Len

Kuro descendit prévenir son père. Rien qu'à voir son regard, il appréhendait déjà sa réaction.

Je n'osais pas encore prendre mes marques, déballer mes affaires, après tout, son père pouvait ordonner de m'expulser.

Si ma propre mère adoptive l'avait fait, pourquoi pas lui.

Je reconnus sa penderie, son grand miroir, tous ces posters que j'avais observé, les cartons encore remplis de babioles dont il ne voulait se séparer, deux vieilles peluches pour décorer le lit...

Sa chambre avait tant de personnalité, alors qu'il ne la côtoyait que depuis quelques mois.
En quelques années, la mienne était vide de moi.

Entre les murs bleu foncé il y avait encore une certaine sensation de malaise, cette maison ne leur appartenait pas vraiment et cela se sentait. J'avais oublié ce sentiment oppressant qui régnait chez lui.

Kuro revint, un sourire aux lèvres.

- Mon père t'accepte à dormir. J'ai expliqué brièvement la situation, il a l'air convaincu. Je lui ai dit que tu étais calme et sérieux, alors tiens toi à carreau. Il embrassa ma tempe avant de s'installer sur son lit.

- Ton père sait ?

Je n'avais jamais rencontré de réactions pareilles avant Meiko. Léa qui lisait la moitié de son temps des romans et mangas sur les romances gays, et les autres qui n'en parlaient pas vraiment mise à part pour s'insulter amicalement de " tapette " ou " pédé ", je n'avais jamais vu ou entendu de réactions homophobes.

Je croyais bien que celle-ci l'était.

Alors, ces mots, ces actes, relevaient tout un tas de questions chez moi. Des questions auxquelles je ne pouvais répondre par moi-même.

J'avais besoin de quelqu'un pour y répondre. J'avais besoin de lui.

- Sait quoi ?

- Pour nous deux. La nature de notre relation.

- Je pense qu'il commence à comprendre, il est con et irresponsable, mais pas dupe.

- C'est quoi sa réaction ?

- Je sais pas, je lis pas dans ses pensées, ronchonna-t-il ennuyé tout en glissant ses bras autour de ma taille, puis je m'en fiche.

- Mais s'il venait à te haïr, au point de te mettre à la porte ?

Je n'étais pas inquiet, juste curieux.

- Et bien tant mieux ! Je n'aurais plus à supporter ses sautes d'humeur et ses déménagements à tout va. Pourquoi ne se fait-il tout simplement pas muté en Thaïlande qu'on en finisse..

- Pourquoi tant détester ton père ?

- Je... Il se détacha de moi pour se laisser tomber sur le lit, le regard sur ses posters. Rien.

- Explique-moi. Les petits amis se parlent, n'est-ce pas ?

- Qui t'as donc divulguer cette macabre révélation ? Ironisa Kuro, toujours rivé sur ses posters.

- Répond.

- Il m'a délaissé.

- Non, il est toujours là.

- Il ne se préoccupe plus de moi, si tu préfères.

- Il paye ton école, ta nourriture, tes vêtements, l'hôpital pour tes conneries.

- Et puis merde, tu voulais tes explications, les voilà, qu'elles te plaisent ou non.

Il se mit dos à moi.

- Ce ne sont pas des explications rationnelles.

- Je ne suis pas rationnel.

- Ta gueule. Répond-moi. Je le secouai, il finit par laisser échapper un sourire.

- Il ne m'adresse jamais la parole pour me dire quelque chose de gentil, un truc sympa, même pas un sourire sincère. Depuis 5 ans, voire plus. J'ai l'impression de ne plus le connaître.

Son air insouciant avait cédé à la tristesse, peut-être même la nostalgie. Il était bien trop souvent bercé par ses deux émotions, sans vraiment connaître de repis.

À vrai dire, je n'en connaissais pas non plus.

Comment fallait-il réagir dans ce genre de moment ? De quoi avait-il besoin ?

Je me blottis contre lui.

- Ces explications mélodramatiques te vont-elles ?

- Oui. Désolé pour toi.

- Et toi ta mère ? Quand vas-tu la voir ? C'est le bon moment pour lui demander de l'aide.

- Je.. Je ne sais pas. C'est compliqué.

- C'est ta mère biologique, elle décide de te retrouver après des années, tu peux te permettre de profiter de la situation. Après tout, elle t'a quitté 10 ans.

- 13 ans. Mais je ne peux pas lui demander de m'héberger.

- Et pourquoi ça ?

- Ce serait horrible !

- Depuis quand prends-tu en compte les civilités ?

- Ce ne sont pas les civilités qui me gênent. Je suis l'enfant dont elle n'a pas voulu, celui qui n'a fait aucun effort pour la mériter, qui à même fait fuir une mère qui voulait de moi. Comment je peux me permettre ça ? Et si elle venait à me détester comme je la déteste ?

Je me repliais sur moi-même au fil des mots, ma tête dans le creux de mes genoux, représentant parfaitement la faiblesse que j'incarnais. La faiblesse de l'ignorant, du rejeton rejeté.

Je voulais disparaître.

Je voulais redevenir invisible et pouvoir pleurer sans être jugé, pouvoir fuir mes mots et ma réalité.

Être seul était tellement plus facile. Il me semblait.

Pourtant, sa présence, bien que pesante, m'appaisa, dans la ronde de ses baisers, de ses chuchotements et caresses.

C'était si rare, si précieux, une présence.

Il était là. C'était tellement.

- Elle ne pourra pas détester l'un des meilleurs élèves de Première, un garçon qui supporte tant de choses et qui continue à vivre, tout en ayant réussi son épreuve au BAC blanc. Et puis tu as pleins de qualités.

- Mais j'ai des défauts majeurs.

- Tu es bien trop têtu pour ce monde.

- Je-

Il m'embrassa, et lorsque j'ouvris les yeux, je retrouvai un Kuro en lutte contre la honte.

Je souris.

- On va se réchauffer des pâtes, puis on va regarder un film. Bienvenu dans l'antre de la mal bouffe.

- Chez moi on mange principalement des pasta Box et de la cuisine japonaise.

- Ici c'est moi qui cuisine, et il se figure que je ne sais pas cuisiner.

- Tu es la décadence de notre génération.

- Je sais.

On descendit ensemble, plus personne n'occupait les lieux.

Kuro m'expliqua que sa tante était rentrée chez elle, que son père veillait dans son bureau et risquait de descendre pour fumer vers 23h.

Être presque seul chez lui, dans sa chambre, une seconde fois.

Est-ce que les allusions de Léa allaient se concrétiser ?

- Regarde sur Google le film que tu veux voir. On le cherchera illégalement.

- Quel délinquant.

- Je t'ai dit que je buvais de l'alcool depuis 15 ans et que je conduis sans accompagnateur ?

- Ce n'est rien comparé aux streaming illégaux.

- Ironie ?

- Oui.

- Mets plus de ton la prochaine fois.

Il enfourna nos pâtes aux fromages, satisfait, puis m'invita à m'asseoir, deux verres à pieds en main.

- Tu bois quoi ?

- Surtout pas de l'alcool.

- Je surveillerais ta consommation. Allez, une petite bière ?

- Et si on décide de faire l'amour, je ne veux pas être ivre.

Il resta muet, le visage pivoine, posa une bouteille de bière et but une grande gorgée de la seconde. Il évita tout contact visuel avec moi pendant au moins deux longues minutes.

- Tu-

- Chut.

- Ok.

Je décidai de boire à mon tour ma bière. C'était moins fort que celui de la fête, plus agréable, pas forcément bon.

- Faire l'amour, lâcha Kuro, asphyxié par la honte.

- Tu n'y as jamais pensé ?

- Bien-sûr que non ! Enfin pas vraiment.

Mon coeur me piqua, sans raison apparente. Ses mots irritaient mon coeur.

- Au début je voulais juste être ton ami. Tu me rappelais quelqu'un. Et puis toutes tes insultes ne sont pas très bandantes, rit-il, gêné.

- Désolé, je bus une gorgée.

- Depuis qu'on a commencer à s'embrasser, peut-être que mon esprit a commencé à envisager des choses, mais bon. C'est pas ce stade.

- C'est quoi ton stade ?

Les bouteilles furent à moitié vide.

- Je suis sensé te raconter mes pensées corrompues ?

- Tu dois tout me dire.

- Je sais pas ! Peut-être bien les mêmes baisers mais avec moins de vêtements !

Le minuteur vint arrêter cette conversation embarrassante, et Kuro ne perdit pas une minute pour sortir les pâtes du four et tout monter dans sa chambre.

Je le suivis d'un pas lent, déconcerté, l'alcool m'empêchait de réfléchir correctement.

- Qu'est-ce que tu fais ? Demanda Kuro, interdit.

J'avais enlevé mon t-shirt.

On se regarda sans vraiment comprendre où nous étions, qui nous étions, et ce que nous ferions. Mais on se lança.

C'était maladroit.

Je n'étais pas sûr de comprendre la valeur de ses baisers sur ma nuque ou mon torse, ni même pourquoi être torse nu contre lui était certainement le sentiment le plus contradictoire de mon existence ; une divergence de plaisir et de déplaisir.

Je ne connaissais rien à ces actes, cette façon si spéciale de se toucher, de se regarder. C'était tellement différent des autres fois.

J'étais effrayé, dépassé.

Et pourtant, je me sentais bien.

- Ça va ? Il haletait presque.

- Je ne sais pas.

Son corps brûlait, ses lèvres étaient en feu. Moi qui avait toujours eu si froid ressentait une chaleur étouffante.

- Arrêtons-nous là. Il posa un baiser sur mon front.

- Pourquoi ?

- Je pense.. Que je ne suis pas prêt, et toi non plus, à aller au-delà. Il caressa les lignes de mon corps, calmant les frissons.

- O-ok, répondis-je, ahuri.

Il m'invita à me rhabiller, et tout deux mal à l'aise calmèrent nos corps en feu, dans un silence perturbant.

- C'était cool.

Kuro jouait avec ses cheveux, le regard en fuite.

- Oui.

Je cherchais de nouvelles musiques à télécharger sur YouTube.

- Les pâtes vont refroidir.

- C'est vrai. Tu as choisi le film ?

- " Le tombeau des lucioles ".

- Y'a de l'action ?

- En quelque sorte.

- Super, je vais le lancer.

Kuro fit de son mieux pour paraître d'un sang froid inégalable.

Il tenta de dissimuler son embarras à chaque fois qu'il me touchait, comme si rien ne s'était passé, il essayait de ne pas sembler ému par le film, il essayait d'être neutre et sombre, ce qu'il n'était tout simplement pas.

C'était stupide. Comme lui.

Il s'endormit peu après le film, sa tête sur mes genoux.

Nous n'en avions pas parlé, du rejet de Meiko, je ne préférais pas après m'être immiscer dans sa famille. Le Dr. Delsert m'avait toujours dit que la compassion était primordiale dans notre société. C'était difficile de comprendre ce concept d'empathie, mais avec Kuro, c'était plutôt simple.

Je le connaissais, et il me connaissait.

Je n'avais plus qu'à apprendre à me connaître, au travers de ma mère biologique, cette génitrice lâche prête à tout pour être pardonnée de ses défauts.

Elle était bien plus laide à travers ses mots qu'en vrai.

- Bonjour, Len.

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