Kuro

Il riait. 

J'aimais son rire.

Cristallisé de larmes et de pluie, il virevoltait dans l'air orageux.

L'orage qui grondait au loin, n'était pas si puissant, si fracassant qu'une seule bribe de son rire.

Son rire aïgue, quelques notes coincées dans la trachée, il s'envolait un peu grisé dans le ciel.

Le ciel nuancé de pastels froides, avec le soleil incliné pour endormir la journée.

La journée qui fut bien longue à l'attendre, l'attendre lui, et sa palette d'émotions complexes.

Et la plus belle des émotions, je l'appris à travers ses traits, était bel et bien la joie.

Le rire.

Mais surtout,

Son rire.

- Ah, ah, je vois. Monsieur commence à faire du sarcasme. Mais de qui as-tu donc appris ? Marquai-je, sourcils arqués d'égo piqué.

- Certainement de Léa. Elle aime exagérer, et dire le contraire de ce qu'elle pense. Tout en étant passionné et cependant timide, et un peu froide aux premiers abords.

- Pourquoi tu me fais une putain de description de Léa ? Je démarrai le moteur, toujours un peu surpris et vexé de sa remarque.

- Ta question vient de me faire penser à une théorie.

Ses yeux dans le vague, il s'exprimait de manière claire. Un ton et des gestes de nouveau robotisés.

- Une théorie ? Carrément ?

- Si je ne suis pas vraiment humain, si je n'ai pas vraiment de personnalité, peut être que ma guérison sera le jour où j'aurais copié totalement la personnalité de quelqu'un d'autre. Et ce quelqu'un serait Léa.

- Sacré théorie.

Je souris d'un coin, lancé sur le chemin du cimetière le plus proche.

- Tu n'y crois pas ?

Il me porta toute son attention, dénué d'expression identifiable.

- Non. Si ta guérison serait la copie conforme du comportement de cette maudite princesse, je ne t'aimerais plus.

Il resta silencieux, perdu dans les méandres pensifs de "sa prison", ainsi qu'il décrivait son esprit.

- Comment tu sais que tu m'aimes ?

- Bonne question.

Je pris mon temps pour ne pas me louper. Pour lui offrir le plus doux poème qui soit. Mais ça n'existait pas vraiment chez moi, les beaux poèmes de métaphores.

- Et bien.. Tu me manques.

- Je ne comprends pas.

- Je me doute bien. Je soupirai. Tu me manques. Parce que chaque chose que je fais au quotidien me parait inutile et ennuyeuse sans toi. Tu me manques, même si tu es dans la même pièce que moi. Même lorsque tu es à mes côtés.

- Y'a-t-il un moment où je ne te manque pas ?

- Oui. Je sentis mes joues fondre de gêne pourpre. Quand tu m'embrasses. Et quand tu ris.

- Oh.

Il déforma son visage, comme la dernière fois, et je ne compris pas son émotion. Était-il anxieux ou embarrassé ? Peut être même dégoûté ?

- C'est douloureux. Tout de même. Se sentir en manque constamment.

- Un peu.

- Moi aussi. Moi aussi j'ai ça. J'ai mal. Et je me sens bien. Encore et encore. Alors... Je t'aime ?

Il était totalement déstabilisé. Son regard creusait dans le mien, peinait à trouver une explication à des sensations, des mots à poser sur des pensées éparpillées.

- Seul toi peu en juger, finis-je par répondre.

- Je vois.

Il hocha lentement la tête. Je l'avais de nouveau perdu, son âme ailleurs, bien loin de la voiture et de Chérie FM.

Je ne m'imaginais pas que trouver un cimetière en centre ville était si ardu.

Au plus rapide, passant par détours, virages et routes trouées.
Je ne voulais pas de ces cimetières modernes, l'entrée sécurisée, de solides barrières jumelées à de hautes haies, de ces tombes flambants neuves, reflet du soleil sur la pierre tombale, gravée d'un triste message en poudre d'or.

Alors j'avais cherché un beau cimetière révolu, tombes fissurées aux inscriptions effacées, fleurs fanées ou en plastique, et un vieil homme traînant sur un banc au loin, voisin d'un caveau.

Et je l'avais sous mes yeux.

Len mit un temps à sortir de sa transe d'un épouvantable silence.

Ses traits ne changeaient pas du passé, toujours figés dans la fatigue, l'anxiété imprécatoire, traits patibulaires. Sa voix enrouée ne crachait plus autant d'insultes et de mépris. Ses yeux gardaient leur aura effrayante, si significative de ce blond compliqué.

Je tapotai son épaule.
Il me regarda, démuni.

Il avait perdu la clé de sa cellule.

- Ours, cala-t-il entre deux souffles pénibles.

- Ok. Que va-t-il se passer maintenant ?

- Je ne sais pas ce que je ressens.

- Ce n'est pas ce que je demande.

- Je vais crier.

Je me détachai, et me tortillai comme un vers pour le prendre dans mes bras.
D'abord un toucher, puis une caresse, puis l'étreinte d'une force amoureuse.
Je ne voulais pas me rassurer.
Je ne voulais pas que sa douleur s'arrête.

Je voulais être là.

Il porta ses mains à ses oreilles, de terribles tremblements l'assaillir, et dans des mouvements ankylosés, il posa sa tête contre ma nuque pour hurler.

De monstrueux hurlements, à arracher gorge et tympans. Il criait. Il saignait ses cordes vocales. Se tuait.

Le cri était un remède. Un remède pour ceux sans larme. Pour ceux sans arme.

Tuait. S'aidait. Il criait.

Et ça n'avait semblait-il jamais de fin. Un éternel râle de douleur, un appel à l'aide aux cieux, qui ne ferait que résonner, faire écho à sa souffrance qui ne valait rien aux yeux du monde.

Je ne pouvais pas me permettre d'arrêter ce meurtre de voix, cet acte héroïque envers le coeur et l'esprit. Il fallait l'épuiser, racler toute la force de ses hurlements jusqu'à ce qu'il ne reste plus que lui. Plus que Len. Sans démon. Même durant une seconde.

Il s'arrêta, épuisé.

- Tu as encore mal ? Murmurai-je.

- Je ne sais pas.

- Allons marcher.

Il s'exécuta. On sortit tout deux de la voiture, - garée comme une couille, je n'avais pas de permis après tout - et nous dirigeâmes vers les grilles du cimetière. Il était parfait. J'étais fier de moi. Pour une fois.

Ça ne pouvait pas durer longtemps.

- On va par quel côté ? Demanda Len.

Je choisis un itinéraire, et dans notre silence si commun, on se balada entre morts et fleurs. Ça pouvait sonner glauque.

- Alors ? Débuta Len, d'un air mi-curieux, mi-détaché.

- Alors quoi ?

- Quels sont les secrets qui doivent être mis à coeur ouvert ? Tu sais, ceux dont tu te moquais toute à l'heure.

Une joie plissa ses lèvres en un croissant de Lune. C'était devenu presque naturel chez lui, de sourire lorsqu'il sentait le moment venu.

J'en souris à mon tour.

- Je ne pense pas avoir de secret encore. Avec toi, ça part comme des petits pains.

- Je vois. Je ne sais pas ce que c'est "moi", mais je vois.

- Et ton rendez vous avec ta mère alors ?

- Ça avance, je dois poster la lettre cette semaine.

- C'est drôle ça. De parler via des lettres.

- Je ne sais pas.

On poursuivit un bout de chemin en silence. Nous reprenions naturellement la conversation.

- Tu sais, je suis victime de nombreuses rumeurs.. Poursuivit Len d'une voix imperceptible.

- Comment ça ?

- Alors bien entendu, il ignora ma question, je suis au courant d'un peu tous les secrets au lycée. Il y en a un sur toi.

- Ah-Ah bon ?

Je ne savais plus sur quelle information me concentrer. Len décida à ma place.

- Oui. Tu n'as pas du le remarquer, Célia est la Reine de ce lycée et, traînant avec toi, elle ne doit pas ternir son image de gentille fille modèle.

- Arrête d'être si négatif envers Célia, je suis sûr qu'elle-...

- Tu aurais vu secrètement Oliver, articula Len d'un ton sec, rapide.

L'information mit un temps avant de monter au cerveau. En ces quelques secondes de vide cérébrale, Len avait continué la marche. Il ne m'attendit pas. Dieu seul savait ce qu'il se tramait dans sa tête, on ne pouvait jamais vraiment savoir. À apparaître insensible, il semblait parfois l'être réellement.
Puis je compris.

Len, le lycée entier, savait pour Oliver.

Mais que savaient-ils ?

Que pensaient-ils ?

Qu'étais-je à leurs yeux ?

- Oliver..

- Je ne sais pas ce que je ressens face à ça. Je ne sais vraiment pas.. Expliqua-t-il alors, dos à moi.

- Il ne se passe rien ! M'alarmai-je, accélérant le pas pour le rejoindre. Je ne sais pas ce qu'il se dit, mais c'est juste une connaissance ! Il.. Il..

- Je t'ai dit que je ne savais pas ce que je ressentais face à ça. Je ne sais pas, il faut que je vérifie dans mon carnet. Ça ne sert à rien de t'emporter.

Ses mots durcissaient au fur et à mesure des syllabes.

- Tu es peut être jaloux, en colère..

Je sentis la honte monter au visage, embarrassé de m'imaginer une telle réaction.

- Non. Enfin, je ne sais pas. Je ne voulais pas de cette situation en évoquant cette rumeur. Je voulais être comme toi. Je n'y arrive jamais. C'est tout le temps bizarre avec moi. Pourtant je parle là. Je parle. Je ne me tais plus.

Il enchaînait frénétiquement, ses yeux se jetaient sur les tombes en simultané de ses mots, qui pleuvaient des méli-mélo d'émotions, de pensées.

- C'est vrai, repris-je, de manière plus calme. Je vois Oliver. Je l'ai vu plusieurs fois. Il est juste odieux et méprisable, comme on pouvait s'y attendre. Et je ne compte plus le revoir.

- D'accord. Je ne pus comprendre quelle émotion avait-il soufflé.

Je pensais sincèrement que la sortie avait foiré.

Après tout, entre nous, foutus cas exécrables, il y avait peu de chance de passer juste d'agréables moments.
Il fallait toujours ramener ça à un état d'âme, un problème, un mal être.
Était-ce le signe irréfutable que notre relation était vouée à l'échec, un mauvais choix prit à l'arrache sur un vent un peu trop froid ?

Pourtant, en voyant son rire et sa joie resplendirent ainsi, entendre ses sentiments enfouis dans une prison coupée du monde, je me disais : Non.
Non, ce n'était pas inutile.
Non, je n'était pas inutile.

Lorsque j'avais vu Léa se détruire à espérer une forme d'affection, des mots d'une sincérité dévouée, je me disais que Len avait avancé.

Lorsqu'il me semblait avoir vu Karl s'indigner de la solitude émotionnelle du blond, je me disais que j'étais quelqu'un.

Lorsque j'avais aperçu Rose se tordre le visage à constater son frère dans un tel dénis, à hurler, à ne jamais s'exprimer, je me disais que j'apportais quelque chose.

Lorsque j'avais constaté la haine, le mépris de Meiko, je me disais être un nouvel espoir à ce quotidien.

J'étais peut être l'élément manquant de toute une vie.

J'avais espérer rencontrer le prince charmant, vaillant et aimant, qui sauve des torpeurs les jeunes adolescents aux troubles anxio-dépressifs comme moi.

Finalement, je me retrouvais dans ce rôle.

Étais-je fait pour le rôle du héros ?

La réponse me semblait pourtant être évidente.

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