Len
- Tu vis avec qui ? Lui questionnai-je, pour débuter le jeu.
J'avais reçu une réponse plus ou moins clair vis à vis de notre relation. Je n'en avais pas encore discerner toutes les conséquences et changements qui se produiraient suite à cette image de couple, mais ça me paraissait bien de ne pas trop réfléchir ce soir-là.
J'avais discuté un bref instant avec Léa après son malaise, je lui avais raconté Kuro, cette bulle d'air dans mon monde d'agonie. Sans que je n'y trouve de sens, elle s'était amusée à le comparer à ses régimes ignobles ou encore cette entité néfaste au creux de sa tête.
Seulement, cette fois-ci, je ne m'étais pas tût. Je n'étais plus indifférent aux désastres et enchaînement de catastrophes autour de moi. J'avais acquis cette force de changement, cette naissante envie de bâtir autre chose qu'une bombe à retardement à l'aide de mes émotions.
Peut être qu'à nouveau, mes attentes d'humanité et de normalité seront entachées par la réalité. Qu'importe. Tout ce que j'avais vécu me ramenait désormais à ce lit, ce garçon, et ce sourire fragile sur mes lèvres. Un jour d'espoir, j'aurais sans doute un bonheur plus grand que celui-ci.
- Je vis uniquement avec mon père et des cartons. Ma tante, la femme qui t'a ouvert euh... La dernière fois, est l'assistante de mon père, alors elle reste avec nous en louant un appart', expliqua-t-il alors, visiblement chamboulé à l'allusion d'hier.
En vue de notre incontestable embarras à être seuls dans une pièce recluse pendant plus de 5 minutes, Kuro avait suggéré un "petit jeu". Selon lui, c'était pour détendre l'atmosphère - Et la sueur sur son front très certainement - et en apprendre plus l'un sur l'autre. J'estimais que j'en savais assez sur lui, jusqu'à me rappeler que nous étions un couple. Sûrement une activité de couple de faire des "petits jeux".
- À moi.
Kuro piocha dans le bol de questions préparées à la va-vite, majoritairement par lui.
- Quelle est ta couleur préférée ?
- J'en ai aucune. C'est débile comme question.
- Tout le monde a une couleur favorite ! Moi par exemple, c'est le bleu.
- Pourquoi ?
- Tu réfléchis trop. Il mima une tête râleuse. Et puis j'en sais rien, c'est beau.
- En quoi tu peux juger qu'une couleur est plus belle qu'une autre ?
- Bon, tu me casses les couilles.
J'avais peur d'être réellement exaspérant pour lui. J'avais peur que mon inflexibilité d'esprit le repousse, fasse fuir les poussières de sentiments qu'il pouvait éprouver à mon égard. Il poursuivit cependant d'un ton joueur.
- Disons que j'aime le bleu pour le calme que ça apporte. J'aime le calme.
C'était étrange pour quelqu'un de bavard, festif, caché derrière le bruit.
- Donc toi, ce serait quoi ? Reprit-il.
- J'aime... Un truc vaste et flou.
- Une couleur qui représente ça... Le noir ?
- ... Oui.
J'avais officiellement une couleur favorite. Ça n'avait rien changé, aucun tremblement de terre ne s'était déclenché pour m'annoncer un miracle, mais c'était satisfaisant.
Je réalisai que c'était la première fois que j'étais réellement satisfait.
- Si tu mourrais dans 60 secondes, que ferais-tu ? Je fronçai les sourcils. Ces questions sont ridicules.
- Je t'embrasserais.
Il me regardait intensément, je constatai la distance infime qui nous séparait. Ses boucles sur son front étaient beaucoup trop intrigantes. Il bascula son regard à mes lèvres. Ses yeux étaient emplis, si sombres, si grands, je ne voulais voir que ça jusqu'à la fin de mes jours. Je voulais à nouveau savoir ce que faisait un baiser, provoquer ce chaos intérieur et plonger dans le trou noir.
On s'embrassa. Ce ne fût plus qu'une troisième fois, peut être quatre, cinq, vingt-cinq, je n'en savais rien, je ne voulais plus penser.
- Tu es mort, chuchotai-je à la fin d'un baiser.
- Quoi ? Kuro était perdu dans l'espace temps.
- Ta minute s'est écoulée. Tu es mort.
Il me fixa avant de rire à se tordre. Il soupira, un sourire béat accroché à la face.
- Aloooors... Il déplia un papier. Il restait sept questions. Raconte un souvenir d'enfance.
- C'est une période floue pour moi.
- Même pas un tout petit petit ?
- Je m'en suis souvenu d'un, plus tôt dans l'après-midi. Avec Léa. Lorsqu'on avait à peu près 14 ans, on se voyait dans une clinique, on buvait un milkshake au chocolat, je ne savais pas comment elle se les procurait. Peut importe. On les buvait sur la table de tennis de table, et elle riait. Elle était seule bien entendu, mais elle était là. Elle l'a toujours été. J'ai peur qu'elle disparaisse...
Un moment de mutisme se glissa dans notre conversation. J'avais tout gâché, tout cassé, comme souvent.
- C'est en lien avec sa certaine mort ? Demanda Kuro, en enserrant ma main.
Lui aussi, il était là. Je n'étais pas seul. Ce creux asséché semblait devenir chaud, humide, se colorer d'écarlate et exprimer la vie. C'était certes un peu trop rapide, trop violemment, or ça avait le privilège de ne pas stériliser.
- Je ne peux rien faire... Déplorai-je, les larmes aux yeux.
Je ne pouvais pas me renfermer. Non, je voulais empêcher ce mécanisme infernal. Me laisser parler à la première personne, vivre mes émotions, accepter qu'actuellement j'étais triste et désespéré.
C'était horrible, difficile. À chaque œillade échangée à Kuro, je ressentais comme des milliers d'aiguilles fines s'enfoncer dans ma peau.
- Peut-être que tu as fait tout ce que tu pouvais. Qu'est-ce qui te rend si mal à propos d'elle ?
Le piège s'était refermé, les aiguilles amoncelées dans mes veines. Mon coeur se vêtit de son costume sombre, et je jouais le rôle inconsciemment de ma maladie.
- Mais enfin tu es con ou quoi ?!
Je lâchai sèchement sa main, en me levant.
- Je...
Il ne comprenait rien. À vrai dire, moi non plus.
- Ne me dis pas que tu es comme lui ?!
- Comme qui ? Je ne comprends pas.
- Ça ne change pas de d'habitude, crachai-je, dos à lui.
- On ne peut pas parler tous les deux sans que ça dérape, c'est ça ? Il rit jaune.
- C'est de ma faute.
- Parle. Dis autre chose que des remarques piquantes, gronda Kuro, énervé.
Je repris ma respiration. Avais-je seulement le contrôle de ce mécanisme ?
- Léa, gémis-je, de tel à croire qu'on m'arrachait un membre - C'était sûrement un peu le cas -. Est. Malade.
- C'est-à-dire ?
- Tu le fais exprès ?
- Là oui.
Je me retournai vivement, furieux.
- Dis-le, ordonna-t-il, avant toute intervention de ma part.
- Elle est anorexique. Depuis trois ans. Elle pèse 33,6 kg. Elle va mourir si elle ne se fait pas hospitaliser.
Il se mordit la lèvre supérieure, tout en serrant les poings. Ça lui semblait tout aussi inconcevable comme cohérent. Un schéma brouillé.
- Qu'est-ce que font ses parents ?
- Sa mère ne se soucie plus d'elle. Elle aussi, que c'est drôle hein ? Je ne rigolais pas du tout. J'étais terriblement neutre. Et son père a trop peur d'assumer qu'elle est de nouveau malade.
- Le seul moyen de l'hospitaliser ce serait quoi ?
- Soit quelqu'un porte plainte pour malnutrition, soit elle tombe dans les pommes au lycée.
- Elle voit pas de psy ?
- Ça fait un an que son suivi s'est arrêté.
On semblait dans une impasse.
- Len ?
- Oui ?
- Tu es un ami formidable.
Je voulais ignorer ce compliment, qui me sonnait faux.
Pourtant, pour un mensonge, il libéra une cascade monstrueuse de larmes, d'une émotion inconnue. Je pleurais, pleurais désespérément, pleurais à bout de souffle, pleurais à en perdre l'âme.
Mais dans les bras de Kuro.
* * *
Il devait être près de 21h. Ce simple petit jeu nous avait conduit aux pleurs, comme un peu - beaucoup - de nos conversations en général.
Mais Léa, la gamine aux larges sourires, ne pouvait pas s'envoler comme une feuille morte au vent. Elle méritait de devenir une fleur magnifique, l'héroïne d'une histoire à fin heureuse.
- Ça va mieux ?
Kuro avait quitté toute honte. Il me tenait dans ses bras avec une aisance incroyable, et caressait mes cheveux sans se lasser.
- Eum... Et bien... Oui, bafouillai-je, reculant lentement.
- Cool.
Il rougit soudain.
Je l'avais sûrement perdu dans un tourbillon de honte intense.
- J'ai gâché le jeu, lâchai-je, ennuyé.
- Tu... Pff... Tu l'as rendu intéressant.
- Que signifie ce "pff " au juste ?
- Ça signifie que !... Je suis gêné.
- T'es débile.
- Je sais.
- Continuons le jeu. Pour "détendre l'atmosphère", intimai-je, à la fois amusé et ennuyé de son numéro de grand timide.
- Faisons ça.
Il sourit.
C'était parfait.
Je ne l'avais pas giflé.
* * *
Cher Len,
Cela faisait un temps que je n'avais pas reçu de réponse à ma précédente lettre, et dans mon éperdue attente, je me suis fantasmée tous un tas d'hypothèses.
La solution la plus limpide me semblait de me monter un peu insistante.
J'ai conscience que ce papier onirique ne reflète pas une véritable relation, que mon amour indicible ne te parviendra certainement jamais, mais je conserve espoir.
Cet espoir, je le pose en cette dernière lettre.
En effet, je souhaite de tout mon coeur te rencontrer.
Je ne veux pas que cet espoir s'étiole avec ces vaches et mes livres poussiéreux. Je veux le cultiver avec toi et ta soeur. Elle aussi est au courant de mon souhait de rencontre.
Je crois que m'étendre de manière redondante sur ce papier canson n'arrange rien. Alors je conclus là-dessus.
Mon petit garçon, le petit bébé aux grands yeux purs que j'ai laissé pleurer beaucoup trop de fois, je veux l'aimer dignement.
Rencontre-moi dès que tu seras prêt. Je serais là.
Ta maman
~~~
La vie continuait à combattre.
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