Kuro
Une semaine après le pacte.
Le cours terminé, j'évitai le rassemblement du groupe autour de la table de Célia, le regard porté à la silhouette vacillante de Len.
Impossible de comprendre cette force à supporter les rires moqueurs des filles, ou la supériorité idiotes que tous portaient à certaines catégories de personnes.
Je ne savais même pas en quoi, selon eux, j'avais plus de mérite que Len.
Je voyais bien depuis quelques temps les oeillades interrogatives de Maxence sur ma personne. Mais tant qu'il ne me posait pas de question, j'ignorais cela.
Je suivis donc l'ombre blonde au loin, incapable de courir tant les élèves s'amassaient pour rejoindre leur salle de classe, ou sortir.
Puis vint ce connard de portique en fer blanc.
Je m'accroupis, et passai ma tête en premier, mon torse rappa sur les marches de l'escalier, mes coudes tapèrent sur le carrelage, il fallait tirer pour faire passer mon ventre et mes fesses sans heurter mon entre-jambe, enfin, mes genoux meurtris pour me relever, je pouvais accéder à la lourde porte.
INTERDIT était l'interdiction la moins respecter de ce bas monde.
Contre le grillage, somnolait un petit adolescent envoûté de musique. Le vent balayait les mèches de ses yeux, son air paisible me réconfortait toujours. J'essayais maladroitement de me faire discret, pour admirer un maximum ce calme endormir ses traits, mais je finissais trahi, et Len ouvrait les yeux.
- Te voilà. T'étais plus long que d'habitude, balança Len d'un ton sec.
- Désolé, y'avais des bouchons.
Je m'assis à sa hauteur avant de l'embrasser.
Nos lèvres s'effleurèrent doucement, le temps d'apprendre à se toucher, à apprécier ce contact intime. Len poussa un infime gémissement, encore surpris de ce geste et de ses propres réactions corporelles. Je souris, le visage bouillant, puis m'assis à ses côtés. Le vent sifflait dans le grillage.
- Tu vas y aller ? Demanda Len.
- Où ça ?
- L'anniversaire de Célia.
- Annabelle a fêté son anniversaire la semaine dernière et personne n'en a parlé. Pourquoi celui de Célia aurait-il plus d'importance ?
- Parce que c'est Célia.
- C'est bête comme raison ! M'écriai-je.
Len restait vouté, complètement écrasé par un manque de confiance, peut être de la peur, ou bien la puissante masse qu'était sa maladie. Quelque chose d'assez massif pour le casser en deux.
- Pourquoi tu es au courant et pas moi ?
- J'ai reçu une invitation. Il sortit un papier carton noir. Enfin, on me l'a balancé mais c'est pareil.
- Quoi ?
Len évita mes lacunes, et me donna l'invitation. C'était bien trop sophistiqué pour une simple invitation d'anniversaire, 17 ans célébré dans une grande maison alcoolisée et puante.
- Peut être que je serais pas invité. Je lui tendis le carton, il ne le prit pas.
- Tu le seras, tu restais souvent avec elle et les autres. Et Maxence a été invité.
- Toi, tu y vas ?
- Non.
Je jetai l'invitation dans les airs, elle s'envola jusqu'à heurter un conduit d'aération.
- Pourquoi j'irais là bas si tu n'y ai pas ?
- Pour t'amuser. On fait ça à une fête, non ?
- Ouais.. Je suis pas convaincu.
J'attrapai le silence flottant pour réfléchir, tandis que Len se terrait dans ses idées.
Est-ce que Len m'aimait vraiment ? Est-ce que tous ces changements étaient réels ou juste un moyen de parfaire une courte période de relâche ? Peut être n'avais-je rien accompli. Je ne trouvais toujours pas de réponse, un vide dans l'angoisse.
- Merci.
Len se tourna vers moi à mon remerciement.
- Merci d'avoir été là, la dernière fois.
En rentrant chez moi, face à mon hideux démon scarifié, je ne savais que faire. Oliver m'avait retourné l'esprit, je me détestais d'être si stupide, d'avoir cru à mon intelligence. J'étais gorgé de remords.
Je voulais me punir.
Mais j'avais changé. J'avais Len désormais.
- Je n'ai rien fait, répondit-il.
- Tu as dit que tu tenais à moi. Avec tes mots.
- J'ai à peine parlé.
- Roh. Je le grondai des yeux avant de rire.
Je m'étais empressé alors sur mon téléphone, j'avais imaginé tous les scénarios possibles à l'idée de l'appeler. Je l'avais fait malgré ça. Je voulais continuer sur cette piste fleurie.
Je lui avais expliqué que je n'allais pas très bien, que je méritais de crever, de souffrir pour pouvoir rester dans ce monde.
Sa voix s'était serrée, il avait murmuré un "Je suis là" avant un silence mortuaire. Effectivement, il était là. Nous étions resté silencieux, à écouter chacun le souffle de l'autre, ça m'avait apaisé d'être ainsi durant une bonne heure. Je l'avais remercié, heureux, puis il avait raccroché.
- Cette pause est beaucoup trop courte. Surtout que le prof d'après n'est jamais absent, remarqua Len, perdu entre le ciel et mes doigts.
- Parle pour toi. Mes cours de l'aprem ne semblent jamais vouloir participer. Je crois qu'ils sont bénévoles ailleurs alors ils sont souvent en retard.
- Pourquoi les profs d'un lycée privé seraient bénévoles où que ce soit ?
- Le principal est peut être un fils de pute qui supprime les cours du soir pour l'argent, mais pas les professeurs.
- Ce principal ne s'est presque jamais montré en public.
- Il a honte d'être aussi avare et hypocrite.
- En quoi serait-il hypocrite ?
- Je ne sais pas. Ça sonnait bien.
On continua à discuter de ce principal fantôme jusqu'à la sonnerie.
Nos conversations avaient autant d'utilité qu'un crayon de couleur blanc, et elles se résumaient à des choses bêtes comme ce genre de sujet. Ce n'était pas important. Entendre nos voix suffisait.
* * *
Plusieurs jours plus tard, devant une étroite façade sombre, de grands vitraux lugubres s'allongeaient sur la structure en briques, des lierres la disjoindre.
Maxence me jeta un regard faussement effrayé par cette maison, comme une crevasse dans le faubourg éclatant. Je mimai des frissons en guise de réponse, puis sonnai.
Une vieille dame passa devant nous, considéra la bâtisse comme une ode à la perversion. C'était effectivement ironique de constater le siège d'une association pour les malades à quelques pas du domicile d'une jeune adolescente riche et populaire.
- Pourquoi sommes-nous venus ?
- Y'aura de l'alcool et des cigarettes gratuit ?
- J'avais oublié.
Célia nous ouvrit, épuisée. Ses cheveux ondulés collaient à sa peau, luisante, son maquillage coulait misérablement, son débardeur bleu marine de travers, dévoilant un faux tatouage au marqueur sur le sein gauche.
Elle sourit comme si elle ressemblait à Cendrillon. Avant sa transformation.
- Maxence, Kuro ! Tout le monde vous attendait ! S'écria-t-elle, avant d'empoigner mon bras et de me tirer à l'intérieur.
- Tout le monde ? Pourtant on est pas en retard, marqua Maxence, qui essayait de suivre la course de Célia.
- Non, c'est tout le monde qui est à l'avance.
Elle s'arrêta devant la porte qui donnait sur la salle à manger.
- Renvoie-les chez eux, conclus-je simplement, le regard posé sur une Célia sur le point de s'effondrer.
- Je ne peux pas, soupira-t-elle.
- Pourquoi ?
- Bon moi je me casse ! Cria Maxence promptement, entrant dans le royaume d'alcool et de drogue.
- Bonne soirée.
Elle força un sourire et s'écroula sur une marche d'escalier. Son corps était une larve, une ficelle visqueuse qui s'écrasait sur le sol, un invertébré.
- Tu ne viens pas ?
- Bien-sûr que si. J'ai juste besoin de souffler un peu. Une fête comme celle-là, mon année scolaire se joue.
- Et pourquoi ça ?
Je pouvais comprendre que fêter son anniversaire en étant à la fois populaire et plutôt fortunée était une épreuve pour prouver sa valeur, voire sa perfection. Mais était-ce vraiment un enjeux si éreintant que ça ?
- Chez moi, on doit être irréprochable. Pas de dégâts, pas de mauvais état, pas de perte de contrôle. Je dois manipuler, et laisser les autres... elle hésita un instant puis craqua en un sourire, ...être manipulables.
- C'est l'alcool qui te fait délirer ou le pouvoir est monté à la tête de tout le monde dans ce lycée ?
- Que tu es stupide, rit-elle. Tu crois vraiment que n'importe quel puceau pété de tunes peu se prétendre manipuler des dizaines de lycéens ?
Je glissai un rire perturbé.
- La réponse est non.
Elle essaya en vain de se recoiffer.
- Moi je te trouve vachement culottée de prétendre manipuler les gens. Tu es juste... je la dévisageai, une sorte de jolie poupée baisable à qui tout le monde dit oui.
Elle se releva d'un air narquois, lança ses cheveux derrière ses épaules, dans une manière hautaine et vulgaire, elle s'illumina.
- Si j'étais juste un morceau de chair baisable capricieux, je n'aurais même pas la conscience de posséder la raison de toutes les personnes ici présente. Je n'aurais même pas eu l'idée de faire cette fête dans le but de renforcer mon pouvoir. Je serais déjà nue, violée dans une chambre, comme Céline ou Annabelle.
- Tu déconnes ?
- Sûrement pas. Elle attacha ses longs cheveux en un vulgaire chignon.
- Pourquoi me dire ça à moi ? Pourquoi ne pas garder ton plan machiavélique pour toi ? Ironisai-je.
- Mais parce que tout le monde a conscience de la situation, mon chéri.
- Ne m'appelle pas mon chéri, tu fais pitié.
- Ok, mon chéri.
Elle sourit.
- Enfin, ne garde pas mon " plan machiavélique " en tête, sinon tu vas devenir un complotiste déchaîné. Dis-toi plutôt que tu pourras toujours te reposer sur la jolie poupée baisable lorsque le monde de ce lycée s'écroulera sur toi.
Elle me tira un regard incendiaire, puis sortit un miroir de poche de son jean blanc moulant.
- Mon Dieu quelle tête.
- Tu as la même tête que d'habitude.
Elle me fixa, outrée.
- C'était censé être rassurant, m'expliquai-je, embarrassé.
Je regardai à travers la vitre teintée les autres danser et rire à se contorsionner les muscles. Leur silhouette se déformaient, ne laissant qu'apparaître un tas de vies débauchées. J'assistai à la scène aux côtés de Célia, tous deux debout dans l'étendu couloir.
- Je vais me changer. Il faudrait mieux que tu t'en ailles, sinon tu seras dans la friendzone~, fredonna la brune, sûrement par sarcasme.
- Pitié, ce serait un honneur de dissoudre toute tension sexuelle entre nous.
- Pff !
Célia ôta alors son débardeur, prit quelques mouchoirs pour rembourrer son soutien-gorge, s'empara d'une veste, puis, dans des gestes maîtrisés, arracha son jean blanc pour qu'il n'en reste qu'un short ficelé.
- Il est temps d'y aller, annonça-t-elle, d'un ton beaucoup trop déterminé. Elle n'allait pas combattre.
- On se retrouve dans deux heures, entre les gens bourrés.
- Bonne soirée.
- Bon anniversaire.
L'honoré du jour ouvrit la porte, et fit sa grandiose entrée.
Les invités étaient amassés dans un tas de sueur, se frottant et dansant dans des mouvements désordonnés sur une chanson similaire à de la pop/rock commerciale. Les verres s'échangeaient, les bouteilles et les petits gâteaux diminuaient à grande vitesse. Quelques couples disparaissent dans des pièces pour faire ce qu'ils avaient à faire.
Célia se fondit dans la masse, voguait entre les gens, et ses lèvres murmuraient au loin des mots inaudibles.
Moi, je rejoignis Maxence et Karim, spectateurs de la scène.
Ce n'était pas un anniversaire.
C'était un labyrinthe dans lequel on venait se perdre, oublier.
Oublier notre existence, notre avenir, nos efforts à vivre. Oublier Célia.
Car c'était cette reine éphémère qui manipulait nos envies, nos valeurs, notre désir.
Elle avait putain de raison.
Célia gouvernait.
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