BONUS #1 : KARL

Je ne suis rien.
Je n'ai rien fait.
Ma vie n'en changerait probablement aucune.
La seule chose dont je peux être sûr, c'est que je ne suis pas un héros.

Je suis juste Karl.

Le menteur de l'histoire.

* * *
Ce n'est pas comme si nous ne naissions pas tous menteurs.

Dès le plus jeune âge, le cerveau humain entreprend maintes expériences à but de personnalité. Si je mens, vais-je être mauvais ou bonté incarné ?
C'est à cet instant que plusieurs camps se forment, c'est à cet instant, où je démentais ma faute pour le papier peint arraché sur les murs, que j'allais rentré dans un camp.

- Il faut toujours dire la vérité, car sinon : elle t'explose en pleine face.

M'avait sermonné ma mère, agenouillée à mes un mètre cinq.

Je ne crois pas qu'à cet âge j'avais saisi ce principe, mais que quelque chose m'explose au visage, ça, je ne le voulais vraiment pas.

À cet âge, j'ignorais que tout un tas de vérité pouvait exploser, sans que je sois fautif.

Normalement : Tu commets la faute ; Tu as une punition, négociée à la mesure de ton crime.

Ce n'était qu'une fausse normalité. La normalité est fausse en général.

Je suis donc rentré dans le camp des menteurs à but lucratif.

Comme beaucoup. Rien de bien extraordinaire.

En même temps, je ne le suis pas.

Extraordinaire.

Je peux déformer le terme, dire que je suis une puissance dix de l'ordinaire. Juste pour accepter de me nommer ainsi.

Mais je suis Karl.

Juste normal.

La normalité est fausse en général.

* * *

- Tu peux m'expliquer ces notes ?! Crie mon père.

- Doucement chéri, il fait de son mieux, tente ma mère, une main sur le bras tremblant de colère de mon père.

Je souris presque à cette vision. Que c'est.. Normal.

- Je l'inscris dans une école privée, et voilà ce qu'il me ramène ! Des contrôles tous plus ratés les uns que les autres !

La conclusion est prévisible.

Étendre cet ordre à de longs cris insensés, vainement apaisés par ma mère, les yeux écarquillés d'une petite soeur mal cachée dans les escaliers pour résumer cette scène, et moi, impassible, blasé.

Je dois travailler d'arrache-pied pour obtenir une place convenable dans le classement de classe.

Le lycée. Tiens, ça, pour le coup c'est une belle normalité, mouchetée comme un ciel de nuit de vérités explosives.

Chaque matin, je me lève entre 6h et 8h, pour prendre le métro et me rendre à quelques mètres du grand bâtiment aux surfaces boisées, fenêtré à l'excès, entouré d'une grande cour fleurie, étudiants presque à l'image parfaite à discuter, sac à dos sur l'épaule. Et je traverse le passage piéton, attends devant les immenses grilles noires, prison sociétale en acier, et je suis enfin au lycée.

Je n'ai pas beaucoup d'amis. Des gars un peu cools, jeans larges et sweats, je ne peux pas espérer grand chose d'autre.

Je louche sur ce gars impopulaire, aux yeux qui bouleversent jusqu'aux Enfers, au comportement exécrable et dérangé que tout le monde adore détester.

J'espionne d'un coup d'oeil, pas trop réceptif aux discussions de mes amis, les vas et viens du groupe de filles, le groupe de Célia, comment ne pas le regarder, cette vipère qui enlace le cou de ses victimes jusqu'à l'étouffer en silence.

Puis je divague, complètement dans un autre monde, les cris de mon père et les pleurs de ma mère bien trop banals pour que j'm'en souvienne. Je vois le plus grand du lycée, 1m85 et des bétons en acier, personne ne saurait le surpasser, ses yeux de glace font suffoquer toute chaleur qui ose l'approcher. Il est adulé et respecté, un faux exemple ça c'est bien vrai.

Y'a tous ces petits exemples qui font de cette putain d'école un nid à clichés. Personne ne sait les remarquer ou personne n'ose les exprimer.
On rampe comme un vers ridicule, cramoisi et qui bouffe toute la merde qu'on nous dessert.

Encore. Encore. Encore.
On se cessera jamais de nous mentir.

Est ce que vous aussi êtes des menteurs à but lucratif ?

* * *
Le temps passe, bientôt en milieu d'année. J'ai passé tout un trimestre à bûcher à la bibliothèque, coincé entre deux étagères, l'Histoire de France et les romans policiers.
Je m'dis que ça sert à rien, que de toute manière je sais rien faire à part envier toutes les rapaces du monde entier.
Parce que je suis persuadé de ne pouvoir faire que comptable dans un bureau merdique, à rire faussement sur les blagues de cul d'un faux collègue.
Je m'dis que la seule chose dont je sois capable c'est d'ignorer à quel point ma vie est ennuyeuse.
Mon père et ma mère ne s'aiment plus.
Ma petite soeur comble tout par des modèles idiots.
Je n'ai rien.

En fin de compte, la seule chose dont je sois vraiment doué... C'est mentir.

Je devrais faire politique.

* * *
Je suis amoureux.

L'amour, ça bouleverse toute une vie. Ça la disloque en plusieurs morceaux de calvaires, et persuadé qu'un calvaire éparpillé est un calvaire oublié, notre âme entre dans un état second. Le monde que je connais, sombre et atrophié, devient soudainement un berceau d'amour.
La réalité, je préfère me la voiler, sans en prendre conscience, je me berce dans ses doux mensonges plus satisfaisants.

Être amoureux, ça change tout un être.

Le mien, rapiécé de mes mains abîmées, est devenu un nid d'optimisme maladif, tant rien ne compte sauf la bien aimée à mes côtés.

Toujours dans cette maudite bibliothèque, qui rappelle en quelque sorte les cris injurieux de mon père et le désespoir de ma mère, je l'ai vu pour la première fois.

Elle n'est pas dans la même classe que moi, mais elle aussi est en 2nd. Le fait d'avoir ce ridicule point commun nous a tout de même rapproché, au gré d'un exercice de français, une analyse de texte ennuyeuse.

J'ai soufflé, désemparé devant la philosophie des questions, le besoin de la professeur de précisions et de termes exubérant.
Une longue tignasse rose rit, se tourna, et dévoila des traits des plus captivants.

- Tu as tout a fait raison, ces questions sont stupides, marque-t-elle.

- Ce n'est pas ça, c'est juste que...

Elle sourit. Un rictus joyeux, un croissant de Lune difforme, un truc qui découvre les dents et plisse les yeux, je crois bien qu'elle sourit mais en fait, je ne peux pas l'affirmer.

- Ouais.. Marmonné-je pour conclure ma phrase.

- Personnellement, je prends une page de cours là dessus trouvée n'importe où.. Elle s'empare de mon livre et cherche le numéro de page correspondent. Et je me contente de faire des réponses froides, où la seule ponctuation n'est que terme à tout vas. Le français c'est passionnant, mais avec elle, c'est mortel.

Je la fixe d'un regard amoureux, du moins j'en suis persuadé. Mon regard amoureux ne doit pas charmer, et certainement pas mettre en valeur mes yeux noisettes, mes grains de beauté ou ma barbe mal rasée. Il ne doit même rien mettre en valeur.
En avant, ça oui, il doit démontrer ma capacité à ressembler à la fois à Dany Boon et Serge Gainsbourg ; mais définitivement pas en valeur.

- Mortel dans le sens mort. Pas dans le sens.. Génial, reprend-t-elle, déstabilisée.

- Oui, oui. J'avais compris.

Elle fait à nouveau ce truc bizarre avec sa bouche, peut être bien que c'est un sourire faux, un de ceux dont j'ai abandonné leur utilisation, trop désintéressé de tout.
Puis elle se détourne et poursuit son occupation. J'y jette un oeil discret, des calculs, eurk, ça non plus ce n'est pas mon genre.

Je n'ai pas de genre.

J'ai rien.

- Tu viens souvent à la bibliothèque ?

À cet instant, le Karl passif a disparu. Je n'ai pas trop compris pourquoi, et même en réalisant ma demande, je ne me sens pas différent.
Ma vie me semble toujours aussi insipide, je vois toujours mieux la pluie que le soleil.
Mes amis, ma famille, mon quotidien m'ennuie toujours à en crever, sans être suicidaire, juste dépassé par la monotonie des choses.
Je ne veux rien de la vie, je n'espère plus grand chose.

Mais je veux connaître cette fille.

* * *

Elle s'est retournée, elle a ricané, son sourire est décidément déstabilisant, autant ce concentrer sur ses yeux.
Elle a expliqué que non, elle ne vient pas souvent à la bibliothèque, mais que ça va devenir une habitude. Elle a dit qu'elle veut éviter son père, alors elle reste tard au lycée chaque jour. Le week-end elle sort dans les rues, le Mercredi chez son meilleur ami.
Ses mots, d'une total indifférence, m'ont transporté dans une dimension de couleurs et de vent frais. Parce que je souris, et Dieu que ça fait des siècles que ces zygomatiques n'ont pas fonctionné. J'ai mal aux joues.

Karl, amoureux, ça craint.

Parce que maintenant, tout importe.

La teinte du ciel, l'intensité des cris, le dénis de ma petite soeur, mes amis pourris et ma jalousie excessive envers tout être vivant.

Je dois être plus que moi-même, plus que cette limace qui traîne pour vivre, incapable de faire autre chose que semer sa semence répugnante en ligne droite, direction la tombe.

Ça peut sembler supplice, mais une fois les apparences du monde en rose bonbon, faire des efforts est aussi agréable que la voir sourire avec un peu plus de sincérité qu'au début.

Elle s'appelle Léa.

Léa, les yeux d'ambre, peau porcelaine, le sourire inqualifiable par sa beauté étrange, ma petite poupée ensorcelée qui rendait un pauvre gars comme moi vivant.

Je lui ai parlé peu à peu, au fil des jours, entre l'histoire de France et les romans policiers, son sourire et le mien se sont dévoilés et je l'espère.. se sont liés.

J'ai su les fragments de sa vie, sa relation entre ses parents divorcés, ses problèmes psychologiques datant, son amitié avec Len Kent, l'étrange garçon harcelé, et j'ai déduis ses problèmes d'alimentation.

Il me prit soudain la folle idée de l'aider.

- Je veux t'aider.

Et elle me regarde de ses yeux éberlués, j'aurais prié que ses joues ne soient pas un tombeau de maigreur, que ses doigts rachitiques me caressent. Elle m'a juste tendu une solution.

Ma vie est pourrie à jamais.

À nouveau, le cercle de mensonges recommença.

* * *
- Va te faire foutre.

- Euh..

- Len, je t'en prie, écoute-moi !

Léa m'a sourit avec difficulté, ce truc moche pas sincère qui ourle ses lèvres. En réponse à ma requête, elle m'a présenté le " fou du lycée ". Je sais que c'est son meilleur ami, et qu'il lui cause beaucoup d'inquiétude, mais de là à ce que ce soit son principal centre de problème me donne envie de vomir. J'éprouve plus de haine que de pitié envers ce blondinet.

- Pourquoi tu essayes de me foutre avec un connard ?

- Comme Maddie t'as quitté je pensais que tu aurais besoin-..

- J'ai besoin de personne !!

Il hurle aussi fort que ses poumons le permettent, et fuit loin de nous.

Léa me fixe, dépitée. Je ne pensais pas la savoir aussi triste. Je ne pensais pas que son monde était aussi terne.

- Léa ?

- Je veux juste l'aider. Pourquoi est-ce qu'il ne le comprend pas ? Pourquoi est-ce qu'il n'accepte pas mon aide ? Pourquoi..?

Sa voix craquelle au fil de ses mots, ses yeux se perdent au sol, ses doigts longs et fins qui s'agrippent à ses cheveux, elle se recroqueville petit à petit sur elle-même.

Puis elle se redresse d'un coup.

Un air serein de nouveau collé à la face.

Et moi je reste là sans rien faire. Je ne comprends rien à la situation.

Qui est vraiment Len, qui est vraiment Léa, que suis-je vraiment prêt à faire pour être responsable de son bonheur..

Je me questionne, mes oreilles bourdonnent, je suis, un instant, attiré par l'abandonner à son sort, renoncer qu'un gars comme moi puisse faire quoi que ce soit.

- Karl.

Elle se poste devant moi après de grandes enjambées déterminées. Dans ses yeux d'ambre, si mélancoliques, règnent une certaine détresse.

J'en frissonne.

- Tu veux m'aider, hein ? Prononce-t-elle amèrement.

- Ouais..

- Alors aide-le.

- Je...

Je veux l'aider elle, pas lui. Je n'aime qu'elle, je ne vivre que pour elle.

Pas pour la dernière des merdes qui campe sur ce toit et tire une gueule pas possible sans jamais articuler plus de deux mots à la fois.

- Écoute, je tiens vraiment à lui. Chaque souffrance qu'il peut ressentir, je le ressens. Comme une sorte... d'amour platonique.

Je grince des dents, serre les poings. Je préfère feindre l'ignorance, mais ses mots me font l'effet d'un poignard dans le dos.

Alors qu'à mon habitude je l'aurais immédiatement pensé, j'aurais indéniablement renoncé à elle à cette idée, celle-ci n'apparaît qu'à l'instant. Cette pensée infâme et habituel vient frapper mon être à ses mots.

Je.

Ne.

Suis.

Rien.

- J'ai besoin de lui, pour ne pas devenir folle, elle glisse un rire, alors protège-le, et indirectement, tu m'aideras.

- Je suis sensé le protéger comment ?

Ma voix est à peine audible.

- Il se fait harceler. Ça a commencé quelques semaines après la rentrée. D'abord des rumeurs, puis des insultes, et des menaces qui ont fini par se concrétiser. Je veux que tu l'éloignes de ça.

Elle porte son regard vers la porte menant à l'escalier.

- Il ne le montre pas mais, poursuit-elle d'une voix impassible, il est touché par ces actes horribles. Len... Était vide. Une enveloppe humaine, sans distinctions entre le bien et le mal, la tristesse, la peur ou le bonheur. Les médecins l'ont remplis de savoir, pour différencier le bon du mauvais, sa soeur et sa mère adoptive l'emplissent d'amour et de compassion, moi..Et bien.. J'essaye de lui fournir de l'empathie et du bonheur... Mais, ces gens, l'emplissent de haine. Une haine quotidienne. Permanente. Envers lui. Len s'est construit un lui, avec cette haine. Et je veux... que cette haine devienne infime face au bonheur qu'il peut avoir. Alors, je t'en prie, aide-moi.

Je ne suis pas sûr d'avoir compris.

Mais rien que pour être responsable de son bonheur,

Rien que pour me sentir héroïque,

Rien que pour valoir quelque chose...

- Je vais t'aider.

* * *
J'ai débloqué un nouveau niveau à Clash Royale !

- Cool.

- Et je pense demander à Manon de sortir avec moi.

- Tant mieux.

- Les gars de Terminale ne te font plus chier ?

- Non.

Ses réponses sont ennuyeuses à crever, autant parler à un mur pour ce débit de répartie.

C'est devenu une routine chaque matin, lorsque les grilles s'ouvrent.

Je le rejoins près du gros chêne, je me force à lui parler des détails insipides de ma vie, et on marche vers la cour, assez vite pour éviter qu'il n'entende de potentielle insulte, assez lentement pour qu'il ne remarque rien.

J'ai dis Adieu à la majorité de mes relations.

Il refuse de s'inclure au groupe, et même quand parfois ma conviction emporte sur la sienne, il ne parle pas et se comporte de manière distante, seul dans son coin avec ses écouteurs. Personne ne l'apprécie vraiment dans le groupe. Il ne semble avoir aucune passion, aucune envie, juste le besoin de disparaître en permanence. Alors ils l'évitent juste, c'est plus facile à supporter.

Parfois les insultes fusent.

Je m'en veux de vouloir en dire à mon tour.

Len est un poids pour moi, pour Léa, et tout ceux qui ont déjà essayé de se rapprocher de lui par pitié.

Je ne comprends pas ce que Léa lui trouve.

J'ai pourtant essayé de renforcer les liens, vous savez, c'est plus facile à vivre s'il s'entend bien avec moi.

Mais il ne laisse rien passer, et lorsque la conversation l'agace, il finit par insulter.

Alors un jour, j'ai voulu faire comme j'en avais l'habitude.

Abandonner.

Abandonner les conversations inutiles le matin, me séparer de mes amis, subir des insultes, prendre les coups à sa place, me faire oppresser sur les réseaux sociaux, ne plus vivre sereinement.

Mais un jour...

- Karl !

Léa m'a appelé en pleurs, un Vendredi matin, alors que nous devions commencer les cours d'ici quinze minutes.

- Léa ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Je l'avais cherché du regard devant les grilles, mais aucune Léa à l'horizon.

- Je.. Je viens de rompre...

Mon coeur s'était mit à battre d'un rythme désordonné. J'avais perdu tous mes moyens. Len à côté ne comprenant rien.

- Oh.. Avec Thomas, c'est ça ?

- Oui...

Je ne l'avais jamais entendu dans un état pareil. Je n'avais su quoi faire, comment m'y prendre.

- Et.. Comment tu te sens ?

- À ton avis gros con !

- Désolé, désolé !

- Ma meilleure amie m'a laissé tombé. Je n'avais que lui pour.. p-pour me confier, parler, rire..

- Et.. Et Len ? Avais-je demandé la gorge nouée.

- C'est trop compliqué avec lui..

- Je vois..

Un silence s'était installé entre nous. La sonnerie n'allait pas tarder à retentir, et Len était déjà parti.

Je voulais être auprès d'elle.

Et c'est ce qu'il se passa.

- Karl..

- Léa ?

- Viens..

- Maintenant ? Mais, le lycée ? Mon père va me tuer si je sèche-...

- Une jeune fille en détresse a besoin d'un chevalier et tu ne respectes pas la tradition sexiste ?

- J'en ai marre d'être un héros, avais-je ri.

- Oh, pauvre chou.

- Tais-toi !

Elle est parfaite.

Ses longs cheveux, sa peau laiteuse, ses yeux d'ambre, son sourire bizarre, son corps si frêle.

Encore et encore et encore.

Je vois sa silhouette se dessiner.

Je veux lui dire combien je l'aime, je veux la protéger.

Depuis des mois.

Et enfin..

Dans un élan qui ne m'a jamais secoué jusqu'à présent, je saute dans ses bras lorsqu'elle ouvre la porte, je la serre contre moi, ce petit être fragile et sanglotant qui ne sait plus comment vivre. Je la berce longtemps sur le seuil de sa porte, je découvre cette nouvelle proximité.

L'odeur d'amande de ses cheveux, et leur parfaite douceur, ses étroites épaules qui grelotent à chacun de ses soubresauts, ses mains chétives qui s'agrippent à mon t-shirt.

Elle est vêtu d'un mini short noir déchiré, de collants résilles abîmés, presque dissimulés par son large gilet rouge à motifs.

Il est rare qu'elle porte autre chose que ses jupes et ses robes qui lui donnent cet air de petite princesse narquoise, mais ce style lui va aussi à merveille.

À faire ce genre de remarques, je ne peux plus hésiter sur mon état d'amour.

Alors, je pense que c'est le moment idéal.

Normalement, c'est là que la musique dramatique et romantique se lance, qu'un filtre passe sur la caméra et rend le ciel plus pâle, le regard des tourtereaux plus doux. Et comme une évidence, à cet instant, tout le monde le sait. L'amoureux et l'amoureuse le savent, les téléspectateurs aussi, l'univers à le coeur qui bat à l'unisson.

C'est le moment du baiser.

* * *

Les vacances scolaires sont d'un tout autre ton que les cours qui les ont précédés.

Alors que j'étais devenu un Karl solitaire, moyen dans tout ce qu'il entreprenait, incapable de rendre fier mon père, d'apaiser ma mère, d'aider ma soeur, les vacances d'été m'ont apporté un second souffle.

Pour cause du travail de sa mère adoptive, Len n'est pas parti en vacances, et Léa ne part que les deux dernières semaines d'Août.

Alors, à trois, nous avons solidifier ce trio, nous l'avons rendu inséparables, complices, l'un ne peut se passer de l'autre, et quelque part j'oublie que celle que j'aime maigri de jours en jours sans que j'y comprenne quoi que soit, j'oublie que je déteste Len pour sa faiblesse d'esprit.

Nous sommes justes des amis qui jouent aux jeux-vidéos, qui essayent de fumer, qui débattent sur des personnages de mangas, et malgré tous ces petits incidents qui nous rappellent que nous ne sommes pas tous les trois normaux, nous sommes là.

- Je n'ai jamais vu Len comme ça, me confie Léa alors qu'elle débarrasse nos coupes de glaces.

- C'est-à-dire ?

Je ne peux m'empêcher de la suivre du regard.

- Il joue, il parle, il participe, il vit. Len a toujours été passif, et je suis tellement.., elle pose les coupes dans l'évier,..tellement apaisée que les choses changent.

- Je n'ai pas fait grand chose, insinué-je non sans vouloir qu'elle me dise le contraire.

- Tu fais beaucoup Karl, elle se tourne vers moi, tu fais bien plus que quiconque même.

Elle s'assoit de nouveau à côté de moi, mais cette fois-ci bien plus près. Je sens mon corps flamber à l'instant où ma main effleure la sienne.

- Lorsque j'ai quitté définitivement la clinique, en 3ème, je l'ai présenté à ma meilleure amie, elle qui a toujours attendu mon retour. Tu sais, Veronica.

J'arrive plutôt bien à me visualiser la petite brune dans notre classe, souvent avec Léa.

- À l'époque, j'avais pas idée des difficultés de Len. Je pensais que l'alexithymie c'était une timidité excessive.

L'alexithymie, ainsi que se nomment les problèmes de Len dans l'ensemble, est un mot qui m'était jusqu'à lors inconnu. On en parle nul part, ni dans les films ni dans les soutiens aux maladies psychologiques, et de ce que je comprends, c'est un bordel sans nom pour relier une sensation à une émotion. Ça me semble surréaliste.

- Après un incident avec Célia, Veronica en a eu marre de lui. Elle l'a abandonné. Len a mit des mois à s'en remettre. C'est là que j'ai commencé à vouloir panser cet abandon, avec toutes mes amitiés. Ça ne marchait jamais..

Elle prit ma main, son énorme sourire écorché qui fend son visage d'un bonheur fabuleux. Elle est belle.

- Je pense que tu es le bon. La personne qui nous manque. La colle de notre groupe.

Mon coeur bat la chamade, je crois m'évanouir.

- Je n'ai pas oublié ton baiser la dernière fois.

Je suis prêt à parier que mon visage vire au rouge instantanément aux sons de ses rires. Elle se penche vers moi, et m'embrasse.

J'ai voulu profiter pleinement du baiser, passer mes mains dans ses cheveux, oublier que Len nous attend pas loin dehors, mais la culpabilité m'aspire aussitôt dans un tourbillon atroce et étouffant, ma tête tourne et pèse soudain une tonne, je crois m'enfoncer encore et encore dans un cercle vicieux et infernal.

Je ne suis pas grand chose.

Je ne mérite pas Léa, je le sais, j'en ai pleinement conscience. Pourtant depuis que je lui ai offert mon premier baiser, confié mon amour, je ne veux pas la perdre, et pour cela je suis prêt à tout.

Alors j'ai fait la seule chose pour laquelle je sois doué..

J'ai menti.

* * *
- Comment tu as pu ?! Scande-t-elle, la gorge nouée de larmes, affreusement scandalisée et peinée.

- Léa, laisse-moi t'expliquer !

Je courre après elle alors qu'elle fuit au loin, avec la conscience que de toute manière elle doit attendre le bus et que j'allais la rattraper.
J'attrape son poignet dans un élan de courage, je la force à s'arrêter, à me regarder dans les yeux et je la vois totalement détruite.

Ses cheveux en pétard voilent la majorité de son visage, d'une couleur sale entre le gris et le rose alors que ses racines ont retrouvées leur brun naturel. Je peux à peine voir ses doux yeux d'ambre qui pourtant doivent être éclatés d'une violente et profonde déception. J'essaie d'approcher une main pour dégager tous ces cheveux de ses traits fragiles mais endurcis par la colère, sauf qu'elle fuit bien avant que je réussisse quoi que ce soit.

Elle est prête à hurler au viol pour que je lui foute la paix, elle se débat dès que je m'approche, elle ne cherche même plus à continuer à me hurler dessus.

- Léa, ce n'est pas ce que tu crois..

- Oh ferme ta gueule, okay ?! Je ne veux entendre aucune plainte pétée de ta part ! Tu es une enflure et je ne veux plus entendre parler de toi !

La petite vieille assise sur le banc de l'arrêt de bus nous dévisage alors que le jeune homme à ses côtés préfère devenir sourd et aveugle.

- Léa, je veux parler de ça en privé, pas en plein milieu de la rue, essayé-je de la convaincre.

- Va te faire foutre.

- Je ne t'ai pas caché tout ça par plaisir, Léa. Dis-moi seulement l'avantage que j'ai de te cacher tout ça, la supplié-je désespérément.

- Tu es égoïste.

Ne l'étions pas tous ?

Depuis que j'avais déchiré ce papier peint, j'ai su que j'étais égoïste et que le monde entier l'était.
Le mensonge contribuait à ce besoin égocentrique constant, il fallait mentir pour assouvir ses besoins.

Mais est-ce qu'à cet instant où elle m'avait sourit, ce vieux sourire peu reluisant et poétique, les mensonges qui ont franchi mes lèvres étaient là pour assouvir mes besoins ?

Peut-être.

- C'est être égoïste d'avoir menti pour continuer à te voir sourire ?

- Ta gueule.

- C'est être égoïste d'avoir menti pour espérer que tu te trouves jolie ? C'est égoïste d'avoir menti pour que tu te sentes mieux ? C'est égoïste de-...

- Oui ça l'est ! Je n'avais pas besoin qu'on me protège comme une princesse, déclare-t-elle d'un regard noir appuyé contre moi.

- J'ai répondu à la tradition de la princesse en détresse, souris-je tristement.

- Je ne suis pas ta princesse.

- Si.

Le bus arrive au loin, mais ce n'est pas lui qu'elle regarde d'une peine indéfinissable avec un sourire bien plus moche qu'en habitude.

Son sourire moche est magnifique.

Son être est magnifique.

L'aimer est magnifique.

- Je viens d'apprendre que je reçois avec Len des dizaines de messages haineux sur les réseaux sociaux, je viens d'apprendre que tu n'as jamais voulu aider Len, je viens d'apprendre que tu me trouves hideuse, je viens d'apprendre que le harcèlement ne s'est pas arrêté. J'ai passé six mois dans le mensonge. Je viens même d'apprendre que tu détestes le nouveau et que tu fais tout pour que Len aussi. C'est énorme. Tu es un mensonge Karl. Je ne sais même plus ce qui est vrai ou non..

- Je t'aime..

Mais le bus arrive et la comédie romantique ne relance pas ses clichés et ses malédictions, je me retrouve seul à l'arrêt de bus, seul dans la rue, seul au fond de moi-même.

* * *
J'ai menti en disant que je n'avais pas déchiré le papier peint.

J'ai aussi menti lorsque j'ai dit que je détestais ma famille.

J'ai menti quand j'ai dit que j'avais déjà fumé des joints et que je n'étais plus puceau.

J'ai menti quand j'ai dit que j'appréciais Len, il est sympa quand on le connaît ne t'en fais pas.

J'ai menti lorsque j'ai dit qu'il n'y avait plus de problèmes harcèlement, il n'y a plus rien ne t'inquiète pas.

J'ai menti quand j'ai dit que j'étais tombé à vélo, c'est pour ça la blessure ne t'inquiète pas.

J'ai menti lorsque je lui ai dit qu'elle était belle, oui tu belle même quand tu es squelettique et malade ne t'inquiète pas.

J'ai menti lorsque j'ai dit que je n'avais pas le cœur brisé, non c'était juste une histoire de passage ce n'est rien.

- Karl ?

- Len, encore là ? Tu n'étais pas sensé changer de lycée ? Ironisé-je, un sourire furtif aux lèvres.

- Tu te tiens au courant des rumeurs.

- Léa me l'a dit.

Elle ne m'a pas dit que ça, elle m'a encore reproché de l'avoir embrassé devant tout le monde et que maintenant elle n'a plus à supporter un mauvais menteur comme moi. Je m'en fiche bien de ce qu'elle peut me dire. Elle est redevenu belle et radieuse.

- J'ai su.

Il ne m'en fallut plus pour comprendre qu'il sait.

- Je ne veux pas faire copain-copain.

Ça se voit à sa tête toujours d'un impassible exemplaire.

- Je veux juste te dire merci.

- Pardon ? Je faillis m'étouffer.

- Merci de m'avoir protégé.

- Eum.. De rien, je suppose.

- Veille bien sur Léa.

- Elle n'a pas besoin qu'on s'occupe d'elle.

- C'est vrai. Alors continu de faire comme d'habitude : Reste avec tes amis et joue aux jeux vidéos.

- Compte sur moi.

Il me sourit et fait demi-tour pour rejoindre le nouveau, ce petit blondinet que j'avais jalousé dès l'arrivé, qui était maintenant son petit-ami.

En les voyant partir au loin, je me mis à pleurer.

Rien d'extravagant, rien d'extraordinaire parce que je ne suis rien de tout ça, juste quelques larmes silencieuses, assez nombreuses pour comprendre leur sens et leur douleur.

J'aurais aimé me retrouver à la place de Kuro.

Mais comme je ne suis rien, que je n'ai rien fait et que ma vie n'en changerait probablement aucune, je me retrouve comme un con devant les grilles du lycée, à jalouser chaque être vivants autour de moi.

Comme je ne suis pas le héros de l'histoire je reste en arrière plan et je deviens un souvenir, je ne reste là que parce que je fais parti du casting, et je pleure de ne pas être un héros qui trouve l'amour, un héros qui voit la vie en couleurs, un héros qui devient fort et assuré.

Je suis juste Karl.

Le menteur de l'histoire.


* * *
À la base Karl n'avait aucune importance dans l'histoire à la première écriture. Il était juste là comme seul lien aux élèves du lycée, car - à la première écriture - Léa n'existait pas.
J'ai décidé de garder la totalité des personnages de la seconde écriture, bien que je me sois aperçu qu'ils n'ont pas pu être développés comme je l'imaginais ( Et non merci, pas de quatrième écriture !)
Cette histoire me suit depuis très longtemps, à chaque fois que je la réécrivais j'avais vécu et je ne voulais pas que le dernier rendu de cette vieille histoire soit une panoplie de personnages sous-développés.

Le point de vue de Karl tourne principalement autour de son amour pour Léa, mais c'est bien là le seul lien qui l'unit à l'histoire car il s'en tape la poire de Len et Kuro.

J'espère que grâce à ce p.d.v. vous aurait pu un peu mieux l'estimer et le comprendre.

A la prochaine.

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