Chapitre 5

              Je triture la nourriture qui est posée devant moi sans grand enthousiasme. À chaque fois que je lève les yeux de mon assiette, je croise ceux d'Ulrik qui ne cessent de me fixer.

— Tu ne manges pas ? demande-t-il sérieusement, avant de poursuivre avec amusement, tu as peur que j'aie mis du poison dedans.

Un sourire apparait sur mes lèvres en me remémorant le sandwich qu'il m'avait apporté les premiers jours de ma captivité. Cependant, il disparut quasiment aussitôt en revoyant le visage de Cyriane, Salina et toutes les autres filles mortes.

— Je n'ai tout simplement pas d'appétit.

Je me raidis à mesure qu'Ulrik s'approche, saisissant ma fourchette pour prélever un morceau de l'omelette qu'il a préparée, avant de le porter à sa bouche.

— Tant pis pour toi, c'était un régal, réplique-t-il en récupérant le plat.

Alors qu'il va dans la cuisine, j'examine la vaste pièce et remarque qu'il n'y a aucun effet personnel, ni même de photo. Pourtant plusieurs crochets fixés au mur me prouvent qu'il devait y avoir plusieurs cadres accrochés.

— C'est chez toi ici ?

Ulrik ne me répond pas et se contente de vider le contenu de l'assiette dans la poubelle. Maladroitement, je me lève de la chaise et m'approche de la fenêtre. Une autre maison se trouve à seulement quelque pas de nous, séparer par une cour de gravier, où une sublime Dodge Challenger d'un magnifique noir mate y est garée.

— Tu as envie de l'essayer, me murmure Ulrik près de mon visage.

Prise au dépourvu de le voir si près de moi, je me recule brusquement, accentuant la douleur de ma cheville. Un cri étouffé s'échappe de ma bouche et à l'instant où Ulrik tente de m'approcher, je chancelle maladroitement pour m'écarter. Il me fixe, arquant un sourcil, et avance d'un pas vers moi, mais aussitôt je réitère ma manœuvre.

— Tu ne penses pas qu'on a déjà dépassé ce petit jeu, lâche-t-il, exaspéré et empreint de sarcasme.

Sans réfléchir, je saisis mon verre, encore posé sur la table, et le lance de toutes mes forces vers Ulrik qui l'évite de justesse.

— Ce n'est pas un jeu ! hurlé-je alors que les larmes me montent aux yeux. Le mot « haïr » n'est pas assez fort pour décrire ce que je ressens pour toi, susurrais-je, ma voix chargée de colère.

Un frisson désagréable se propage le long de ma colonne vertébrale alors qu'un sourire malsain se dessine lentement sur ses lèvres. Avant que je n'aie le temps de reculer, il arrive à ma hauteur. Sa main glisse sur le côté de mon visage, agrippant mes cheveux à la base de mon crâne avec une fermeté impitoyable. La brutalité de son geste me force à lever la tête vers Ulrik. Ses iris bleutés semblent s'assombrir progressivement, leur teinte évoluant à mesure que son regard pénètre le mien avec une intensité troublante.

— Déteste-moi autant que tu veux Peyton, murmure-t-il en accentuant la prononciation de mon prénom en norvégien, je suis ancré en toi.

Ulrik presse ses lèvres contre les miennes sans la moindre douceur. Son baiser est abrupt, douloureux. De toutes mes forces je le repousse, me débattant pour me libérer de son emprise. À peine a-t-il relâché sa prise que ma paume s'abat sur lui avec une telle force que je ressens une sensation de brûlure. La joue d'Ulrik est désormais empreinte d'un rouge vif.

— Tu tes améliorer, souligne-t-il en frottant sa mâchoire.

— Je t'interdis de me toucher de nouveau !

Bien que j'essaie de dissimuler ma peur, mon soubresaut me trahit lorsque sa main se lève. Avec précaution, la pulpe de ses doigts effleure ma pommette jusqu'à mon oreille où il ajuste une de mes mèches.

— Tes désirs sont des ordres.

Ses mots résonnant comme une menace silencieuse. Au moment où il s'éloigne, je libère le souffle que je retenais inconsciemment jusqu'à présent. Je suis attentivement ses mouvements, désemparée face à son changement de comportement soudain. Je l'observe prendre un verre et y verser un liquide ambré.

— Considère cet endroit comme chez toi, prononce Ulrik sans pour autant daigner me jeter un regard, tu as la liberté d'aller où bon te semble.

— Même dehors ?

Celui-ci tourne immédiatement ses yeux dans ma direction, recentrant son attention sur moi

— Je n'y vois pas d'inconvénient, me répond-il seulement après avoir avalé une gorgée de sa boisson. Mais si tu prévois de t'échapper, la ville la plus proche est à vingt bornes d'ici. Et même si par miracle tu trouves une maison en chemin, sache que je prendrais un malin plaisir à éventrée chacun de ses habitants, prenant soin que tu ne loupes pas une miette de ce magnifique spectacle.

Mon sang chute dans mes veines. Une menace qui, à mes yeux, ne fait aucun doute qu'il mettra en œuvre. Maintenant, je suis persuadée qu'on n'est pas chez lui. Ce sadique m'a emmenée ici dans l'unique but de terminer ce qu'il a entrepris à l'entrepôt.

— Tu as beau me dire que je suis libre, mais c'est faux, je reste ta putain de prisonnière. Une vulgaire poupée que tu te débarrasseras lorsque tu auras fini t'amuser.

Sous le poids de mes mots, le visage d'Ulrik se métamorphose. Son regard, chargé de noirceur, me fixe avec une intensité presque malsaine tandis qu'un sourire insidieux se dessine lentement au coin de ses lèvres.

— Tu préfères peut-être que je te remette en cage comme un clébard.

Un horrible frisson parcourt ma peau alors que les souvenirs refont surface. Moïra, Candace, Kathryn Salina... et toutes les autres. Je finis par baisse les yeux.

— C'est ce que je pensais, poursuit-il avec un certain mépris.

Je relève la tête, lui adressant un regard noir. Le besoin d'air m'oppresse. Je passe devant lui, franchissant la porte d'entrée sans lui accorder davantage d'attention. Avançant de quelques pas, je reste indifférente au gravier qui agresse la plante de mes pieds. Appréciant le vent qui s'engouffre dans mes cheveux, je ferme les paupières pendant un court instant.

La forêt de sapins s'étend à perte de vue, un océan d'arbres qui engloutit tout. Aucun bruit ne perce le silence, aucune indication sonore d'une route, même lointaine. Ulrik m'a conduite dans un lieu isolé. Je me retrouve seule avec lui, complètement à sa merci, livrée à sa volonté. La question est qu'est-ce qu'il espère de moi au juste. Il m'a laissée pour morte dans cette église, mais s'il avait eu l'intention de me tuer, il l'aurait déjà fait depuis longtemps. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il cherche à faire. Sauf que cette fois, je ne compte pas d'attendre d'avoir la réponse avant d'agir. Si la police n'a pas réussi à l'arrêter, moi je vais y parvenir. D'une manière ou d'une autre, je l'empêcherai de verser à nouveau du sang, même si cela signifie que je devrai vendre mon âme au diable.

Je m'apprête à rentrer, lorsqu'une lumière scintillante attire mon attention. C'est un bracelet argenté. Je fronce les sourcils tout en m'approchant. Je m'agenouille et de mes doigts tremblants, ramasse le bijou orné de charms, tacher de pourpre. C'est celui de Candace. Elle appartenait à sa mère, c'est le seul cadeau qu'elle ne lui a jamais offert. Pas une journée ne se passe sans que Candace l'ait porté à son poignet.

Sentant le regard d'Ulrik peser sur mon dos, je tourne la tête vers la porte de la cuisine, le voyant boire son alcool avec une nonchalance délibérée. Mon sang ne fait qu'un tour. Sans réfléchir à ma cheville blessée, je me précipite sur lui, une rage sourde pulsant à travers mes veines. Mes mains heurtent sa silhouette, poussant avec une force brute. Le choc résonne, et le liquide ambré vacille dangereusement, nous éclaboussant au passage. Dans un élan de colère, je le frappe, il laisse tomber le verre qui s'explose sur le sol. Ses doigts se referment autour de mon bras droit, pendant que le sien passe derrière mon dos, me maintenant fermement contre son torse. Les secondes semblent s'étirer dans un silence tendu, nos regards se heurtant l'un à l'autre.

— Tu viens de gâcher un whisky de trente ans d'âge, me réprimande-t-il, son ton trahissant une irritation palpable.

Sa respiration saccadée emplie de colère effleure mon visage.

— Qu'as-tu fait de Candace ? articulé-je en serrant les dents.

Il baisse nonchalamment la tête vers moi, ses yeux noirs me provoquant des frissons. Toutefois, je garde mon sang-froid et ne laisse rien paraitre.

— Si ta question est « est-ce que ses tripes sont encore dans son misérable corps », murmure-t-il avec une lenteur glaçante, la réponse est oui.

Je me calme immédiatement, cependant Ulrik ne me lâche pas pour autant. Bien au contraire, il continue de maintenir avec fermeté.

— Où est-elle ?

Ma voix est chevrotante et bien qu'il n'ouvre pas la bouche, mon visage se tourne vers la deuxième maison. C'est forcément là qu'il l'a enfermée.

— Tu ne la sauveras pas, susurre-t-il contre mon oreille.

Je saisis l'instant où sa prise se relâche légèrement, et d'un geste vif, j'envoie mon coude percuter ses côtes. Aussitôt, ses mains me lâchent, me laissant juste le temps de me glisser hors de sa portée. Dans une réaction instinctive, j'empoigne immédiatement le plus gros morceau du verre brisé, mes doigts serrant l'arme improvisée.

— Je t'empêcherai de lui faire du mal !

— Ah oui, et comment comptes-tu faire ?

D'un geste vif, il s'empare brutalement de mon poignet, l'écrasant presque sous sa poigne implacable. Sa force m'oblige à plaquer le tranchant du verre contre sa gorge, et il vient délibérément se couper. Il m'arrache des mains mon arme de fortune pour le balancer plus loin, et tire plus fort sur mon bras.

Avec son majeur et son index, il caresse sa fine plaie, récoltant le sang perlant. Tétanisée face à lui, je reste figée, incapable de bouger. Un frisson d'horreur parcourt ma colonne vertébrale lorsque ses doigts carminés effleurent mes lèvres. Une sensation glaciale s'empare de moi.


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