L'homme aux yeux bleus. (8)
Quelqu'un tapote mes joues et je sens la douleur partout dans mon corps. Visiblement, je ne suis pas encore morte. J'ouvre péniblement les yeux et force mes poumons à inspirer. Heureusement, ils obéissent immédiatement. Cela cause une vive souffrance à la poitrine, mais au moins je peux inspirer par la bouche, inhalant tout mon comptant d'air.
Autour de moi, tout est si clair que je ne vois rien durant quelques secondes. Puis mon regard s'habitue à la luminosité ambiante et je vois son visage, lui, l'homme aux yeux bleus électriques. Le chanteur, guitariste et leader du groupe « Angels ». Pendant une minute, je songe que mon dernier souvenir n'était qu'un mauvais rêve, que je suis encore au bar, que je me suis évanouie sur le sol glacé et qu'il vient de m'y retrouver.
Mais dès que je détourne le regard, je vois que je suis encore dans une camionnette, qui a ses portes arrières grandes ouvertes. Seulement, même si la liberté semble me tendre les bras avec tentation, j'ai toujours les deux mains attachées et reliée à une chaîne aux larges anneaux, elle-même accrochée à une pièce en métal soudée à l'intérieur du camion.
La seule amélioration, c'est que je n'ai plus de bâillon, tout comme ma vue qui est libérée de l'obscurité.
— J'ai bien cru que t'allais crever, dit le chanteur en souriant à pleines dents, me fichant du même coup une frousse bleue. J'aurai été bien emmerdé, tiens !
Il pense que je vais compatir avec lui s'il se comporte comme s'il était mon ami ? Est-ce un échappé d'asile ?
Je le regarde et il me semble tout à fait sain d'esprit, alors qu'il parle assis sur l'arrière de sa camionnette avec une fille qu'il a ligotée à ses côtés. Pas si sain d'esprit que ça, donc, je me rectifie. Que puis-je dire ou demander, qui ne le mette pas en colère mais qui pourrait me faire comprendre la situation ? Surtout, rien qui puisse lui donner envie de me recoller la bouche avec du tissu et du scotch. Je n'en ai aucune idée, je ne fais que réfléchir, réfléchir pour ne pas crier, ne pas hurler pour ne pas retourner dans ce coffre aussi grand qu'il est sombre, aussi froid qu'il est effrayant.
Je n'ai jamais eu peur du noir mais je pense que cela ne va pas tarder. Il y a un début à tout, même à la peur. Avant d'avoir vu Pookie, mon hamster, mort et recouvert de petites fourmis rousses, je n'avais jamais craint ces petites bêtes. Pourtant, cela fait environ huit ans que je les vois comme des créatures démoniaques. Alors qu'elles, elles n'avaient fait que se nourrir. Mais lui, là, pourquoi me fait-il ça ?
— On va où ? demandé-je prudemment, du bout des lèvres.
Je n'ai pas eu d'autres idées de discussion, mais je ressens le besoin de meubler le silence. Je sais que parfois, on a du mal à faire souffrir les autres quand on commence à les connaître ou à les apprécier. Je ne sais pas ce qu'il veut me faire mais quoi que ce soit, je sais que ce ne sera pas plaisant.
Il observe les oiseaux qui traversent le ciel et me fait subitement un peu penser à Ivano. Je compatis déjà avec lui, je deviens déjà dingue. Je ne suis pas faite pour être enfermée ! Je vais perdre la raison dans moins de trois jours avec un syndrome de Stockholm pour seul réconfort. À moins qu'il me tue tout de suite ? Soudain, le syndrome de Stockholm me semble une perspective moins effrayante.
Je n'en peux plus de m'entendre penser, comme une schizophrène créant un monde imaginaire dont je ne suis pas l'unique maître.
— Chez moi, finit par répondre l'individu, me délivrant de mes pensées encombrantes.
— Je suppose que tu ne veux pas dire où c'est, chez toi... c'est encore loin ?
— Pas vraiment, juste une heure de route.
— Tu vas me tuer ?
— Oui.
Je déglutis. Ce n'est peut-être pas la question la plus intelligente que j'aurais pu poser. Il fixe ses yeux sur moi, ses lentilles me font vraiment décidément plus flipper que jamais. Il va me tuer, là maintenant ? Je cherche quelqu'un du regard, mais nous sommes si loin de la route que je n'entends aucune voiture. Mon regard se perd devant nous, au milieu d'un chemin, lui-même au centre de plusieurs champs. Même si je me mets à courir, les gens sur les routes les plus proches verraient probablement juste une fourmi qui marche, même avec une bonne paire de jumelles.
— Tu vas le faire... maintenant ?
— Non, pas encore.
— Pourquoi tu veux me tuer ?
— C'est un secret que je ne veux pas révéler. Malheureusement, je ne peux pas encore te tuer, tu es trop jeune.
Il glissa la main dans la poche de son jean et en sort une carte plastifiée que je reconnais. C'est ma carte d'identité !
— Seulement quinze ans... j'aurais juré que tu avais plus. J'avoue que j'ai fait une erreur, mais ce n'est pas grave, je te garderai aussi longtemps qu'il le faudra.
— Me... garder ?
— Oui, tu vas vivre chez moi, le temps que tu puisses me servir.
Son regard va une fois de plus vers le ciel alors que je tâche de garder mon sang-froid, ce qui ne fonctionne pas malgré toutes mes tentatives. Ce gars est un psychopathe, comment peut-il annoncer mon meurtre sans la moindre trace d'émotion dans le regard, comme s'il était lui-même résigner à cet acte ?
J'ai envie d'hurler, de pleurer et de supplier, sans le faire pour autant. Je n'avais jamais compris l'expression « sortir de son propre corps », lorsque l'on parlait de personnes qui vivent des expériences traumatisantes. Maintenant, je sais ce que cela signifie. Je vis l'enfer, je devrais avoir peur mais je suis trop figée pour réagir, trop choquée pour vraiment réaliser.
En un mot, je n'ai pas encore pleinement conscience de la situation dans laquelle je me suis mise.
— Je peux te poser une question ? demande aimablement mon ravisseur.
Sur ces mots, il balance ses jambes d'avant en arrière, comme un jeune enfant. Comme le fait souvent Ivano. Je déglutis une fois supplémentaire.
— Oui, lui permets-je.
Comme si j'avais vraiment le choix.
Sa tête pivote comme dans un cauchemar et il me sourit, probablement pour me mettre plus à l'aise, alors que je suis vide à l'intérieur. Comme gelée sous une bonne couche de givre où rien ne peut m'atteindre, je demeure immobile.
Il se penche légèrement en avant, ses yeux électrisants se plantent dans les miens, qui ont la couleur de la terre.
— Dis-moi, Layland, es-tu bien encore vierge ? demande-t-il d'un air faussement innocent.
Alors, comme une petite déchirure, je vois ma bulle de givre se fissurer et la peur envahit mon ventre.
Qu'ai-je bien pu faire pour mériter cela ?
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