31
Taylor
Parler de nos souffrances, c'est faire un plongeon dans le passé, revivre le même désarroi, la même peur et la même douleur que dans le temps.
Si pas plus...
Parler de nos souffrances, de notre passé, c'est ressentir... Encore et encore.
C'est comme arracher la croûte d'une plaie qui cicatrise, tirer de ses dents le fil de suture qui maintenait une blessure fermée, soudée. C'est prendre un couteau, et se l'enfoncer de son plein gré dans le ventre.
C'est tellement de choses à la fois, tellement de mots tus qu'on décide de balancer, d'un coup, comme ça, parce que ça fait du bien de se vider la tête, d'hurler sa peine, de crier à l'injustice et de jurer après la vie.
Voir ma Hope ravagée par les larmes me tue, littéralement.
Je sais que je ne te trouverai jamais LES mots pour l'apaiser, ni pour panser ses plaies. Pourtant, je suis là, assis dans ce lit miteux d'un hôtel bon marché, à la serrer aussi fort que possible dans mes bras.
Je comprends mieux pourquoi son geste semble incompris par les habitants d'ici, je comprends mieux pourquoi elle n'a pas eu une peine plus lourde, ainsi que ses angoisses.
Et je laisse mes larmes couler, détestant chaque personne qui ne l'a pas aidée, haïssant chaque être humain ne l'ayant pas suffisamment aimée.
Mes poings se serrent dans son dos alors que mon cœur prend sa peine, partage ses maux.
Je voudrai lui dire que ce n'est rien, que je suis là et que ce sera plus facile...
Mais c'est faux. Complètement faux.
Parce que je suis présent, mais que je ne compte pas en rester là. Je veux qu'elle retrouve sa fierté, parce que oui, elle peut être fière d'elle. Quoi que l'on dise, quoi que l'on pense, Hope a tué un criminel, un monstre. Et moi, je suis fière d'elle. Elle a eu les couilles de le faire alors qu'elle savait les risques qu'elle prenait.
Ses fins bras s'agrippent à ma nuque, comme si elle avait peur que je la lâche en cours de route ou comme si j'allais me volatiliser d'un moment à l'autre.
Sauf que je suis bien présent, et que je ne compte pas mettre les voiles.
J'ai encore tant de choses à lui demander, à savoir d'elle, mais je n'ose pas parler, je ne veux pas la brusquer alors qu'elle sèche ses larmes dans le col de mon t'shirt, que les miennes s'écrasent dans ses cheveux.
Qui de mieux que moi pour comprendre ce qu'elle vit ? Quand les gens de Sakloi ont su pour Stephanie, ça a été difficile aussi. Certains me voyaient comme le connard irréfléchi d'alcoolo qui venait de tuer une jeune fille innocente, d'autres me regardaient avec une pitié non dissimulée. J'ai fait face, j'ai accepté la gifle de sa mère, le poing dans la gueule de son père, et les insultes.
Je me suis forgé une carapace, celle du mec prétentieux, qui n'en avait rien foutre de la vie. Les seules fois où je m'autorisais à craquer, c'était chez moi, dans les bras de ma mère ou de Lisa. Et heureusement que je les avais, elles. Parce que j'avais quatre épaules pour chialer, quatre bras pour m'enlacer, et deux voix pour me soutenir, coûte que coûte.
Elle, elle n'a eu personne. Sa mère n'est qu'une sombre merde, clairement. Sa sœur a sûrement suivit le pas, je ne sais pas pourquoi. Pourtant, quand je l'ai croisée en bas de l'immeuble et que j'hésitais à monter de peur de me faire jeter, elle m'a longtemps parlé, m'a demandé de comprendre Hope, même si certaines choses ne pouvaient pas être expliquées. Et j'avais eu le sentiment que même si elle paraissait froide, conne et égoïste, qu'elle devait vraiment aimer sa sœur pour me demander à moi, un type qu'elle ne connait même pas, de prendre soin de sa cadette.
Mais maintenant, je ne sais plus quoi penser d'elle, ni de comment je vais pouvoir approcher leur frère. Parce que je ne sais pas si le choix de Baptiste de ne plus les voir, ou si c'est un jugement qu'il l'ordonne.
Sauf que pour moi, ce jugement ne vaut rien. Si la famille de ce pédophile de mes deux et le juge étaient de connivence, ça n'a aucune valeur. Rien de bien légal, nada, que dalle même. Et je veux que cette histoire éclate, qu'on voit là où l'argent peut mener, que ma Hope est une nana bien et pas une folle à lier. Qu'elle n'aurait jamais fait cela sans raison.
Toute cette merde prouve encore que les gens jugent sans savoir, qu'ils ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur nez. Pourquoi une jeune fille de dix-huit piges tuerait un homme sans raison? Qu'elle ne le regretterait même pas, en plus? Ca n'a aucun sens quand on ne sait pas. Mais la population n'est qu'un troupeau, à croire ce que les médias racontent, à prendre les titres des journaux racoleurs et les ragots de voisinage pour argent comptant. Bande de débiles qu'ils sont.
Ca me révolte, et j'ai envie de retrouver ces raclures de fond de chiotte et de leur fracasser la gueule. Je voudrai leur faire subir le même sort qu'ils lui ont réservé à elle. Et cette flic? Celle qui sait et qui a compris... Où est-elle? Je ferme les yeux, soupire tellement fort que je vide l'intégralité d'air de mes poumons. Corrompue, certainement. Comme tous ces ripoux de merde qui ont effacé les dires de Hope des dossiers. Je suis dégoûté, haineux, rageur.
En attendant, j'ai besoin de me calmer, de chasser de ma tête les images de ma copine en train de se faire rouer de coups.
Je m'allonge sur le lit, la tirant avec moi. Ses yeux bruns semblent avoir une teinte plus claire, avec ses larmes. Je les chasse de mes doigts, elle sourit doucement en essuyant les miennes.
—T'es toujours là...
Je ris doucement, sentant mon cœur se gonfler. Merde, jamais je n'avais imaginé que d'aimer une femme pouvait se faire si vite, si fort, si sincèrement. Ou l'avais-je oublié, simplement ?
—Je serais toujours là, Hope.
Ses yeux brillent d'une étincelle nouvelle, d'une que je n'avais encore jamais vue dans ses yeux de biche. Je suis certain que si je posais mon oreille sur son cœur, je l'entendrai battre au rythme du mien.
—Tu veux te battre avec moi ? Contre le monde entier?
Elle fronce les sourcils, ouvre la bouche sans qu'aucun son ne soit prononcé.
—T'as peur, je sais bien mais c'est essentiel de le faire, bébé.Pour toi, pour ton frère aussi.
—Mais tout...Tout ce remue-ménage médiatique me fout la trouille, Tay. J'ai peur d'être harcelée, de ne jamais plus être tranquille et que je sois jugée, partout cette fois.
Je la comprends, mais je suis certain que plusieurs personnes la verraient enfin telle qu'elle était : Une gamine sacrément courageuse, dotée d'une fameuse paire de couilles à en faire pâlir plus d'un.
—Hope...
Je prends une pause pour l'observer avec ses yeux rougis, ses cernes creusés à forces d'avoir pleuré. Ses lèvres qui tremblent entre elles me donnent l'envie de les embrasser, pour les rassurer. Je repousse une de ses mèches de cheveux et la cale derrière son oreille, lui vole quand même un baiser avant de reprendre.
—Je te fais signaler que t'habites dans le trou d'cul du monde. Alors...
Elle lève ses yeux au ciel, me fais un doigt d'honneur et je souris, parce qu'enfin je la retrouve, plus entière que jamais.
—Tu détestes cet endroit.
—Ouais mais pas la personne qui vit dedans et...
Elle rougit, caresse ma joue dans un geste tendre.
—Et ?
—Et j'ai vingt-cinq ans, et t'en as vingt-trois. Et je vis chez ma mère, encore. Et toi, tu vis dans une baraque pourrie où un psychopathe te surveille peut-être et...
—Le seul psychopathe que j'y ai vu est allongé à mes côtés, dit-elle en riant doucement. Taylor, tu me demandes quoi, là ? Je t'ai connu plus direct...
Ah. Donc c'est fini les larmes, les « je t'aime » et les tendresses ? Parfait.
—Je voulais demander à une sale emmerdeuse d'emménager avec moi, quelque part, mais elle est tellement casse-burnes que je ne suis plus sûr de vouloir d'elle sous le même toit que le mien.
—Tu veux qu'on emménage ensemble ?
—Ouais.
—Si vite ? Mais les gens vont dire qu'on est dingue ! Et on l'est, à mon avis.
—Mais on s'en branle de ce que pensent les autres. C'est nous, notre vie, notre couple. Les gens n'ont rien à dire, qu'à regarder et fermer leur gueule.
Je me couche sur le dos quand elle se lève, la regarde tourner en rond, s'arrêter pour observer je ne sais quoi par la vitre en soupirant.
—Tay, je ne peux pas m'en branler.
—Mais bien sûr que si, Hope ! Tu sais, dans le fond les gens en n'ont rien à cirer de notre vie.
Elle rit, je ne comprends plus. Je me demande vraiment si elle ne devient pas folle.
—Je n'ai pas de bite, Tay. Alors non, je ne peux pas.
Je lui balance un coussin qu'elle reçoit en pleine figure et je me marre.
Qu'elle est conne !
On dirait deux bipolaires quand on est ensemble : On chiale, on sourit, on rit, on baise et on se cherche des poux. Elle ramasse l'oreiller, hausse un sourcil qui veut dire « T'as osé ? » et je kiffe ça.
—T'as osé, sérieux ?
—Ouais, j'ai bien visé même.
On est deux fous. On peut sombrer dans la folie à être trop amoureux, non ? Parce que clairement, je suis en plein dedans. Alors je lui balance le deuxième coussin en riant comme un gosse de cinq ans.
—T'as besoin de décompresser ? demande-t-elle.
—Pas toi ?
Elle est maintenant armée des deux oreillers, et je n'ai plus rien pour me défendre. Elle s'avance d'un pas, confiante.
—Si. Mais là...
Elle je ris quand elle m'envoie le premier polochon en pleine tronche avant de me sauter dessus. Tous les deux, nous nous battons, assénant des coups d'oreiller à l'un l'autre, bercés par nos rires. Evidemment, je suis gagnant. Déjà parce que je la domine de quarante-quatre centimètres, et qu'en plus, je suis bien plus fort qu'elle. Je lui prends les oreillers, la retiens par la cheville quand elle tente de les récupérer et la chatouille. Ses cris me font rire, son hilarité me fait du bien, me réchauffe le cœur et l'esprit.
Quand je la tire vers moi, je me couche sur elle et me marre quand elle tente de se dégager en riant.
—Tu m'écrases.
—Pauvre chou, va.
Ses deux petites mains glacées glissent par-dessous mon t'shirt et je crie quand elles se posent sur mon dos brûlant.
Elle glousse, je respire.
Putain, elle rit.
J'ai réussi à lui changer les idées même si nous allons devoir forcément rouvrir ce dossier.
Je me redresse, et agenouillé entre ses jambes, j'enlève mon t'shirt. Je sais ce qu'elle va voir, parce qu'après ça, elle ne pourra plus jamais douter. Beaucoup diront que c'est nul, que c'est fou de faire ça, mais ça m'est venu comme ça, parce que des fois, le hasard et les idées saugrenues qui nous traversent sont ce qu'il y a de meilleur dans la vie.
Elle écarquille les yeux tellement fort que je ris. Hope s'assied, bouche bée et caresse doucement le pansement transparent sur ma côte.
Quatre lettres y sont encrées, celles de son prénom.
—Oh mon dieu ! s'exclame-t-elle.
—Non, c'est « Oh Taylor » que tu devrais dire.
—Mais pourquoi t'as fait ça ?
—Ben ma copine m'a envoyé me faire chier, alors je suis allé faire un tour pour me calmer, pour ne pas l'attraper par le cul et la baiser contre une vieille façade et j'ai vu ce salon de tatouages.
—T'es dingue.
—Je sais.
—T'es vraiment fou.
—De toi, ouais.
—Mais tu sais que c'est indélébile, ça ?
—Ah ??? Non, merde.
—Mais c'est mon prénom !
—C'est vrai?
Elle me fait les gros yeux, rageant que je me moque et fixe l'encre sur ma peau.
—Ca veut dire espoir aussi, bébé. Et oui je sais que ça peut paraitre énorme, mais c'est toi que je pot de terre.
Elle rit en se cachant le visage entre les mains. Le son étouffé de sa voix me fait éclater de rire, quand je remarque qu'elle est gênée.
—Je te pot de terre aussi, Tay. Mais ne t'attends pas à ce que je me fasse tatouer ton nom, il en est hors de question.
—Ah ben si, je te le paie si tu veux. Genre sur ta fesse droite, il serait marqué « propriété de Taylor ».
Elle pouffe de rire en secouant la tête et attire mon visage vers le sien.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top