Un raisonnement sans fondement. (13)
Je soupire tandis que mes genoux cèdent et viennent cogner le sol de béton en m'arrachant une douleur cuisante.
— Répète-moi ça plus lentement, le supplié-je.
J'espère encore m'être trompée, je lui laisse le bénéfice du doute. Je ne veux même pas croiser son regard pour revoir sa tirade passionnée et son air convaincu par ce qu'il raconte.
— À chaque solstice, je dois sacrifier une vierge pour le roi des démons. Ainsi, pour me remercier, il m'aide à réaliser mes plus grands rêves pour les six mois à venir.
Non, je n'avais pas rêvé. Cette perspective me froisse, je tombe dans la colère plus que dans la peur de mourir de ses mains. Qui voudrait perdre la vie pour une raison aussi... insensée ?
— Pourquoi une vierge ? déclaré-je en espérant semer le doute dans ses convictions.
— Parce que c'est ainsi qu'il aime ses femmes, non souillées par d'autres hommes avant lui.
— Et pour la majorité ? Tu crois vraiment qu'un démon s'occuperait de l'âge de la personne ? Je te signale quand même que la plupart des rites sacrificiels se moquaient de l'âge, voire utilisaient des enfants. Alors pour quelle raison ?
Je serre la mâchoire et j'espère qu'il soit du genre à se remettre en question parce que son discours sur le roi des démons m'a vraiment mise en rogne. Il faudrait juste que j'arrête de lui donner la mauvaise idée de me zigouiller tout de suite.
— Je ne veux pas risquer d'attirer sa colère, bredouille-t-il. Il pourrait me penser cruel de livrer une personne pas encore adulte !
— Parce que tu n'es pas cruel de les tuer, peut-être ? crié-je d'exaspération. Ça ne tient pas debout !
— Elles ne meurent pas vraiment ! Je les ai simplement envoyées dans les Enfers !
— Vraiment ? Ben ça va alors, merci du cadeau !
Je glisse sur mes genoux, et me retourne pour ne plus affronter son regard suppliant, comme s'il espérait que je gobe ces histoires et que je veuille me livrer de moi-même à son rite sacrificiel à la con !
— Dégage. Laisse-moi crever ici, de toute façon je ne suis là que pour ça.
Il ne bouge pas durant quelques secondes mais finit par se mettre en mouvement. Je me penche brièvement pour le voir. De dos, ses épaules sont voûtées et il a repris sa maudite clef dans sa main gauche. Il presse si fort l'objet dans sa paume que son membre en devient blême. Il traîne les pieds, comme s'il était déprimé. Un vrai mystère. C'est à moi d'être triste et en colère, je suis bien plus légitime que lui d'avoir ces émotions ! Il disparaît finalement dans le couloir sombre et j'entends la porte en métal se refermer d'un claquement sourd.
C'est la dernière fois que je l'ai vu.
Depuis, je suis seule. Parfois, j'entends la porte de fer s'ouvrir et quand je me rends devant, j'y reçois toutes sortes de choses.Le premier jour, je trouve un vieux matelas, une couverture, un oreiller et un plateau-repas. Je galère à tirer le matelas jusqu'à la pièce principale. Mais je ne me sens pas à l'aise dans la grande pièce vide mais après réflexion, c'est mieux que de dormir dans une salle de bain pleine d'humidité.
Quand le soir tombe, il fait vraiment noir. Il fait même trop nuageux pour que la lune puisse percer d'entre les nuages et je n'ai pas d'autre source de lumière. J'ai cherché un interrupteur sans le trouver. Par contre, il y a bien des néons dans les sanitaires alors je les allume et laisse la porte ouverte pour qu'un rai de lumière envahisse mon lit de fortune, qui est placé juste en face.Je m'endors et je me sens seule. Bizarrement, je préférais encore quand l'autre dingue était avec moi.
Le lendemain, je me réveille avec ce même sentiment de solitude. Je n'ai jamais vécu isolée des autres. Je suis de nature sociable et je n'ai jamais passé une seule journée sans me mêler aux autres, ni discuter avec ma grand-mère ou avec Ivano. Devant la porte en fer, un nouveau plateau-repas a remplacé l'ancien. Je le ramène pour le manger sur la couverture que j'ai étendue sur le sol.
Je dévore tout ce qu'il y a. Un œuf au plat, un poché et deux tranches de pain grillé. Puis j'avale presque le croissant après l'avoir généreusement fourré de beurre et de confiture. Je finis le verre de jus de fruits et pars le remplir d'eau du robinet. Ensuite, je le lave et le pose au bord de l'évier.
Je suis si désespérée que je suis contente d'avoir trouvé un objet à collecter !
Je retourne dans la pièce principale et reprends le plateau, que je retourne poser près de la porte de sortie. Puis je me mets à la tambouriner de coups de pieds avant de repartir jusqu'à ma grande prison.
Même pas douze heures de captivité et mon comportement frise déjà la folie. Quand je commence à avoir faim, je me dirige vers la porte métallique et j'attends devant comme une affamée -ou une tarée, au choix.
Seulement, bien que j'aie faim, ce n'est pas de nourriture dont je sois vraiment affamée mais de socialisation. J'ai tant tourné en rond que j'ai fini par jouer avec le vieux tonneau qui m'aurait probablement filé le tétanos si mon vaccin n'était pas à jour. Je me revois encore glisser dessus pendant qu'il roulait et me faisait tomber. Quand j'y repense, j'ai tellement honte, alors que c'était il y a à peine une heure.
J'entends un cliquetis mécanique et je comprends que la porte va s'ouvrir car le gars va m'apporter un repas. Je saute presque de joie et cours jusqu'à celle-ci mais quand j'arrive, la porte ne s'ouvre pas. Alors, je vois un faible rayon de lumière qui traverse une sorte de petite ouverture au bas de la porte. Elle est large, et juste assez haute pour déposer un plateau, une vingtaine de centimètres à vue d'œil.
Une main place un plateau, sans même débarrasser l'autre -sûrement car je suis dans les parages, je devine. Alors, il doit y avoir des caméras, compris-je. Heureusement que je n'ai pas pris de douche alors qu'il n'y a même pas de rideaux pour me cacher ! Mais je vois rouge, quand je repense à mes nombreuses visites aux toilettes en porcelaine. Au moins, mon long pull cache la majeure partie de mon corps !
Je n'ai même plus faim, je veux poser des questions à cet abruti pour savoir ce que je peux faire à part attendre et m'ennuyer à mourir. J'attrape le plateau et le pose sans délicatesse au milieu du chai et commence à faire les cent pas, ce qui est pratique dans un si vaste endroit. Et puis, comme prise d'une subite poussée d'inspiration ou de désespoir, je lève les mains en coupelles devant ma bouche.
— Je vais devenir complètement barje-euh, hurlé-je soudainement tandis que ma voix remplit la pièce et résonne pendant quelques secondes.
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