CHAPITRE VIII
Allongée dans l'herbe, elle regardait le ciel. Il était étoilé ce soir là,il était magnifique. Ce genre de ciel, elle l'aurait photographié si elle n'avait pas été morte. Mais elle l'était. Cela devait faire plusieurs heures qu'elle était allongée, elle pouvait regarder les étoiles indéfiniment, puisqu'elle était morte, le temps n'était plus un problème. Sauf peut-être pour sa mémoire et son avenir mais à quoi bon de toute façon ?
Le parc était silencieux, très peu de gens s'y promenaient lorsqu'il était tard la nuit. Les êtres vivants dormaient mais les fantômes,eux, n'avaient pas ce besoin. Elle ne ressentait ni la fatigue ni la faim, pas même la soif. Elle n'avait plus besoin de rien étant donné qu'elle n'avait plus d'enveloppe charnelle. Son corps ne réclamait plus rien. Difficile d'y croire mais pourtant, c'était cela, sa réalité à présent. Elle avait les bras tendus de chaque côté de son corps et ses jambes aussi, comme une étoile de mer.Elle se mit alors à chantonner un air, puis une mélodie jusqu'à commencer à chanter les paroles tout bas comme si quelqu'un risquait de l'entendre.
— Jolie chanson.
Jane se redressa brusquement, lorsqu'elle tourna la tête elle put facilement reconnaître Sam ou plutôt le démon qui s'était prénommé Sam tout seul. Il avait les bras derrière sa tête et il regardait le ciel comme si Jane n'était pas là, comme s'il ne l'avait pas surprise. Il s'en foutait royalement, cela pouvait se voir et si on regardait correctement, on pouvait voir les commissures de ses lèvres trembler comme s'il se retenait d'esquisser un sourire... fourbe, son sourire serait fourbe, c'était certain.
— Je ne connais pas, c'est de qui ? reprit-il.
— Qu'est-ce que ça peut bien faire ?
— Je suis naturellement curieux.
Jane détourna le regard, elle replia ses jambes contre sa poitrine et les entoura de ses bras, observant le paysage nocturne qui s'offrait à elle. La nuit était moins effrayante depuis qu'elle était morte. Le seul problème étant Sam qui ne la rassurait pas du tout. Lorsqu'il était auprès d'elle,elle se sentait vide et sa présence malsaine la mettait mal à l'aise. Ce dernier s'assit à son tour. Sans même le regarder, elle pouvait savoir que lui le faisait et qu'il la fixait avec insistance.Elle prenait sur elle pour ne pas lui demander d'arrêter. Jane avait horreur qu'on la fixe ou qu'on la regarde plus de quelques secondes tout simplement.
— J'ai jamais croisé un fantôme aussi bavard que toi, renchérit-il.
Il était sarcastique et elle détestait cela. Elle ne répondit rien, elle se mordit la langue pour ne pas lui lancer tout un tas d'insultes à la figure. Les démons étaient similaires aux psychopathes, pédophiles, violeurs et autres criminels. C'était ce qui le rendait encore plus effrayant, Jane se demandait quelle avait pu être la chose la plus horrible qu'il avait faite depuis sa mort.
— C'est moi qui te rends muette ?
— Laissez-moi tranquille, c'est tout ce que je demande.
— Mais je n'ai pas envie.
— Pourquoi ?
— Quand je suis parti, j'ai pensé à toi. Tu trouves pas ça bizarre ?Crois pas que tu me plaît, t'es beaucoup trop jeune pour moi mais je me suis dit que revenir m'empêcherait de penser à une gamine dans ton genre.
— Je n'ai jamais cru ça !
En réalité si, mais c'était mieux de le contredire. Mais c'était un démon, un malin, quelqu'un de vicieux et qui ne faisait que le mal, rien que pour son plaisir personnel. C'était assez pour chasser toutes sortes de fantasmes.
— À te voir comme ça, je déduis que ça fait seulement quatre ou cinq semaines que tu es morte, je me trompe ?
— Peu importe, j'ai pas compté.
— Je ne me trompe pas alors. Je dirais qu'il te reste environ un ou deux mois avant que tu ne deviennes comme la plupart des morts ici.
— On me l'a déjà dit, je n'ai pas besoin de l'entendre une fois de plus, grommela-t-elle.
— Oh ! Alors tu as fait d'autres rencontres ? Qui c'était ?
— Non.
— Non, c'est son prénom ou son nom de famille ?
— Je ne répondrai pas, grogna Jane.
— Pourquoi ?
— Vous êtes un démon ! Couina-t-elle.
Il pouffa de rire tandis que Jane lui avait dit cela comme si c'était une évidence.
— C'est une sorte de racisme anti fantôme ça...
— On ne peut pas faire confiance aux démons, dit-elle en resserrant ses bras autour de ses jambes.
— Je vais te révéler un truc ma mignonne : on ne peut faire confiance à personne dans le Royaume des Morts.
— Le Royaume ? Répéta-t-elle.
— J'appelle ça comme ça, je trouve le nom que je lui ai donné bien mieux que Solitude. Solitude, c'est déprimant, franchement !
— Je peux donner le nom que je veux, vous n'étiez pas censé l'entendre.
— Mais je l'ai quand même entendu.
Jane ne rétorqua rien. Le sentant se rapprocher d'elle, elle se leva et se tourna vers lui les bras croisés. Il resta assis là, devant elle, en la regardant. Ses yeux bleus étaient tellement paradoxal avec ce qu'il était. Pour elle,les démons étaient censés avoir tout de sombre, même les iris.Tandis que les siennes étaient d'un bleu unique ! Avec cela, il fallait rajouter la noirceur qu'on ressentait et qu'on croyait voir en affrontant son regard de glace. Il n'avait rien d'un démon ordinaire, ou du moins, il n'avait rien des démons que Jane s'était imaginés.
Elle lui tourna le dos et marcha sur le chemin de terre traversant les pelouses du parc toutes aussi vertes les unes que les autres.Évidemment, elle se sentait suivie et quand elle se retourna, elle put confirmer sa désagréable sensation puisque Sam était derrière elle. Elle se mit alors à courir, dans l'espoir de le semer. Elle passa les grandes grilles du parc et traversa la route désertes,elle se réfugia alors dans la ruelle d'en face. Quand elle jeta un coup d'œil à l'entrée du parc, il ne semblait plus être là.Soulagée, elle tourna le dos au parc mais recula d'un pas lorsqu'elle se retrouva face à lui. Elle se colla contre le mur et ne le lâcha pas des yeux, terrifiée.
— Tu me fuis ? Mais pourquoi ? Demanda-t-il en penchant la tête sur le côté.
— Je ne vous ai rien fait, laissez-moi tranquille !
— Bon écoute, je sais que c'est bizarre mais je veux t'aider moi ! Je sais que tu cherches à être quelque chose comme tous les morts de ce fichu monde. Je sais même que tu aimerais avoir les mêmes dons que les poltergeists mais la même liberté que les malins, mais ça ma jolie, tu ne peux pas. C'est soit l'un, soit l'autre.
— Alors je resterai un simple fantôme et je perdrai la boule !
— La mémoire surtout, tu seras enfermée dans ton propre enfer, tu revivras ta mort sans arrêt, un peu comme un esprit résiduel, tu revivras ce jour, encore et encore, et encore...
— Ah ! J'en ai assez d'entendre toujours la même chose ! Je suis au courant !
Il parut surpris de l'entendre crier et eut même un mouvement de recul. Le menton de Jane tremblait mais il était hors de question de pleurer devant lui pour alors se sentir d'autant plus honteuse. Elle essuya les larmes qu'elle avait au bord des yeux et quand elle se retourna, elle passa à travers le mur sans même le vouloir. Elle se retrouva alors dans un bar peu fréquenté. Elle s'assit sur une chaise à une table vide et écouta le groupe qui jouait des morceaux de vieux Rock. Les quelques clients présents étaient bien trop ivres pour écouter les chansons qu'ils chantaient avec brio.
Évidemment, le calme fut de courte durée puisque Sam s'assit juste face à elle, posant nonchalamment ses bras sur la table.
— Écoute, tu n'as qu'à essayé une journée de te mettre dans la peau, évidemment c'est une métaphore, d'un malin.
— Je sais déjà ce que ça fait de posséder quelqu'un.
— Les démons ne font pas que posséder.
— Qu'est-ce qu'ils font d'autre dans ce cas ?
— Il arrive qu'ils fassent des pactes et en général, ils suivent les ordres... moi je suis juste un petit peu plus différent qu'un démon ordinaire.
—Je ne veux pas être un démon, soupira Jane en le fusillant du regard.
— Parce que tu étais quelqu'un de gentil ? Parce que tu avais un bon cœur ? Des amis, une famille parfaite ?
— Exactement !
— J'avais tout ça moi aussi. On l'avait tous. Je pouvais peut-être être un vrai con parfois mais j'avais une belle vie, d'après toi, ça m'a empêché de devenir ce que je suis ? Je ne le regrette pas, j'aime ma puissance, j'aime ce que je fais et crois ma jolie, je risque beaucoup moins de choses que toi.
Instinctivement elle pensa à l'ombre à laquelle elle avait été confrontée quelques jours auparavant. Elle avait sans arrêt la crainte de retomber nez à nez avec cette chose sans visage. Au lieu de lui répondre, elle garda ses yeux rivés sur le groupe qui jouait une reprise de l'une des chansons des Rolling Stones.
— Tu ne me crois pas ? Reprit Sam.
— Un démon est un être démoniaque, il doit avoir vécu des choses shorribles pour devenir mauvais, alors non, je n'y crois pas une seule seconde.
— Alors laisse moi te montrer mes souvenirs.
Cette fois-ci, elle daigna lui jeter un regard, celui de Sam était intense et hypnotique.
— Vous ne me contredisez pas, ça veut dire que vous avez vécu quelque chose de mauvais.
— Laisse-moi te montrer, insista-t-il.
Il tendit le bras sur la table et il lui présenta sa main. Elle le regarda longuement, comme si elle l'analysait. Elle craignait qu'il puisse jouer avec son esprit et lui montrer ce dont il avait envie. Mais elle le fit quand même, elle posa sa main dans la sienne et elle put voir de brefs souvenirs comme son enfance. C'était un petit garçon aux cheveux de jais, aux yeux très clairs et la peau plutôt pâle sur laquelle se reflétaient quelques rougeurs. Le pauvre avait dû supporter un beau-père alcoolique et violent durant une grande partie de son enfance et de son adolescence avant qu'il ne parte à l'université. Il avait vécu une belle histoire d'amour avec une jeune fille aux cheveux d'or se prénommant Béatrice et tous deux se marièrent jeunes pour connaître la joie de fonder une famille.
Alors que sa petite fille n'était âgée que de cinq ans, un soir alors que Sam, de son vrai nom : Raphaël, rentrait de son travail de journaliste, il se fit agressé par des personnes plus jeunes que lui, mais groupés.Il se fit frapper jusqu'à ce qu'il ne soit plus capable de tenir sur ses deux jambes avant d'être poignardé à trois reprises. Toute cette violence, seulement pour un portefeuille... Sa vie qui se déroulait pourtant bien mieux que son enfance, s'était arrêtée en pleine rue, arrachée par des inconnus.
Il lâcha la main de Jane soudainement et plongea son regard glacial dans le sien.
— T'en a assez vu, la suite n'est pas intéressante.
Jane le regardait la bouche entrouverte, ne sachant quoi penser de ce court instant où elle avait assisté à une vague de souvenirs submergeant ses pensées. Elle craignait qu'il ne mente et qu'il ne lui ai montré des mensonges mais elle espérait se tromper car se dire que l'homme qu'elle avait face à elle avait été, un jour, humain et bienveillant la réconfortait.
— Vous êtes devenu un malin car vous en vouliez à vos assassins, assura-t-elle.
— J'aurais pu être un esprit vengeur, j'aurais donc vengé ma mort. Je ne suis pas devenu un démon à cause de ces gars-là. Ce que je veux te faire comprendre, c'est que même avec une vie de rêve, on peut devenir un démon. Tu crois que tous les démons sont des personnes qui ont souffert dans leur courte vie ? Évidemment que j'ai eu du mal à accepter ma mort mais aujourd'hui, je suis le fantôme le plus heureux qui soit !
— Et votre famille ?
— Ma belle, ma fille a sûrement 30 ans maintenant.
— Et alors ? Vous faites régner le mal sans aucune raison valable.
— Je le fais par plaisir, plus ou moins.
— Je n'en suis pas si sûre.
Il haussa les sourcils et s'appuya contre le dossier de sa chaise tout en la regardant, attendant patiemment qu'elle poursuive :
— Vous êtes devenu un démon pour vous sentir puissant. Vous vouliez vous sentir puissant tout simplement car vous avez été faible toute votre misérable vie. C'est ça le message que vous vouliez me faire passer. Moi aussi j'étais faible,trop gentille avec les gens, alors devenir votre copie conforme me permettrait de me sentir plus puissante, mais je ne suis pas comme vous, je ne suis pas hypocrite. J'ai toujours été forte, je n'ai jamais été faible comme vous... Raphaël.
Le regard qu'il lui jeta lorsqu'elle prononça son prénom fut tellement sombre qu'elle crut se sentir frissonner.
Elle se leva et elle sortit du bar, le laissant derrière elle. Elle marcha dans la rue repensant à ce qu'elle avait vu, elle ne savait pas si elle avait bien fait de dire tout cela à ce démon, craignant les répercussions... Mais d'un autre côté, peut-être qu'il lui avait menti et ce serait à peine étonnant. Les démons sont des manipulateurs.
Mais alors qu'elle marchait, elle se sentait suivie et observée, comme souvent depuis qu'elle était morte. Elle s'arrêta et jeta un regard par dessus son épaule, elle crut mourir une seconde fois en apercevant cette ombre qu'elle avait tenté de fuir. Elle prit peur et se mit à courir, l'ombre la poursuivit sans hésiter. Sa course fut de courte durée lorsque quelqu'un l'attrapa par le bras et la tira dans une ruelle sur la gauche, elle n'eut le temps de rien faire qu'ils passèrent à travers le mur de briques pour se retrouver dans le hall d'un vieille immeuble où l'odeur d'urine de chat empestait les lieux.
— Raphaël ? S'étonna-t-elle.
— C'est Sam ! gronda-t-il.
Il garda sa main dans la sienne et monta les escaliers à toute vitesse, elle le suivit de peur que l'ombre ne la rattrape et mieux valait être près de lui cette fois.
— Qu'est-ce que c'est que cette chose qui me poursuit sans arrêt ?
— Il faut qu'on se cache.
Ils passèrent à travers une porte et se retrouvèrent dans un appartement en désordre, un couple était sur un canapé en train de s'embrasser alors que sur la table basse gisaient tout un tas de bouteilles de bière vides.
Raphaël se tourna vers elle.
— Fais comme moi, déclara-t-il.
Il se tourna vers le couple en train de se bécoter et il se jeta sur l'homme, celui-ci se redressa brusquement comme si une guêpe venait de le piquer, une lueur étrange parcourut ses yeux. Jane ne voulait pas imiter Raphaël et posséder ces pauvres gens mais elle n'avait plus vraiment le choix. Elle se jeta alors sur la femme et en quelques secondes seulement, elle put voir au travers de ses yeux.Elle scruta les moindres coins de l'appartement mais l'ombre avait totalement disparu.
— Est-ce qu'on continue ce qu'ils étaient en train de faire pour bien se mettre dans les rôles ? demanda Raphaël un air d'amusement déformant le visage de son hôte.
— Non ! Je veux sortir de ce corps qui n'est pas le mien !
Jane se leva d'un bond. Se sentir dans le corps de quelqu'un d'autre, sentir la chaleur, un cœur battant et avoir tout un tas de souvenirs qui n'étaient pas les siens, c'était quelque chose qu'elle peinait à supporter. Elle avait plutôt l'impression de voler la vie d'une inconnue et elle détestait cela.
Raphaël se leva à son tour et posa ses mains sur ses épaules pour la tourner vers lui.
— Écoute moi bien, on a tous un faucheur à nos trousses, alors tu vas faire ce que je te dis, sans broncher cette fois.
— Un quoi ?
— Laisse tomber... il est sûrement toujours dans le coin. Le mieux à faire, c'est de rester dans le corps de ces gens jusqu'à demain matin, une fois que le jour sera levé, on les laissera tranquille, mais on ne peut pas prendre le risque de se faire voir maintenant.
— Mais c'était quoi cette chose ?! Insista-t-elle.
— Je t'ai dit de laisser tomber !
Jane le repoussa brusquement tout en grognant. Frustrée, elle se dirigea vers la chambre dans laquelle elle s'enferma.
— Ouvre la porte ! lui cria Raphaël de l'autre côté.
— Je ne sortirai qu'au jour levé !
Après avoir claqué la porte comme une adolescente en colère et avoir hurlé sur Raphaël de l'autre côté de la porte. Elle s'allongea sur le lit n'attendant plus qu'une chose : que le jour se lève.
Mais les paroles du démon résonnaient encore dans sa tête. Un faucheur était à ses trousses.
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