25

Je tenais à vous prévenir que ce chapitre comportera quelques scènes difficiles et que donc, si vous êtes très jeunes, il est préférable de ne pas le lire...

Bisous, Amandine

*****

Hope.

Dès que Taylor franchit la ligne d'arrivée, je sais qu'il va falloir tout lui dire et je flippe. Il ne descend même pas de sa voiture, se contente de prendre l'argent qu'un mec lui donne et repart de suite. L'angoisse en moi est logée au plus profond de mes tripes. Je n'ai jamais dû raconter cette histoire, mis à part à la police, à mon avocat et à ma psy. Les autres ont su d'eux même, ont deviné ou ne savent que le plus gros de l'histoire. Je regarde l'obscurité par la vitre, la même qui broie mon âme dans les jours off ou en ce moment-même. 

Et je pense à quels mots choisir, ceux qui n'ont jamais plus voulu sortir de ma bouche.
Parce que ça fait mal d'en parler, ça fait mal de voir les gens les plus proches de soi changer, s'éloigner alors qu'ils assurent sur le moment qu'ils comprennent.

 Et j'ai peur. Peur de le perdre lui, peur de sa réaction, de son regard ou encore des mots qu'il peut avoir envers moi.
La solitude, voilà ce à quoi j'ai été longtemps habituée. A rien d'autre que cette solitude comblée par la présence de ma sœur et de ma mère.
Avant cette histoire, j'avais des amies, une meilleure amie, un petit-copain. Bref, j'étais une fille comme une autre, bien dans sa peau et tout, tout a changé depuis cette nuit-là. 

Je ne sais pas depuis combien de temps on est arrivé, je n'en sais rien même mais je suis tellement perdue dans mes pensées que c'est Taylor qui détache ma ceinture. Mes mains tremblent sur mes cuisses, des sueurs froides coulent le long de mon dos.

—On a oublié ma voiture, chuchoté-je.

Taylor garde ses gestes en suspens, me regarde en haussant un sourcil.

—On ira la rechercher après, ce n'est rien.

Je hoche doucement la tête, mais ne peux m'empêcher de penser à mal. S'il accepte encore que je sois avec lui après, on ira la chercher. Sinon, je me débrouillerai.

Je descends de la voiture en essayant de stabiliser au mieux mes jambes et prends sa main dans la mienne quand nous traversons la ruelle qui mène au champ, à notre champ. Celui on passe nos temps de pause, où on s'emmerde et s'embrasse inlassablement.
La terre sèche craque sous nos pieds, alors que nous marchons. Seul le téléphone de Taylor nous aide, éclairant les blés à nos pieds.

—Voilà, dit-il en me lâchant.
Il s'assied et je l'imite. C'est le moment. Et je ne suis pas prête, et je ne sais pas par où commencer. Alors, je lâche le plus gros, les détails suivront.

Je relève mon visage vers le sien, fixe mes yeux à ses prunelles sombres en me forçant pour ne pas pleurer.

—J'ai tué un homme. Et contrairement à toi où c'était un accident, moi je voulais le faire.

Je me tais, attends le moindre geste de recul de sa part alors que nos genoux se touchent.

Il ne scille pas, ne détourne pas les yeux, ne jure pas. Rien. On dirait que je viens de lui annoncer que j'ai été faire pipi.

—Il t'a fait quoi ?

—A moi ? Rien...
J'arrache un brin, le caresse entre mes doigts avant d'en arracher chaque petit grain. Il ne recule pas, ne fuit pas en courant, rien. Il reste. Il m'écoute. Et ça me perturbe venant d'un homme que je ne connais pas depuis si longtemps. 

—Parles-moi, Hope.

Mes yeux se voilent, ma gorge se noue. Il veut savoir, il ne m'a encore rien dit de méchant. Et je ne sais pas pourquoi lui ne réagit pas comme les autres.

Sa main de géant couvre les miennes et j'éclate en sanglots quand il m'attire sur ses genoux.
Mes bras se serrent autour de son cou, les siens m'enlacent. C'est la première fois en cinq années qu'une personne me réconforte alors que je suis la meurtrière. Je suis déroutée, perdue.

—Je suis là, Hope, calme-toi.
Justement, il est là. A lui seul il a pris la place de dizaines de personnes qui m'ont abandonnée, qui ont refusé de me voir, de me parler. Et rien que pour ça, je sais qu'il ne sera jamais un homme de passage dans ma vie. Même s'il devait me quitter un jour, il gardera une énorme place dans mon cœur.

Ses paumes entourent mon visage quand il pose son front sur le mien. De ses pouces, il chasse mes larmes qui redoublent.

—Pot de terre, pot de fleurs, pot de moi aussi si tu veux, Hope. C'est toi que je veux, entière, pas une seule partie. 

Je presse ma bouche sur la sienne, parce que c'est tout ce que je peux faire pour l'instant. J'ai besoin de le sentir contre moi, de recevoir la chaleur de son corps et de son amour pour pouvoir reprendre mon souffle. Ses mains me tiennent fermement le visage tandis que nos lèvres qui bougent ensemble parlent pour nous. Jamais je ne m'étais imaginée une telle réaction de sa part, alors que ceux qui me connaissaient depuis des années m'ont tourné le dos.

Je me blottis entre ses bras réconfortants, respire. Pour la première fois de ma vie, je respire vraiment.

Je lui raconte alors tout, ne sachant plus m'arrêter, j'ai besoin qu'il comprenne, qu'il sache tout ce que je sais, tout ce que j'ai fait et ce que ça a entrainé dans ma vie. J'ai besoin de lui dire, besoin d'abattre les seules barrières qui nous séparent encore et après, je lui demanderai s'il veut toujours venir à Jools avec moi, ou s'il préfère ne pas y aller.

******

Il fait noir, et l'orage gronde encore. Depuis quelques jours déjà, l'orage frappe aux carreaux de ma chambre, éclairant par intermittence l'obscurité de la nuit. Il prend sa revanche sur le soleil qui tape les terres de Jools de ses grands rayons en pleine journée. Nora dort depuis déjà deux heures et Baptiste tremble dans son lit.

—Je peux venir dormir avec toi, Hope ?

—Non, soufflé-je.
Un sanglot lui échappe et je me couvre le visage de mon oreiller. S'il venait dormir avec moi, je ne sais pas ce qu'il m'arriverait et ça me fout la trouille. Un coup de tonnerre me fait sursauter, mon cœur bat à tout vitesse. Je hais la nuit, je hais les orages et je hais la vie qu'est la mienne depuis maintenant six mois. 

Tout à commencer quand nous avons déménagé. Maman ne fait pas partie de ces mères stables, à se contenter d'un seul homme ou deux dans sa vie. Non, ce n'est tellement pas elle, ça.

 Les hommes, elle les aime tous du moment qu'ils lui donnent du fric pour remplir le frigo ou pour s'acheter des fringues à la mode. Et quand elle a rencontré Jonathan, ce quadragénaire au cheveu inexistant, elle n'a pas hésité une seule seconde à s'installer chez lui, en nous embarquant dans ses valises. C'est comme ça que Nora, Baptiste et moi, partageons tous la même chambre. Elle est plutôt grande, jolie mais je hais cette chambre, je hais cette maison et encore plus l'homme qui y vit.

Quand la porte d'entrée claque en bas, je pleure silencieusement. Parce que ma mère qui charge les avions de divers paquets pendant la nuit, vient de partir au travail. J'entends le moteur démarrer malgré la pluie, et les pas monter les escaliers. 

Baptiste ne pleure plus, je ne respire plus.

 La porte de la chambre s'ouvre, un parfum musqué envahit la pièce. Je ferme les yeux quand le lit grince, serre les mâchoires quand Baptiste supplie.

*****

Je n'arrive plus à me lever, je n'arrive plus à me regarder dans le miroir. 

Baptiste refuse de manger, comme chaque matin et j'ai l'impression d'être la seule à savoir pourquoi et c'est horrible de devoir ravaler ces mots qui me brûlent la gorge tel un acide. Jonathan entre dans la cuisine, nous salue en grognant avant de s'assoir à sa place habituelle. Maman, joyeuse l'embrasse et lui sert son café.

—Bien dormi mon gars ?

Baptiste fuit son regard pour le plonger dans le mien et je me mords l'intérieur de la joue pour éviter à mes hurlements de sortir.

—Oui, murmure mon frère en se levant.

Je l'imite, ramasse mon sac de cours sans ajouter un seul mot et sors.

******

—Je vais le tuer.

Baptiste à mes côtés retire un écouteur de ses oreilles et hausse les épaules.

—Et t'iras en prison.

Il a raison, je le sais mais quand je vois tous les pédophiles qui y vont eux, en prison et qui y ressortent rapidement, ça me dégoute. Aucun enfant ou ado ne devrait subir ça.

T'as encore mal ? demandé-je doucement. 

Ses mâchoires se contractent, ses poings se serrent et mon cœur saigne.

—Viens, lui dis-je.
Je l'entraine dans une petite ruelle et nous marchons jusqu'à l'église qui se cache derrière les maisons. Nous nous asseyons sur une grosse pierre et j'ouvre mon sac.

—Merde !

—Chut ! soupiré-je en lui faisant les gros yeux.

T'as eu ça où ? Hope ne fait pas de conneries pour moi.

—Ne dis rien. Ce soir, on échange de lit.

—Non.

J'ai beau argumenter avec mon frère, il a beau être mon cadet, rien ne le fait changer d'avis. Il reste buté, tout comme moi. 

Pourtant je le ferais, je tuerai cette merde ambulante. Je ne veux plus qu'il viole mon frère chaque nuit.

******

La journée passe trop lentement. Je n'ai pas cessé de penser à la nuit, aux cris étouffés de mon frère. J'ai peur, vraiment, mais je ne veux plus revenir sur ma décision. Quoi qu'en pense Baptiste, je le ferai. Parce qu'il souffre assez, parce que je n'en peux plus de voir ma mère faire comme s'il ne se passait rien de grave sous son toit. Elle doit savoir, c'est obligé. Et Nora aussi. Comment fait-elle pour dormir à seulement un mètre des cris de son frère ? Moi je n'y ai jamais réussi et je ne veux plus pleurer devant les images qui se déroulent sous mes yeux emplis de larmes.

******

—Ne fais rien, Hope. Ne sois pas stupide.

Je tremble dans mon lit, nerveuse. Le manche du couteau est bien coincé dans ma main moite de transpiration. Il fait étouffant, mais j'ai peur d'ouvrir à cause de l'orage. Ma grand-mère m'avait expliquée qu'un éclair était rentré chez elle et avait frappé sa cuisinière, boutant le feu alors je refuse d'ouvrir même si la chaleur de cette maudite chambre mansardée est insoutenable.

—Je ne ferai rien, d'accord.

—Merci Hope.
Nora dort, ou fait semblant sûrement. Je ferme les yeux quand la porte de l'entrée claque, que les pas du bourreau de mon frère résonnent dans l'escalier. Pourquoi Baptiste et pas moi ? Pourquoi lui ? Je n'en sais absolument rien mais il m'est impossible de continuer comme ça. Il doit être puni, il doit mourir pour nous laisser tranquilles. 

La porte s'ouvre doucement, le parquet grince sous ses pieds. D'une main discrète, j'essuie mes larmes quand son pantalon tombe au sol.

—A quatre pattes, p'tit con.

Monfrère supplie presque silencieusement avant que Jonathan ne l'empoigne et leretourne.
Le pantalon de mon frère abaissé sur ses genoux, je ferme les yeux quand ilétouffe ses cris de souffrance dans ses draps.
Mon cœur se serre sous la violence des claquements de leurs peaux. Mes poumons manquent d'air quand je l'entends gémir de plaisir alors que Baptiste pleure. 

 Mes poings se referment sur l'arme et je bondis de mon lit. 

Moncouteau s'enfonce dans son dos, nous arrachant à lui et moi un cri. 

Le sien dedouleur, le mien de rage. 

Il tombe à genoux sur le sol, son dos écrasant celui de mon frère. Il crie, je hurle. Mes oreilles se bouchent quand je le plante une deuxième fois. Ma lame ressort de son corps en sang, je lui donne des coupsde pieds, hurle ma colère et ma peine quand il roule sur le sol. Nora qui s'est levée me parle, je crois, mais je n'entends rien.

Il n'y a plus que lui et moi.  Lui et sa douleur, moi et ma haine.
Moi, mon couteau et sa lame qui s'enfonce un nombre incalculable de fois dans cet homme qui se vide de son sang. Moi en transe arrachant la vie d'un autre criminel. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top