CHAPITRE VII

Cette indéniable sensation d'être suivie et épiée ne la lâchait pas depuis qu'elle avait décidé de trouver un malin. Elle était seule,errant dans la ville où elle était morte. Elle était faible,perdue et Allan le lui avait bien fait savoir : ce monde était dangereux. Or, Jane ne savait pas réellement ce qu'elle devait craindre.

Ce qu'elle avait en tête était toujours la même chose, des souvenirs mélangés et son accident. Mais plus les jours défilaient, plus ses souvenirs étaient brouillés. Ils devenaient flous et bientôt, se les remémorer deviendrait difficile. Allan avait raison, plus le temps passerait, moins Jane resterait consciente.

Les arbres dans le parc où elle était se mirent à bouger au rythme du vent, si elle avait été vivante, elle aurait frissonner, mais ce n'était pas le cas. Elle s'était assise sur un banc et elle regardait les gens passer. Elle avait vu un couple, ils devaient avoir à peu près son âge, ils se tenaient bras dessus bras dessous et ils riaient aux éclats. Jane n'avait pas pu s'empêcher de sourire en les voyant, cela avait été son rêve pendant longtemps.Elle n'avait jamais réellement eu de petit copain juste parce qu'elle avait perdu son temps à attendre Andrew. Maintenant c'était trop tard pour vivre une belle histoire d'amour, elle était morte.
Alors elle devait dire au revoir à l'amour.

L'amitié, c'était aussi quelque chose de difficile maintenant qu'elle était morte. Entretenir une amitié avec Sally était impossible, elle l'avait clairement compris et elle avait décidé de ne plus tenter d'entrer en contact, laissant alors son amie faire son deuil comme il se devait. De plus, devenir amie avec des fantômes ne semblait pas envisageable. Quels seraient leurs centres d'intérêt ? Hanter des maisons ? Posséder des êtres vivants ? Fini les sorties au cinéma, au restaurant et les soirées entre copines à regarder des films.
Elle devait dire au revoir à l'amitié aussi.

La famille ensuite, qu'est-ce que la famille lorsque nous sommes mort ?Sa famille l'aimait toujours, elle le savait mais si elle restait auprès d'eux, ils ne pourraient pas non plus faire leur deuil. Morte comme elle l'était, elle n'allait jamais pouvoir avoir de famille.Elle avait espéré que l'histoire de la vie après la mort soit vraie. Malheureusement pour elle, il n'en était rien et la seule vie qu'elle était destinée à vivre en étant morte, était celle d'un fantôme sans but, dans un monde morose.
Elle devait donc dire au revoir à la famille.

Solitude, voilà le monde dans lequel je vis maintenant, grogna-t-elle en regardant un joggeur.

En y songeant, elle sentit un nœud à l'estomac se nouer et son cœur se serrer dans sa poitrine. La peine, elle n'aimait pas ressentir cela mais elle ne pouvait pas être heureuse.Depuis sa mort, tout paraissait triste. D'autant plus que ses émotions étaient puissantes. Jane était quelqu'un de fragile, de sensible étant vivante mais morte, c'était encore pire.

— Solitude est un nom qui me convient, déclara quelqu'un à ses côtés.

Jane tourna la tête, un homme était assis à côté d'elle, il observait lui aussi les gens. Il ne daigna pas lui jeter un seul regard. Sa peau était pâle, ses cheveux colorés d'un brun obscur, il était vêtu de noir et le long manteau qu'il portait faisait vaguement penser à la cape d'un grand méchant dans les films qu'elle regardait à la télévision. Une aura semblait flotter autour de lui, quelque chose de sombre et mystérieux, quelque chose de mauvais.

— Voilà que tu ne parles plus, dommage, tu as une jolie voix, assura-t-il.

— Qui êtes-vous ?

— On me donne beaucoup de noms, mais je préfère ne pas le révéler.C'est bien trop dangereux dans ce monde, alors je vais dire que je m'appelle... Sam. Sam, c'est court et plutôt sympa, t'en dis quoi ?

Jane mit un temps avant de répondre. Elle le scrutait, la bouche entrouverte, les sourcils haussés et trouvait son excuse pour ne pas donner son prénom vraiment ridicule.

— Moi c'est...

— Jane, je sais.

Elle lui jeta un regard, sans quitter cette expression déconcertée qui déformait son visage. Il ne lui adressa aucun regard en retour. Elle poussa un profond soupir et reporta son attention sur ce qu'elle était en train de faire. C'est-à-dire,observer la vie qu'elle n'avait plus.

— Comment vous...

— Comment je le sais ? L'interrompit-il. Eh bien parce que je sais beaucoup de choses.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

— On peut dire que j'ai certains dons, dont mon intuition infaillible.

— Vous êtes...

— Un démon, un malin, un fantôme démoniaque, un gros con... on me donne beaucoup de noms, je te l'ai déjà dit.

— Et vos pouvoirs vous permettent de tout savoir ?

— Pas vraiment, c'est plus compliqué que ça. On est tous différent, rétorqua-t-il.

Jane sentit les yeux de cet homme sur elle, mais elle ne bougea pas, savoir ce qu'il était la terrifiait. Il dégageait une noirceur indescriptible, ce qui le rendait d'autant plus effrayant. Sa voix cassée et grave aurait pu mettre n'importe qui à l'aise, voire même séduire quelques jeunes femmes mais pour Jane, cette voix et cette façon qu'il avait de parler ne la mettait pas à l'aise.

— Tu es gênée parce que je te regarde ?

— Non.

— Tu mens très mal.

— Oui je le suis ! Comment je pourrais ne pas être effrayée à l'idée d'être à côté d'un démon ?

— Oh je t'en prie ! J'étais comme toi avant. J'ai été vivant, j'avais des amis, une famille. Enfin, j'avais des sentiments, une vie à moi quoi. Puis je suis devenu ce que je suis devenu, il n'y a rien d'extraordinaire, tu le pourrais toi aussi.

— Devenir un démon ? Je pense que ceux qui le deviennent sont des personnes ayant été tourmentées ou tristes toute leur vie.

— J'avais une femme, une petite fille de cinq ans, j'étais journaliste, j'avais de l'argent et j'étais heureux. D'après toi, j'avais une vie de misérable ?

— Alors pourquoi être devenu un démon ? Demanda Jane.

— Pourquoi pas ?

— Il n'y a que les adorateurs de Satan pour devenir comme ça.

— Satan n'existe pas, assura-t-il d'un air las.

— Si les démons existent, les anges aussi ce qui veut dire que Dieu existe et donc Satan aussi, le paradis et l'enfer, les deux existent.

— Excuse-moi mais j'ai arrêté d'écouter à la minute où tu as commencé à parler des anges.

Jane leva les yeux au ciel.

— Si je suis là ma jolie, ce n'est pas par hasard. Je sais que tu recherchais quelqu'un comme moi.

— Comment?

— À trop y penser, c'est comme si tu m'appelais ou m'invoquais... J'ai eu une intuition et me voilà.

— Je veux juste savoir ce qu'est un démon, je vous pensais plus effrayant, enfin... plus repoussant.

— Je sais que je suis bel homme mais un démon a deux visages, c'est une chose que tu ne devrais pas oublier.

Cette fois-ci, leurs regards se croisèrent. Sam avait de beaux yeux bleus, clairs comme le ciel en été. Or, derrière cette clarté se cachait une terrible noirceur qu'on pouvait facilement desceller.

— Je vais te donner rapidement la définition de ce que je suis ... et bien, je sème la pagaille de temps en temps et je me nourris le plus souvent de la frayeur des gens. Il m'arrive de posséder des êtres humains pour gagner en puissance en me nourrissant de leur vitalité mais ce n'est pas trop mon fort. J'ai d'autres hobbies.

— C'est tout ? Vous possédez ?

— Oh ma belle, si tu veux en découvrir plus, tu n'as qu'à tenter l'expérience.

Jane détourna le regard, elle avait possédé quelqu'un et elle n'avait pas du tout apprécié la sensation que cela lui avait procuré. Finalement, les démons ne semblaient pas si différents et peut-être que toute cette histoire de choix était complètement fausse. Peut-être qu'un fantôme pouvait avoir les mêmes pouvoirs qu'un poltergeist ou qu'un démon.

— Non, je ne suis plus sûre de vouloir en devenir un.

— Ne me fais plus perdre mon temps dans ce cas.

Il la laissa en plan juste après lui avoir dit cela. Elle l'observa alors avancer dans le parc, d'un pas lent, avant qu'il ne disparaisse complètement.

Les heures défilèrent sans que Jane ne s'en aperçoive, comme si dans ce monde, dorénavant, l'heure n'avait plus grande importance. Ni la nuit ni le jour n'avait son importance puisqu'ils ne vivaient plus.Jane songea à sa conversation avec Sam, à ce qu'il lui avait dit des démons. Certes, il avait été vague mais cela avait été suffisant pour la convaincre que faire un choix n'était pas une priorité. Pourquoi choisir si on pouvait bénéficier des mêmes pouvoirs sans qu'on mette un nom sur l'individu ? Pourquoi ne pas être elle tout simplement, avec suffisamment d'énergie pour ne pas disparaître comme l'avait si bien dit Allan.


Essayer ne lui coûterait pas la vie.
Elle était déjà morte.


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