Le meilleur concert d'une vie. (5)


Je me suis formée un chemin à l'aide de ma petitesse et de mes coudes, pour parvenir à atteindre la scène où se préparent les quatre membres du groupe. Leur formation est plutôt banale pour des rockeurs, il y a un batteur, un bassiste et un guitariste qui tient son instrument électrique. Le dernier et quatrième membre n'a pas d'instrument, quoi qu'une guitare acoustique se trouve à ses pieds. Je sais, pour m'être renseignée sur le groupe sur le vieil ordinateur de Kat et Phil, qu'il est le chanteur mais aussi compositeur et meneur du groupe « Angels ».

Et à peine ses mains se lèvent et qu'il les claque au-dessus de lui que la musique éclate. Le plus magique, c'est qu'il redescend ses bras dans un mouvement synchronisé à la musique. Puis il s'approche du micro avec une lenteur mesurée. Alors, il ouvre ses yeux d'un bleu électrique et leur lueur presque surnaturelle parcourt les spectateurs. Après son inspection exécutée, il entame le premier couplet. Je ferme les yeux, sans prêter attention à ma bouteille de jus que je secoue dans tous les sens, en aspergeant probablement certaines personnes au passage. Je profite de la voix dure et vibrante qui envahit mes oreilles, des percussions sonores qui font battre mon cœur. Mon corps tout entier danse à l'unisson des cris de la guitare électrique et de la douceur rassurante de la basse.

Le tout fusionne dans mon esprit et je me sens... vivre la musique. C'est la toute première fois que j'écoute ces instruments en vrai, la première fois qu'autant de corps bougent tout autour de moi. Tout le monde rit, saute, danse, sans prêter attention à ce que peut faire son voisin. Nous sommes en harmonie en formant pourtant un groupe hétérogène de couleur, d'odeur et de chaleur.

Je secoue mes cheveux bruns au rythme entraînant de la musique, qui se fait soudainement plus rythmée et boit le reste de mon jus, assoiffée d'avoir crié à tue-tête pour encourager les musiciens. Quand je relève le regard sur la scène, ayant gardé les yeux fermés depuis tant de temps, je peux voir une chose surprenante qui me fait avoir de folles palpitations au creux de mes entrailles. Une paire d'yeux intensément bleus sont fixés sur ma personne, sans y décoller un seul instant. La blondeur de ses cheveux fait ressortir leur couleur hypnotisante, qui est probablement due à des lentilles.

Je souris maladroitement et finalement trop gênée par son regard inquisiteur, je bats en retraite au fond du bar, afin de commander une seconde boisson. La chaleur des gens m'a donné chaud, d'autant plus que mon gros pull colle maintenant à ma peau. Kat me fait un petit geste de la main, elle a mon manteau sous son bras. Je l'avais complètement oublié et délaissé sur la tabouret du bar. Quelle idiote je fais.

A l'instant, je me dis que ce n'est pas son rôle de s'occuper de moi, pourtant elle fait une plutôt bonne mère de substitution. Elle a assez de gentillesse et de patience pour deux enfants, et même si elle a déjà presque soixante ans, elle ne les fait ni dans son apparence ni dans sa personnalité.

Avec un nouveau jus de fruits, goût fraise, cette fois-ci, je pars m'asseoir à côté d'elle pour profiter un peu de sa présence.

— Tu t'amuses bien ? me demande-t-elle avec un sourire béat.
— Oui, c'est vraiment génial, je ne regrette pas d'être venue.
— Tu devrais en profiter à fond, leur concert ne va durer qu'une demi-heure et si j'en crois ma montre, ils ne vont pas tarder à remballer leurs instruments.
— Quoi, déjà ?

Je me dépêche de boire au moins la moitié de ma boisson avant de courir à l'avant de la scène. Ce coup-ci, j'y parviens avec plus de difficulté mais ma petite taille me sert à retrouver mon ancien emplacement, à un ou deux mètres près.

Mais à peine j'arrive au bord de la scène que la musique touche à sa fin. Le chanteur principal annonce que la prochaine serait la dernière de la soirée. La foule crie alors le nom du groupe en chœur et j'y joins ma voix, hurlant à plein poumons.

— Angels ! Angels ! Angels !

Ainsi, le chanteur attrape sa guitare acoustique qui est pourvu d'un micro et fait courir ses doigts sur les cordes, envoûtant la salle de notes nostalgiques et profondément tristes. Il y ajoute sa voix, murmurant quelques belles paroles dont je ne saisis pas le sens. Puis le sentiment de tristesse de la musique cède la place à la colère, me bouleversant au passage. Tandis que sa voix explose dans des sons graves, les trois autres instruments se joignent enfin à la musique, formant un magnifique ensemble. Je peux presque voir en cette performance la perception d'une rage profonde. La batterie martèle le rythme, la guitare électrique crie pendant que l'acoustique pleure et enfin, le bassiste ajoute un soupçon de mélancolie, me faisant tirer des larmes d'émotion.

Je m'attarde une dernière fois sur les musiciens, bien consciente qu'ils vont bientôt repartir. Les deux guitaristes ont des styles totalement différents, celui de gauche ayant les cheveux courts teint en bleu et en violet, alors que le chanteur garde les siens naturels, mais ce qui est drôle c'est qu'ils les gardent tous les deux en pétard.

Je me détourne finalement de leur tableau pour ancrer les autres membres dans mon esprit. Je reste subjuguée devant le garçon qui paraît le plus ordinaire dans le groupe. Si le bassiste a les cheveux bruns et une coiffure plutôt commune, ses yeux noisettes semblent emplis de douceur et de tristesse, alors qu'il achève les dernières notes de la chanson. Il soutient très brièvement mon regard, sûrement parce qu'il se sent observé par moi. Je rougis de honte en détournant mes yeux sur le chanteur. Celui-ci me fixe encore !

— Je vous remercie d'avoir été notre public en cette belle soirée, annonce ce dernier.

Il balaye les gens de la salle du regard avant de reprendre sa phrase, accrochant l'attention de tous sans exception. Du moins, il a toute la mienne.

— Nous repartirons bientôt sur les routes, mais pas avant d'avoir pris un petit verre, sans alcool pour ceux qui conduisent, évidemment !

Il sourit en soutenant mon regard, fixé sur lui. Ensuite, les gens ont beau crier pour un rappel, le chanteur est intransigeant, préférant tendre ses mains vers le public qui vient les lui serrer et signer les morceaux de papier qu'on lui tend. Les autres membres sortent un carton de je ne sais où. S'approchant du micro, le batteur à la queue de cheval courte annonce :

— Messieurs, dames, si vous souhaitez aider le groupe à ne pas tomber dans l'oubli, et vous souvenir de nous très longtemps, vous pouvez acheter notre premier album.

Le jeune sourit, et passe une main nerveuse sur l'une des bandes rasées sur le côté de son crâne. Il s'assit alors au bord de la scène, le carton à ses côtés. Je peux voir le bassiste et le batteur commencer à remballer les instruments. Ils ne semblent pas être des plus à l'aise en public. Du moins, c'est ce que je crois avant de voir les cheveux colorés du joueur de batterie au milieu d'une horde de femmes bien plus âgées que lui. Je ris légèrement avant de me mettre sur la pointe des pieds pour apercevoir le carton rempli d'albums. Le jeune homme assis continue de proposer aux gens de venir acheter leur musique.

Quelques personnes sont tentées, moi la première. Mais à peine m'avancé-je pour en demander le prix qu'une main me saisit le bras. Je me retourne et suis surprise de voir Kat.

— Layland, dépêche-toi, je suis vraiment désolée, mais on va devoir y aller ! Il y a un problème avec Ivano.

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