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Ce chapitre contient des scènes de violence... Si vous êtes sensible, évitez de le lire.
Amandine
*****
Hope
Cinq années plus tôt...
J'ai mal au bras, vraiment. Et puis je ne sais pas ce qu'ils vont faire de moi, là.
Je suis encore de l'euphorie je pense...
Je l'ai fait. Je l'ai tué, enfin.
J'ai fait ce qu'il fallait faire et je suis fière de moi.
C'était... Oh bordel que c'était gore !
Un rire sinistre m'échappe suivi d'un cri.
Mes larmes roulent sur mes joues salies de son sang de pédophile. Mes mains tremblent alors qu'une d'entre elles est menottée au pied métallique d'une chaise.
Je regarde mes cuisses nues. Elles sont sales, couvertes d'un sang qui ne m'appartient pas. Mes cheveux ont cette odeur âcre mêlée à celle de la gerbe de ma soeur. Je vais vomir.
—Je veux prendre une douche !
Je m'égosille dans cette grande salle vide. Il n'y a personne mais je sais qu'ils m'observent par la vitre sans teint, devant moi. Je le sais, parce que je l'ai vu tant de fois dans les séries à la télévision.
—Je veux prendre une douche !
Trop tard, je vomis sur la table devant moi. La gerbe dégouline sur mes jambes, sur mon bras et je revomis, encore, dégoûtée.
La porte s'ouvre et je relève la tête.
—Je veux prendre...
—Ta gueule, on a compris.
Je me tais, essaie de redresser mon dos, en vain.
—J'ai mal au dos, dans cette position.
Et c'est vrai. Mon poignet touche pratiquement le sol bétonné, mon dos est courbé d'une façon bizarre.
—T'es dégueulasse, grogne-t-il en regardant la table.
Il tire une chaise, croise ses jambes et ouvre un dossier. Son visage est marqué par des rides peu profondes, sa bouche est tirée vers le bas tandis que ses cheveux noirs sagement peignés sur le côtés me font grimacer.
—Ton nom ?
—Vous le connaissez...
—Je t'ai demandé ton nom.
—Hope Macgualister.
—Ton âge ?soupire-t-il.
Ça n'a pas de sens, il sait tout ça. Je secoue la tête, ravale mes larmes difficilement.
— J'ai dix-huit ans.
Le bruit de son stylo griffonnant sur son bloc me fait frissonner.
Il se lève sans rien ajouter et sort.
Je respire. Je pleure.
Est-ce que ma mère est revenue du boulot ? Est-ce qu'elle sait ? Et mon frère ? Il va bien ? Et Nora ?
La porte qui grince sur le sol me tire de mes pensées. C'est une femme, au visage aussi fermé que celui de son collègue. Elle grimace en regardant la table, s'appuie contre le mur.
—Hope, je suis l'inspecteur Dikom et je vais vous posez quelques questions.
Je hoche la tête, sentant mes yeux se fermer. Je suis fatiguée.
—Avez-vous tuer monsieur Huity ?
J'acquiesce. Ils le savent déjà, ça.
—Pourquoi avez-vous tuer Monsieur Huity ?
Mes larmes bordent mes cils. Je ferme les yeux, le revois debout, s'acharnant sur les fesses de mon frère. J'entends encore les plaintes de Baptiste, sous la douleur.
—Il...
Et les mots se bloquent dans ma gorge, comme si je devenais muette. Je n'arrive pas à le dire, je n'arrive pas à réaliser que ce calvaire est fini pour mon frère, enfin.
—Hope ? Répondez à ma question.
Un bref haussement de l'épaule libre, voilà mon unique réponse.
Elle soupire longuement, je tripote le bas ensanglanté de mon short de nuit.
—Ok, Hope. On retentera demain.
D'une poigne ferme, elle me tient le bras, détache de ma chaise mon poignet et me force à me lever.
Mes jambes tremblent sous mon poids, mon corps est pris de spasmes incontrôlables.
—Je vais me charger de sa douche, grimace un type en m'agrippant le coude.
Il me fait mal mais je me tais. Je vais enfin être propre.
Nous entrons dans une pièce plus petite et je suis poussée au centre. Je tombe, regarde le trou d'évacuation entre mes mains. Une douche, enfin une douche.
Je crie quand un jet d'eau froide m'atteint, tente de me relever quand celui-ci ne devient pas plus chaud.
—Restes-là ou je t'éclate la gueule.
J'obtempère, tremble de froid, de peur. Je cligne rapidement des yeux pour le voir à l'autre bout de la pièce, me doucher à l'aide d'un tuyau d'arrosage.
Mes dents claquent entre elles, je resserre mes bras autour de ma poitrine.
—Frotte, imbécile. Je ne vais pas rester pendant trois ans.
Je m'exécute, tremblante.
L'eau se teinte de rouge, sous moi. Le vomi coule, plus fluide que jamais le long de mes jambes quand je me redresse. Je frotte mes bras, cherche mon air quand il me met le jet dans la figure, pleure encore en frottant mes cheveux teintés de sang.
Il coupe l'eau. Je sanglote. Je n'ai pas fini...
D'un pas lourd et décidé il se rapproche, attrape douloureusement mon poignet où pend la menotte et me le lie à l'autre. Il serre, fort. Trop fort. Et je grimace, mais me tais.
Une cellule de deux mètres carrés, de l'obscurité et un lit en béton.
Ce n'est pas qu'à la télé que ça existe. Dans la vraie vie aussi. Je suis assisse, attendant je ne sais pas quoi. Peut-être qu'on me sorte de là, non ?
Le seul apport de lumière est cette petite vitre de plexi sur la porte. J'ai froid avec mes vêtements trempés et je peux même voir le nuage de buée qui sort de ma bouche à chaque expiration.
On m'a fait enlever mon soutien-gorge, même la fine ficelle qui passe dans l'élastique de mon short. Ils pensent quoi ? Que je vais me pendre avec ça ?
Je ris doucement... Sanglote à nouveau.
Est-ce que maman va venir ? Ou Nora ? Non, je sais bien que non. Sinon, elles seraient déjà là.
Ma mère doit être furieuse. Mais elle me comprendra, elle sera fière de moi quand elle apprendra ce qu'il faisait à Baptiste.
Mes yeux se ferment, fatigués d'avoir vu tout ce sang, usés par mes larmes de peur.
******
—Bon, tu vas te décider à parler ? J'ai pas toute la journée ma cocotte.
Je relève le visage vers l'homme devant moi, ravale la bile qui me monte à la gorge.
Lui non plus n'a pas l'air commode, et j'avoue que ses sourcils noirs et épais me font flipper.
J'ouvre la bouche, il écarquille les yeux.
Je la referme, il jure dans sa barbe.
—Hello !
Je me tourne vers cette voix chantante, agréable et baisse les yeux devant la femme qui entre dans le bureau de l'inspecteur en chef.
—L'affaire Huit ?demande-t-elle.
—Ouais, mais la gosse refuse de parler.
Il s'énerve et je l'emmerde.
J'ai les idées plus claires qu'hier, l'euphorie est retombée à présent.
Je me rends compte de ce que j'ai fait, vraiment. De ce que j'encours. Mais aussi de la manière dont ces ripoux m'ont traitée. Je revois les images de mon arrestation. Celles où deux hommes m'ont menacée de leur arme pour que je m'allonge à plat ventre, les mains en évidence, dans le sang du monstre, dans le vomi nauséabond de ma sœur.
—Tu m'étonnes qu'elle ne veuille pas te parler, t'es aussi doux qu'un rottweiler.
Elle passe derrière moi, part s'installer derrière son bureau.
—Café ?
—Ouais, grogne le flic devant moi.
—Et toi ? Youhou ?
Je relève mon visage vers elle. C'est bien à moi qu'elle parle.
—Tu veux un café ? Je ne vais pas te manger, hein.
Je hoche doucement la tête et elle me répond d'un sourire. C'est à elle que je veux parler. Pas à l'autre gros loubard devant moi. Je l'observe, regarde ses longs cheveux noirs relevés en une queue de cheval. Je retiens mes larmes devant cette femme gentille. Elle est agréable avec moi alors que je suis une meurtrière.
—Tu veux me parler à moi ?
J'acquiesce encore une fois, incapable de prononcer le moindre mot à cet instant.
Elle se lève, me détache et je la suis quand elle me guide vers la chaise en face de son bureau. Elle me rattache au pied de celle-ci et je grimace.
L'impression d'être considérée comme un chien, qu'on attache à un poteau me colle à la peau. Je hais ça, je hais ça plus que tout.
Elle me tend un gobelet dans lequel un breuvage noir fume.
—Lait ? Sucre ?
—Non, merci, murmuré-je.
Je ferme les yeux en le portant maladroitement à ma bouche, savoure la brûlure sur ma langue, me délecte du liquide cramant qui glisse dans ma gorge.
—Alors, dit-elle en croisant ses bras sur son bureau. Tu es Hope, c'est ça ?
—Oui...
—Hope...
Elle semble chercher ses mots, comme si elle était en train de s'adresser à un enfant.
—Tu sais, ce que tu as fait est très grave...
—Je sais.
Je sais oui, je le savais même avant de le faire.
—Ok... Donc tu sais.
Elle galère et me fait de la peine. Elle est la première à me voir en tant que personne depuis que je suis ici, et je me sens redevable.
—Je...
De ma main libre, j'essuie mes larmes.
—Je voulais le tuer. Je savais ce que je faisais.
Elle écarquille les yeux alors que l'inspecteur derrière moi arrête de taper sur le clavier de son ordinateur.
—Tu voulais tuer monsieur le maire ? Mais pourquoi ?
Et ça sort. Et je ne retiens plus mes mots même s'ils sont entrecoupés de mes larmes. A la fin de mon récit, la policière est pâle, et me tient la main, l'air grave sur le visage.
******
Ça fait dorénavant trois longs jours que je suis incarcérée. Je ne parle avec personne, et je n'en ai pas très envie, en fait. Les détenues ici me font peur. Elles ont des têtes de pitbull enragés qui n'ont rien pour me plaire.
Alors quand je ne suis pas obligée de sortir, je reste sur mon lit, à contempler les lattes du sommier au-dessus de ma tête.
Je ferme les yeux, m'assoupis, épuisée par les évènements récents. Je n'ai eu de nouvelle de personnes encore, et ça m'attriste.
Quand vous êtes livré à vous-même pendant des jours, la seule chose qui vous occupe est de penser, réfléchir. Encore et encore.
Je me demande si dehors tout le monde sait, s'ils font une manifestation pour que je sois libérée ou un truc du genre. Si j'apparais dans ma tenue orange beaucoup trop grande pour moi dans les journaux locaux. Ou si au contraire, on ne parle pas, on n'évoque rien. Mais cela me semble peu probable comme il était le maire.
J'ai beau revoir la scène défiler sous mes yeux, je ne parviens pas à regretter mon geste. J'aurais dû le faire plus tôt. J'aurais dû lui couper les couilles, lui faire bouffer avant de le tuer.
—Macgualister. Tu es appelée.
Je sursaute quand le maton me lance un regard noir.
Je me lève, le suis à travers les couloirs de la prison. Trois jours, et j'en ai déjà marre de voir des barreaux, des portes.
Il me mène à une petite pièce, où une table et trois chaises sont disposées.
J'espère que c'est ma mère qui vient me voir, qu'elle me prenne dans ses bras et que nous pleurons ensemble.
Je suis les ordres du gardien, m'assieds après avoir été fouillée.
La porte s'ouvre et je déchante en reconnaissant l'avocat qu'on m'a attribué, et deux hommes que je ne connais pas.
Tous les trois s'avancent, on amène une chaise en plus et ils prennent place autour de la table, comme si je n'étais pas là.
Des mallettes sont ouvertes, des documents sortis, des chuchotements se font entendre et je grince des dents.
—Bonjour, Hope.
C'est un des hommes que je ne connais pas qui s'adresse à moi. Je le salue d'un signe de tête, noue mes doigts entre eux. La porte claque derrière moi, je me retourne, déglutis quand le gardien sort.
Je suis seule avec trois hommes. C'est permis ça ? Des sueurs froides coulent le long de mon dos, mon cœur palpite. Je ne le sens pas ce truc.
—Nous avons un marché à te proposer.
Je pouffe, dubitative. C'est quoi ce bordel ?
—Nous ne tenons pas à ce que... Hum... Le vice de mon frère soit étalé.
—La pédophilie est un vice ? m'énervé-je. Non ! Fumer est un vice ! Boire est un vice ! Mais la pédophilie est un crime, merde !
—Hope, me dit doucement mon avocat. Je pense qu'il serait judicieux d'écouter cette offre.
Je grogne, serre des poings tandis que ma jambe tremble nerveusement.
—Votre mère et votre sœur ont déjà signé l'accord, mademoiselle.
—Et c'est quoi cet accord ?
—Aucune info de ce que mon frère a fait ne doit être divulguée. Rien, vous ne répondrez pas aux journalistes, ni aux rumeurs. Rien ne doit filtrer. En échange, le juge vous fera sortir plus tôt, d'ici deux semaines maximum, votre mère sera relogée, votre frère mis en sécurité dans un centre de soin qui aide les victimes de ce type.... De ... Sévices. Et nous verserons la somme de trente-mille dollars à votre mère.
Je les regarde, bouché bée.
—Non.
—Mademoiselle Macgualister, grimace-t-il. Je vous demande d'accepter cette offre. De suite.
Mon avocat se lève, sort et je ne fais plus la maligne. Plus personne ne peut me défendre en cas de dérapage.
—Je vous ai dit non. Je veux qu'on sache pourquoi j'ai tué votre frère.
Un rictus mauvais, sadique se dessine sur le coin de sa bouche.
Un des deux hommes se lève, remonte les manches de sa chemise immaculée.
—C'est ce qu'on va voir, me sourit celui assis.
Soudain, je suis propulsée de ma chaise. Mon souffle se coupe quand mon dos heurte le sol.
Le molosse se tient debout au-dessus de moi et je tremble.
—Alors petite ?
—Allez-vous faire foutre.
Je grimace quand ses pieds atterrissent dans mes flancs, quand un os craque dans mon dos. Il me soulève par la gorge, mes pieds pédalent dans le vide. Il me plaque avec violence contre le mur, je tente désespérément de tirer sur ses mains qui m'étranglent, cherche l'air.
—Toujours pas ?
Son poing s'écrase avec fracas sur mon arcade, je crie à l'aide quand il me lâche sur le sol. Ses poings me fracassent, me cassent, me saignent, me détruisent.
Le goût ferreux du sang envahit ma bouche, je ne vois plus rien tant les coups me sont donnés avec acharnement.
—T'en veux encore ?!
Je sanglote, hurle ma douleur. Ses pieds me shootent dedans avec une violence non feinte.
—Je vous en supplie ... Laissez moi...
—Tu vas signer ce putain de papier ?
Un coup encore, dans le dos.
Je suis terrifiée, je ne veux pas mourir comme ça, pas battue comme ça. Ils rient tous les deux quand l'urine s'étend sous mon corps.
Et je pense à mon frère, que je n'ai pas fait ça pour rien, que je veux le revoir, lui dire que je suis désolée de ne pas avoir agi plus tôt.
Et je veux revoir ma mère, lui dire que je l'aime. Et je veux revoir mes amies, et Julian, mon copain. Je veux sentir leurs bras autour de moi, les entendre rire à mes blagues débiles, je veux vivre, merde...
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