Chapitre cinquième : En attendant des jours meilleurs
Invisible dans ce monde où sa légende n'existait pas, Jack s'était permis toutes les fantaisies, notamment celle de visiter le palais royal en dehors des heures d'ouverture au public.
Sourire aux lèvres et bonhommie, elle s'entretenait avec un petit groupe lorsqu'il l'avait aperçue. Les jambes coupées, il en était demeuré stupéfait un long moment, n'osant plus la quitter des yeux de peur qu'elle disparaisse de nouveau.
Venait s'ajouter à la vision enchanteresse d'une magicienne puissante, indépendante et solitaire qui avait engorgé son esprit tout ce temps, un visage délicatement changeant : doux, sérieux, rieur, concerné, aimant.
Jamais ennuyé, cependant.
La souveraine avait cela d'extraordinaire que ses responsabilité ne semblaient pas lui peser. Elle évoluait gracieusement parmi ses collaborateurs, ses sujets, ses équivalents étrangers, associant à ses bonnes manières une réserve méritoire lui permettant de conserver un coup d'avance.
Quand il se fut finalement décidé à cligner des yeux, le groupe s'en était allé, laissant seule la souveraine assise dans une des salles de réception.
Elle s'était immédiatement débarrassée de sa couronne et penchée sur sa table, la tête cachée sous ses bras repliés, se laisser aller à l'épuisement, dans de longs sanglots sans larmes.
Jack l'avait beaucoup observée. Fasciné par son sérieux, par sa dévotion envers ses devoirs, la dignité et l'attention qu'elle prenait soin d'accorder équitablement à chacun.
Glissant sur ses responsabilités avec autant de facilité que si cela avait été de la glace.
Et maintenant, épuisée à n'en plus contrôler les soubresauts de sa poitrine.
Jack s'approcha d'elle comme d'un animal sauvage, vint prudemment s'agenouiller à des côtés.
« Hé, qu'est-ce qu'il t'arrive, hein ? Pourquoi tu te mets dans cet état-là ? Ça ne te plaît pas de commander tous ces gens, de pouvoir créer ton château de glace si t'en as envie ? »
Elle ne peut pas l'entendre. Elle est seule, alors même que près d'elle, Jack Frost tente de la réconforter. Il ne peut rien faire. Son impuissance lui empoigne la poitrine, compresse sa cage thoracique, vide ses poumons.
Le ramène bien plus loin qu'il ne l'aurait souhaité, au fond d'un lac gelé.
Le dernier moment où il s'était senti totalement démuni.
Jack peut seulement s'asseoir sur le sol, abattu, et la couver du regard jusqu'à ce qu'elle se calme d'elle-même, surpris d'être capable d'un tel dévouement envers une inconnue.
Comment s'appelait-elle, déjà ? Lorsqu'elle avait été annoncée, la voix du chambellan avait été couverte dans le bruit des clairons, l'empêchant de saisir le nom complet de la reine. Les soubresauts s'espacèrent doucement, elle reprit un semblant de contenance.
« Tu es vraiment une pauvre idiote, Elsa. Ton père et ta mère ont régné vingt ans sans se plaindre, et tu fatigues déjà au bout d'une année. Tu ne leur fais pas honneur. Allez, va te coucher. », se morigéna la souveraine à haute voix.
Elle pouvait bien parler seule, ce château était vide. Et quand bien même il aurait été plein, elle aurait toujours été seule. Elle se résigna à aller se coucher, espérant un sommeil sans rêves et réparateur.
Elsa.
A l'énonciation de son prénom, la reine d'Arendelle s'était brusquement transformée en femme sous le regard de Jack, sans qu'elle en eu conscience.
Une femme esseulé et triste, comme Atlas portant le monde sur ses épaules. Hyptonisé par sa silhouette, Jack la suivit jusque devant sa chambre.
Il hésita jusqu'à la dernière seconde avant de se faufiler à l'intérieur de la pièce, s'aplatissant presque contre le montant de la porte.
Une fois à l'intérieur, il fut soufflé par la beauté du lieu.
Loin de l'édifice de glace, lisse comme un miroir, la chambre bleue d'Elsa recelait d'une neige qui ne demandait qu'à se transformer en projectile, en bonhomme, en igloo.
Ne manquait qu'un compagnon de jeux.
Le givre dessinait sur les murs une multitude de choses adorables allant des rennes aux bateaux, des massifs de fleurs aux montagnes. Et puis, sur le plafond, une représentation sublime, extrêmement fidèle, de ceux qu'il supposa être ses parents, pour avoir trouvé une ressemblance entre Elsa et la femme représentée dans de nombreuses salles du château.
Le portrait, qui recouvrait tout le plafond, rendait un hommage fidèle aux parents de la reine. La plus petite ride avait été tracée, la moindre plissure des vêtements joliment ombrée, pour un ensemble resplendissant.
Jack, contemplatif, mis un moment à se rendre compte que la jeune femme s'était déjà endormie. Toute seule dans un lit immense, dans une pièce encore plus vide. Presque une caverne.
Jack s'assit en tailleur, sur son lit, à côté d'elle. Son bâton contre l'épaule, il avait pris la décision instinctive et quasi-inconsciente de la protéger. Il laissa couler son regard sur l'endormie.
Étrangement belle.
Ici et maintenant, il la sentait presque terrorisée par le vaste monde, recroquevillée sur elle-même sur une trop grande couche. Et pourtant, elle lui semblait toujours inatteignable.
Il n'osait même pas l'effleurer. Elle ne l'aurait pas senti, de toute façon. Il n'existait pas vraiment, ici. Il voulait lui laisser une trace de sa présence, quelque chose de réconfortant.
Nord attendrait.
La neige attendrait.
Il ne rentrerait pas cette nuit.
Au matin, lorsqu'Elsa d'Arendelle ouvrirait les yeux, elle trouverait près d'elle un bouquet de perce-neiges.
« En attendant des jours meilleurs. »
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