Len
- Len, j'ai une question.
Le ton de Rose ne s'était jamais fait si sévère, si froid. Ses beaux yeux fort maquillés ne s'étaient jamais aussi noircis, son sourire ne s'étaient jamais fendu de tel, en une barre morose.
- Vas-y.
Je ne l'avais plus revu seul à seul depuis que j'avais quitté la maison.
Elle attendait dans l'anxiété que partageait ses amis les résultats du BAC qui arrivaient dans deux semaines, elle riait au loin, elle parlait à des mètres, elle vivait au lointain, et ça ne me semblait pas changer de d'habitude.
J'avais toujours considérer ma soeur comme une perfection hors de porté, un trophée que je n'aurais jamais, une présence superficielle qui n'avait rien à faire près de moi.
C'était si égoïste.
- Tu ne vas pas revenir à la maison, hein ?
- Non.
- Je compte entrer à l'université, et intégrer l'école supérieure du professorat. Elle n'est pas très loin de la maison, je vais continuer d'habiter chez Meiko, m'expliqua-t-elle, consciencieuse.
Mais ça, je le savais déjà.
Elle en parlait souvent, elle parlait souvent de sa motivation à enseigner, à bâtir un avenir aux plus jeunes, bien que ce métier soit le moins respecté de ce pays, il avait beaucoup plus de valeur qu'on le lui en donnait.
Rose n'était pas spécialement ambitieuse, elle était juste trop déterminée.
- Ça veut dire qu'on se verra pas beaucoup. Ça veut aussi dire que je veux que tu rentres. On peut tout arranger.
Elle réprima un sourire et baissa la tête. Elle savait déjà la réponse. Elle savait que je n'allais pas rentrer, que j'allais habiter avec notre mère et changer d'école. Elle le savait alors pourquoi demander ?
Elle faisait une grande idiote.
- Tu sais très bien que-...
- Je sais ! S'écria Rose dans un sanglot. Je sais, mais peux-tu... un petit peu.. penser à moi ?
Elle se frotta les yeux jusqu'à les rendre rouge, et évita de me regarder.
Il faisait chaud, elle avait mit une longue robe à fleur, elle était belle. Y'avait-il un jour où elle ne l'était pas ?
Et alors que j'étais prêt à simplement partir, la laisser avec pour seule réponse un douloureux silence et une fuite détestable, que j'étais prêt à m'enfoncer dans le crâne que je n'étais qu'un vulgaire égoïste, un égoïste qui ne pensait qu'à lui lorsque Léa se démenait à m'aider, un égoïste qui ne se demandait même pas ce que ressentait Karl ou les autres, un égoïste qui ne s'était jamais excusé, un égoïste qui ne pensait qu'à lui lorsque Kuro se scarifiait, oh oui, un grand égoïste, alors que j'étais prêt...
Je restai.
- Rose, je pense tout le temps à toi.
Elle ne dit rien, fixée sur sa pédicure.
- Ce que je t'ai dit, le jour où je suis parti, je le pense. Merci, Rose. Merci d'être qui tu es.
- Ah ouais ? Releva-t-elle, pleine d'amertume. Alors si tu es si reconnaissant envers moi, pourquoi tu n'as pas été plus présent pour moi ? Pourquoi tu ne venais jamais me voir ? Pourquoi tu étais si méchant ? Et pourquoi m'avoir dis tout ça pour partir après, hein ? C'est un peu facile. C'est facile de t'excuser et de te remercier sans savoir ce que moi j'ai à dire.
- Tu aurais pu le dire la dernière fois.
- À quel moment ? Lorsque je pleurais de choc sous la pluie ou quand Meiko et toi vous êtes frappés ?
Je me tus. J'avais envie de fuir. D'oublier cette idée de plainte, de pardon, d'oublier tout ce qui m'animait.
Redevenir un mort-vivant.
- Laisse-moi te le dire maintenant, mais allons ailleurs, il crève de chaud.
Elle me tendit une main, et accéléra le pas à l'instant où je voulus m'en emparer, avant de s'enfuir dans un fou rire.
Je la suivis, sans me presser et céder à sa bêtise, et ses éclats me firent sourire.
Elle nous guida vers un parc non loin de là, et choisis une place sous un rassemblement d'arbres. À observer se dessiner les monts d'herbes, les courts d'eau sinueux et les canards dormir dans les quenouilles, je trouvais assez de points communs pour me dire que j'avais rencontré ma mère dans ce même parc pour la première fois.
Peut-être allait-il devenir le lieu favori des Kent - Le nom de ma mère - pour les réunions et règlement de comptes.
Une fois sous les arbres, Rose replia les jambes contre sa poitrine et débuta d'une voix faible, hésitante :
- Maintenant que maman t'a raconté ce qu'il s'est passé quand nous étions petits.. j'aimerais te raconter moi aussi quelque chose.
Je me rapprochai d'elle comme signe que j'étais à l'écoute.
- J'avais six ans. C'est à cause de notre père que j'ai dû redoubler, je ne pouvais pas faire mes devoirs et être concentrée à l'école. À part maman, et peut-être Meiko qui l'a su par l'assistante sociale, personne ne connaît cette histoire. J'avais souvent des bleus aux jambes et aux bras, alors maman m'interdisait les robes. J'avais pas d'enfance avant Meiko. Je n'aimais pas les autres petites filles, elles étaient bêtes, je me disais. Mais j'avais un petit frère.
Comme la grande émotive qu'elle était, sa voix craquait déjà sous la pression des larmes et il ne lui fallut pas plus que mon regard pour qu'elle se blotisse contre mon épaule.
- Tu étais le seul à me comprendre. Il fallait que je te garde prêt de moi. Au début, j'ai été égoïste. La petite fille que j'étais te voulait prêt d'elle parce qu'elle avait peur d'affronter toute seule le monde. Puis j'ai remarqué que tu n'étais pas comme les autres. À ne rien dire. Je ne voulais pas que tu sois diagnostiqué si jeune. Je ne voulais pas que les rendez-vous s'enchaînent dès tes sept ans. Quand je t'ai vu, si seul, si morne, je me suis vu. Oh oui, j'avais douze ans, je visitais mon frère tous les week-ends et là, tu m'attendais sur cette chaise et je me suis dit : Je ne veux plus que notre relation s'étiole et trouver ça normal. Tu es devenu ma priorité. Je devais te protéger. Et je n'ai pas...
Elle commença à se perdre dans des sanglots, et je crus bon d'arrêter son histoire.
Est-ce que je me doutais que Rose me faisait passer avant elle-même ? Bien-sûr, c'en était même évident.
Est-ce que je savais que Rose avait subi la situation du passé ?
Oui, c'était d'une logique indiscutable.
Est-ce que j'aurais pu m'imaginer un jour avoir cette discussion avec elle ?
Pas le moins du monde.
- Tu m'as protégé, Rose. Tu n'avais aucun devoir envers moi et pourtant je me suis senti protégé.
- C'est faux.
- Un peu.
Elle lâcha un rire écrasé sous la déception, puis s'éloigna un peu, certainement vexée.
- Non, non, lorsque je passe les portes du bus je ne suis pas rassuré parce que ma super soeur est là, justifiai-je. Mais si je t'avais tout de suite dit ça, tu ne m'aurais pas cru sur le fait que tes efforts ne sont pas vains.
Elle grommela, le visage rabbatu contre moi.
- Alors pourquoi, Len ? Pourquoi ne pas-...
- Tu es ce que je ne suis pas, Rose, m'opposai-je fermement. Tu étais la première preuve que je n'étais pas normal, que je ne serais jamais ce que tu es. Souriant, émotif, sociable.. Si seulement je n'avais pas eu ces troubles, rien de tout ça n'aurait existé.
- Et alors ? Heureusement que tu n'es pas ma copie conforme, avoua-t-elle comme une évidence. Tu es toi-même et c'est largement suffisant pour te dire que tu es normal.
- Je t'admire. Tu es trop parfaite, je ne ressemble à rien à côté de toi. Si j'existais aux yeux des autres c'était pour le garçon malade qui demandait trop de temps et d'argent.
- Il y a trop de bêtise là-dedans, elle enfonça son doigt contre mon crâne. Je ne suis pas parfaite. Je suis une gamine hypersensible avec des kilos en trop qui n'a même pas de super bonnes notes et qui ne sait pas trouver son amour de jeunesse.
- Mais-...
- Je n'ai pas plus de qualités que les autres. Que toi. Je suis juste ta soeur.
- Et je suis juste ton frère. Arrête de vouloir me protéger comme ton propre enfant. Achete-toi un chiot pour ça.
Elle laissa échapper un rire.
- Finalement, nous éloigner un peu ne nous fera pas de mal, conclut Rose d'un grand sourire perché à ses lèvres.
- Je pensais que je devais rentrer à tout prix à la maison.
- Je veux que tu comprennes que personne n'a plus de valeur que toi. Ou moins, attention ! Vaux mieux s'éloigner de la perfection pour ça, non ?
- Oui, lâchai-je dans un soupir amusé.
- Ça fait du bien, de te revoir sourire. Ça m'avait manqué.
Elle se releva, et me poussa à s'avancer vers l'arrêt de bus pour rentrer chacun dans nos foyers respectifs.
- Et avec Kuro ? Tout se passe bien ?
- Eum.. Oui. Il est tellement... enrichissant ?
- Quel compliment ! S'exclaffa-t-elle.
- Tu ne comprends pas ! Avec lui c'est facile. Alors qu'au début c'était horrible. J'ai pu me comprendre. Et maintenant que je me suis compris, je veux me connaître.
- Comment ça se fait ? Si vite ? Alors que...
- Y'a-t-il une raison ? Je pense que durant cette année s'est jouée une combinaison d'événements. Kuro n'est pas un miracle, une pièce de plus.
- Très manipulation tout ça.
- Mais non. Tout le monde a contribué à ce résultat. Et moi aussi.
On se sourit.
- Et Léa ? Comment va-t-elle ? Elle semble reprendre du poids.
- Ces derniers temps je la vois de moins en moins.. Je crois qu'elle va de mieux en mieux...
- Il faudrait peut-être lui parler. Tu sais très bien que Léa ne parle jamais d'elle très facilement.
- Je fais ce que je veux.
- Mon bus est là.
Je lui fis signe, elle me quitta sur un visage lumineux et confiant.
Comme d'habitude j'avais oublié Léa contre mes pensées et mes analyses émotionnelles. D'habitude elle était là pour me crier qu'elle me parlait, qu'elle attendait une réponse, mais entre les examens, ma mère et Kuro, je ne trouvais plus le temps de poser les yeux sur elle et comprendre ce qui n'allait pas.
Léa me manquait.
* * *
- Alors c'est à toi de choisir un film à regarder ?
- Ouais ! Lança Kuro, bien trop enthousiaste pour un simple film, les yeux sur son pc portable.
- C'est parce que tu ne te remets pas du Tombeau des lucioles ? Me moquai-je gentiment.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.. Enfin soit ! J'ai le film, c'est parti.
Le film débuta alors que nous nous installions confortablement dans son lit, l'un contre l'autre. Des mains curieuses se baladèrent lentement, puis le film d'esprits malfaisants fut de moins en moins effrayant, certainement parce que mes yeux ne cessaient n'analyser la forme de sa mâchoire, de ses lèvres, de ses boucles..
Et puis le film devint un simple bruit de fond de cris et de musique stridente, parce qu'encore une fois je n'arrivais plus à résister à ses baisers.
Petit à petit le monde n'eut plus d'importance, nous n'étions que deux seules et uniques âmes en cet univers, il n'y avait plus que son toucher, son regard qui importait, et tout le reste était aspiré par mes sensations époustouflantes.
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