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Hope.

J'essuie mes paumes moites de sueur sur mon jeans, stressée, nerveuse comme jamais. Taylor a arrêté la voiture sur le parking du parc depuis dix minutes déjà et je n'ai pas réussi à décoller de mon siège. Je regarde les arbres se balancer lentement au gré du vent, paniquée. Je fouille dans mon sac, sors ma plaquette de cachets et en fais fondre un sur ma langue en fermant les yeux. Je n'aime pas les prendre sous le regard inquiet de Taylor, mais là, je n'ai pas vraiment le choix. Les angoisses sont énervantes à vivre, harassantes, écrasantes. Cette sensation de ne plus avoir d'air, de ne plus savoir comment faire pour respirer tout en ayant des sueurs froides qui coulent le long de mon dos, cette sensation d'avoir la gorge si serrée que j'ai le sentiment d'étouffer, d'avoir un poids énorme sur l'estomac, des nausées.  Tout ça m'emmerde. J'aimerais tellement ne plus jamais en avoir, vivre normalement, comme les autres. 

Il attrape ma main dans la sienne et me répète pour la centième fois au moins que ça va aller, et je lui réponds pour la centième fois que je ne sais pas.
Cinq années sont passées depuis, j'ai changé, aussi bien physiquement que moralement et je sais que je n'aurais pas devant moi l'ado d'antan.

Et je stresse encore plus parce que si Tay n'avait pas insisté, Baptiste ne voulait pas me voir. Son non froid et sec résonne encore dans ma tête. 

Qu'est-ce que je vais lui dire quand je serais devant lui ? Est-ce qu'il va me prendre dans ses bras ou non ? Est-ce qu'il va me poser des questions ? J'en ai des tonnes, moi.

Je fixe les grands doigts de Taylor, caresse du pouce ses phalanges rêches dû à son boulot.

Il est là. Qu'il en apprenne un peu plus ne changera plus rien, je le sais. Il sait le pire, le principal. Ça me rassure de le savoir avec moi, quoi qu'il se passe.

—On peut y aller, dis-je en soupirant.

Il hoche doucement la tête et je lâche sa main pour sortir de la voiture. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel, nous écrasant de sa chaleur. Pourtant, nous sommes seulement au printemps. C'est hallucinant et je n'ose même pas imaginer quel temps nous aurons en été.

Je fais le tour de la voiture, rejoins Tay et souris quand il attrape mon visage entre ses mains de géant.

—Je suis là, ok ?

—Je sais.
Et pour la première fois, je suis vraiment convaincue quand il me le dit. Tous les autres qui faisaient partie de ma vie, avaient déjà fui sans connaître ce que lui sait. Il a suffi que le meurtre soit mentionné pour que je sois rejetée de toute part.

Mais lui, non. Il est là. Depuis le début il affronte les tempêtes avec moi sans m'abandonner. Et je l'en aime encore plus.

—Je te pot de terre, Tay.

—Je t'aime aussi, Hope, dit-il en souriant. Allez viens, on y va avant qu'il ne se casse.

J'acquiesce, savoure le baiser qu'il me donne et prends sa main quand nous nous dirigeons vers le parc.

*****

Le parc dans lequel nous sommes est le seul de Jools. C'est entre ses ifs et massifs que j'ai appris à faire du vélo quand j'avais cinq ans, dans celui-ci que j'ai échangé mon premier vrai baiser avec Julian, mon petit-ami de l'époque. J'y ai perdu ma virginité aussi, planquée derrière un arbre, allongée sur une couverture.

Nous longeons l'allée de graviers qui séparent les pelouses, marchons jusqu'au terrain de basket qu'il y a dans le fond du parc et je me fige l'espace d'une seconde quand j'aperçois Baptiste de loin.
Son sweat à capuche noir m'empêche de distinguer son visage et ses cheveux.

—Il doit être tapé pour foutre un pull alors qu'il fait trente degrés.
Je fais les gros yeux à Taylor qui sourit en coin en secouant la tête. Je réprime un rire pour ne pas lui donner satisfaction, même si dans le fond, il a raison.

—On y va ? demande-t-il. 

—Ouais, ouais.


Quand j'arrive devant mon frère, mes jambes tremblent, mon corps entier avec.

Son regard noisette fixe le mien et mon cœur se serre quand je vois qu'il ne prend pas la peine de se lever, qu'il reste assis. Tay me tire vers le banc face à celui de mon frère et je me laisse faire, déçue de cette première approche. J'essuie rapidement une larme, le regarde un peu mieux. Il est très mince, les cernes sous ses yeux sont creusés, sa bouche tirée dans un trait fin et dur.

—Pourquoi tu voulais me voir ? crache-t-il en me fixant droit dans les yeux.

—Déjà, tu te calmes avec ta sœur, c'est clair ? intervient Taylor.

Je presse ses doigts dans les miens, il soupire longuement. Un muscle de sa mâchoire tressaute tant il a envie de parler, pourtant, s'il se bagarre verbalement avec mon frère, on arrivera à rien.

—Parce que je voulais te voir et te parler. Savoir comment tu allais, ce que tu devenais...

—Me parler de quoi ? De ta lâcheté ?

Je grimace de douleur alors qu'il ricane. Recommencer à expliquer toute l'histoire s'impose à moi, pourtant je n'en ai pas envie. Parce qu'à chaque fois je revis les faits comme si j'y étais encore.

Taylor rit froidement, excédé.

—Lâcheté, hein ? dit-il. Putain, t'as un de ces culots, mec.

—Je n'ai pas été lâche, Baptiste. Je l'ai été au début, oui. Je te l'ai dit que j'étais désolée de ne pas avoir agi plus tôt, mais je ne suis pas lâche.

—T'as préféré signer pour ta putain de liberté, Hope. Pour avoir du putain de pognon. Alors quoi ? Moi j'étais quoi ? Juste un mensonge aux yeux des autres ? 

—Je me suis battue, Baptiste ! hurlé-je. Je me suis battue pour toi ! J'ai tout raconté aux flics ! J'ai été battue, laissée comme un animal agonisant dans sa pisse et son sang pour avoir osé dire non !

—Je n'ai quand même aucune preuve de ce que tu dis là, Hope. T'as quand même signé cette merde.

Son regard est froid et dur et je ferme les yeux.

—Non mais t'es débile ou quoi ? Tu voulais quoi ? Qu'il la tue ? Tu en veux à Hope alors qu'elle est la seule à t'avoir aidé ?

—Elle m'a aidé, oui ! s'énerve Baptiste. Mais à quel prix ? Elle a eu des emmerdes, d'accord ? Et moi ? On pense à ce que j'ai vécu, moi ? J'ai été dans un centre d'accueil ! Enfermé ! Surveillé ! Drogué aux cachetons ! Putain tu crois que je n'ai pas dû la signé cette merde ?! Bien sûr que si ! Et je l'ai fait parce que j'ai vu qu'elle l'avait fait ! Crie-t-il en me pointant du doigt.

—Je suis désolée, mais ce n'est pas de ma faute, Baptiste ! J'ai fait... Putain mais j'ai fait tout ce que j'ai pu, moi ! J'ai tué pour te défendre ! J'ai du sang sur les mains pour le reste de ma vie !

Le silence retombe entre nous et je ne retiens plus mes larmes. Je ne comprends pas pourquoi il m'en veut à ce point. Oui j'ai signé ce putain de papier, mais je n'ai pas eu le choix.

—Je t'avais dit de ne pas le faire, souffle-t-il doucement. Je te l'avais dit, Hope.

—Je sais que tu me l'avais dit, pleuré-je. Mais j'étais censée faire quoi ? Le laisser continuer ?

—Ça t'aurait évité toute ces merdes.

Je frémis, me mord la langue jusqu'à ce que le goût ferreux du sang s'étende dans ma bouche. J'ai envie de lui en coller une, de lui hurler dessus. Taylor prend mon sac, en sort ma boite d'antidépresseur et la balance sur mon frère. 

—Tu veux une preuve, sale égoïste? Tiens! Tu crois qu'elle prend ça pourquoi? 

—Ça ne veut absolument rien prouver, répond Baptiste en relançant la boite à Taylor. 

—Tu racontes n'importe quoi, tranche Tay. Sérieux, tu en veux à ta sœur pour avoir signé un papier que ta mère et Nora avaient signé en première. Pourtant à elle, tu lui parles au téléphone. Tu m'expliques ? Et tu reproches quoi au fait à Hope ? D'avoir choisi de vivre ?

—Je ne parle pas à Nora, siffle Baptiste. Elle a insisté en m'appelant quarante fois d'affilée, en me disant qu'un connard voulait tout balancer.

—Et ouais, le connard veut tout balancer, dit Tay en riant froidement. Et tu sais pourquoi ? Parce que je ne veux plus voir ma copine baisser les yeux quand elle marche dans la rue, je ne veux plus la voir trembler de peur quand l'orage gronde. Je ne veux plus jamais la voir pleurer à cause de toute la merde qu'il vous est arrivé.
Baptiste le regarde bouche bée, et Tay appuie ses coudes sur ses genoux en le regardant.

—Tu croyais quoi, Baptiste ? Que ta sœur vivait tranquille ? Qu'elle était bien dans ses pompes ? Que t'étais le seul touché par tout ça ? Toi, t'as le rôle de victime aujourd'hui, certes ce n'est pas cool. Mais tu ne sais pas ce que c'est d'avoir le rôle de meurtrier. Et je te souhaite de ne jamais le savoir. Mais comprends que ta sœur est importante pour moi, que son bonheur passera avant le tien, quoi qu'il arrive. Je l'aime et je compte bien la voir heureuse sans ses angoisses qui la paralysent au beau milieu d'une journée et s'il faut remettre tout ça sur le tapis pour qu'elle bien, je le ferai. 

Je me lève, et pars du terrain de basket. C'est trop, trop pour moi.
Baptiste qui ne me comprend pas, qui ne comprendra probablement jamais et Tay, ce qu'il dit, ce qu'il pense. Je suis submergée par diverses émotions. Je ne sais plus où donner de la tête entre haine et amour, tristesse et bonheur. Je crois que je deviens dingue, en fait. Parce que je ne devrais pas penser aux sentiments de Tay, à ces mots dits à mon frère me concernant alors que Baptiste me déteste. 

J'ai à peine parcouru une dizaine de mètres qu'une main puissante me rattrape.

—Tu vas où ?

—Je ne sais pas, dis-je en pleurant. J'ai... J'ai juste besoin de deux minutes pour respirer.

La peur que je lis sur le visage de Taylor me retourne le cœur. Je le prends dans mes bras, serre mes bras autour de sa taille.

—Je suis désolé, dit-il, je ne voulais pas perdre patience.

Ses bras se referment autour de moi et je ferme les yeux, me laisse apaiser par les battements rapides de son cœur.

—Ramène-moi, Tay. Ça ne sert à rien d'être là.

—Je suis désolé, répète-t-il.

Moi aussi je suis désolée. Désolée de ne pas être comprise par mon frère alors que je n'ai jamais voulu lui faire plus de peine qu'il n'en avait déjà. 

Quand je regarde derrière nous, Baptiste part, les mains dans les poches, comme si de rien n'était. J'éclate en sanglots dans les bras de Tay, resserre mes poings dans son t'shirt tandis qu'il m'enlace encore plus. 

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