Je suis un dragon. Partie I

     Kodoku Yoko était une jeune fille de 17 ans d'apparence tout à fait normale. Elle possédait de longs cheveux châtain clair ondulés et ses yeux étaient de couleur chocolat. Elle avait un physique assez banale, mais avait de bonnes amies. Mais au-delà de cette façade, Yoko était en vérité folle. Folle du bleu. Cette couleur était divine pour elle, et chacune de ses amies avaient les yeux bleus. Sa maladie étant extrêmement rare et n'étant pas classée comme potentiellement dangereuse, les médecins la laissèrent tranquille. Pour eux, Yoko aimait juste une couleur un peu plus que la norme, mais c'était tout. Et pourtant, malgré son état mental légèrement instable, elle réussit quand même à avoir un petit copain. Ils s'étaient rencontrés à une fête d'une de ses potes. Il s'appelait Dareka Ren, et était blond aux yeux bleus. Il était assez grand, mais avait un charisme énorme et se fut le coup de foudre entre eux. Cependant lui aussi n'était pas très clean psychologiquement parlant. Il avait un complexe d'infériorité très marqué et pouvait facilement devenir violent. Plusieurs plaintes avaient été déposées contre lui pour cette raison mais les médecins ne pouvaient rien faire pour lui. Malgré cela, ils sortirent ensemble très rapidement et le jour des 18 ans de Yoko, elle découvrit qu'elle était enceinte suite à un test. Ren avait 22 ans, et elle n'était pas majeure, n'ayant pas encore 21 ans.

     Les parents des deux jeunes avaient très mal pris cette annonce. L'adolescente s'émancipa alors, et partit vivre avec son désormais fiancé. Ils n'eurent plus de nouvelles de leurs parents depuis. Elle décida quand même de terminer son année pour avoir son diplôme, mais ne fera pas d'études supérieures, pour pouvoir s'occuper de son enfant. Ren lui, avait déjà trouvé un boulot en tant que boucher.

     Ils se marièrent rapidement, pour pouvoir payer moins d'impôts, et réussirent à aménager leur petit appartement avec leurs maigres économies en vue de l'enfant qu'ils allaient bientôt avoir. Au bout de plusieurs mois, ils eurent la surprise de connaître le sexe de l'enfant : c'était une fille. Yoko était heureuse, elle en voulait justement une. Mais ce qu'elle voulait plus encore, c'était que les yeux de son enfant soit aussi bleus que ceux de son mari. Elle aimait tellement cette couleur, il y avait du bleu partout dans leur appartement ! Les couverts, les assiettes et les verres étaient de cette couleur, la totalité de sa garde robe l'était aussi, et elle devait aussi se l'admettre, si elle était tombée amoureuse de Ren, c'était avant tout pour ses yeux bleus envoûtants. Elle n'en avait jamais vu de cette couleur-là, c'était comme si le bleu avait été créé spécialement pour lui. Yoko aimait le bleu. Yoko était folle du bleu, littéralement. C'est aussi pour cette raison qu'elle décida d'appeler sa fille Sora, même si ce nom était utilisé majoritairement pour les garçons. Mais comme ça, dès qu'elle l'appellera, la mère pourra penser au bleu du ciel. Ren n'y fit aucune objection, laissant ainsi Yoko sombrer dans sa folie bleuâtre.

     Le 14 novembre, la petite Sora naquit. L'accouchement avait été très dur, la petite fille avait faillit perdre la vie, son coeur s'était même arrêté de battre et il avait fallu opérer en urgence Yoko. Mais tout cela en valait la peine. La jolie petite Sora avait une malformation au niveau de la pigmentation de ses poils et de ses cheveux. Ils étaient bleus. D'un bleu magnifique et envoûtant qui rappelait la couleur d'un ciel d'été. Yoko ne pouvait pas être plus ravie. Son enfant était la plus belle de toutes les petites filles. Elle passa ainsi toute la nuit à serrer son bébé contre elle et à lui caresser ses cheveux céruléens, étant déjà assez long pour un nouveau-né, et à lui murmurer à quel point elle était magnifique et que cette couleur lui allait à merveille.

     Sora eut beaucoup d'examens, pour vérifier si son organisme était normale, ou si sa malformation allait entraîner des complications dans le futur. Heureusement, les spécialistes ne trouvèrent rien. La petite fille avait juste les cheveux bleus. C'était une mutation bizarre, mais d'autres enfants dans le monde avait une pigmentation spéciale. Mais dans le petit village où la famille Dareka habitait, Sora était la seule enfant hors du commun.

     Et puis finalement, il n'y avait pas que les cheveux de Sora qui était bleus. Il avait en plus fallut que ses yeux le soient. Leur couleur était tellement vive que ça surprenait. Ils étaient exactement de la même couleur que ses cheveux, et Yoko n'en était que plus ravie. Elle se mit même à délaisser Ren : la couleur des yeux de son mari n'avaient rien à voir avec ceux de sa fille. Le blond se sentit alors petit à petit rejeté, mais reporta la faute sur son enfant, qui lui avait volé sa place. Son complexe d'infériorité avait refait surface et il se mit à haïr sa propre fille.

     Sans même en avoir conscience, la petite Sora avait déjà rendu ses deux parents fous.


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     La petite fille eut finalement 2 ans et demi et devait rentrer en maternelle. Yoko dut la laisser partir à contrecoeur. Elle ne voulait pas que d'autres personnes ne touche sa fille qui était si bleue ! Elle dut serrer les poings très fort et se contenta de fusiller du regard tous les parents qui ne jetaient ne serait-ce qu'un seul coup d'oeil à sa fille. Ils salissaient cette délicieuse couleur azurée de leur regard d'inconscient. Après tout, ses cheveux bouclés et céruléens lui arrivaient déjà au milieu du dos et ses grands yeux bleus innocents attiraient tous les regards.

     Du haut de ses 2 ans d'existence, Sora n'avait jamais rencontré d'autres personnes que ses parents ou les médecins. Elle ne savait même pas qu'il y avait autant d'humains dans son village ! Dans la voiture tout à l'heure, elle s'était extasiée devant chaque visage, sous le regard meurtrier de son père, qu'elle ne vit pas. Mais comme elle n'avait jamais eu de contact avec personne, elle ne sut pas quoi faire lors de son premier jour de classe. Heureusement pour elle, la couleur atypique de ses cheveux attirait du monde, mais elle ne savait pas quoi répondre aux autres enfants.

     Sora restait muette face aux questions des autres. Elle ne savait pas comment réagir. Elle n'avait jamais parlé qu'à sa mère, qui lui répétait sans cesse qu'elle était parfaite et magnifique. Son père ne lui parlait jamais. Elle s'était habituée à n'avoir qu'une seule personne avec qui discuter. Mais là il y en avait une vingtaine et elle était plus petite que la majorité d'entre eux. Elle se sentit donc rapidement étouffer et pleura en quémandant sa mère.

     L'institutrice, en voyant cela, gronda gentiment les enfants, mais leur défendit d'approcher à nouveau Sora, croyant qu'ils lui avaient fait mal. Et puis Yoko était venue la voir en lui disant de bien faire attention à sa fille qui était plus faible que les autres à cause de sa malformation pigmentaire. C'est donc ainsi que se passa la première journée à l'école pour Sora : seule. Les autres enfants n'osaient plus s'approcher d'elle. La petite bleutée se dit que c'était dommage, mais que demain elle aussi serait avec des "amis". Elle avait appris ce mot aujourd'hui, et bien qu'elle ne comprenait pas son sens, elle savait qu'il était important.

     Le deuxième jour se passa comme le premier. Elle ne savait pas comment approcher les autres enfants, et quand elle tenta une approche maladroite, ses camarades lui tournèrent le dos et continuèrent à jouer ensemble, de peur de recevoir une nouvelle fois les foudres de leur maîtresse. Sora pleura alors pour le deuxième jour aussi, elle avait été vexée et s'était sentie rejetée. L'institutrice passa alors son temps avec elle pendant les récréations, dans la cour. Sora se sentait bien à parler aux adultes, elle avait l'habitude ! Et puis, l'adulte ressemblait à sa maman, alors il lui était bien plus simple de parler avec elle.

     Mais au fur et à mesure que Sora passait du temps avec l'institutrice, les autres enfants se sentirent eux aussi rejetés et développèrent une jalousie envers la bleutée. Pourquoi leur maîtresse faisait tout le temps attention à elle et pas à eux ? C'était à cause de ses cheveux bleus ? Par réflexe, et se sentant délaissés par leur responsable, les gamins se mirent à détester Sora, et à continuer à la rejeter de leurs jeux, de plus en plus violemment. Et la bleutée continua alors à rester avec l'adulte, alimentant sans le faire exprès la jalousie des autres.


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     Sora passa les trois années de maternelle de la même façon : seule et rejetée des autres. Seuls les adultes acceptaient de passer du temps avec elle, alors ces trois petites années avaient été supportable et étaient passé relativement vite. Le premier jour de l'école primaire par contre, elle entendit des rires à chaque endroit où elle passait. Elle ne comprenait pas ce qu'elle avait fait, dès le premier jour en plus ! Au bout de la quatrième fois, elle osa pour la première fois depuis trois ans leur parler à la pause de midi.


-Pourquoi vous rigolez tout le temps quand je suis là...? Demanda la bleutée, un sanglot dans la voix.

-Tu ne sais pas ? Tu as un miroir là, lui tendit un garçon. Regarde-toi dedans tu comprendras.


      Elle le remercia d'un signe de tête et fixa son reflet. Elle n'avait pas de nourriture coincée entre les dents, ni de feutre sur le visage, ni de crotte de nez qui pendait. Elle ne voyait pas ce qu'il clochait, tout était normal chez elle. Elle releva alors la tête, et les autres élèves se mirent alors à rire.


-Mais... Qu'est-ce qu'il se passe...? Balbutia-t-elle en retenant de pleurer.

-Tu n'as pas compris ? Tu n'as pas vu ? Continua le garçon.

-Mais non, tout est normal chez moi...

-Normal ? Le bleu c'est pas une couleur normal comme couleur, ria le petit enfant, inconscient de la peine qu'il faisait à la bleutée.


      Sora laissa alors échapper ses larmes et sortit aller aux toilettes, à côté de sa salle de classe. Il y avait un large miroir devant les rangées de lavabos. Il y avait aussi une estrade, pour que les plus petits puissent se laver les mains tranquillement. L'enfant grimpa alors sur le morceau de bois et contempla une nouvelle fois son reflet, plus particulièrement ses cheveux bouclés. Sa maman lui avait toujours répété qu'ils étaient beaux, magnifique, qu'elle était parfaite. Alors pourquoi ses camarades se moquaient d'eux ? Ils étaient méchant avec elle, c'était pas juste. Et puis, le bleu c'est la couleur la plus belle, c'est sa maman qui le lui avait dit ! Et sa maman avait toujours raison !

      Requinquée, Sora repartit vers sa classe et s'approcha du groupe de tout à l'heure. En la voyant revenir ils rirent, mais elle ne se laissa pas démonter, bien qu'elle sentait déjà les larmes revenir. Elle s'arrêta devant le petit garçon et lui dit :


-C'est pas moi qui suis pas normale, c'est toi ! Et tout le monde aussi ! Moi je suis parfaite ! C'est plutôt moi qui devrais me moquer de vous !


      Les autres furent énervés mais n'osèrent pas répondre face à tant d'arrogance. Elle osait se sentir supérieure à eux ?! Elle ?! Elle ne leur avait pas parlé depuis la rentrée de la petite section, et la seule fois où elle leur parle c'était pour les mépriser ? Sora repartit en direction de sa place, un sourire satisfait sur les lèvres, contente de leur avoir cloué le bec. Eux, ils prirent son sourire pour une marque de mépris.

      C'est ainsi que Sora passa une nouvelle année seule, en subissant les moqueries de toute sa classe continuellement.


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      Sa deuxième année de primaire se passa légèrement différemment. Elle avait été placé dans une autre classe, où elle ne connaissait personne. Sora se dit que c'était bien, comme ça elle pourrait enfin connaître l'amitié ! Elle pourrait enfin agir comme les autres enfants. Elle les avait beaucoup observé et elle savait comment se comporter maintenant. Elle ne referait pas les même erreurs, foi de Dareka !

     Le premier jour alors, elle s'approcha timidement d'un groupe de jeunes filles. Elles étaient au nombre de quatre. En la voyant venir, elles se turent et attendirent que la bleutée leur parle, ne comprenant pas ce qu'elle voulait.


-Euh... Hésita-t-elle... Bonjour, je m'appelle Sora... Dareka Sora et... Et vous ?

-Viens pas nous parler toi, lui répondit la chef du groupe. Tu crois qu'on a pas entendu parler de toi ?

-Hein ? Comment ça...?

-Tu viens juste pour qu'on rafraîchisse ton égo, t'es pas intéressante ! Continua-t-elle.

-Mais non... Je veux juste des amies... Tenta d'expliquer Sora, vainement.

-Ha ! C'est un peu tard pour ça, tu ne crois pas ? Ria l'enfant, suivie des trois autres.


      Rejetée par le groupe de filles, la bleutée s'assit sur une chaise, seule. elle était entourée d'autres groupes de gosses qui la fixait en rigolant doucement. Mais qu'est-ce qu'elle avait fait de travers ? Elle voulait juste des amies... Elle voulait pouvoir rire avec des personnes de son âge et non des adultes... Pourquoi la rejeter tout le temps ? Ça durait depuis 4 ans déjà. Et puis pourquoi riaient-ils tous quand elle arrivait ? Elle commençait à penser qu'elle préférait quand ils se contentaient simplement de gentiment l'ignorer.


"Les autres personnes sont horribles et méchantes. Ils ne voient même pas à quel point tu souffres de leur rejet. Ils ne voient pas que tu vas mal à cause d'eux. Ils ne te comprennent pas et tu ne les comprends pas. Tu es différente d'eux, ne vas pas chercher plus loin, Sora. Tu es différente d'eux en tout point."


     Des pensées qu'une gamine de 7 ans ne devraient jamais avoir se mirent alors à germer dans son esprit, et elle se renferma brutalement sur elle-même.


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     Un soir, la petite Sora se jeta sur sa mère pour ressentir l'agréable chaleur protectrice qu'elle dégageait. La bleutée n'en pouvait plus. Elle lui raconta sa journée en pleurs et lui confia une énième fois ses interrogations. Pourquoi elle ? Pourquoi seulement elle ? Elle avait fait des efforts pourtant ! Pourquoi est-ce que ses camarades continuaient à la maintenir loin d'eux ?! Depuis la rentrée il s'était passé 3 mois et maintenant elle était désespérée. Elle n'aura jamais d'amis. Quand elle avoua enfin à sa mère qu'elle pensait que c'était à cause de la couleur de ses cheveux, Sora prit peur. Elle n'avait jamais vu Yoko s'énerver. Sa mère était folle, mais une enfant ne pouvait pas comprendre la notion de folie. Et la petite fille ne comprenait pas pourquoi elle se faisait autant gronder par sa maman. Et surtout, elle ne comprenait rien de ce qu'elle lui racontait. Elle lui hurlait que si elle se mettait à douter de la divine couleur qu'elle portait, elle ne méritait pas de vivre, qu'elle n'avait pas le droit de penser du mal du bleu, qu'elle l'avait éduqué mieux que ça... Elle ne saisissait vraiment pas. Elle ne lui avait pas manqué de respect, ne lui avait pas désobéi, n'avait fait aucunes bêtises, dit aucun gros mots. Alors pourquoi sa douce et gentille mère ressemblait actuellement à un démon ? Sora prit peur rapidement et courut se réfugier dans sa chambre, en larmes.


"Tu as énervé ta maman. Ton papa ne te regarde pas. Les autres enfants ne te regardent pas. C'est ta faute tout ça, Sora. Tout est ta faute. Si seulement tu n'étais pas née avec cette maudite couleur de cheveux ! Ils te le répètent tous, hein ? Et tous les jours même. Le bleu c'est pas une couleur normal, c'est même très moche. Tu es moche. Ils ont raison, c'est toi qui a tort. Tu as toujours eu tort."


     Sora pleurait à chaudes larmes et criait en s'écoutant penser ou en écoutant son autre elle parler, elle ne savait plus. Les autres étaient méchants avec elle ? Ils devaient avoir raison. Et ça lui faisait mal au coeur. Elle voulait être normale, elle aussi ! C'était ses cheveux ! A cause de cette satanée couleur azurée !


-C'est ma faute ! C'est leur faute ! C'est le bleu ! Cette couleur ne devrait pas exister ! Moi, je ne devrais pas exister ! C'est à cause de moi ! Mais ils sont tous si méchants ! Alors que moi j'ai rien fais ! Rien demandé ! Je voulais juste des amis !!! Hurla-t-elle en pleurant, ses phrases ne voulant rien dire.


     Elle continua à se lamenter pendant un certain temps, se flagellant mentalement pour toutes ses fautes. S'excusant auprès de on ne sait qui de sa couleur de cheveux originale.

     Ni Yoko, ni Ren ne viendront ce soir-là pour la consoler. Les autres soirs non plus, ils laissèrent leur fille pleurer seule dans sa chambre bleue.


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     Sa deuxième année de primaire finit par passer lentement. Sora ne parlait plus. Ni à sa mère, ni à sa maîtresse, et ne faisait plus aucun effort pour aller vers les autres. Les moqueries journalières glissaient sur elle. Elle n'y faisait même plus attention. Elle avait compris, après tout. C'était à cause de sa couleur céruléenne. Elle n'aurait jamais dû naître avec une telle teinte.

     Sa troisième année de primaire débuta alors ; elle avait 8 ans. Le corps enseignant commença aussi à s'inquiéter pour elle. Bon nombre d'élèves étaient venus les voir pour se plaindre de Dareka Sora. Elle leur faisait peur. Apparemment elle parlait toute seule et se répondait, riant même à ses propres blagues, se posant des questions et s'y répondant ensuite. La bleutée était dans son monde, et personne ne pouvait accéder à son entrée. Elle était bien mieux avec elle-même. Elle l'acceptait comme elle était. Et elle avait toujours été là pour la soutenir, quand ses parents ignorer ses cris de détresse. Sora avait finit par lui donner un nom du coup. Au début elle l'appelait "l'autre", "elle", "moi". Puis finalement elles s'étaient mises d'accord ensemble sur le nom qu'elle aurait : Kurai. Dans son univers, son autre-moi lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, mais avait les cheveux et les yeux noirs, d'où le choix du nom qui signifiait "sombre". Elle était son opposée. Sora ne l'avait jamais vu, mais l'entendait parler alors elle s'était imaginé son physique.

     Au bout de plusieurs semaines, l'institutrice en charge de la classe de la bleutée se décida à parler au directeur du cas de l'asociale. Son cas devenait urgent. Au début elle pensait que c'était un jeu de Sora, puis au fil du temps elle comprit que ce n'en était pas un. La petite fille parlait vraiment avec quelqu'un. Et ce n'était pas elle.

     Il fallut un peu de temps pour qu'une ribambelle d'examens se fassent. Sora passa trois tests en Laboratoire de psychologie. Le premier était un test d'efficience intellectuelle, qui mesurait ses fonctions cognitives (attention, mémoire) et son niveau intellectuel global. Le second était un test de comportement, et le troisième un test de personnalité. Pas une fois Sora ne leur parla de Kurai. Personne ne devait savoir pour elle. Elle le lui avait dit. Elle lui avait même ordonné de taire son existence. La bleutée ne comprenait pas pourquoi, mais accepta. Elle ne voulait pas perdre Kurai. Après ces tests de psychologie, elle en passa d'autres, comme une IRM et un EEG. Au final, les spécialistes ont été formel quant au problème de la petite.

     Sora était schizophrène.

     Suite à cette nouvelle, Sora fut encore plus isolée. Yoko prit tellement mal la nouvelle qu'elle sombra totalement dans sa folie, niant complètement la maladie de sa fille, et Ren se mit à détester encore plus son enfant, en voyant l'état dans lequel elle mettait sa mère. La bleutée subit ensuite beaucoup d'examens pour savoir si sa maladie était avancée ou non, si elle étant un danger pour elle et/ou pour les autres etc... Sora ne comprenait pas tout ce qu'il lui arrivait, mais Kurai la rassurait dès qu'elle commençait à paniquer. Au final, la schizophrénie de la petite fille était bénine et allait normalement disparaître avec le temps, elle allait donc pouvoir retourner en cours normalement, sa maladie n'altérant en rien sa capacité à comprendre et à apprendre. Mais Sora ne voulait pas que Kurai s'efface. Elle allait tout faire pour garder son double avec elle.


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      Les années passèrent  et Sora ne parlait plus qu'avec Kurai. Elle ne regardait même plus ses parents, les autres élèves ou ses professeurs. Elle était bien sûr au courant de ce qui se passait autour d'elle mais son esprit, ou plutôt Kurai, filtrait les informations. Et donc la bleutée était à présent en sixième année de primaire, et avait presque 11 ans. Elle était assez douée dans toutes les matières, ne travaillant pourtant pas. Kurai l'aidait pendant les interrogations, lui assurant que ce n'était pas de la triche vu qu'elles n'étaient qu'une seule et même personne. Sora était relativement heureuse pourtant. Kurai était devenue un pilier essentiel dans sa vie et elle se persuadait qu'elle en était un pour elle aussi. Et depuis que son alter ego partageait sa vie, le temps passait beaucoup plus vite.

     Pendant les vacances d'été qui duraient 3 semaines, Kurai poussa Sora à sortir dans un parc assez éloigné de chez elle. Yoko s'étant mise à boire récemment, elle ne fit pas attention à la porte qui claqua, et Ren était au travail. La bleutée avait presque l'impression de fuguer, et elle se sentit joyeuse à cette pensée. Elle s'imaginait déjà briser tous les tabous avec Kurai derrière elle qui la protégeait. Elle arriva au bout de 10 minutes à l'endroit que la sombre lui avait indiqué. Sora s'arrêta devant la balançoire vide, normalement il y a avait tous les enfants qui y jouaient mais vu le temps orageux et lourd, personne n'y était.


-Kurai, pourquoi tu m'as fait venir ici au juste ? Demanda finalement Sora dans le vide. Il va pleuvoir, tu as vu le temps ?

"Si je t'ai fait venir là c'est pour qu'on parle sans oreille indiscrètes."

-Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

"Les murs ont des oreilles, comme on dit ! Viens assied-toi sur la balançoire, l'invita son ombre."


     Sora ne réfléchit pas plus et s'assit sur un des deux sièges présent. Avec le vent qu'il y avait, le deuxième siège se mit à se balancer et l'imagination fertile de la bleutée visualisa Kurai en train de s'agiter dessus au rythme de l'air.


-Kurai... Commença Sora en regardant devant elle. A quoi tu ressembles vraiment ?

"Je suis comme tu l'imagines."

-Et... Est-ce que tu es mon amie ? Hésita-telle à dire.

"Amie ? Tu es bien plus que ça pour moi. Il n'y a pas de mots pour décrire notre relation, Sora. L'amitié ne veut rien dire."


     La bleutée était tellement heureuse en entendant les mots de Kurai. Elle qui voulait juste une amie s'était trouvée bien mieux ! Jamais elles ne se quitteraient, elle en était persuadée !


"Tu as l'air joyeuse, constata son ombre."

-Et je le suis ! Je me suis souvent demander ce que tu étais pour moi, en fait. Une ombre ? Un autre moi ? Une ennemie ? Une amie ? Une connaissance ? Une soeur ? Une mère ? Mais la vérité n'a pas de mots, j'aurais dû y penser avant ! Tu es tout pour moi ! Kurai, jamais je ne te quitterai ! Confia Sora.

"Je suis heureuse d'entendre ça, je ne suis rien sans toi. Je n'existerai pas sans toi."

-Tu existeras pour toujours alors, sourit la jeune fille.


     Et le temps passa entre elles. Sora avait l'habitude de parler sans rien regarder de particulier, et d'écouter son alter ego en fermant les yeux pour savourer les échos de sa voix qui lui paraissait lointaine quelque fois. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, l'orage éclata enfin, mais ni Sora ni Kurai n'y firent attention. Elles étaient entre elles, et la bleutée ne fit pas attention au fait qu'elle était complètement trempée et qu'elle allait peut-être tomber malade après.


"Dis Sora, il y a une légende que j'affectionne beaucoup. Tu aimerais l'entendre ?"

-Oh oui ! S'extasia la concernée. Tout ce que tu aimes m'intéresse !

"Je vais te conter La légende du Dragon Bleu alors. Ecoute-moi bien, Sora. 

Il était une fois, dans un pays lointain, un peuple de petits hommes heureux dans leur vallée verdoyante. D'un côté de cette vallée, une haute montagne abrupte et aride qui  les protège du vent du nord, de l'autre, une colline ensoleillée toute la journée. On peut voir les chèvres et les vaches paître paisiblement à l'ombre des cerisiers en fleurs. L'herbe est grasse et tout pousse facilement dans cette terre riche. Un joli ruisseau s'écoule en son milieu, tantôt chantant, tantôt roucoulant. Il vient de là-bas le joli ruisseau, tout là-haut au bout de la vallée. Un éboulement de gros rochers empêche nos amis de passer par là, mais lui, le joli ruisseau, passe où il veut entre les cailloux. Il dévale la pente douce, arrose les petits jardins devant des maisonnettes en bois et poursuit son chemin au bout de la vallée."


     Sora avait les yeux fermés et buvait les paroles de Kurai, s'imaginant dans cette vallée avec ce magnifique ruisseau. Elle était déjà complètement plongée dans la légende.


"Ah, ce bout de vallée ! Cet espace vers l'inconnu ! Personne ne l'a jamais vu. On dit qu'il existe un grand ruisseau, très large et très bleu qu'on appelle la mer. On dit que la montagne se jette dans la mer. On dit beaucoup d'histoires le soir à la veillée mais personne n'a pu s'aventurer de l'autre côté de la vallée à cause du Dragon Bleu."


     Sora frissonna en entendant la fin de la phrase, mais pas de peur. Elle imaginait ce dragon majestueux, grand et fort. Une bête magnifique. Elle voulait connaître plus en détail l'histoire de ce dragon.


"Le Dragon Bleu vit dans une grotte cachée dans le flan de la montagne, juste au bout de la vallée. Il garde le passage et chaque fois qu'un habitant essaye de passer devant la grotte, il sort en claudiquant d'une patte sur l'autre, lourdement mais vivement. Il ouvre sa grosse gueule et lance d'immenses flammes rouges, bleues, jaunes dans un bruit infernal d'ouragan en dévastant tout autour de lui. Malheur à celui qui se trouve sur son passage, car le Dragon Bleu brûle tout ce qui passe à sa portée."


     Sora n'avait toujours pas peur. Elle s'imaginait encore mieux le reptile azuré. Puissant et féroce, tout puissant et invaincu. Un animal qui n'existe pas et qui pourtant le devrait. Elle avait hâte d'entendre la suite de l'histoire.


"Dans ce village si tranquille habite Pékù, c'est un garçon intelligent et très curieux. C'est pour cela qu'il voudrait bien voir ce qui se passe au bout de la vallée. Les histoires de grandes personnes ne l'intéressent pas. Ce qu'il veut lui, c'est découvrir le monde et les habitants. Il paraît qu'il y a des hommes très grands, des hommes noirs et même des blancs. Lui il est plutôt jaune avec des yeux bridés. Tout cela l'intrigue, et sa colère monte contre ce Dragon Bleu qui les empêche de passer."


     A ce moment-là, Sora prit peur. Elle sentit clairement son coeur battre plus vite. Elle appréhendait la rencontre du garçon avec le dragon bleu. Elle ne voulait pas que l'animal sois blessé. Elle ne voulait pas ! Elle mordit dans sa lèvre inférieur et attendit sagement la suite de l'histoire malgré son impatience.


"Comme tous les enfants, Pékù se rend tous les matins au ruisseau y puiser l'eau dans un grand seau. Il en profite pour observer le monstre. Celui-ci ne quitte son refuge que pour griller quelques herbes ou animaux et s'en régaler avant de retourner à sa tanière. Le garçon ne va jamais bien loin. En tout cas, jamais assez pour espérer passer sans être vu près de lui."


     Sora grimaça en entendant le gamin traiter le dragon de monstre, mais ne dit rien. Parler casserait la magie et briserait sa bulle. Elle ne pouvait qu'écouter la voix de Kurai.


"Un matin, Pékù s'approche un peu plus que d'habitude et voit son ennemi pointer le bout de sa gueule derrière le rocher. Les naseaux s'écarquillent, les mâchoires s'entrouvrent, un bout de sa langue se montre puis la pointe d'une flamme. Pékù retient son souffle. Un oeil apparaît puis les deux yeux se tournent vers lui. La peur lui sert le ventre et sentant la chaleur des flammes qui commencent à fuser, il prend de l'élan et lance le contenu du seau qu'il vient de remplir dans la gueule du monstre."


     Sora refit la moue en réentendant Pékù appeler le dragon monstre, puis se souvint qu'il lui avait balancé de l'eau dessus. Elle espéra vivement que ça ne lui fasse rien. Elle ne voulait pas que le puissant dragon meurt comme dans toutes les légendes.


"Un crépitement sinistre se fait entendre, Pékù ne bouge pas. Il ne peut pas, la peur l'en empêche. Un raclement de gorge le réveille soudain de sa torpeur et il n'en croit pas ses yeux : l'énorme dragon bleu tousse et crache des nuages de fumée noire et supplie : 

-De l'eau... De l'eau...

Pékù récupère son seau, le remplit vivement et jette à nouveau toute l'eau dans la gueule du monstre.

-Merci, merci Pékù. Tu viens de me rendre un fier service.

-Mais tu parles, Dragon ?

-Eh oui, et c'est même pour cela que j'ouvre la gueule chaque fois qu'un homme passe. Malheureusement, chaque fois ce sont des flammes qui sortent et je ne parviens pas à me faire comprendre.

-Pauvre Dragon, comme tu as dû souffrir tout seul dans ta grotte !

-Oh oui Pékù. Veux-tu devenir mon ami ?

-Mais bien sûr et si tu veux je t'emmène avec moi parcourir le monde.

Et c'est ainsi que Pékù et le Dragon Bleu s'en allèrent à la découverte de l'univers.

Mais les petits hommes de la vallée restèrent sagement dans leur village merveilleux ; ils racontent encore le soir à la veillée l'histoire de Pékù et du Dragon Bleu."


     Sora rouvrit ses yeux, à la fin de l'histoire. Elle était contente, le dragon finissait heureux avec un ami. La légende se terminait bien pour lui, tant mieux.


"Si je t'ai fait venir dans un endroit désert, c'était pour te conter cette histoire."

-Pourquoi ? Je l'aime beaucoup, mais je ne comprend pas pourquoi un endroit où il n'y a personne...

"D'abord, dis-moi ce que tu penses de cette légende."

-Et bien... Je n'ai pas tout compris, mais je suis contente que tout se finisse bien pour le dragon ! Je l'aime beaucoup ! Et même si je n'aimais pas Pékù au départ, je suis contente que ce soit lui qui devienne son ami. Ils sont ensemble pour toujours, et tant mieux. Ça me rend heureuse. Et toi Kurai ? Pourquoi me raconter cette histoire maintenant ? Qu'est-ce que tu en penses ?

"Je me suis mise à la place de Pékù, et je t'ai imaginé à la place du Dragon Bleu. Je trouve que notre situation est la même. Personne ne te comprenais, quoique que tu dises, puis un beau jour je suis apparu dans ta vie et on a fini par se comprendre et par s'aimer, jusqu'à devenir tout pour l'autre. J'aime beaucoup cette histoire, je nous reconnais vraiment dedans."

-Je n'avais pas fait attention à ça, mais maintenant que tu le dis... Songea la bleutée à voix haute.

"Lèves-toi maintenant Sora, je veux te montrer quelque chose."


     La jeune fille haussa un sourcil, mais obtempéra. Elle suivit ensuite les indications de la voix de son ombre et s'avança alors dans un bois à côté du parc, s'éloignant encore plus de sa maison. Ses vêtements collaient sa peau et elle s'enlisait dans la boue, mais elle continua quand même son chemin, ne voyant même plus rien à cause de la pluie. Kurai voulait lui montrer quelque chose. Et elle ferait n'importe quoi pour elle. Elle finit cependant par tomber, son pied gauche s'étant trop enfoncée dans la gadoue, elle n'avait pas réussi à tout de suite le retirer. La voix de Kurai s'éleva alors, et elle dut tendre l'oreille pour bien l'entendre.


"Arrête-toi là Sora, ne te fais pas plus mal. Lèves-toi juste."


     Honteuse, elle obéit en baissant la tête. Elle avait toujours été maladroite. Ses vêtements étaient devenus marrons, mais la pluie enleva rapidement la boue sur son T-shirt et son pantacourt. Elle leva alors les yeux et tourna sur elle-même, essayant de s'orienter.


-Kurai ? Demanda timidement la bleutée.

-Je suis là.


     Sora sursauta vivement. Elle jurerait avoir entendu son double comme si elle était juste à côté d'elle ! C'était la première fois que ça lui faisait cet effet-là. Par réflexe, elle se retourna, et ses yeux s'agrandirent de stupeur tandis qu'elle resta sans voix.

     Là, juste devant elle se tenait Kurai. Comme elle l'avait imaginé, elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, sauf pour la couleur des yeux et des cheveux. La brune lui souriait gentiment et timidement. C'était le premier sourire que Sora recevait depuis des années, et elle se mit alors à pleurer de joie. Depuis le temps qu'elle voulait voir son double ! Elle sentait cependant qu'elle ne pourrait pas la toucher, mais au moins elle la voyait. Et elle savait qu'il n'y avait qu'elle qui pouvait la percevoir. Kurai lui appartenait.


-Je suis heureuse, tellement heureuse, pleura Sora.

-Je suis ravie que me voir te fasse autant plaisir, sourit la brune. Tu comprends maintenant pourquoi je voulais qu'on soit vraiment seules ? Je voulais te faire la surprise.

-Tu es tout pour moi...

-Toi aussi Sora... Car après tout, tu es mon dragon bleu, non ?


     La bleutée hocha vivement de la tête. Oui, elle était son dragon. Elle était un dragon. Et comme Pékù, Kurai l'aidait à s'épanouir. Grâce à son aide, elle allait vraiment en devenir un. C'est donc en souriant chaleureusement à sa brune qu'elle lui lança :


-Je suis un dragon.





Bon ok ok, pour ceux/celles qui connaîtraient par hasard la légende, j'ai volontairement modifié la couleur de base du dragon, qui est verte (pour le bien de ma fic j'ai dû modifier, m'en voulez pas x) ). Et d'ailleurs, je ne connaissais pas cette histoire avant cette fic ^^ Je la trouve très sympa en tout cas :)

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