CHAPITRE X

— Si tu continues comme ça, tu seras privée de portable !

— Oh arrête maman, tu me dis toujours ça mais tu passes jamais à l'acte. T'aurais trop peur de me vexer !

Jane attrapa son sac et fourra ses cahiers rapidement dedans. Elle le referma et le mit sur son épaule. Lorsqu'elle se retourna, sa mère se tenait juste face à elle, le regard noir et les mains sur les hanches, c'était comme cela depuis son réveil. D'abord son frère ne voulait pas lui léguer la salle de bains, résultat : elle n'était pas maquillée et à peine coiffée, et maintenant sa mère qui ne cessait de lui hurler dessus depuis qu'elles s'étaient croisées toutes les deux dans la cuisine.

— Tu veux bien me laisser passer ? Je vais être en retard au lycée et après toi et papa, vous vous plaindrez de mes mauvaises notes ou des heures de colles.

— Tu te rends compte de la façon dont tu me parles ? Comment as-tu pu autant changer en si peu de temps ?

— Et toi, t'as vu comment tu parles de moi ? Comme si je n'étais plus ta fille !

Elle lui passa à côté en la bousculant et elle se dirigea vers les escaliers mais sa mère n'était pas décidée à lâcher l'affaire si facilement. Elle trouvait sa fille différente depuis quelques temps, surtout depuis son retour d'une soirée à laquelle elle avait accompagné son amie Sally. Elle lui saisit le poignet, Jane se retourna vivement vers elle et ôta brusquement son bras de son étreinte tout en lui jetant un regard assassin.

— Jane, j'aimerais que tu restes face à moi quand on parle, on ne tourne pas le dos à un adulte et encore moins à sa mère.

— Moi aussi je suis bientôt adulte je te signale !

— Tu viens seulement d'avoir 17 ans !

— Et alors ? Dans à peine un an j'aurai 18 ans et là enfin, oui enfin, je pourrai me tirer de cette maison, j'en peux plus de vous et j'en peux plus de toi, t'es toujours derrière mon dos, c'est comme ça H24, j'en ai ma claque ! Laisse-moi un peu d'air tu veux ?! Tu m'empoisonnes l'oxygène, tu me pourris la vie !

— Tout d'abord tu vas baisser d'un ton, tu ne parles pas à Sally ! Moi, je suis ta mère.

— Voilà, le voilà le problème ! s'exclama Jane en pointant sa mère du doigt. C'est à cause de Sally, c'est ça ? Ni toi ni papa ne l'aimez depuis qu'on est entrées au lycée !

— Pas du tout, Jane, mais elle a une mauvaise influence sur toi.

Jane fusilla du regard sa mère avant de lui tourner le dos une nouvelle fois et de descendre les escaliers en tapant des pieds. Une fois en bas, elle attrapa ses vieilles converses noires et elle s'assit sur une chaise pour les enfiler. Margarette, sa mère l'avait suivie jusque-là, elle s'était adossée contre le mur et la toisait sans rien dire les lèvres pincées, comme si elle tentait d'analyser sa fille. Depuis quelques jours elle était insupportable, était-ce la crise d'adolescence ? Elle la trouvait bien tardive. Alors, elle se disait que c'était sûrement sa meilleure amie Sally, elle connaissait cette fille depuis longtemps mais elle n'avait jamais vraiment apprécié son comportement et l'influence qu'elle avait sur sa fille. Comme tout parent, elle voulait simplement la protéger le plus longtemps possible.

— Tu ne veux juste pas te l'avouer mais tu ne vois pas la manière dont tu agis, je devrais te prendre en vidéo.

— Fais-le, je m'en fous. J'ai juste aucune liberté, j'en ai marre, tu m'étonnes que je n'ai aucune amie, j'ai encore un couvre- feu ! Mais qui a encore un couvre-feu à 17 ans ? Sérieusement.

— Oui et j'ai bien raison, depuis que tu es allée à cette boom, tu es différente.

— On appelle ça une soirée maman, pas une boom... s'exaspéra Jane en levant les yeux au ciel.

— Peu importe ! Je te laisse une fois, pendant une seule petite soirée, sortir sans t'imposer de couvre-feu et toi tu reviens complètement changée ! Est-ce que tu as... ?

Jane grogna tout en se relevant, elle enfila son manteau, enfonça ses doigts dans ses gants et mit son bonnet puis jeta un regard à sa mère avant de se diriger vers la porte d'entrée. C'est son père qui revint à la charge à présent, il mit sa main sur la porte avant qu'elle n'ait le temps de l'ouvrir et posa ses yeux gris sur sa fille.

— Vous êtes sérieux ? Vous allez me faire une leçon de morale juste avant que je parte au lycée ?

— Je crois qu'on n'a pas le choix, déclara-t-il.

Jane posa son sac par terre et croisa les bras, l'air mécontente, les sourcils froncés.

— Tu as réellement fait ça, Jane ? demanda sa mère d'un ton presque triste.

— Et alors ? Tout le monde l'a déjà fait !

— C'est Sally qui t'a poussé à le faire ? C'est ça ? Gronda son père.

— Vous m'énervez à la fin ! Laissez-moi faire ma vie ! Sally n'a rien à voir dans tout ça, je vous interdit de la critiquer comme vous vous permettez de le faire ! Je vais finir par péter les plombs ! hurla Jane les poings serrés.

Être questionnée comme un suspect de la police était vraiment dérangeant et le fait que ses parents soient contre son amitié avec Sally la mettait d'autant plus en colère. Elle ramassa son sac et ouvrit brusquement la porte.

— Jane McDowell, on te parle ! s'exclama sa mère.

— Lâchez-moi ! Vous m'empêchez de vivre, vous bouffez mon oxygène, vous et ce petit con de Ben, j'en ai marre de cette famille ! Ce que j'aimerais partir loin d'ici, là où je ne verrais plus vos sales têtes à tous, là où je pourrais enfin être tranquille ! Oh non, j'ai encore mieux ! J'aimerais mourir pour ne plus avoir à vous supporter ! Je vous déteste ! pesta-t-elle les poings serrés et les yeux sortant presque de leurs orbites.

C'était sûrement l'une des plus grosses disputes qu'elle avait jamais eu avec ses parents. Généralement, c'était calme à la maison, mais ce matin-là, une tempête atroce était passée pour tout retourner sur son passage. Jane sortit dehors en prenant garde à ne pas glisser, il avait neigé la nuit et un magnifique manteau blanc recouvrait la route ainsi que les toits des maisons du quartier. Jane adorait l'hiver, rien que pour le beau paysage blanc qui s'offrait à eux. Pour ces atmosphères paisibles, ce silence, ce froid, ce blanc... la perfection à photographier. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, sa musique bombardait ses tympans, elle n'entendait donc pas ce que lui criait sa mère depuis sa porte d'entrée. Elle avançait déjà sur le trottoir et se rapprochait de plus en plus de son lycée pour mieux s'éloigner de sa maison. C'était ce qu'elle voulait ce matin-là : être loin d'eux, ne plus les voir et ce pour toujours.

Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle était insolente, peut- être avaient-ils raison, c'était sûrement à cause de ce qu'il s'était passé à la soirée mais en parler avec eux la mettait bien trop mal à l'aise. Elle préférait donc tenter d'oublier ce moment avec ce garçon qui n'en avait rien à faire d'elle. Une fois au lycée, Sally la rejoignit à son casier, heureuse de retrouver sa meilleure amie. Sally avait toujours un grand sourire scotché sur son visage, elle rayonnait ce qui la rendait magnifique et Jane l'enviait secrètement. Elle aurait aimé avoir ses beaux et longs cheveux bruns ni trop épais ni trop fins, son teint halé et ses yeux bleus. Elle aurait aussi aimé avoir ses formes généreusement proportionnées, elle aurait voulu avoir sa prestance et sa confiance. Sally représentait l'exacte opposé de Jane. Elle, était plutôt petite, mince avec très peu de formes, ce qui déplaisaient le plus souvent aux garçons de son âge. Elle n'avait ni les hanches très marquées, ni les fesses de Beyoncé et ne parlons pas de sa poitrine, elle était presque inexistante, tout ce que Jane aimait chez elle : c'était peut-être ses cheveux qui ressemblaient vaguement à ceux de Sally, en sûrement moins brillants et soyeux.

— Je suis allé chez Matt hier, commença son amie.

— Alors qu'est-ce que vous avez fait ?

— On a joué tous les deux, c'était chaud... très chaud, déclara son amie avec un clin d'œil.

— Perverse ! Railla Jane. Est-ce qu'il t'a envoyé un message depuis ?

Sally fit mine de réfléchir en levant les yeux au plafond.

— Hum... non ! Mais par contre, Jason aimerait qu'on sorte un de ces quatre.

— T'es sérieuse ? Tu changes de mec comme de chemise toi.

— Il n'y a rien de mal à ça ! C'est vrai, après tout, on a qu'une vie et t'es bien placée pour le savoir mademoiselle McDowell, tu crois que je ne me rappelle pas du craquant James ?

— Oh non, s'il te plaît ne me parle pas de ça, j'ai déjà assez honte comme ça ! couina Jane.

Elle referma la porte de son casier et fit face à son amie. Ce qu'elle avait fait avec James n'était qu'une erreur et elle le savait, c'était d'ailleurs pour cela qu'elle était insupportable ces temps-ci. Les remords détruisait son moral à petit feu.

— Je suis sûre que tu t'es bien amusée !

— Non pas vraiment...

— C'était ta première fois ! Mais je te rassure, la deuxième sera encore meilleure.

— C'était nul ! Puis, James, c'est même pas mon type ! J'aime pas mon corps, j'étais vraiment trop mal à l'aise, je veux plus me souvenir de cette soirée.

— Je parie que James l'a aimé lui, ton corps. Il l'a sûrement exploré de fond en comble.

— La ferme ! s'exclama Jane en la poussant légèrement.

Bien entendu, elle ne put s'empêcher de sourire et puis elle rougit lorsque Andrew passa à côté d'elle mais comme d'habitude, il ne la remarqua pas. Elle aurait tant aimé qu'il daigne lui jeter un petit regard, qu'il esquisse un petit sourire en coin comme il savait si bien le faire. Andrew était son fantasme, son rêve, son idole, son âme-sœur ! Enfin, elle l'espérait. Elle l'aimait, mais tout ce temps perdu à aimer un garçon qui n'en avait rien à faire d'elle était du gâchis et au fond d'elle Jane le savait. Sally claqua des doigts juste devant son visage :

— Ohé, tu penses encore à la queue de James ?

— Sally ! La ferme ! s'offusqua Jane.

Sally arbora un large sourire amusé.

— T'as eu peur en voyant ce qu'il avait entre les jambes ?

— Je t'en prie ! Ne me parle plus de ça, tu veux ? C'est trop bizarre. Je préfère tout oublier.

— Mais entre meilleures amies, c'est normal, non ? Tu ne m'as raconté aucun détail croustillant, moi je l'aurais fait.

— Pas moi, je n'aime pas raconter des choses intimes comme ça. Tu le sais.

— Il avait les mains baladeuses ? insista son amie pour l'embêter.

Jane leva les yeux au ciel et avança dans le couloir en tenant ses cahiers contre sa poitrine. Elle se rendit en cours accompagnée de Sally. Elles étaient inséparables et même si parfois Sally pouvait être insupportable, elles étaient comme deux sœurs. La journée passa sans trop de soucis. Finalement, Sally avait abandonné l'idée que Jane lui raconte tous les détails de ses ébats avec James. Jane était absente depuis cette fameuse fête, surtout depuis ce qu'il s'y était passé. Elle avait beaucoup de mal à écouter en cours et à suivre les indications des professeurs.

Le soir, comme d'habitude, elle dit au revoir à Sally en la prenant dans ses bras, elle lui promit de l'appeler dès qu'elle serait chez elle, puis elle sortit dehors. Le froid la fit frissonner alors elle pressa le pas, le nez rouge, les joues rosies et les lèvres commençant déjà à se desséchées. Sur le chemin elle s'arrêta dire bonjour à Ellen, une amie à elle. Elle était beaucoup plus âgée mais Ellen était comme sa tante. Elle l'avait même gardée lorsqu'elle était toute petite. Comme d'habitude, elles parlèrent toutes les deux de leur journée. Ellen demanda des nouvelles de sa famille et Jane lui en donna en oubliant le fait qu'ils étaient tous en froid par sa faute.

— Promis je leur dirai ! s'exclama Jane le sourire aux lèvres en avançant.

— Je passerai sûrement boire un café dans le week-end, prévint Ellen.

— OK, je préviendrai maman !

Elle avança et commença à enfiler ses gants, c'était à peine si elle pouvait bouger les doigts à cause du froid, ses mains étaient toutes rouges et douloureuses. Puis des freins crissèrent sur le sol gelé, Jane sursauta et se redressa, se tournant face à la camionnette, celle-ci n'eut le temps de s'arrêter, elle la percuta... Jane roula sur le capot et s'écrasa contre le pare-brise, celui-ci se fendit sous son poids et lorsque la voiture freina brusquement, Jane fut éjectée, elle atterrit lourdement sur le sol, l'arrière de sa tête cogna contre celui-ci, si fort que lorsqu'elle rouvrit les yeux, des petits points noirs apparaissaient devant ses pupilles dilatées. Elle voyait le ciel étoilé mais sa vue commençait déjà à se brouiller petit à petit, les points noirs devenaient de plus en plus gros. Elle avait terriblement mal avec une forte envie de pleurer. Elle étai immobile, elle ne sentait ni ses bras ni ses jambes. De la buée sortait de sa bouche quand elle respirait et lorsque le dernier petit nuage en sortit, elle ferma les paupières, oubliant l'agitation et les cris autour d'elle, laissant s'échapper un dernier soupir...

Jane se redressa brusquement et regarda autour d'elle. Elle se trouvait dans une salle de classe vide, assise sur une chaise seule. Elle avait arrêté de compter le temps que cela faisait que Raphaël l'avait laissée tomber. Doucement, Jane sombrait dans la folie. Vivant ce même jour indéfiniment, sa mort. Elle était fatiguée, fatiguée de pleurer, fatiguée de mourir, fatiguée de perdre la boule. Allan l'avait prévenue et Raphaël aussi, elle avait pourtant espéré que contrer ce qu'on lui demandait de faire ne changerait rien à sa lucidité comme si elle était différente de tous ces morts, mais ce n'était pas le cas. Tout en songeant à son erreur, Jane laissa tomber sa tête entre ses mains et se mit à pleurer, sans que personne ne puisse l'entendre.

— Je t'en prie reviens... murmura-t-elle la voix pleine de sanglots.

Elle renifla comme si son nez coulait alors que ce n'était qu'une illusion et ce bruit résonna dans toute la pièce comme un échos lugubre.

— Sam... si tu m'entends, je t'en prie, reviens... reviens, j'ai besoin d'aide. J'ai besoin de toi...

Elle implora toujours assise sur cette chaise seule, dans cette classe vide. Sombrant un petit plus chaque minute, dans la folie.


VERSION 2018.

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