À votre gauche, vous trouverez un douillet petit salon. (12)


Je me sens en pleine visite touristique au plein milieu des enfers. Mon agent immobilier est mon ravisseur mais il souhaite apparemment que je valide les lieux. Il m'entraîne tout au bout de cette maudite et immense salle, pardon : chai, et je le suis en traînant des pieds. J'ai tout juste la force de marcher, chaque pas me coûte une énergie folle. Je ne laisse rien paraître mais je pense que je suis au bout du rouleau, alors que j'ai sûrement fait la plus longue sieste de ma vie il y a tout juste quelques instants.

Sans m'en apercevoir, nous sommes arrivés tout au bout de la salle, contre le mur, où se trouve une porte en bois avec une poignée ronde en métal qui paraît drôlement vieillotte.

Il me désigne cette dernière, l'air presque fier de ce que je vais y trouver. Quoi, c'est une caverne au trésor ou quelque chose de ce genre ? D'un geste décidé mais incontrôlé, je tente d'ouvrir la poignée, qui se tourne bel et bien et je tire dessus. La porte ne s'ouvre pas mais le pommeau me reste dans la main et une petite vis tombe dans un cliquetis, dont le son aiguë se répercute sur les murs de béton. À peine arrivée et je casse déjà l'unique porte de la pièce. Je lance un sourire embarrassé et sans faire la moindre remarque, il pousse l'obstacle en bois. Bien reçu ; la porte s'ouvre en poussant et non en tirant.

J'avance pour découvrir l'extraordinaire surprise qui m'attend. Je réalise que j'aurai dû opter pour la manière des pessimistes en imaginant le pire afin de ne pas être déçue. Ce sont juste des sanitaires. Et pas de plus extraordinaires. Une simple paume de douche accrochée au mur, une trappe pour récupérer l'eau par terre, sans même un bac ou un rideau. Des toilettes et un lavabo. Pas de meubles, pas même une serviette en vue. Juste les deux objets en porcelaine et une douchette. Tout ça dans une pièce d'une taille d'une vingtaine de mètres carrés.

— Pourquoi y-a-t-il autant d'espace pour juste... ça ?

Je cache mal ma déception, arguant un air dépité.

— Auparavant, c'était un sanitaire pour les employés du chai. Mais il a été réaménagé comme projet d'en faire une petite dépendance de la maison. Seulement, il n'a jamais été terminé. Alors... c'est un début de salle de bain qui n'a jamais pu être finie. Je suppose qu'ils avaient même voulu séparer la pièce en deux, ici et... et voilà.

Ce type me fait vraiment penser de plus en plus à Ivano. Preuve pour moi qu'il n'est pas simplement tordu mais torturé. Se sent-il obligé de se comporter de cette manière ? Je n'y songe plus et reviens à mes propres problèmes, beaucoup plus préoccupants.

— Je vais vraiment devoir vivre dans cet endroit ?

Il hoche la tête et je perds espoir de revoir le soleil.

— C'est la première fois, que tu envisages de tuer quelqu'un ?
— Tu ne seras ni la première ni la dernière que je tue, réfute-t-il en me faisant passablement flipper. Mais tu es la seule qui soit venue ici, pour l'instant.
— Pourquoi moi ?
— Tu es encore trop jeune.
— Et quoi, tu n'aimes pas tuer les enfants ?

Je ne sais pas moi-même à quel jeu dangereux je suis en train de jouer mais je tente de calmer les nerfs, me persuadant qu'en testant ses limites et ses motivations, je parviendrai à trouver une faille qui me permettra de m'enfuir.

— Je n'ai jamais dit que j'aimais tuer.
— Mais alors pourquoi... pourquoi tu fais ça, quelle raison est assez valable pour le faire ?

Il hésite à me parler, je le vois dans ses mains qui se serrent et se desserrent, au mouvement de ses yeux qui vont et viennent dans un rythme rapide et saccadé.

— Je ne veux pas le froisser, dit-il en murmurant.
— Tu sais, je ne suis pas prête de sortir d'ici alors autant tout me dire, non ? Je n'aimerai pas être enfermée dans cet endroit glauque ni finir trucidée sans même en connaître la raison, si raison il y a.

Il inspire et calme sa respiration mais ses poings se crispent davantage. Ça y est, je le sens prêt à tout m'expliquer. Je vais peut-être comprendre son délire, je vais avoir une piste et parvenir à mieux visualiser ce qu'il se passe, dans son pauvre cerveau détraqué. J'attends patiemment mais je me sens étrangement réactive, presque comme si j'étais excitée d'apprendre ce grand mystère. Vivre avec Ivano au quotidien m'a beaucoup fait plancher sur toutes sortes de sujets psychologiques, peut-être pourrai-je mettre mes connaissances à l'œuvre ?

Je tends l'oreille, attentive et pressée. Il inspire et ouvre la bouche pour parler.

Quelle est donc sa volonté qui le pousse à tuer ? Quel argument va-t-il pouvoir me donner que je vais devoir essayer de contrer ?

Je m'imagine déjà le scénario d'ici : il a besoin d'avoir des amis, je peux l'être pour lui s'il me libère. Une mauvaise relation avec sa mère ? Je peux le consoler comme s'il était mon propre gamin. Je peux tout accepter, je peux tout gérer.

Et lorsqu'il me parle, m'annonçant enfin la vérité... je pâlis légèrement, perdant deux à trois tons de couleur. Je réalise alors que jamais je ne vais sortir de cette cage de béton. Il est vraiment trop givré pour que je puisse en faire quoi que ce soit.

Ce qui le pousse dans les assassinats est si stupide, si abrutissant que je ne peux rien répondre.

C'est comme vouloir tenter d'expliquer que Dieu n'existe pas... on ne peut autant pas prouver son existence que la réfuter, c'est un débat vain et stérile.

Mon espoir s'évapore et je me mets à le détester vraiment pour la première fois. Auparavant, j'avais simplement peur. Maintenant, j'ai envie de me révolter.

Ce type est encore plus dingue que je n'aurai pu l'imaginer !

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