Kuro

Nous partions donc en direction du métro, un paquet de bonbons en main pour grignoter. 

Len semblait angoissé à l'idée de briser son cercle routinier. Je n'y avais pas pensé, jusqu'à voir ses traits crispés, les yeux flous de larmes : J'émiettais au fur et à mesure le quotidien monotone de Len, sans qu'il ne s'y oppose vraiment.
Il avait bien manifesté sa peur au début par des insultes ou comportements agressifs, mais le baiser ou même notre câlin en Février n'avait eu aucune véritable conséquence néfaste.
Ce n'était que moi, mauvais esprit difforme, qui m'était enchaîné seul, de gré ou non, à ce mal.

Peut être ne voyais-je pas le centre du problème. Peut être que le mal existait depuis le début, au fond, tout au fond du coeur de mon amoureux.

- Alors pour atteindre ce monde sans loi, commença Len, la bouche pleine de bonbons, on doit prendre le métro ?

- Exactement. Ça va aller ? J'adoucis ma voix.

- Oui.

Il expulsa sa réponse, la respiration courte, alors que le monde s'amassait autour de nous dans l'escalier. La sangle de son sac devint la victime de son stress.

- C'est quand la dernière fois que tu as pris le métro ? Demandai-je, arrivé dans le hall.

- Je n'ai jamais prit le métro.

Il jetait des regards paniqués à la foule, ses jointures blanchirent tant il serrait son sac dans le but vain de se calmer.

- Ah... Désolé... J'avais la sensation d'absorber son stress. Je pensais que...

Len me regarda. Je fis de même.

Il grimaça, comme pour effectuer une tâche douloureuse ou impraticable, et passa par plusieurs phases d'émotions étranges. Le métro avait eu le temps d'arriver.
La masse s'infiltra entre les portes, et dans la bousculade, je sentis une main m'agripper.
Assez fragile, assez moite et tremblante pour la reconnaître.

Nos doigts restèrent attachés, comme unique moyen de survie au métro lillois.

Moi, ça allait. Enfin, c'était relatif.

Je tenais la main d'un garçon, qui enclenchait des milliards d'hormones et une précipitation de bonds cardiaques, dans une rame de métro à heure populaire. C'était stressant, embarrassant, je ne savais pas si c'était vraiment agréable de lui tenir la main en public.

J'avais amené une personne fragile autant physiquement que psychologiquement dans un métro, à la foule abondante, sans repère ni moyen de se cacher. Qui plus est, elle était sujette aux attaques de panique, ainsi qu'aux regards des autres.

À vrai dire, moi aussi j'étais sensible à cet enfant qui me fixait de ses yeux soucoupes, de cette mère exaspérée, de cet homme aux jugements appuyés, de cette adolescente intriguée par un Len presque mort.

Je me demandais si, finalement, je n'aurais pas dû le laisser tranquille...

Quoi que je faisais, le résultat resterait-il identique ?

Gâcher la vie des autres, gâcher ma propre chance d'être aimé et entouré. Ce pacte n'avait sans doute aucune importance, mon optimisme, mon espoir renaissant n'avait aucune valeur.
Je n'étais pas différent. Revenu au point de départ dans cette gare.

- Kuro, c'est le Terminus, signala Len, un peu plus apaisé sans le monde développé.

- Ah euh, oui, descendons.

J'entamai la marche, déchiré entre mon initiative à être positif, et ma réalité.

Je ne supportais pas ce rôle.

- Tu es vraiment resté 1 heure à m'attendre ? Questionna Len, goinfré de confiseries.

- Mh.

- Ça t'as pas embêté ? Je veux dire.. Eum.. Faire... Et bien...

- Laisse tomber, c'est pas grave.

Je vérifiai le plan, puis montai pour rejoindre la sortie du métro. Je passai devant une presse, puis un café qui me fit penser à notre vulgaire goûter. Les bonbons ne nourrissait pas.

- Suis-moi, dis-je, entrant dans le petit café.

J'examinai les pâtisseries derrière la vitrine, déjà impatient devant un brownie ou un tiramisu.
L'endroit n'était pas très plein, alors je déduisis qu'il devait plaire à Len.

- Len, tu veux un gâteau ?

Sans réponse, je me tournai vers lui.

Il n'était pas là.

Je me redressai, l'organisme en apnée, à chercher désespérément d'un pauvre regard.

- Len ?

J'inspectai au loin les tables, aucune occupé par le blondinet, et sortis d'une foulé meurtrie. Je n'allais certainement pas supporter la douleur qui se balançait sur mes veines.

- Len ?!

Et voilà que ça recommençait. Encore. Encore. Chaque seconde était un pas, un centimètre plus loin de lui, l'ouverture d'une nouvelle plaie. Ça ne pouvait pas encore se produire.

- Len...

Quel était le but de tout ça ? La leçon a en tenir ? Pourquoi la vie s'échinait à répéter ses mêmes atrocités ? N'avais-je pas assez payé ? Pourquoi il fallait que l'on me prenne chaque chose unique ? Qu'avais-je fait bon sang pour mériter cela ?!

- Len !

Mon coeur fut libérer enfin. Toutes les interrogations palpitantes flambèrent dans le soulagement, et l'angoisse encore sensible glissa jusqu'à mon estomac.

Je courrus vers lui, dans une détresse qui déclinait au fil de son expression figée.

Il était en bas de l'escalator, ivre de peur, sans que personne ne remarque son être désespéré. Même moi n'avait rien vu.

- Len, je suis tellement désolé ! Je.. Je me déteste vraiment de ne pas avoir fait attention à toi ! Je le pris dans mes bras sans réfléchir, et le lâchai immédiatement après. Désolé, je sais pas comment me faire pardonner...

- Tu me forces à te suivre pour me laisser tomber comme une merde. Tu vaux pas mieux que les autres, clama Len, le regard noir, si noir qu'on aurait cru empoisonné.

- Non, Len, désolé...

J'allais pleurer, j'avais mal au ventre, je me sentais partir, j'avais tout gâché.

- Ton désolé est aussi pitoyable que toi.

Il se détacha de moi, froid et impassible, pris la sortie la plus proche.

Non, non, non, non, non, non, non...

C'était pas possible, pas encore, non, pourquoi rien ne pouvait se passer comme prévu ? Avais-je au moins de quoi me lier aux gens ? N'avais-je que de la pitié à accorder aux gens ? N'avais-je vraiment rien d'autre que du malheur à leur offrir ?

J'avais mal. Insupportable. Ça devait partir. Insoutenable. Maintenant. Horrible. Mal. Partir. Va-t-en.

- Kuro, arrête ! Ça suffit maintenant, tu fais chier !



L'inconnu prit mon bras mou, dénué de force, et s'engagea dans un petit café. Le petit café chaleureux, sage de toute malveillance. La vendeuse était belle, cheveux roux et corps de Reine, elle accueillait les clients d'un beau sourire.
Je ne sentais plus mes bras, l'inconnu les contrôlait et j'avais beau résister, la vision floue m'handicapait.
On s'assit dans un coin, personne aux alentours, juste moi les bras ballant, et lui la silhouette invisible.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Questionna-t-il.

Ses cheveux blonds, fins comme des fils d'or blanc, pendaient sur son visage, attachés en une queue haute. Ils devaient être d'une douceur incroyable, ce fut ma première pensée.

- Je suis là maintenant, alors parle, provoque pas mon angoisse.

Sa peau pâle, pâle à en effrayer, pâle à en faire jalouser la Lune, pâle comme la lueur nocturne. Elle m'impressionnait.

- Tu... Désolé...

Je sentais ma voix se fendre alors que les larmes s'accumulaient, et ses yeux, ses grands yeux bleus d'un océan implacable, me submergèrent de beauté, d'une réalité. Je me réveillais. J'avais Len avec mes côtés.

- Je suis resté pour toi, Kuro.

- Len... Je me suis fait mal aux bras...

- Je sais.

- Je... Je voulais pas que tu partes à cause de moi..

- Je suis parti parce que je n'arrive pas à discuter. Mais je tiens trop à toi.

- C'est marrant... Je souris malgré les larmes. Je voulais t'emmener ici il y a cinq minutes.

- Ce n'est pas marrant.

- Je sais, mais c'est la coïncidence de la situation.

Je voyais bien qu'il n'était pas d'humeur à être compréhensif. J'expirai tout l'air impur contenu dans mes poumons.

- Ça ne me fait pas plaisir d'être dans ce café avec toi. D'ailleurs, ce monde sans loi est vachement pourri.

Un poing d'amertume frappa ma poitrine. L'estomac lacéré et la poitrine violentée, je crus vomir d'émotions intenses. Je n'avais rien. Pas même l'auto-mutilation. Pas même mes acquis. J'étais simplement face à ma plus grande hantise sans rien pour l'éviter : La peur de l'abandon.

- Je ne sais pas trop quoi faire, comment étendre la conversation.

- Tu veux parler de quoi ? Murmurai-je, à peine rétabli.

- Tes cicatrices.

- Tu les as vu.

- Oui.

Sans trop savoir pourquoi - Certainement par réflexe - Je remis les manches de mon gilet correctement. Len poussa un soupir dédaigneux.

- Tu te les ais toutes infligé ? Débuta Len, d'un sérieux glacial.

- Oui.

- Il n'y en a que sur tes avant-bras ?

- Non.

- Où ?

- Mes bras.

- C'est tout ?

- Non.

- Dis-moi tout.

Je ravalai ma salive avec difficulté. Quand était-ce la dernière fois que j'avais évoqué ça ? Avec le médecin des urgences si je me souvenais bien. Mais même avec elle, je ne faisais que prendre un air détaché, comme si les scarifications étaient un tremplin, une exception, ma perle rare.
Avec Len, c'était tout à fait différent.

J'avais honte. J'avais peur. Ce n'était plus une victoire de se tailler les veines. C'était un fardeau, un cauchemar.
Le monstre révélait sa véritable nature à travers ses yeux bleus : C'était une maladie.

- Len...

- Non, répond-moi Kuro, je ne veux pas une de tes phrases mélodramatiques.

- Je-Je te répondrais mais... J'essayais de pleurer silencieusement. Mais ne pars plus...

Se devenu aussi incontrôlable que de respirer. Mes poumons enchaînaient expirations et spasmes alors que mes yeux, brouillés, suppliaient Len d'un air déchu.

Les mains squelettiques de l'inconnu connu se crispèrent, son corps se souleva, ses lèvres d'une finesse exemplaire se rapprochèrent, près, si près que je ne voyais que ça, ne pensait que ça. Je me mis à vivre pour ses lèvres blafardes.

Il m'avait embrasser. En public.

Mon sang fit un triple tour, chaque système chauffa, sifflèrent, je devins  d'un tas de larmes un volcan de honte et d'amour.

- L-Len ça va pas ?! On est en public enfin c'est..! Pas comme ça !

- Tu es tout rouge. Il ne put s'empêcher de lâcher un rire.

- Je..

Je plongeai mon visage au creux de mes bras, honteux.

- Je voulais juste... Quand on s'embrasse on est heureux, j'en déduis que ça déclenche du bonheur.

- Oui, c'est vrai que dit comme ça...

Il était adorable à sa manière de pensée, pur d'émotion.

- Mais, c'est pas encore très clair nous deux...

J'étais de plus en plus hésitant à vouloir parler avec lui. Celui qui me mettait face à mes plus grands dilemmes.

- Pourtant, tu m'avais dit que nous étions un couple. Et un couple a le droit de s'embrasser. Tu le fais même tout le temps sur le toit. Son intonation tanguait entre le sec et le doux.

- Oui mais... On n'est pas... Comme tout le monde.

- C'est parce que je suis malade ? Tiqua Len.

- Non, ça c'est encore autre chose mais... Deux garçons. C'est pas juste... Un couple. C'est des remises en question.

- La seule chose qui devrait être remis en question c'est ta dépendance à la douleur, trancha Len, sur le point de partir. C'est peut être même la raison qui t'a poussé à m'aimer. Tu aimes avoir mal...

- Non, absolument pas !

Mon regard croisa celle de la vendeuse. Celle-ci fut tout de suite moins accueillante.

- Je ne comprends rien à ce qu'il se passe autour de moi. Je ne sais même pas quelle question poser pour comprendre. Je ne saisis pas pourquoi les autres agissent ainsi, pourquoi mes actes contredisent mes paroles. J'aimerais juste...

Len ne s'autorisa plus à parler dès cet instant.
Nous nous étions fixé d'un oeil embarrassé, reclus dans nos carapaces d'imaginaires satisfaisants.

Je préférais me dire que le silence était la meilleure option à adopter en vue de mon talent pour détruire. Len devait penser une chose similaire. C'était inconcevable de se bercer dans de tels mensonges, cependant, c'était juste plus simple.

- Il y en a sur les cuisses, les hanches et quelques unes sur les mollets. Elles datent d'entre 1 semaine et 3 ans. Aucune d'entre elles n'est causée par un autre. Je ne me suis jamais scarifié pour quelqu'un, ou à cause de quelqu'un. Toutes ces cicatrices, c'est moi. Juste moi. C'est pour ça qu'elles sont mieux cachées, même si elles attirent de la compassion. C'est pour ça qu'elles sont indispensables. Je me suis construit avec, elles font parties de moi. Sans elles, je ne sais pas si j'ai vraiment de la valeur.

Il était resté muet, accroché à mes mots. Il mit un temps à remuer les mots dans son esprit, à en capter toutes les sonorités. C'était étrange de le voir dans une telle réflexion. Il était... Beau.

- Agathokakologique signifie à la fois le bien et le mal. J'aime ce mot, j'aime me définir ainsi. C'est la première fois que je croise un mot qui reflète parfaitement sa définition dans sa prononciation.

Il sourit fièrement, tant que ce fut irrésistible, tant que j'eus envie de le féliciter par un baiser. Mais ce n'était pas de mon ressort.

- Foutu gay effrayant. Je ris aux éclats, personne, ni la vendeuse ni Len, ne comprit cela.

C'était juste... Du bonheur.

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