Kuro

Il m'embrassa longuement et intensément, à en perdre son souffle et sa raison, les yeux perdus dans les miens.

- Len ?

- Mh ?

Son sourire ivre faisait battre mon coeur de façon désordonnée, il n'avait fallu que quelques jours de vie commune pour que mon corps réclame le sien, et que mes yeux cherchent son attention à tout moment.

La solitude qui m'était devenu si familière avait semblait-il disparue pour de bon.
Il m'accompagnait dans chacun de mes pas : le matin pour aller en cours ou traîner dans le lit, le midi à se lancer des regards au loin dans la cafétéria ou à manger ses repas maison autour d'un jeu vidéo, l'après-midi à penser à l'un et l'autre la tête dans les cahiers ou contre chacun, et le soir à se retrouver autour d'un film, une tension indescriptible émanant dans la pièce.

C'étaient bien les plus beaux jours de ma vie.

- Je ne suis pas rentré directement à la maison aujourd'hui, lui avouai-je affreusement gêné.

- Et ?

- Je suis passé à la pharmacie.

Len ne paraissait pas comprendre du tout mes allusions et sous-entendu. Il jeta un oeil à mes cicatrices, persuadé que je parlais de bandages ou de désinfectant.

- Non, je ne me suis pas scarifié. Depuis longtemps d'ailleurs.

Il me sourit, et rapprocha mes lèvres des siennes pour m'offrir un baiser.

- Len ?

- Je t'écoute, mais le temps devient long, rit-il.

- Si tu es toujours d'accord..pour aller plus loin..j'ai..

- Aller plus loin ? Son entrain s'effrita un peu pour laisser place à une sorte d'appréhension. Tu veux dire..?

- Je me suis renseigné, si tu es d'accord, tout devrait bien se passer. Normalement je suis clean, mais ne serait-ce pour que ce soit plus simple j'ai...

Il vallait mieux une image qu'un long discours.

Je pris la boîte de préservatifs de mon sac pour la lui donner.

Il l'examina un instant, le rouge aux joues sans savoir quelle expression afficher.

- Ce soir ?

- Si tu veux.

- Et qui fait quoi ? Dans les yaoi de Léa ils-...

- Les yaoi de Léa c'est de la merde. On verra ça au fur et à mesure. Le plus important c'est de s'amuser. Amuser n'est pas le bon terme. Eum..

- J'ai compris. Mais je ne sais pas mettre un préservatif.

- Tu n'as pas eu de cours avec un concombre dis-moi ? Me moquai-je.

- Je pensais que j'allais finir vierge. Le sexe, ça m'intéressait pas avant..toi.

- Oh..Ok.

Je ne savais pas vraiment comment le prendre. Devais-je être touché ou interloqué ? Peu importe, une certaine partie de moi ne voulait plus s'éterniser sur la conversation.

Je commençais à l'embrasser sur chaque parcelle de son corps, bientôt il m'en fallu plus, et le déshabiller fut une bonne décision à ce manque effréné.
Histoire d'être quitte, Len fit de même, et c'était une torture de ne pas simplement se laisser aller à ses baisers.

Ils avaient perdus toute leur maladresse, leur innocence, ils étaient appuyés et passionnés.

Lorsque les baisers devinrent lassant, les caresses furent de mise, de plus en plus centrées et affirmées aux endroits les plus sensibles.

Nous n'étions pas l'un sur l'autre, alors au moment idéal de passer un cran au-dessus, on s'échangea des regards mal à l'aise.

Je pris l'initiative de l'allonger sous moi, et suivis du mieux que je pus les consignes des préliminaires lues sur le net.

Ça n'était pas aussi merveilleux qu'on pouvait le laisser paraître partout, ça semblait logique que se faire tripoter à un tel endroit pour la première fois n'était pas très agréable.

Il se laissa tout de même faire, mais au bout de quelques minutes je vis bien que ça ne servait pas à grand chose.

- Laisse-moi être au-dessus..

- Tu es sûr ? Ce sera pas bizarre pour t-...

Il me plaqua de l'autre côté du lit, à califourchon sur moi, et quémanda les préservatifs.

En croisant ses beaux yeux, je sus.

C'était le bon moment, la bonne personne, une bonne première fois.

Heureusement, la suite des événements fut nettement plus agréable et maîtrisée.

Ça ne ressemblait pas à ce que j'avais pu me visualiser, ce n'était pas forcément meilleur ni inévitablement désastreux, c'était juste un instant inoubliable.

Et pour tout dire, l'acte en lui-même n'avait pas été du plus réussi - toutes les 30 secondes je m'assurais du bien-être de Len - mais ce que nous avions partagés ce jour-là était à l'apogée du bonheur.

* * *
- Len va rester à la maison ?

- Non, il va chez une amie dans l'après-midi.

- La petite maigre aux cheveux rose ?

- Ouais, " la petite maigre aux cheveux rose ", maugréai-je contre lui.

Mon père avait l'air de faire de son mieux pour s'intéresser à ma vie, et je ne pouvais techniquement pas le lui reprocher, alors que je l'avais toujours souhaité.
Mais en pratique, je n'arrivais pas à me réjouir d'une telle situation.

J'avais un petit-ami formidable sans que finalement l'idée d'être bisexuel ne me gêne plus que ça, au lycée tout c'était prodigieusement bien passé, Oliver et Célia m'avaient oublié dans leurs caprices respectifs, Léa semblait guérir par magie et tout semblait s'apaiser pour moi.

C'était trop beau pour être vrai.

Alors bien évidemment je ne pouvais pas y croire.

- Et il va bientôt rentrer chez lui ?

- Pourquoi ? Il te gêne ? Répondis-je sur la défensive alors que nous nous rapprochions du lieu de rendez-vous.

- J'essaye juste de m'intéresser à lui bordel, jura-t-il dans sa barbe.

Une pique de jalousie me chatouillait la poitrine depuis quelques jours. Il acceptait de laisser son assurance payer pour un inconnu, le laisser disposer de sa maison comme bon lui semblait alors que Len l'avais descendu publiquement, et maintenant il s'interrogeait sur son bien-être.

C'était tellement ironique de sa part.

Sur ses mots, on se contenta de se faire la gueule jusqu'à la fin du trajet.

Le psychologue effronté ne s'était pas contenté de deux rendez-vous pour me laisser tranquille. Il en avait exiger un troisième pour parler de ma situation familiale et il eut l'excellente idée d'y inviter mon père.

Mon père et moi dans le même endroit pour parler de la même chose, ça ne signifiait rien de bon.

J'aurais bien voulu sauter de la voiture et rentrer chez moi avec le premier bus qui passe, mais une certaine clairvoyance me disait d'être raisonnable. - Et j'avais sérieusement considéré cette possibilité -

L'attente fut exécrable.

Mon père répondait à tous ses appels du travail, négociait des projets entre la rénovation d'un hôtel ou la construction de logements sociaux. Ici mon père n'était le chef de rien et je ne comprenais même pas pourquoi il revenait ici.

Retourner aux sources, à quelques kilomètres du cimetière de ma mère, sans aucun avantage financier, c'était louche. Mon père aurait pu être muté sur Paris ou Lyon, même en Espagne ou au Danemark.

Mais il avait choisi Lille.

- Bonjour, salua le psychologue d'une main ferme vers mon père, bonjour Kuro.

On entra dans son bureau sans être convaincus par l'optimiste que dégageait l'homme.

- Comment ça va ? Questionna-t-il à mon attention mais à la pièce en général.

- Ça va.

- Vous avez souhaité me contacter au sujet de la situation familiale, je n'ai pas tout à fait compris, vous-...

Et l'élan de pouvoir qu'avait tenté de prendre mon père se fit couper par le psychologue.

Il y avait de type de psy' :

Ceux qui se laissaient ronger leur temps de parole pour ne pas contrarier mon père et me jetaient leur frustration sur l'excuse que j'étais le fautif.

Ceux qui se battaillaient la parole avec mon père pour écraser leur raison divine sur la situation et se servaient de ma souffrance comme repartie.

Et il y avait ce psychologue.

- Vous êtes architecte c'est ça, Monsieur ?

- Oui, affirma mon père d'une voix fière.

- Je ne suis pas renseigné sur le métier, comment vous travaillez, le temps que cela vous prend, mais je suis sur de deux choses..

Mon père resta tout ouïe.

- Vous avez des congés et vous gagnez un très bon salaire. Presque 3 000 non ? Vous partez où en vacances dîtes-moi ?

- Cela ne vous regarde pas.

- Vous avez raison, j'accompagne votre fils, pas vous, conclut-il d'un sourire assuré avant d'aligner par réflexe ses stylos et de s'enfoncer dans son fauteuil. Ainsi, dans cette logique qui nous fait à tous sens, je vous prierais de ne jamais parler de vos difficultés que ce soit à moi ou à Kuro. Je m'en fous monsieur. Nous sommes ici pour Kuro, alors vos difficultés personnels ne me concernent pas. Nous sommes d'accord ?

Mon père hocha lentement la tête,  le bec cloué. De quoi me faire sourire et rendre cet entretien plus supportable.

- À travers le dossier j'ai eu vent du décès de Madame Nader. C'est après ces événements que Kuro est apparu un peu partout dans des dossiers divers : hôpitaux, écoles et, ne croyez pas que je ne le sais pas, un petit dossier judiciaire effacé.

- C'était-... Mon père se fit à nouveau coupé.

- Je pense que Kuro sera le plus approprié à me dire en quoi consistait une plainte pour "coups et blessures ".

- Ce n'est pas la peine de-...

- Kuro, à toi la parole.

Mon père se replia sur lui-même, vexé. Pourquoi tant s'acharner à ne pas l'évoquer ? La honte sans aucun doute.

- J'avais 13 ans, on avait vu mes premières scarifications, j'ai paniqué.

- À en venir aux mains ?

- On l'a insulté ! Comment on peut insulter un gamin capable de se faire du mal ?! Il ne méritait pas cette plainte ! Il ne.. Il ne la méritait pas, c'est tout.

Mon père avait recouvré son calme pour se persuader lui-même et les autres qu'il n'avait eu aucun débordement de colère, et qu'il gérait tout à fait la situation.

Il savait à peine dissimuler ses émotions.

Je ressemblais trop à mon père.

- J'ai changé immédiatement d'école après ça, et mon père a changé de poste. Un poste où les mutations sont régulières et la possibilité de changer de projet est facilité.

- Pourquoi à ton avis ?

Mon père faillit prendre la parole mais se tut juste à temps, sous le regard amusé du psychologue.

Quant à moi, je ne comprenais pas du tout où est-ce qu'il m'emmenait.

- J'en sais rien, il voulait peut-être s'éloigner de la famille. C'était compliqué entre eux.

- Pourquoi c'était compliqué entre eux ?

- Je-... Cette fois mon père ne put résister et s'exclama.

- Ils me reprochaient des choses stupides et me réclamaient des comportements utopistes.

- Vous parlez beaucoup de vous, vous voulez qu'on parle de vos loisirs et vos plus grandes peurs ? Se moqua le psy'.

- Mon avis était primordial pour cette question, qu'est-ce que Kuro peut en savoir ?

- Des tas de choses que vous ne pouvez pas savoir, Monsieur. 

- C'était quoi ces " comportements utopistes " ? Demandai-je, totalement perdu.

- Je, il se reprit pour ne pas s'inclure, éviter que tu sombres dans la tristesse. Tu étais la priorité de tout le monde. Et tu l'es toujours. Mais..

- Mais ?

- Mais - excusez-moi de devoir parler de moi - je n'arrivais pas à le faire comme ils le voulaient. Ils voulaient tous, même les psychiatres ( il adressa un regard mauvais à l'homme ) que je passe du temps avec toi, qu'on t'emmene ici et là et que tu vois que même sans ta maman la vie pouvait être belle. 

- Je le voulais aussi, avouai-je faiblement.

- Je sais, mais ta mère c'était la femme de ma vie. Je l'ai aimé pendant 15 ans. Moi aussi j'étais triste. Moi aussi je me suis sentie terriblement coupable.

- Non, c'est moi que vous considérez tous comme un coupable.

- Tu y crois encore ? S'égosilla mon père comme si c'était la chose la plus stupide du siècle.

- Peut-être bien.

- Personne n'est coupable hormis peut-être le chauffeur du camion qui a mal contrôlé son véhicule.

- C'est moi qui ne voulait pas rentrer à pied, elle est venue pour moi.

- Mais enfin Kuro tu t'entends ?

- Monsieur Nader-...

- Laissez-moi parler à mon fils c'est ma sécu' qui vous paye. Kuro, c'est complètement con.

Et je ne savais pas quoi dire, que rétorquer, parce qu'en fin de compte j'étais le seul à y croire, et que les preuves tangibles de ma culpabilité s'étaient évaporées.

- Mais tu ne parles même plus. Tu t'intéresses plus qu'à Len en cinq jours que moi en cinq ans !

- Pourquoi on a déménagé à tes 13 ans, après l'incident ?

Il poursuivit face à mon mutisme.

- Pourquoi on déménage souvent ? Pourquoi je te fais suivre nul part ? Pourquoi je fais comme si de rien n'était ? Pourquoi je m'énerve dès qu'on cherche la discussion ?

Et j'avais envie de lui dire : " Parce que t'es un gros con."

- Je ne sais pas quoi faire pour toi. Je ne sais pas comment réagir avec toi parce que les trois années qui ont suivi la mort de maman j'étais mal, je m'occupais plus de toi ou de moi, j'étais une épave. Et j'arrivais pas à me racheter. Quand j'ai su que des garçons t'avaient embêté pour tes scarifications j'ai réalisé à quel point je t'avais laissé tomber. J'avais fait une monstrueuse erreur et tu avais eu le temps de me détester.

- Tu... Je peux pas y croire.

- Tu as forcément du te sentir coupable de ton propre mal être, vouloir arrêter d'avoir toutes ces idées noires pour retrouver le courage de te racheter. J'essayais de t'aimer de loin, ça fait pire que mieux. Alors quand Len est arrivé, je me suis donné un nouveau départ. Parce que ce garçon a raison, je suis faible. Mais ce n'est pas parce que je n'ai pas su être le père que tout le monde voulait que je vais arrêter d'en être un. Et ce n'est pas parce que je n'ai pas eu la vie que je voulais que je vais arrêter de la vivre.

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