Len
- Len ! S'écria Kuro, sa silhouette dévoilée après un grand coup de pied pour ouvrir la porte.
- Arrête, tu es beaucoup trop optimiste dès le matin.
Je m'enfonçai dans mon pull.
- Et toi trop grincheux, pourtant je me tais.
Il traversa le toit.
- Tu es devenu trop complice.
- Je pense qu'après des baisers et des câlins, et un sauvetage, c'est naturel.
Il s'assit, et me déposa un baiser.
C'était ainsi depuis... Depuis ce "pacte".
Nous l'avions nommé ainsi puisque c'en était clairement un, sous un accord de chacun après avoir prêté serment.
Sur ces mots sans valeur, des actions s'étaient entreprises.
Léa, comme liée à la membrane pensive de Kuro, s'était remis à manger, et avait cessé toute activité sportive. Il me semblait retrouver ma véritable meilleure amie.
Et moi, j'avais juste suivi cette promesse : Ne pas mourir.
Je ne pouvais plus me soulager aux scénarios suicidaires, je ne pouvais plus m'épuiser à ne serait-ce qu'expirer un espoir de partir d'un battement d'ailes.
J'étais cloué, fixé, crucifié à la réalité, et ce n'était pas comme si j'essayais d'habitude d'y échapper, non, la différence était de l'accepter.
Accepter cette réalité, ne pas tenter de la fuir.
Je ne comprenais même pas en quoi cela consistait. C'était un principe tout à fait métaphorique. Je supposai qu'avec ce principe, j'aurais pu me l'adapter, mais ça m'était vide de sens.
Sauf que j'avais bien eu une hypothèse après tout ce temps.
Laisser aller les choses, constater mes émotions et les éléments filer entre mes doigts ankylosés, incapables de retenir une poussière. C'était une solution mirage, une possibilité abominable. Mais c'était peut-être la solution.
- Tu as été à la fête d'anniversaire, commençai-je.
- Oui. Je me suis amusé, comme tu m'as dit. Même si c'était... Glauque.
- Glauque ? Tu dis encore un terme jusque parce qu'il sonne bien ?
- Non. C'était sincèrement malsain, glauque.
Je le regardai. Il était passionnant à sa manière de s'exprimer, ses expressions, ses traits se tordre et détordre au gré des dégâts. C'était évidemment enviable, sauf que je n'aurais jamais ce qu'il avait.
C'était au pacte de me déculpabiliser cette idée.
- J'ai eu une courte discussion avec Célia avant d'aller au centre des festivités. J'avais l'impression de parler à une femme d'affaires, mais en plus immature. Je sais pas si tu vois.
Je répondis par la négative d'un mouvement de tête.
- Bref, ça on s'en fout. Après j'ai été rejoindre Maxence et Karim, on a bu du rhum tout en regardant des gars faire n'importe quoi sur la terrasse, on a du faire ça pas mal de temps.
Je lui souris, attentif. Même si parler des fêtes de Célia me donnait des nausées.
- Puis la soirée s'est apaisée vers 2h00, vu que pas mal était ivres ou épuisés. Alors Célia a fait son entrée, sa deuxième entrée. Forcément, ça n'avait plus rien d'une arrivée flamboyante pour féliciter ses 17 piges.
- Arrête d'extrapoler.
- Elle a fait un truc aux filles. Certaines se sont mises à pleurer, d'autres sont devenues amies avec elle, et d'un coup une fille s'est retrouvée dénudée dans les toilettes. C'était.. Pour moi elle était bourrée.
Ma tête dérailla, les grincements de la mémoire percèrent mes tympans d'une violence similaire au poing qui s'enfonçait dans ma poitrine.
Ça grinçait, ça grouillait, ça grignotait un peu partout dans mon corps.
Ça ne pouvait pas être ça.
Puisque je n'avais le droit qu'à la réalité, le pacte devrait taire ce cri. Rien ne se passa. J'étais bloqué dans cette boucle rouillée.
Stupide pacte sans importance.
- Après, elle s'est faufilée un peu partout dans la maison. C'était bizarre comment des gars embués d'alcool arrivaient à rester réceptifs à sa voix.
- Pourquoi tu ne l'as pas aidé ?
Ma voix chancelait, je n'étais plus sûr de qui je parlais.
- De qui ? Je te parle de quelque chose de bien plus dingue que cette fille, si c'est ça ! Les garçons se sont dispersés, il y en a un qui a vu Karim. Lorsque Karim est revenu vers nous, il nous a expliqué toutes les choses horribles qu'une certaine Sarah avait commise. Effectivement, c'était dégueulasse, mais je me suis dit que ce n'était qu'une rumeur.
Sa mâchoire s'actionnait pour mâcher, broyer un langage et des codes préétablis dans son crâne. Sa langue déformait le français pour en faire un ramassis de merde.
- C'était pas ça. Elle a juste manipuler un peu moins de 100 personnes ! S'écria Kuro, comme ravi d'avoir conclu sa théorie.
- Pourquoi tu considères cette possibilité comme dingue ? Je me levai. La sonnerie allait retentir. C'est Célia ! Bien sûr qu'elle ne s'amuse pas à une fête ! Bien sûr qu'elle n'est pas écervelée ! Célia n'est pas une blondasse populaire des films pour adolescents !
Le hurlement de la fin était bien plus doux que les geignements dans mon crâne.
- Je dois aller en cours, conclus-je, d'une terrible amertume.
- Non, Len ! Ne recommence pas cette erreur de partir froidement. Finissons sur une note positive.
- Je suis désolé de t'annoncer que je ne suis pas positif. Je lui fis dos.
- Alors voyons-nous après les cours ? Je finis une heure avant toi, je t'attendrai.
Je partis.
Il m'avait attendu.
* * *
- Je ne peux pas venir dès maintenant, annonçai-je, austère, passant devant son sourire bête.
- Pourquoi ça ? Il se courba dans un déhanché glorieux.
- Je dois faire mes exercices, réviser car je te signale que nous sommes déjà mi-Avril et les épreuves sont en Juin. Puis il faut que je mange, que je travaille sur moi-même... Je me tournai vers lui, sans cacher un léger sourire. J'ai pleins de choses à faire, tu vois ?
Je vis Léa courir au loin, agitée à l'idée de rater le bus, alors qu'il y en avait toutes les dix minutes.
- Justement, Super Kuro a pensé à tout !
Il se dressa devant moi, fier comme un pan.
- Ne te donne pas des surnoms aussi ridicule.
- Len ! Héla Léa, avant de débarquer, le souffle court. Un jour, tu m'attendras. Mais en ce lieu maudit, ce temps ou Len Aishi ne m'attend point à la porte de la classe, elle leva son bras droit, je proclame Léa Matignon de te punir !!
Je frappai son crâne de mon carnet. Elle se retrouva démunie devant mon geste, puis pestiféra insultes dans une intonation narratrice, sous nos regards.
- Je disais : J'ai pensé à tout, chuchota Kuro, pour ignorer Léa.
- Je suis là je vous signale ! Hurla-t-elle.
- On le sait plus que bien que tu es là, à crier partout. Arrête de t'exprimer autant, râla Kuro.
Léa attrapa son col, et rapprocha leurs visages de beaucoup trop près. Les yeux de la belle saignaient ceux du beau. Hors d'elle, - Quoi qu'un peu surjoué - elle exprima lentement toute sa détermination.
- Écoute moi bien petit puceau-...
- Je ne suis pas puceau.
- Nique-toi ! Sache que m'exprimer de manière si extrême m'aide à imposer toutes les multitudes d'émotions qui me submergent. Et bien souvent, c'est la colère, alors cesse de m'importuner autant et ferme ta gueule de pute.
- Léa, maintenant que tu as réglé tes comptes de susceptibilités, peux-tu t'éloigner ? Questionnai-je, blasé.
- On se reverra, prononça-t-elle, mauvaise, avant de s'éclipser comme un papillon.
- Forcément qu'on se reverra on a des cours en commun !
- Laisse-la, elle s'emporte vite mais c'est comme ça.
- Elle fait pas bien peur avec ses 1m60.
- Explique-moi comment tu as prévu de me faire rester.
Il sourit, et s'expliqua.
- Premièrement, les devoirs, on s'en fout. Deuxièmement, les épreuves, on s'en fout. Pour la nourriture, j'ai été prévoyant pour une fois et ta-da !
Il sortit cinq paquets de bonbons.
- Et pour toi-même, c'est moi qui vais m'en occuper.
Il vira au rouge sur la dernière phrase, mais dans l'ensemble, il semblait vraiment fier de proposer de telles âneries.
- Je ne peux pas me foutre de mon avenir.
- Ce n'est pas de ton avenir mais quelques révisions sur la génétique et l'Histoire des États Unis. Rien de très grave. Puis j'ai des schtroumpfs.
Il secoua les paquets sous mon nez.
- Je...
Ce n'était pas le sucre en gélatine bleue qui m'avait convaincu de rester, ni même la cohérence de ses propos.
- Où allons-nous ?
- Dans un monde sans lois. Il rit, il débuta la marche.
C'était tout d'abord cet incroyable sourire innocent qu'il se persévérait d'avoir, sans transparaître les inquiétudes de sa voix, les pleurs de ses cernes, les peurs de ses cicatrices. Ça me donnait envie de le suivre n'importe où, de dire Amen à chacun de ses souhaits.
- Combien de temps allons-nous resté dans ce monde ?
- Assez longtemps pour en voir toute la surface.
Et puis ce pacte, ne l'oublions pas. Celui qui nous liait tous les trois, celui qui donnait de la force à nos mots. C'était ce pacte, ce changement, la nouvelle ère du printemps qui me poussa à avancer, à se foutre de tout.
C'était marcher sur un fil invisible. Mais pour l'instant, j'y arrivais sans tomber.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top