29
Hope
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, qui dépend d'un individu à l'autre, dit-on.
Pour moi, elle est bien pire que cela. La douleur est cette chose qui me déchire les entrailles à chaque respiration, à chaque souffle.
Elle me tord le ventre, m'écrase la cage thoracique pour encore mieux me broyer le cœur.
Certaines personnes disent « je t'aime » sans le penser, sans le ressentir. Et je trouve cela tellement triste, injuste pour la personne qui le reçoit.
Parce que confier son « je t'aime » à quelqu'un est une chose d'importante, de pure, de cruciale.
Je m'étais jurée de ne plus jamais le dire à qui que ce soit depuis qu'ils m'ont tous laissée tomber, abandonner.
Mon cœur était censé être ce muscle impénétrable, démoli et brisé à tout jamais. Jusqu'à ce que ce mec de deux mètres débarque dans ma vie, d'une manière complètement loufoque et panse mes blessures.
Il était là, il m'a écoutée, il m'a réconfortée.
Je pensais que c'était lui, le bon.
Et je lui ai dit. Je lui ai dit que je l'aimais parce que c'est vrai, parce qu'aucun autre mot plus vrai que ceux-ci ne peut les remplacer.
J'aime Taylor, comme jamais je n'avais aimé quelqu'un.
Je savais qu'il serait là, qu'il m'aiderait à trouver une Hope heureuse cachée, ensevelie en moi.
Jusqu'à ce que je puisse lire la fureur et la déception dans ses yeux.
« Ta vie de merde ».
Oui, il a raison.
J'ai une vie misérable pour laquelle je me bats chaque jour. Elle est faite de regrets, de peine, de pleurs, de sang...
"Ta vie de merde".
Mais elle est faite de batailles aussi, malgré les angoisses.
Elle est faite de rires malgré les larmes.
Elle est faite de paix malgré la guerre qui se déroule en moi.
Cela fait trois heures que je suis chez moi, assisse sur la moquette beige à regarder son sac.
Sa clé de voiture est sur mon lit et j'attends.
J'attends qu'il vienne les rechercher et qu'il reparte, qu'il me dise ces choses affreuses qui, à force d'entendre, ne me touchent plus.
Sauf que j'ai la trouille. Parce que venant de lui, je sais que ça va me faire mal. Il est celui qui s'est imposé dans ma vie et que mon cœur a accepté de laisser entrer.
Il avait raison depuis le début en affirmant que je tomberai folle amoureuse de lui.
Et j'avais raison depuis le début aussi, en pensant que son regard allait changer.
J'attends.
Je ferme les yeux, remonte mes genoux contre ma poitrine et les captures du pull que j'ai enfilé.
Il fait chaud pourtant, le thermomètre affiche trente-deux degrés. Sauf que j'ai froid de l'intérieur, que mon cœur saigne, et que je voudrai partir d'ici.
Ma mère dort encore, trop bourrée pour se rendre compte de ma présence. Elle savait que je venais... Et malheureusement, je sais que c'est pour ça qu'elle a bu plus que de raison.
Me voir la met mal à l'aise, au fond d'elle. C'était l'homme qu'elle avait aimé et elle ne s'était pas douté de son côté obscur. Sauf qu'elle ne m'a pas prise dans ses bras quand elle venue me chercher à la prison.
Elle m'a hurlé dessus.
Et puis j'ai compris.
Elle allait être dans la presse, était honteuse de moi, allait devoir expliquer aux journalistes pourquoi sa fille de dix-huit ans avait tué son beau-père.
Et...
Et je me demande pourquoi je suis encore ici, à soutenir ma mère, à la trouver bonne tandis qu'elle ne m'a jamais aidée à me sentir mieux.J'ai toujours pris sa présence pour un soutien, sa peur de me voir partir pour de l'amour maternel...
Mais plus j'y pense et plus... Et plus je me dis que ce n'était pas ça. Et il faut que je sache, pour me reconstruire entièrement.
Je suis là pour Nora, dans le fond. Parce que Nora est ma sœur, qu'on partage ce secret et que je me souviendrai toujours de la peur que son visage avait exprimée quand Jonathan l'avait menacée si elle tentait t'intervenir encore une seule fois.
Elle a été lâche, mais je ne peux pas lui reprocher parce que je l'ai été aussi pendant bien trop de temps.
Je renifle et essuie mes larmes, me lève, déterminée. L'appartement est toujours aussi calme que quand je suis rentrée. Alors j'avance, je traverse le couloir, m'arrête devant le canapé où elle est là, avachie, ronflante.
Je me penche, la secoue doucement.
-Maman ?
Elle grogne mais n'ouvre pas ses yeux.
Elle sent le tabac froid, l'alcool fort. Elle ne buvait pas avant. Elle ne buvait pas une seule goutte, refusant même les verres de cidres aux fêtes de fin d'années.
C'est depuis mon meurtre qu'elle avale du bourbon en quantité, à chaque fois qu'elle sait qu'elle va devoir passer une journée avec moi.
Est-ce que ça fait mal d'ouvrir les yeux ?
Oui.
Mais ne dit-on pas un mal pour un bien ?
Ne dit-on pas que la douleur nous prouve que nous sommes vivants?
-Maman !
Elle ouvre enfin ses yeux fous qu'elle cligne plusieurs fois en me regardant.
-Hope ? T'es là ?
-Oui, maman.
Je me redresse, elle se relève difficilement. Je l'aide en maintenant fermement son bras quand ses jambes refusent de lui obéir un court instant.
Ses bras m'enlacent, elle m'étreint pendant que je reste figée.
-Tu m'as manquée ma chérie !
Ca sonne faux, tellement faux.
Comment je le sais ? Parce que quand Tay me le dit le soir en me retrouvant, je le ressens, vraiment.
-Il faut qu'on parle, soufflé-je dans ses cheveux gras.
-On n'a pas besoin de parler, Hope, on n'en a jamais eu besoin.
Et c'est d'elle que je tiens ça. Elle nous a toujours appris à ne pas parler, à ne pas nous plaindre, à garder nos secrets. Et c'est peut-être pour ça, que Baptiste ne lui a jamais rien dit.
-Si, il faut qu'on parle.
J'insiste, elle soupire.
Je la fais chier, je sais. Mais j'ai besoin de parler pour avancer.
Quand elle se laisse tomber dans le canapé, je m'installe sur l'autre fauteuil. Mes mains se nouent entre elles, et je cherche mes mots. Parce qu'il n'est jamais facile de parler de ça quand on a tu le sujet depuis le début.
-Est-ce que... Est-ce que t'es de mon côté ?
Elle fronce les sourcils, se gratte le front.
-Mais de quoi tu parles encore ?
je crois que ma voix ou ma question la saoule encore plus que l'alcool qu'elle a ingurgité.
-Ou t'es de celui de Jonathan ?
La pièce vient de tomber dans son cerveau, elle comprend enfin.
-Je ne veux pas discuter de ça avec toi, Hope Macgualister !
Et je frémis, et j'insiste sous son regard noir chargé de haine, de pitié aussi.
-Et moi, j'ai besoin de savoir.
Elle se lève, titube jusqu'à la télévision qu'elle allume.
-Oh ! T'as vu MTV remet son émission, là avec des...
-Je m'en fous de MTV ! Je veux savoir, maman !
Je me tiens à un mètre d'elle, debout sur mes jambes tremblantes de nerfs.
-Et pourquoi ? Qu'est-ce que ça changera pour toi ?
-Tout. Ça changera tout. Parce que tu vois...
L'émotion me submerge, et la peur aussi. Et s'il me quittait ? Qu'est-ce que je ferais encore de cette douleur ? De cet amour en moi que je devrais tuer pour ne plus jamais confier mon coeur ?
-Parce que j'aime un homme, maman. Et qu'il m'aide à accepter, qu'il comprend. Et que je veux pouvoir tout lui dire sans me perdre, sans me laisser entacher par mes souvenirs, que je veux être libre et bien quand je suis avec lui, que...Que je veux vivre.
Elle parait horrifiée.
-Tu lui as dit ?! hurle-t-elle.
-Oui.
-Mais et le juge a...
-Tu n'as quand même plus d'argent. Ils ne seraient plus rien te prendre, maman.
Elle s'assied sur la table basse, se prend la tête entre les mains.
-Tu as gâché une partie de notre vie, Hope. Mon avenir aurait été radieux avec John, on ne manquait de rien.
-IL VIOLAIT MON FRERE ! Hurlé-je. Comment peux-tu dire que ton avenir allait être radieux ?!
-Tu es folle, Hope ! Si on n'avait pas plaidé la folie, si on n'avait pas fait la promesse de ne rien dire, tu croupirais toujours en prison ! Comment peux-tu venir ici et exiger des réponses ?
Comment oses-tu ? Tu es ma fille ! C'est la seule raison pour laquelle je ne t'ai pas tuée pas à mon tour ! Parce que toi... Parce que toi, tu ne voyais que Baptiste là-dedans ! Tu ne voyais pas le gain d'argent, la retraire aisée, ni la vie facile !
Je me laisse choir dans le fauteuil, choquée.
Elle plaisante, hein ?
Mes yeux voient flous, mes oreilles bourdonnent de plus en plus fort.
Elle plaisante ?
Mes mains deviennent moites, mon sang boue.
Elle plaisante ?
Mes souvenirs se mélangent. Ceux de Baptiste qui pleure chaque nuit, qui rit quand nous faisions la course jusqu'à l'arrêt de bus. Ceux de Tay qui m'insulte, et ceux où il me dit qu'il m'aime.
Mes larmes ruissèlent sur mes joues, s'écrasent sur mon pull.
-On est rentré !
La voix de Nora résonne de loin et le bruit de ses talons cesse quand elle remarque ma mère rouge de colère, la rage émanant de son corps.
Des pas plus lourds se font entendre et je ferme les yeux. Il est là.
-C'est qui, lui ?
-Maman, gronde Nora. C'est Taylor, le petit-ami de Hope.
Est-ce qu'il l'est encore, est-ce qu'il est simplement venu reprendre ses clés et son sac ?
-Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-il.
Ma mère se lève, et je reste paralysée, pétrifiée.
Il sait, elle ne veut pas qu'il sache. Je lui ai dit, je ne devais pas lui dire.
-Il se passe que tu vas reprendre tes affaires et repartir dans ta ville en fermant ta gueule sur ce qu'il se passe ici !
-Fermer ma gueule ? crie Taylor. Mais vous êtes folle, ma parole ! Je vais balancer votre histoire, partout oui ! Hope vient ici, on se barre !
-Espèce de p'tit con !
Il s'approche, saisis mon poignet et je tremble, retenant mes sanglots quand je me lève.
-Vous défendez le cas de ce pédophile en taisant ces faits! Vous êtes pathétiques.
Je le laisse me guider à travers l'appartement, sous les cris de ma mère que Nora retient.
Taylor me pousse dans ma chambre, ramasse nos sacs du mieux qu'il peut.
-Hope, aide-moi, merde.
Les sacs retombent alors que je le regarde, perdue.
-Tu fais quoi ?
Il hausse un sourcil d'incompréhension, lâche les sacs, encore une fois.
-De ? Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser ici ?
Mon cœur rebat. Il ne m'abandonne pas.
-Allez, magne-toi !
Et je lui saute dessus, pleurant sur son épaule.
-Je suis désolée, Tay. Tellement désolée.
Il resserre ses bras autour de moi et je sais que ma maison, c'est cet endroit : dans ses bras, contre son cœur.
-On parlera après, je veux juste dégager d'ici.
Il attrape mon visage entre ses paumes et nos yeux rougis se croisent.
-Pot de terre ?
-Putain, mais oui, bébé. Pot de terre, toujours.
Et sa bouche se presse contre la mienne, dans un baiser où notre désespoir se mêle à notre amour. On va partir, je vais tout lui dire et on s'aimera encore longtemps, sans secret, sans rien entre nous.
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