Kuro

- Toutes mes félicitations pour ton 15 au BAC ! Lança Sacha, la coupe de champagne brandit.

- Ce n'est que le BAC blanc, il n'y a rien d'officiel.

J'étais gêné de cette fête ridicule et improvisée.

- Chut, et bois ta flûte. 

Les résultats étaient arrivés, ce fut mon père qui les découvrit entre son journal et du courrier de son entreprise.

Je n'avais pas su sa réaction à la découverte de la mention " Bien " sur la feuille, je ne savais même pas s'il allait se joindre à nous aujourd'hui.

Je ne savais même pas s'il était fier ou si les faits divers de " La voix du Nord " lui importaient plus.

- Il est 14h, on est Samedi, et tu me demandes de boire du champagne qui doit bien coûter... J'inspectai la bouteille. 60 balles.

- Tu es en première, tu vas avoir 17 ans et tu as réussi ton BAC.

Je lui fis un regard, près à la corriger.

- BAC blanc. Bien sûr qu'il faut fêter ça, même entre nous. Et puis après tu pourras inviter exceptionnellement quelques copains. Y compris ce garçon blond, qui a l'air d'être proche de toi. C'est lui le garçon avec l'air un peu faible ?

- Euh.. Ouais. Je bus d'une traite mon verre.

- C'est vrai qu'il a l'air un peu tristounet. Elle se resservit un verre tout en se saisissant de son inséparable ordinateur portable. Il ne sourit pas beaucoup.

- Ouais, c'est vrai.

- Je vais te commander un gâteau, il me semble qu'une société de livraison à domicile fait de très bonnes pâtisseries. Ça te va ?

- Oui, merci.

- Tu peux appeler tes amis, je resterais sage ici en bas encore une heure ou deux. Histoire de faire semblant de vous surveiller.

- Merci.

J'embrassai sa joue, et partis dans ma chambre le temps de réfléchir aux invitations.

Mon père devait rentrer d'ici quelques heures, je ne savais pas si le mieux était de l'attendre en compagnie du champagne et de ma réussite, ou de me terrer dans ma chambre sans prendre le risque de me faire rejeter.

J'allumai du Likin Park et fermai les yeux.

Je repensais à toutes ces fois où mon père avait préféré m'ignorer que m'écouter, toutes ces fois où il monologuait sur ses propres problèmes devant les psychiatres sans avoir l'envie, à aucun moment, de me laisser entre leurs mains. Parce que ça lui coûtait trop, trop d'argent, de temps, trop de vie. Toutes ces fois où simplement rester à ses côtés lui faisait vivre un Enfer et il finissait par me reprocher d'être moi-même. Comme s'il avait honte.

Comme si j'avais tué sa femme.

Et alors, je reprenais mes esprits sur un mauvais souvenir encore, celui d'une fois sur le toit où j'étais certain encore d'avoir entendu cette accusation. " Tu as tué ta mère. "

Cette accusation qui me semblait vraie, une vérité écrasante, humiliante. Qui m'avait rongé jusqu'à laisser des marques sur ma peau.

Il n'avait rien compris, le pauvre, il n'avait fait que dire la vérité sans civilité.

Dans un méandre, je me mis à penser à lui. Ce pauvre garçon. Len.

Celui qui m'aidait à vivre, qui me permettait de vivre. Car même si les journées étaient somme toute identiques et me ramenait à la fatidique fatalité que je partirais, plus triste que jamais, avec toute la culpabilité du monde sur mon dos, c'était différent. Parce qu'il était là.

En pensant à ça, je repensais au rendez-vous avec ce drôle de psychologue je-m'en-foutiste qui m'avait reçu en début de semaine.

Ce quarantenaire chauve, plutôt ridé, avec sa veste grise à carreaux usée. Son petit bureau étriqué aux murs verts, ses tableaux psychédéliques et son énorme miroir qui devait en angoisser plus d'un.

J'avais accepté de le revoir.

On devait parler de trois choses, et une fois ces trois choses abordées, il me promettait de reléguer sa mission de " sauveteur " - Je répétais en ses termes - à Len. Qu'il avait qualifié de petit-ami contre mon gré.

Ces trois choses étaient :

Mes scarifications,

Mes parents,

Et Emma.

Pourquoi avais-je accepté ?

- Kuro ! Tu peux me dire combien de personnes vont venir ?! Il faut que je mette au courant ton père ! Me cria Sacha depuis le bas des escaliers.

- Euh... Ouais ! Attend !

Je me saisis de mon portable, et fixais de grands yeux ronds la liste de mes contacts.

Il y avait de vieux contacts que je devais supprimer. Et ma nouvelle petite liste de cette année.

J'envoyai un texto à environ tout le monde.

Maxence ne pouvait pas, sa grande famille s'était réunie pour festoyer.

Karim se préparait pour une soirée, il avait cité entre autre " Je dois baiser des meufs coûte que coûte. "

Célia m'avait répondu d'un gentil message avec un coeur qu'elle fêtait cela en petit comité.

Quelques autres comme Amaury ou Juliette se rendait à la même fête que Karim, ou comme Timoté, il fêtait ça en famille le temps d'un court après-midi.

Len ne m'avait pas répondu. J'avais osé lui proposer, même avec la possibilité que tous les autres viennent aussi. Mais au final, il n'avait pas répondu.

Une seule avait accepté l'invitation. La personne la plus improbable de ce répertoire : Léa.

- Sacha ?!

- Oui ?!

- Il y aura une personne !

- C'est tout ?!

- Oui !

* * *

- Bonjour, sosi de Niko. Elle leva sa main, l'air ennuyée.

- Qui est Niko ? Je la laissais entrer.

- Un gars qui te ressemble.

- Mais encore ?

Elle tendit son téléphone sur le mode appareil photo, pour que je puisse voir ma face.

- Regarde-toi et tu sauras tout, se moqua-t-elle.

Je pris une photo de mon doigt d'honneur, elle pesta, et ses insultes rencontrèrent ma tante.

- Enchantée, jeune fille.

- Ah, eum, bégaya Léa, enchantée de même.

- Je vous laisse aller dans ta chambre.

Ma tante me sourit et je suivis son conseil, traînant de force la petite Léa qui quémendait des excuses. Une fois franchis la porte de ma chambre, son numéro de râleuse professionnelle s'arrêta peu à peu.

- Comment ça se fait que je sois la seule à être venue ?

Elle s'écrasa sur mon lit, avec l'insouciance qu'on lui connaissait.

- Tout le monde est occupé. La vraie question est : Pourquoi toi tu ne l'es pas ?

- Je ne sais pas si je suis assez proche de toi pour te divulguer ma vie personnelle.

Elle me regarda de haut.
Je secouai la main, un sourire volontairement niais accroché aux lèvres, pour lui remémorer ce foutu pacte qui semblait à la fois ridicule et précieux.

- Très bien, soupira-t-elle. J'ai failli rentrer dans un hôpital, pour une hospitalisation complète, commença Léa, un ton consciencieux que je connaissais peu d'elle. Les médecins ont laissé à mon père un délais de deux semaines pour prévenir ma mère, pendant qu'ils reprendraient contact avec mon ancien psy. Sauf qu'au rendez vous médicale pour ma pré-admission, ils ont vu que j'avais prit 3 kilos. Disons que tout le monde pense que je prends du poids pour éviter les hospitalisations, et ils se mettent à penser pareil pour la dernière fois où j'avais repris du poids. Mon père me fait la gueule. Je n'ai personne avec qui fêter mon 16 au BAC blanc.

- Wouah, c'est la merde, pouffai-je.

- C'est le cas de le dire ! Elle rejoignit mon rire.

- Si tout le monde se trompe sur le fond de cette prise de poids, elle est liée à quoi du coup ?

Elle se redressa, face à moi, assis sur ma chaise de bureau. Ses yeux hésitaient à se poser sur ma personne, elle explorait mon bordel, l'air anxieuse.

- C'est vraiment stupide.. Finit-elle par lâcher.

- Tu fais pleins de choses stupides, mais prendre du poids pour te sauver la vie n'en fais pas partie.

- ... Vous.

- Comment ça " vous " ?

- Mais vous ! Len et toi. Peut être aussi un peu Thomas, et un peu Véronica. Ce pacte.

J'eus une mine satisfaite. Mon pacte était pour finir un bon choix, une bonne idée, une bonne chose. Plus que je n'avais oser l'espérer.

- Arrête avec cette vieille tête. Je tirai la langue suite à ses protestations. Oui, je l'avoue ! Ce pacte a su pénétrer en mon âme, et me convaincre que, peut-être bien qu'il faut que je me repose un peu plus sur les autres. Mais ! S'emporta la petite, ce sacrifice implique ma peur constante de ne pas être à la hauteur de votre amour.

- Arrête avec ce ton mélodramatique.

- C'est la seule façon pour moi de te l'exprimer !

Elle tendit une main vers moi, telle une grande comédienne.

- Len se préoccupe beaucoup de toi. Plus qu'il ne le laisse croire. Tu seras toujours à la hauteur pour lui. Et moi.. Je t'aime plutôt bien.

Son visage passa le temps d'un instant dans une peine émerveillée absolue, avant de retrouver ses traits narquois.

- Je te jure niveau mélodramatique tu es bien plus fort que moi. Ton côté fleur bleue fait ressortir les stéréotypes gays chez toi, fais attention. Encore un peu et tu porteras un sac à main arc-en-ciel.

- Très drôle. Et je ne suis pas gay.

- Oh non, c'est sur qu'un garçon qui aime un garçon c'est une sexualité qui dépasse notre monde. C'est quelque chose de galactique. C'est.. elle se leva sur mon lit, les jambes et bras écartés, l'homosexualité !

- Tais-toi !

Je détournai le regard, gêné.

- Oh crois-moi, ta gêne ne pas va cesser de monter avec moi. Laisse-moi être la meilleure amie qui donne des conseils ! Mh, j'aimerais être quelqu'un de moins cliché tout de même..

- Assieds-toi.

- Je connais tout sur tout ! Tu ne peux pas rêver mieux, je suis un dictionnaire de gay-attitude. La seule chose que je ne sais pas, c'est la sensation d'une sodomie, bien que j'ai lu des témoignages.

- Quoi ?!

- Quoi que vu les idées de Len, j'aurais bientôt un témoignage oral rien que pour moi.

- Quoi ?! Quelles idées ?!

Je la forçai à s'assoir, et cette folle se mit à rire dans des contorsions étranges.

La sonnette retentit dans toute la maison, et permit à Léa de se calmer. Je regardai: une heure était déjà passée.

- Des idées qui impliquent vous deux nus l'un contre l'autre, prononça cette vieille perverse, d'une voix qui se voulait sensuelle.

- Ça risque pas d'arriver...

J'essayai de dissimuler ma honte, le visage dans le creux de mes bras.

- T'en as pas envie ?

- C'est pas ça.. J'évitai de répondre à la question. Mes cicatrices...

Je vis en cachette son attention se porter sur mon corps ; lentement, ses mains se rapprochèrent de moi et elle retroussa mes manches.

- Hé !

- Tu te scarifie.

- Ces cicatrices, je remis correctement mes manches, représentent la douleur, ma douleur. C'est insupportable souvent, pour mon entourage, de les voir.

- Wouah, on devient proches ça me fait peur, ironisa-t-elle.

- Je me vois mal essayer quoi que ce soit dans ce genre avec de tels cicatrices.

- Quoi, alors tu vas plus baiser ?

- Si, mais dans le noir avec des inconnus, je suppose.

- T'es complètement chtarbé.

- C'est toi qui dit ça ?

- Je crois que je suis moi-même, ouais.

- Kuro !!! Hurla mon père, à ma plus grande surprise. Il était là. Je ne sus si je devais sourire ou angoisser. Descend immédiatement !!!

Angoisser me paraissait la bonne option.

Je m'éclipsai de la chambre, bien que Léa me suivit tout de même, et on croisa mon père et ma tante autour de la table, avec à leurs côtés... Len.

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