fait entendre devant chez moi et je bondis sur mes pieds. Juste une demi-heure à tenir, puis Tay arrivera. Ça devrait aller. Non, ça va aller.

Je prends une profonde inspiration, tente de détendre mes épaules et vais ouvrir la porte quand des coups retentissent dessus.

Mes jambes se mettent à trembler au même rythme que mes bras. Je vais tomber là. Je pense.

Les yeux noisettes de Baptiste plongent dans les miens. Je ne respire plus, je crois. 

—Salut, dis-je d'une voix étranglée.

******

Ma mère s'est assise à côté de Nora dans le canapé et Baptiste lui, a pris place sur un des deux fauteuils. J'ai déjà amené les boissons et jusqu'à maintenant, aucun d'entre nous ne prend pas la parole. Les yeux de ma mère parcourent la pièce avec une certaine pitié dans les yeux. Okay mon chez moi n'est peut-être pas un palace, mais je l'aime bien moi, même si je sais que je n'y resterai plus longtemps.
Nora tripote ses bagues en regardant ses mains, les sourcils froncés et Baptiste me fixe de ses yeux semblables aux miens.

—Hum.
Je tousse, interrompant ce silence chargé de secrets, de non-dits et d'amertume. 

Je veux qu'ils parlent, qu'on parle. Plus vite ce sera fait, et plus vite je serais tranquille. Je n'aime pas quand ça traine, j'aime aller à l'essentiel, qu'on nous tourne pas autour du pot. Sûrement une des choses que j'ai de suite aimer chez Tay. 

Tay... 

Comme j'aimerais qu'il soit là, que nos doigts s'enlacent amoureusement alors qu'il prendrait le taureau par les cornes avec ses mots francs, directs. Il m'insufflerait son courage, sa force, son amour et je me sentirai bien mieux. Sauf qu'il n'est pas là, que j'ai l'impression d'être seule face à ces personnes qui représentent ma famille. 

Je croise mes mains entre elles, imagine qu'il soit là, à mes côtés. Un frisson parcourt mon échine quand je me rends compte que les trois paires d'yeux sont braquées sur ma personne. Je hais ça... Je hais ces regards -là, emplis de pitié, d'incompréhension et de peur.

—Je veux que tu me racontes pourquoi t'as accepté ce contrat de merde.
Je me tourne vers mon frère, la gorge nouée. Mes paumes moites se resserrent entre elles, un peu plus fort encore.

—Tay te l'a déjà dit, balbutié-je.

—Je m'en fous de ce que ton mec a dit, Hope. Je veux que tu me le dises toi.

—On m'a tabassée, Baptiste. Jamais je n'aurais accepté de me taire si ça n'avait pas été le cas. J'ai... J'ai cru qu'ils allaient me tuer.

Ma mère ricane et je lui lance un regard noir. Sérieux ? Elle rit ?

—N'exagère pas non plus, dit-elle.

—Exagérer ? Tu n'étais pas là pour voir. Même le putain d'avocat censé m'aider n'était pas présent, craché-je avec véhémence.

—Calme-toi, souffle Nora.

Sauf que je ne peux pas me calmer. Dès que j'aborde ce sujet, ce jour, et ces sales ordures, les images de ce que j'ai vécu me reviennent dans la gueule tel un boomerang. 

—Non, je ne me calme pas ! crié-je en me levant. Merde ! J'ai tué pour lui ! Et vous ? Qu'est-ce que vous avez fait, vous ?

—Tu sais que j'ai essayé, Hope ! Hurle Nora en se levant à son tour. Tu sais que j'ai essayé d'intervenir, tu sais ce qu'il m'a dit !

—Oui, oui, oui ! Je sais ! Mais pourquoi tout le monde semble être contre moi ? Pourquoi vous êtes contre moi ?  Pourquoi ?!

—Parce qu'on n'en a jamais parlé, je suppose !

Je me laisse choir dans le fauteuil, déjà éreintée par cette discussion. On n'ira jamais nulle part si on continue d'hurler.

Je me pince l'arête du nez entre le pouce et l'index, reprends d'une voix posée.

—Je l'ai tué parce que je voulais t'aider, Baptiste. Sans qu'il ne s'en prenne à Nora ou à moi par la suite. Je l'ai tué parce que je n'en pouvais plus d'entendre tes pleurs, chaque nuit, soupiré-je. Et je ne le regretterai jamais.

Ma mère étouffe un cri, sûrement choquée que je n'ai pas de regret.  Je soupire, mon frère inspire et Nora essuie ses larmes.

—J'ai été considérée comme une merde, bien pire que ça. J'ai eu affaire à de sales ripoux de mes deux, à une cellule bien trop dégueulasse, même pour un clébard. J'ai eu le droit à deux côtes cassées, à un nez broyé, des lèvres fendues, des hématomes sur chaque parcelle de mon corps. Oui, maman a été relogée, oui elle a eu du fric pour la fermer...

—Tu n'en sait rien ! Hurle-t-elle en pleurant.

—Je sais tout, maman, dit-je d'une voix basse. Je sais tout, bien au contraire. Et je ne voulais pas taire ce que tu avais subi, Baptiste. Je m'en foutais de passer ma vie en taule tant que t'allais pouvoir vivre plus décemment. Je n'ai pas eu une vie simple, pas du tout même. Et je ne savais pas où tu étais quand je me suis retrouvée enfermée. 

—Les gens parlaient sur elle, intervient Nora. Ils la regardent de travers, encore maintenant. Je sais que moi aussi, j'aurais dû agir, je le sais. Mais Hope a le courage de...

Le silence prend place, entrecoupé des sanglots de ma mère.

—Je suis désolée... Je suis désolée de ce qu'il t'a fait Baptiste. Je ne savais pas avant que ta sœur intervienne. Je ne me doutais vraiment pas de ça... Mais... Mais comprends-moi. C'était dur. Dur de me dire que l'homme que j'aimais abusait de mon fils.

—Vous m'avez fait enfermé, siffle Baptiste. J'ai été drogué pour fermer ma gueule, j'ai été obligé de signer un foutu papelard pour ne rien dire. Quand j'ai vu vos trois signatures, je vous ai détestées !

Je tremble sous ses mots, sous la véhémence et la rage qu'il insuffle dans ceux-ci. Il a raison, il a eu raison de nous détester. Ce qu'il a vécu est horrible et je suis bien moins à plaindre que lui.

—Tu ne peux pas nous détester, pleure ma mère.

Baptiste rit froidement, je frémis. Bien sûr qu'il en a le droit. On ne choisit pas qui on déteste ou qui on aime. Les sentiments de haine ou d'amour naissent seuls, sans qu'on ne le décide forcément.

—Je vous déteste si je veux, déjà, crache mon frère. Si j'ai envie de vous dire que je suis en colère contre vous, j'en ai le droit, si j'ai envie de vous dire que vous êtes trois égoïstes, c'est mon droit aussi !

La porte d'entrée qui s'ouvre sur Taylor interrompt la tirade de Baptiste. De suite mon regard croise le sien, j'esquisse un petit sourire pour le rassurer et me lève. Mes forces me reviennent instantanément, juste parce qu'il est là.

Baptiste marmonne dans sa barbe, pas du tout ravi de la présence de Taylor. Nora soupire et ma mère se lève, emportant son sac à main avec  hargne. 

—Je ne peux pas rester, dit-elle, je suis désolée.
Tay attrape mon bras, me questionnant de ses yeux mais je ne peux pas lui répondre.

—Maman, reste, demandé-je. Pour une fois qu'on parle.

—Non, je ne peux pas, Hope. Parler n'est pas toujours ce qu'il y a de mieux et je n'ai rien à te dire, absolument rien.

Mes mâchoires se crispent, autant que mon corps. Mes larmes ruissèlent sur mes joues. Sont-elle de tristesse ou de haine ? Je ne sais pas... 

Nora la supplie de rester, de nous parler quant à Baptiste, il reste impassible, à fixer ses mains jointes. 

Les doigts de Tay s'enfoncent dans ma hanche, un muscle de sa mâchoire tressaute. Il devine très rapidement que ça s'est mal passé. Il me lâche et retient la porte de son bras, empêchant la moindre issue à qui que ce soit. 

­­­—Vous n'irez nulle part. 

**** 

Coucou :) 

Je tenais à m'excuser pour le retard de chapitre.. 

J'ai la grippe! Youhou! 

Bref, la suite arrivera très vite, je me grouille ;) 

Bisous 

Amandine

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