CHAPITRE IX

21600 secondes, c'était le temps que cela faisait qu'elle était allongée sur ce lit, dans le corps d'une autre personne, elle regardait le mur face à elle et elle avait compté. 360 minutes soit 6 heures. Cela faisait 6 heures qu'elle était restée enfermée dans cette chambre à ne rien faire sauf compter. Le soleil se levait enfin, elle pouvait le voir à travers le fin rideau qui recouvrait la fenêtre. Lorsque les rayons du soleil l'atteignirent, elle se leva. Elle traîna des pieds jusqu'à la porte de la chambre, elle se sentait exténuée, ce n'était pas le corps dans lequel elle se trouvait qui était fatigué, c'était elle, elle n'avait pratiquement plus d'énergie. Elle posa doucement ses mains sur la porte et elle y colla son oreille, pour essayer d'entendre Sam ou plutôt Raphaël, elle ne savait plus vraiment comment elle devait l'appeler.

Elle n'entendait que des bruits indistincts alors elle décida d'ouvrir la porte. Lorsqu'elle le fit, l'homme qui se tenait dans le salon se retourna face à elle, il devait être âgé de la vingtaine, il avait une barbe de trois jours et le crâne rasé, il avait même un tatouage dans la nuque et un autre sur le bras. Quant à la fille,elle était blonde, tatouée comme son compagnon.

— Tu t'es enfin décidée à sortir ? ronchonna Raphaël.

Il était toujours à l'intérieur du corps de son hôte.

— Comment on quitte le corps d'un humain ?

— Bonjour à toi aussi. Oui, j'ai bien dormi.

— Dites moi comment on sort de ce corps ! Je ne supporte pas d'avoir les souvenirs d'une autre personne.

Il leva les yeux au ciel tout en poussant un profond soupir d'exaspération.

— Il suffit de faire comme quand on entre dans un corps, expulse toi.

— Comment je fais ? J'ai l'impression d'être prisonnière et en plus je me sens à l'étroit.

— C'est normal, n'oublions pas que vous êtes deux dans un seul corps, c'est même un miracle pour un petit fantôme comme toi que tu sois consciente et pas elle.

— Ça veut dire quoi ça ?

— Plus on est faible, plus notre hôte est conscient, c'est normal.

Jane soupira et croisa les bras en lui jetant un regard assassin. Ellen'aimait pas l'idée d'être dans le corps d'une autre personne et elle l'aimait encore moins depuis qu'elle savait que son hôte pouvait se réveiller à tout instant pour prendre sa place !

— Bon, fais le avant moi, grogna Raphaël, j'attends là. Tu savais que ce gars trompe sa copine ?

Jane ignora et se concentra, tout ce dont elle avait à faire : c'était de penser à son expulsion. Elle ferma même les yeux pour y arriver et finalement, comme par magie,elle fut expulsée du corps de son hôte. C'était comme être poussé violemment et perdre l'équilibre, elle réussit tout de même à rester debout. Avant même de crier son soulagement, elle se retourna vers la femme qu'elle avait habité pendant 6 heures, elle regardait autour d'elle, elle semblait étourdie et ne pas comprendre ce qu'il venait de lui arriver.

— Bon, tu vas contempler cette junkie toute la journée ou tu vas te décider à bouger tes fesses de ce trou ?

Jane tourna la tête et vit Raphaël, le vrai, le démon.Il était bien différent de son hôte mais elle ne pouvait pas rester indifférente, il était séduisant, des yeux clairs et des cheveux sombres, c'était plutôt craquant mais il était le mal incarné, et tout son charme s'envolait.

Elle passa à travers le mur et se retrouva dans le couloir. Bien entendu,Raphaël la suivait, il était décidément déterminé à la faire devenir ce qu'il était. Mais il en était hors de question, par principe, elle n'allait ni être un poltergeist ni un démon. Elle allait rester elle. Elle était certaine qu'il y avait une solution,tous les fantômes ne sombraient pas. C'était impossible.

Elle descendit les escaliers en évitant une personne qui les montait,elle ne s'habituait vraiment pas à la sensation que cela procurait.Sentir un être vivant ayant un corps chaud passer au travers du sien... c'était quelque chose à laquelle elle ne s'habituerait jamais.

Elle marchait sur le trottoir évitant chaque passant, surveillant toujours les alentours de peur de se retrouver nez-à-nez avec cette chose qui la suivait sans arrêt, cette chose que Raphaël avait appelé "faucheur".

— Tu me fuis ? demanda-t-il à côté d'elle.

— Non.

— Où est-ce que tu vas ?

— Je ne sais pas, je marche c'est tout.

— On est vraiment mal barré.

— Pourquoi ?

— Première chose ma belle : évite de ne pas savoir quoi faire et où aller.

Elle s'arrêta et se tourna vers lui, il plongea alors ses yeux de glace dans les siens. Il renfermait tant de noirceur... le fait de le savoir mauvais à présent alors qu'il avait été gentil tout le long de sa vie était étrange.

— Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? Après tout, je ne suis rien comparé à vous mais vous me suivez quand même, j'aimerais savoir pourquoi.

— Enfin un peu de répondant, j'ai bien cru que tu agissais simplement comme une ado prétentieuse.

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

— Pas grand chose. Mais je te vois là, à tourner en rond et à avoir peur au moindre petit mouvement suspect. Excuse-moi mais je crois que j'ai de l'empathie, c'est bien ce qu'on dit, non ?

Jane ne répondit rien et reprit sa marche sans attendre Raphaël qui s'empressa de la suivre.

— Enfin bref, je tiens tout de même à te rappeler que c'est toi qui suscitait de l'intérêt aux démons, j'ai seulement voulu t'aider. C'est comme si je me sentais obligé de te suive pour te permettre de terminer ta « quête » d'identité, reprit-il.

— Très bien,alors tout d'abord : il faut me dire ce que c'était cette ombre et ce qu'elle me voulait.

— J'en sais rien.

Jane dut se retenir de ne pas lui hurler tout un tas d'injures à la figure. Elle savait parfaitement que Raphaël mentait, il ne voulait tout simplement pas lui dire ce qu'il savait au sujet de cette chose et il n'était pas difficile de comprendre que les démons étaient des êtres têtus qui aimaient n'en faire qu'à leur tête. Elle pressa le pas, espérant alors le semer.

— Mais attends ! Cria-t-il en trottinant derrière elle pour la rattraper. À quoi ça te servirait de savoir ?

— À m'en sortir ! Grogna Jane.

— Je n'en sais pas plus à ce sujet que toi ! On appelle ça un Faucheur.

Jane s'arrêta de plus belle pour lui faire face, ce mot l'effrayait rien qu'à l'entendre. Raphaël manqua de lui rentrer dedans mais s'arrêter juste à temps.

— C'est quoi son but ? Demanda-t-elle en croisant les bras.

— Te tuer, enfin tu vois ce que je veux dire, tu ne peux pas vraiment mourir étant donné que tu es déjà morte...

— Bref ! L'interrompit-elle. Pourquoi est-ce qu'il veut me tuer ? Je ne lui ai rien fait. Je n'ai rien fait à personne d'ailleurs !

— Non mais tu ne comprends rien ma parole ! s'exclama-t-il perdant patience. C'est un Faucheur, il est là pour prendre ton âme, il n'est pas là parce que tu lui a fait quelque chose, il s'en fiche de ce que tu peux faire. On a tous un faucheur à nos trousses et les plus chanceux y échappent.

— Comment on fait pour y échapper ?

— Comme hier soir ma jolie, tu te caches et t'attends, c'est tout ce qu'il y a faire, il ne te lâchera pas, ce sera ainsi pour l'éternité.

— Non, il doit forcément y avoir un moyen.

— T'es peut-être un peu trop optimiste.

Elle était certaine qu'il y avait une solution à tout. C'était ce que sa mère lui assurait lorsqu'elle rencontrait un problème. Elle lui disait sans arrêt que tout avait une solution, rien ne restait figé dans le temps et en général, ces paroles l'aidaient à avancer. Puis cela avait été prouvé plus d'une fois alors même si le monde dans lequel elle vivait à présent était différent de l'ancien, elle ne perdait pas l'espoir que les solutions existaient pour tout. Mieux valait être optimiste que pessimiste. Au moins, on ne pouvait pas lui reprocher cela.

— Oui, je suis optimiste. Je l'ai toujours été et ce n'est pas parce que je suis morte que ça va changer.

— J'aime bien quand tu t'imposes comme ça, c'est plutôt mignon.

Elle leva une nouvelle fois les yeux au ciel et reprit sa marche sans savoir où elle allait. Parfois elle se demandait s'il ne valait pas mieux qu'elle retrouve Allan, ou qu'elle retourne auprès d'Andrew.

Elle arriva par hasard en face de son lycée, comme si c'était ici qu'elle devait aller. Raphaël s'arrêta à côté d'elle et contempla le grand bâtiment qui les surplombait, sans dire un mot.Quelques élèves traînaient encore dehors. Jane regrettait sa vie d'avant, presque tous les jours elle avait des regrets, elle se disait qu'elle aurait peut-être dû oser davantage de choses dans sa vie, elle aurait sûrement dû foncer plus souvent au lieu d'hésiter et de se cacher. Peut-être que les choses auraient été différentes, ou peut-être pas, néanmoins sa vie aurait pu être plus stimulante.

— Tu vas hanter ce bâtiment ? Demanda Raphaël.

— J'en sais rien. Je ne sais plus vraiment ce que j'ai à faire. Quand je suis morte, je n'avais qu'une idée en tête : faire passer un message à ma famille. Maintenant je suis complètement perdue. J'ai cru que je n'avais pas vu la lumière dont tout le monde parle parce que je n'avais pas fini quelque chose et comme le jour de ma mort,j'ai dit des choses absurdes à mes parents, je me suis dit que c'était sûrement les regrets qui me retenaient ici mais maintenant que je commence à en savoir plus sur ce monde, je me rends compte que c'est tout simplement une prison et qu'on ne peut pas en sortir.

Pour une fois, il ne lui avait pas coupé la parole, il l'avait laissée parler, il l'avait même écouté et regardé. C'était rare qu'il la regarde, elle s'attendait à ce qu'il lui lance une remarque ou quelque chose comme cela mais non, il resta simplement silencieux,il détourna le regard pour reposer ses beaux yeux sur le bâtiment, laissant le silence apaiser les tensions.

— Si tu veux être libérée, tu n'as qu'à ne plus fuir devant le faucheur qui te pourchasse, laisse-le te prendre.

— Ça fait quoi si je fais ça ?

— Comment je pourrais le savoir ? Je n'ai jamais essayé

C'était effrayant mais c'était peut-être cette ombre la lumière éblouissante. Ou peut-être n'était-elle que de la noirceur. Jane se posait trop de questions et elle en avait conscience mais que pouvait-elle faire d'autre ? Se retrouver soudainement dans un monde parallèle qui lui était totalement inconnu suscitait beaucoup de questionnements.

— Vous, vous en avez un, un Faucheur à vos trousses ? questionna-t-elle.

Il lui lança un bref regard ,ne lui laissant à peine le temps d'admirer la couleur de ses yeux.

— Bon, je pense que j'ai fini mon boulot, déclara-t-il.

C'était clairement une fuite, ne prenant pas le temps de répondre à sa question. Cette réaction soudaine le rendait suspect et pourtant si humain à la fois.

— Quoi ? s'étonna Jane.

— Tu sais ce que tu veux. Je n'ai pas besoin de rester auprès de toi et te dire quoi faire. J'ai essayé, tu as refusé alors bonne continuation, si pour toi faire Casper dans un lycée c'est ce que tu veux, et bien fais le et si tu veux en finir une bonne fois pour toute, laisse le Faucheur t'attraper. Tu sais tout à présent, moi je m'éclipse.

Sur ces mots il tourna les talons et s'éloigna d'elle. Elle aurait aimé le retenir mais déconcertée comme elle l'était, aucun mot ne sortit de sa bouche. La solitude l'envahit une fois de plus alors elle décida d'entrer dans le lycée. Il n'y avait que cet endroit pour elle. Elle aurait aimé rentrer chez elle, elle aurait aimé être auprès de sa famille mais le chagrin allait prendre la place de la solitude et ça ne ferait qu'empirer.

Elle erra dans les couloirs du lycée sans que ses pensées ne divergent sur un autre centre d'intérêt que Raphaël. Il l'avait tout de même sauvée des griffes de l'ombre. Finalement, elle ne savait pas vraiment si laisser ce soi-disant Faucheur l'attraper était une bonne idée.


De nouveau seule, errer restait sa dernière solution...


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