Kuro

-...Elle s'appelait Emma, déclarai-je d'un ton bas, lourd.

Le psychologue m'avait conseillé il y avait de ça quelques jours de reparler d'elle avec un tiers.

Ce n'était pas que je voulais éviter d'évoquer mon premier amour suicidaire, je n'avais juste trouver aucun moment pour l'évoquer.

Je vivais ma vie paisible entre les cours, mes amitiés avec Karim et Maxence, mon père qui faisait la gueule et ma tante souriante, et moi aux respirations ponctuées d'idées noires.

Avec Len c'était une tout autre vie.

Loin de là l'idée de dire que vivre avec lui était épineux et que chaque pas était dans l'angoisse de mettre un pied dans un piège à loup.

Mais Len n'avait pas paraphraser inutilement : L'aimer était difficile.

Sa vie était une boule de nœuds en barbelés que j'essayais comme je pouvais de démêler de mes propres mains.

Lorsque j'étais avec lui, il y avait toujours un problème, un nouveau noeud découvert.

C'était fatiguant.

Mais ces derniers temps, je sentais enfin mes efforts payer, l'espoir m'arrivait comme un torrent inépuisable, je croyais en lui comme je croyais en moi.

C'était sur qu'après un moment pareil, une épine allait surgir et me piquer de plein fouet. J'en était tellement certain que ses questions ne me surprenaient pas.

Je ne pouvais en parler qu'à Len de toute manière.

Je voulais qu'il sache tout de moi, qu'à un regard il sache comme je savais. Je voulais qu'il sache si un jour je n'étais plus moi-même, qu'entre un clone et moi il n'ait aucun doute.

Je voulais aussi qu'il apprenne chaque jour sur moi comme j'apprennais chaque jour sur lui.

Ne plus jamais faire l'erreur d'aimer aveuglément.

- Nous nous sommes séparés parce qu'elle le voulait depuis longtemps. Un couple à obsolescence programmée.

- Elle ne te méritait pas, cracha Len, se tortillant sur lui-même pour montrer sa colère.

- Oh, je crois que c'est moi qui ne fut pas à la hauteur.

Il lâcha un " pft " qui semblait vouloir tout dire de ce qu'il pensait. Je trouvais ça adorable, ce nouveau côté démonstratif encore un peu sur la réserve.

- Elle était suicidaire.

- Je ne comprends pas.

- Elle en était venu à un tel point de détresse que seule la mort lui semblait être l'ultime solution de se débarrasser de sa souffrance, de disparaître définitivement. Le plus horrible dans tout ça, c'est que ces mots ne viennent pas d'elle, mais de ses proches. Et moi je n'avais rien vu.

Il garda son expression renfrogné sans broncher, pas impacté par l'histoire.

- C'était il y a environ 1 an et demi. Je venais d'emménager, la routine allait se répéter : Rencontrer des gens, cours en plus pour être à leur niveau ou justement rien faire car j'en étais au delà, et puis repartir avec des tristes souvenirs.

- Et ? Demanda-t-il froidement.

- C'est ce qu'il s'est passé. Mais entre temps je suis tombé amoureux.

Len ramena ses genoux à sa poitrine, l'air aussi froid et renfermé que j'avais pu le connaître.

Jalousie ?

Osai-je m'interroger ; sauf que Len n'était pas quelqu'un de jaloux comme il avait si bien décrété à l'évocation d'Oliver.

J'ignorais bien ce qu'il le mettait dans un état pareil, cependant peu importe la raison, je le pris dans mes bras et embrassais son cou jusqu'au creux de ses omoplates.

- Crois-moi je ne l'ai pas aimé autant que toi.

- Foutaises.

- Et bien il se trouve que mon côté gay est bien plus sentimentale que mon côté hétéro.

- Alors pourquoi être triste ?

- Parce que je l'aimais quand même, avouai-je dans un triste sourire. Elle était plutôt introvertie, je l'ai rencontré via ses amies, puis un jour on a commencé à rentrer ensemble. C'était une fille passionnée d'art, c'est elle qui m'a mit à la peinture - même si j'ai arrêté depuis -. Sa vision de la vie était tellement belle.. comment j'aurais pu savoir qu'elle se coupait ainsi de la vie ? Comment savoir qu'elle s'excluait ainsi, qu'elle s'imaginait déjà morte ?

J'enfonçai ma face dans sa nuque, mes bras maintenaient la pression contre sa poitrine.

Je le voulais plus près, sentir sa présence au plus profond de son être, ne pas douter de son amour.

Faire taire pour toujours cette voix dans ma tête.

Coupable. Meurtrier. Détestable.

- J'aurais dû le savoir, j'étais son petit-ami. J'aurais dû l'empêcher de se suicider. J'aurais dû voir...

- Tu as dit que tout était prémédité. Tu n'aurais rien pu changer.

- C'est faux, gémis-je en frottant bien plus fort mon visage contre lui, j'aurais dû la rendre aussi heureuse qu'elle me rendait heureux, j'aurais dû la persuader qu'elle méritait de vivre...

- Je vois..

- Ce n'est pas qu'elle me manque. Car je sais que j'aurais dû la quitter.

À ses mots, Len se crispa. Je ne savais pas quoi faire, alors je continuai simplement.

- Mais j'aimerais la voir une dernière fois. Lui dire au revoir. Lui dire ce que je ne lui ai jamais dit. Qu'elle regrette. Et qu'elle sourisse.

- Va sur sa tombe.

- C'est bien trop loin.

Je lâchais un soupir pesant, dans une lutte de ne pas pleurer à trop regretter.

Len se leva, s'habilla d'un boxer noir et d'un de mes t-shirt - un large blanc avec un crâne fleuri - et se positionna à califourchon sur moi.

- Ta mère est morte, dit-il du ton le plus détaché qui soit.

- Oui.

- Va la voir, et demande-lui de passer le message. Je ne crois pas que les morts vont aux cieux, mais mes grands-parents adoptifs racontaient ce genre de choses.

- Si tu n'y crois pas ça ne me donne pas beaucoup de courage, admis-je dans un rire jaune, fuyant son regard intransigeant.

- Je crois en toi. Je crois que tu seras capable de transmettre ton message, de revenir vers moi et de me dire que tu vas arrêter de construire ta vie autour des morts mais des vivants.

- Je...

Sa voix était ferme, sans hésitation. Elle l'était toujours lorsque la situation devenait sérieuse, une voix implacable, des mots rudes et appuyés. Il semblait y avoir réfléchi des jours durant. Peut-être était-ce le cas.

Ça me déstabilisait toujours autant.

- Je déteste que tu t'apitoies ainsi sur ce que tu n'as pas fait avec une personne qui n'est plus là. Comme avec ta mère. C'est terminé maintenant, tu es avec moi. Avec Léa, ton père et ta tante. Avec Maxence et les autres. Cette Emma n'est plus là, réalise que cette partie de ta vie est finie.

- Je sais..

- Tu ne sais rien.

Je me laissais glisser comme une larve avachie, fatigué de ressasser ainsi tout ce passé tumultueux avec cette tête de noeud trop rationnelle.

Pourtant.. ses mots sonnaient d'une certaine vérité.

Je poussai un soupir, et invitai Len à me rejoindre dans les bras de Morphée, ce qu'il fit sans ciller.

- Tu ne sais pas grand chose non plus d'abord, contestai-je, arrachant un rire à celui que j'aimais.

* * *
Comme je l'avais promis, une fois les cours terminés nous avions rejoint mon père pour nous emmener chez un généraliste.

Exceptionnellement, j'avais prêté mon attention à chacun de ses faits et gestes toute la journée. Je ne pensais pas que ses journées se dessiner ainsi, aussi laborieuses alors qu'il semblait si organisationnel.

Les regards en biais, les silences bruyants, les murmures perfides qui traçaient son chemin jusqu'à l'entré du lycée.

C'était comme si le monde entier s'accordaient pour lui jeter une pierre, mais qu'elle ne faisait ni bruit ni trace.

Et Léa le voyait tout comme moi, et ne savait plus quoi faire. Elle qui luttait déjà à assumer être sa meilleure amie, à lui parler et passer son temps avec lui.

Qu'est-ce que je pourrais bien subir si le lycée apprenait que j'étais son petit-ami ?

Cette question avait trotté dans ma tête toute la journée.

Alors que Karl me lançait des regards torves dès que j'entrais dans son périmètre de sécurité - Alors que c'était lui qui m'avait frappé sans raison ! - qu'un Oliver qui n'avait fait que me tourner autour comme un vautour jusqu'à abandonner sous ses menaces avait lâcher du leste, et Célia qui me souriait à pleines dents mais des que les regards se taisaient, elle m'écrasait sous ses exigences " Donne moi des photos d'Oliver ", je ne faisais que penser au petit bout d'être qui supportait tout cela en permanence.

Je m'estimais chanceux déjà qu'Oliver ait abandonné bien vite - " Alors, ne t'avise plus de me résister, car ça pourrait très..très.. très mal se passer ".

Les cours se terminaient dans quelques jours, il allait quitter ce maudit lycée pour toujours.

Je n'avais eu qu'à le supporter deux mois..

- Monsieur Aishi, annonça le médecin en entrant furtivement dans la salle d'attente, me réveillant de ces maudites pensées.

Len me lança un regard qui voulait clairement dire " Je n'aurais pas dû accepter ton plan foireux " mais j'y croyais sincèrement.

Une fois que Len disparut derrière la porte du cabinet, mon père revint après sa cigarette.

Au début, ça me semblait évident de l'ignorer et de jouer à un jeu stupide sur mon portable.

Mais..

- Pourquoi accepter de dépenser de l'argent pour un adolescent que tu connais à peine alors que tu ne veux même pas me payer un psy' ? M'enquis-je de façon hautaine et désabusée. Ils sont remboursés par la sécu' en plus de ça.

- Tu veux rire ? Ces instituts sont des nids à fonctionnaires incompétents. Et si tu veux râler, tu n'avais qu'à pas me le demander, trancha mon père, occupé à vérifier son agenda pour les cinq prochaines heures.

- Eh bien oui ça me fait bien rire. En plus tu l'attends ?

- Je n'ai rien à faire.

- Tu n'es pas overbooker tu as trouvé du travail ici pour des logements sociaux, par pour le prochain palace de la Reine d'Angleterre, pestai-je sans même vouloir le regarder.

- Et donc ? Il se tourna vers moi.

- Et donc ce temps libre n'est pas exceptionnel. Tu aurais pu rester avec moi comme tu es entrain de le faire pour lui.

- C'est quoi cette jalousie ridicule Kuro ?

- Je ne suis pas jaloux, je sous-entend le fait que tu me fais chier, pestiférai-je, mon regard appuyé sur le sien.

- Si c'est pour être remercier ainsi, je m'en vais, déclara mon père en rangeant son portable dans sa poche.

- C'est ça, ignore-moi comme tu le fais si bien.

Il se leva, sans une once d'émotion - ou peut-être cette contrarié constante qui pesait sous ses yeux- et se dirigea vers la porte de sortie.

- Oh et, poursuivit-il dos à moi, Sacha trouve que Len est un merveilleux petit copain.

Il laissa paraître un sourire dans le reflet de la vitre, et partit.

Je me décomposais, virant sûrement par toutes les couleurs, bien accroché à ma chaise sous peine de tomber dans les pommes.

Cela était si évident que nous avions une telle relation ?

Je ravalai ma salive, quelques sueurs froides pour me secouer, et attendis Len les yeux exorbités.

Lorsqu'il sortit du cabinet, plusieurs documents en main, il faillit m'envoyer à mon tour chez le médecin en vue de mon état..

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